La médicalisation de la ménopause
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La médicalisation de la ménopause
La médicalisation de la ménopause par Kathleen O’Grady et Barbara Bourrier-LaCroix Récemment, une tempête médiatique a été déclenchée suite à l’annonce de l’interruption à mi-parcours d’une vaste étude sur le traitement hormonal de substitution (THS) entreprise par une agence fédérale américaine, les responsables ayant jugé que les participantes encouraient un risque élevé de cancer du sein, de crise cardiaque, d’accident vasculaire cérébral ou de caillots. Fait très rare, cet essai clinique, qui porte le nom de Women’s Health Initiative (WHI) et a été financé par le National Heart, Lung and Blood Institute des National Institutes of Health, a été interrompu trois ans avant la date prévue parce que les conclusions préliminaires révèlent que les risques associés à l’utilisation prolongée des œ strogènes combinés à la progestine sont largement plus élevés que les bienfaits pour la santé. Ces résultats n’ont guère surpris les nombreuses organisations féminines qui mettent en doute depuis un moment déjà les méthodes utilisées par les sociétés pharmaceutiques dans le but de promouvoir l’hormonothérapie substitutive auprès des femmes d’âge mûr en bonne santé. Plusieurs études indiquent que l’utilisation à court terme du THS peut s’avérer une thérapie utile pour soulager temporairement les symptômes qui se manifestent au début de la ménopause, telles les bouffées de chaleur, les sueurs nocturnes et la sécheresse vaginale. Or c’est une toute autre histoire que de recourir au THS à long terme (plus de cinq ans) ou de le prescrire aux femmes en bonne santé – c’est-à-dire à celles qui n’éprouvent aucun symptôme grave. Les résultats découlant de l’étude du WHI s’inscrivent dans une longue suite de travaux de recherche ayant démontré que l’utilisation prolongée du THS doit être envisagée avec une extrême prudence. Pourtant, depuis plus d’une décennie, les praticiens et les agences de consultation médicale conseillent aux femmes en bonne santé de recourir au THS à la ménopause comme moyen de prévention des maladies du cœ ur et de l’ostéoporose. Certains dépliants et annonces publicitaires au contenu des plus douteux accordent même à cette thérapie des bienfaits sensationnels, amenant les femmes à croire qu’elle réduirait les signes de la vieillesse, guérirait la dépression et l’incontinence, et préviendrait la maladie d’Alzheimer, pour ne nommer que ceux-là. En d’autres termes, le THS a été présenté comme le « médicament miracle » destiné aux femmes d’âge mûr. Mais d’une manière ou d’une autre, on a omis de tenir compte des fondements scientifiques qui viendraient appuyer ces affirmations. Depuis une dizaine d’années, la ménopause a fait l’objet d’une médicalisation croissante; de stade naturel dans la vie d’une femme, elle est devenue une source de « malaises » ou une « maladie » nécessitant un « remède ». Comme par hasard, cette évolution a coïncidé avec la période où, en Amérique du Nord, des millions de femmes de la génération du baby-boom sont arrivées à la ménopause. Les bénéficiaires directs de l’engouement pour le THS sont les sociétés pharmaceutiques, qui en ont fait une industrie de plusieurs milliards de dollars. La société Wyeth, qui fabrique le Premarin, la formule de THS la plus vendue au États-Unis, affiche des ventes de 2,07 milliards $US en ordonnances pour l’an dernier seulement, ce qui fait de ce produit le meilleur vendeur de la société. Or les perdantes face à cet engouement pour le THS sont précisément ces femmes d’âge mûr qui devaient prétendument jouir des bienfaits de cette thérapie. Les résultats de l’étude du WHI ne laissent aucun doute : les risques relatifs associés à la THS de longue durée (œ strogènes combinés à la progestine pendant plus de cinq ans) atteignent le chiffre alarmant de 41 % en ce qui concerne les accidents cérébrovasculaires. Le taux de risque s’élève à 29 % pour ce qui est des crises cardiaques, 22 % pour les maladies cardiovasculaires, 26 % pour le cancer du sein et, dans le cas des caillots, il est doublé (pour consulter les chiffres cités dans l’étude du WHI : www.nhlbi.nih.gov/new/press/02-07-09.htm). Dans les médias, certains reportages ont minimisé l’importance des risques relatifs en citant le nombre exact de femmes exposées à un risque élevé, chiffre qui semble en effet peu élevé dans chacun des cas. Selon l’étude de la WHI, seulement 8 femmes de plus sur 10 000 souffriront de cancer du sein en raison d’un recours prolongé au THS; le nombre est de 7 dans le cas des crises cardiaques, de 8 dans celui des accidents vasculaires cérébraux et de 18 en ce qui concerne la formation de caillots. Toutefois, lorsqu’on tient compte des millions de femmes qui suivent actuellement cette thérapie en Amérique du Nord, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui sont exposées à ces risques. Rien d’étonnant alors à ce que les femmes tendent l’oreille et s’intéressent à cette étude. Et la question sur toutes les lèvres est la suivante : comment se fait-il que l’on ait incité des femmes en bonne santé à suivre un THS pendant une période aussi longue? La confusion entourant les effets du THS résulte de la combinaison des millions de dollars consacrés au battage publicitaire par l’industrie pharmaceutique et de l’analyse déficiente des données scientifiques. Depuis de nombreuses années, les études observationnelles servent à vanter les avantages de l’hormonothérapie et font partie de l’arsenal publicitaire déployé par les sociétés pharmaceutiques dans le but de vendre la THS comme mesure de prévention à long terme (et non simplement comme moyen de soulager temporairement les effets de la ménopause tels que les bouffées de chaleur). Or, dans le monde scientifique, on considère que les données qui découlent des études observationnelles sont « approximatives » : elles présentent un certain intérêt, mais elles sont trop ouvertes à l’interprétation pour constituer une « preuve » de l’efficacité et de la sécurité d’un médicament avant d’en permettre l’usage généralisé. Seuls les essais cliniques aléatoires à double insu – un modèle idéal de recherche en santé – peuvent aboutir à des résultats crédibles. L’étude du WHI est le premier essai à vaste échelle entrepris dans le but d’évaluer les risques et les avantages à long terme associés à l’hormonothérapie pour les femmes en bonne santé. Autrement dit, la pratique consistant à prescrire les THS a précédé la démonstration qui aurait permis d’établir des lignes directrices en matière d’ordonnance. D’autres essais cliniques à grande échelle ont étudié les effets à long terme du THS chez les femmes souffrant de maladies du cœ ur, notamment les études Heart and Estrogen/Progestin Replacement Study (HERS) et Estrogen Replacement in Artherosclerosis (ERA); cette dernière a permis d’établir non seulement que le THS ne réduisait pas le risque de maladie du cœ ur chez les femmes d’âge mûr, comme l’avait conclu la première étude, mais qu’en fait il l’accroissait. Au fil des ans, ces études et de nombreux autres essais à plus petite échelle ont démontré que le recours prolongé au THS permettait de préserver la masse osseuse, tout en établissant cependant un lien avec une longue liste de risques éventuels pour la santé, dont le cancer du sein, la cholécystopathie (affection de la vésicule biliaire), les accidents vasculaires cérébraux, la thrombo-embolie veineuse, les maladies de la bile et d’autres encore. Malgré les constats troublants découlant de ces essais à court terme portant sur des femmes souffrant de maladies du cœ ur, on a continué à prescrire couramment le THS et à en recommander l’usage comme méthode de préservation de la santé. Il serait trop simple de jeter le blâme sur les seules sociétés pharmaceutiques, qui ont malgré tout un rôle important à jouer dans le domaine de la santé mais qui cherchent également, il ne faut jamais l’oublier, à générer de « sains » profits pour leurs actionnaires. La question qu’il faut plutôt soulever dans cette crise entourant le THS – et il s’agit bien d’une crise, étant donné les millions de femmes partout en Amérique du Nord qui suivent une forme ou une autre d’hormonothérapie et le taux croissant de cancer du sein – c’est de savoir pourquoi on prescrit aux femmes en bonne santé des médicaments qui n’ont pas été testés sous toutes leurs facettes par le biais d’essais cliniques exhaustifs. À qui la faute? Qui acceptera de porter la responsabilité d’avoir laissé la « science approximative » et le marketing l’emporter sur la recherche médicale rigoureuse? Où se trouvaient les organisations médicales autonomes et les instances dirigeantes quand est venu le temps de tirer la sonnette d’alarme? Les avertissements concernant les effets graves du THS sur la santé des femmes d’âge mûr ont été plus que nombreux, tout comme l’ont été les conclusions à l’effet que les risques surpassent largement les avantages. À la lumière des résultats de cette nouvelle étude, on ne peut que souhaiter une révision en profondeur des recommandations médicales et pharmaceutiques qui ont favorisé la promotion du THS auprès des femmes en bonne santé. Une question restera cependant toujours en suspens : pourquoi avoir attendu si longtemps avant de s’y mettre? Kathleen O’Grady est directrice des communications au Réseau canadien pour la santé des femmes, www.cwhn.ca Elle est aussi rédactrice du bulletin A Friend Indeed, publié à l’intention des femmes en ménopause par le Women’s Health Clinic de Winnipeg : www.afriendindeed.ca. Barbara Bourrier-LaCroix est la Coordonnatrice du centre d’information pour le Réseau canadien pour la santé des femmes.