télécharger ce document (110 ko)

Transcription

télécharger ce document (110 ko)
La société à directoire,
Forme d'élection de la gouvernance
Les règles du jeu et le jeu des règles
La gouvernance imposée
Jean-Jacques Caussain,
Avocat à la Cour, Membre du Conseil National des Barreaux, ancien Membre du Conseil de
l’Ordre
Lorsqu'il fut déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 20 juin 1964, le projet de loi
gouvernemental portant réforme des sociétés commerciales ne contenait aucune référence à
un nouveau mode de gestion de la société anonyme comprenant un directoire et un conseil de
surveillance.
C'est seulement l'année suivante, précisément lors de la séance du 8 juin 1965, que René
Capitant, Président de la Commission des lois, et François Le Douarec, rapporteur,
présentèrent « une liasse de 29 amendements » visant à insérer dans le projet de loi une série
d'articles nouveaux constituant une sous-section intitulée « comité de direction et conseil de
surveillance » (1).
Ces amendements visaient trois objectifs :
–
créer une société anonyme mieux structurée que celle dotée d'un conseil
d'administration, en opérant une distinction fondamentale entre les fonctions de direction et
celles de contrôle
–
progresser vers l'unification du droit européen à travers les solutions du droit allemand
qui était retenu comme le modèle à imiter
–
amorcer une réforme de l'entreprise, dans la perspective de la participation du comité
d'entreprise au contrôle de la gestion du directoire
Nous nous intéresserons essentiellement au premier de ces objectifs qui figure au cœur de
notre réflexion sur la gouvernance : celui de la séparation des fonctions de direction et de
contrôle.
Les différentes étapes d’une gouvernance imposée
La réforme de 1966
Dans leur démarche visant à instaurer une véritable séparation des pouvoirs, les
promoteurs de cette réforme ne manquaient pas de dénoncer certains défauts de la société
(1) JOAN, 8 juin 1965, p. 186.
http://www.creda.ccip.fr
1
La société à directoire,
Forme d'élection de la gouvernance
anonyme traditionnelle, faisant, en particulier, valoir que la "confusion des fonctions de
président du conseil d'administration et de directeur général et, plus largement, des organes de
contrôle et des organes de direction restaient des obstacles majeurs à toute rénovation
profonde des sociétés anonymes". En outre, ils soulignaient que les attributions du président
constituaient une source de conflits d'intérêts puisque ce dernier présidait un organe, le conseil
d'administration, qui était chargé de le nommer, de le contrôler, et éventuellement de le
révoquer. D'où la proposition visant à séparer la direction du contrôle (les promoteurs de la
société à directoire estimaient que ce système deviendrait « obligatoire un jour proche ou
lointain où se réalisera l'unification, si nécessaire, du droit commercial européen ») (2).
Il s'agissait donc bien d'une nouvelle organisation des pouvoirs de la société anonyme qui
était ainsi proposée au législateur par ce dispositif précurseur de la gouvernance d'entreprise.
À l'époque, en effet, le concept, au sens où nous l'entendons maintenant, n'existait pas
encore. Certes, l'ouvrage de François Bloch-Lainé, "La réforme de l'entreprise", paru en 1963,
qui avait inspiré les auteurs des amendements, préconisait la mise en œuvre d'une
"constitution" de l'entreprise reposant sur une distinction entre la fonction managériale, confiée
à un collège de directeurs, et la fonction de contrôle, attribuée à une commission de
surveillance comprenant les représentants du capital, mais devant aussi accueillir des
représentants du travail
(3).
Cette proposition figurait dans le chapitre III lui-même intitulé "Pour
un gouvernement de l'entreprise", donc bien avant que soit amorcé le débat sur la Corporate
Governance.
Celui-ci, en effet, n'a été entamé, aux États-Unis puis au Royaume-Uni, qu'au cours des
années 1970, à la suite de différents scandales financiers qui ont fait apparaître l'insuffisance
du contrôle du conseil d'administration sur l'action des dirigeants, ainsi que la nécessité
impérieuse d'une amélioration du fonctionnement de cet organe (4).
Les précédents étrangers
Ces réflexions débouchèrent sur deux textes fondamentaux : en décembre 1990, au
Royaume-Uni, le "Code of Best practice" ayant trait à l'organisation et au fonctionnement des
organes des sociétés cotées et, en 1993, aux États-Unis, un important document intitulé
« Principles of Corporate Governance – Analysis and recommendations » (5).
(2) Rapport Le Douarec, n°1368, p. 695, T. II., Section III, p. 34
(3) F. Bloch-Lainé, Pour une réforme de l'entreprise, Seuil, 1963
(4) J.-J. Caussain, Le gouvernement d'entreprise, Le pouvoir rendu aux actionnaires, Étude du CREDA, Litec, 2005,
p. 7 sq.
(5) C'est à Sir Adrian Cadbury, promoteur de la Corporate Governance au Royaume-Uni, que l'on doit la définition la
plus lapidaire de la Corporate Governance, celle-ci étant définie comme : "the system by which companies are
managed and controlled".
http://www.creda.ccip.fr
2
La société à directoire,
Forme d'élection de la gouvernance
Le fondement essentiel des recommandations contenues dans ces textes reposait sur la
mise en œuvre du principe de la séparation des pouvoirs se traduisant par :
–
une distinction, au sein du conseil (le Board), entre deux catégories d'administrateurs :
les executive et les non executive directors, ces derniers, devant composer plus de la moitié
des effectifs du conseil et satisfaire, en outre, à des critères d'indépendance
–
au sommet, par la dissociation des fonctions de président du conseil d'administration
(Chairman of the Board) et de directeur général (Chief Executive Officer ou CEO).
Afin d'assurer le bon fonctionnement du conseil, ce dernier doit, en outre, être
obligatoirement assisté de comités spécialisés : l'audit committee (comité d'audit ou des
comptes), le nomination ou nominating committee (comité des nominations) et enfin le
compensation ou remuneration committee (comité des rémunérations). La majorité, sinon la
totalité, des membres de ces comités doivent être des administrateurs indépendants. Est
indépendant l'administrateur qui n'entretient aucune relation, de quelque nature que ce soit,
avec la société et son groupe qui puisse compromettre sa liberté de jugement.
À la règle de l'équilibre des pouvoirs, s'ajoute le principe de la transparence qui permet un
meilleur contrôle par les actionnaires de la gouvernance de la société par les dirigeants, mais
également une stricte supervision des différentes rémunérations qui peuvent être allouées à ces
derniers.
La mise en œuvre aux États-Unis et au Royaume-Uni des principes de Corporate
Governance devait rapidement susciter en France une prise de conscience de la part de
l'autorité de marché et des dirigeants des grandes sociétés françaises sur la nécessité
d'acclimater en France ces nouvelles normes.
Les rapports Viénot et Bouton
À l'initiative du MEDEF et de l'AFEP, la réflexion sur le gouvernement d'entreprise était
lancée. Ce furent successivement les rapports Viénot I (en 1995), puis Viénot II (en 1998) et
enfin le rapport Bouton (en 2002), l'ensemble de ces travaux ayant été fusionnés en
octobre 2003 pour offrir aux sociétés cotées un ensemble de recommandations visant
essentiellement le fonctionnement du conseil d'administration, mais qui sont néanmoins
transposables aux sociétés à directoire et conseil de surveillance (6).
De même, il convient de citer les recommandations prodiguées en la matière par la COB,
puis par l'Autorité des marchés financiers (AMF) qui lui a succédé.
(6) AFEP, MEDEF, Le gouvernement d'entreprise des sociétés cotées, 2003.
http://www.creda.ccip.fr
3
La société à directoire,
Forme d'élection de la gouvernance
Parallèlement à l'élaboration de ces recommandations, le législateur est également
intervenu afin de lever les obstacles pouvant freiner la mise en œuvre de cette nouvelle gestion
des sociétés cotées.
Les interventions récentes du législateur
Différentes réformes législatives ont ainsi visé à renforcer un certain nombre de dispositions
impératives applicables, aussi bien aux sociétés anonymes de type moniste, qu'à celles de type
dualiste, qui inscrivaient déjà dans la loi des règles d'une bonne gouvernance des sociétés.
Ainsi, la loi « Nouvelles régulations économiques » (Loi NRE) du 15 mai 2001 a
notamment :
–
renforcé la limitation du nombre des mandats sociaux pouvant être détenus par la
même personne
–
renforcé la prévention des conflits d'intérêts, à savoir l'interdiction d'emprunt et
l'autorisation par le conseil des conventions auxquelles les mandataires sociaux sont intéressés
–
introduit la possibilité, dans la société de type moniste, de séparer les fonctions de
président du conseil d'administration de celles de directeur général.
Puis, la loi sur la Sécurité financière (Loi LSF) du 1er août 2003 s'est traduite, en particulier,
par :
–
la modernisation des procédures de vote dans les assemblées,
–
l'exercice effectif de leur droit de vote par les investisseurs institutionnels et l'application
du principe "Comply or explain",
–
la possibilité de prévoir statutairement la révocation des membres du directoire par le
conseil de surveillance,
–
l'obligation pour le président du conseil d'administration ou de surveillance (dans les
sociétés cotées) de présenter un rapport sur la mise en œuvre du gouvernement d'entreprise
(procédures de contrôle interne).
Plus récemment, la loi pour la confiance et la modernisation de l'économie du 20 juillet 2005
a principalement renforcé le contrôle par les actionnaires de l'ensemble des rémunérations qui
peuvent être allouées, au moment de leur départ, aux mandataires sociaux, (parachutes dorés,
retraite chapeau, stock options, etc.).
Dans cet environnement où coexistent des règles à vocation tantôt normatives, tantôt
impératives, il apparaît clairement que la structure dualiste répond aux exigences du
http://www.creda.ccip.fr
4
La société à directoire,
Forme d'élection de la gouvernance
gouvernement d'entreprise, en grande partie en raison de la séparation des pouvoirs résultant
de l'existence de deux organes collégiaux : un organe de direction et un organe de contrôle (7).
2. l’organisation des pouvoirs
Le directoire
Organe de direction, le directoire comprend de deux à cinq membres, ce nombre pouvant
toutefois être porté à sept dans les sociétés cotées, et réduit à un dans les sociétés au capital
inférieur à 150 000 euros. Ses membres, qui sont obligatoirement des personnes physiques,
peuvent être titulaires d'un contrat de travail, mais leurs fonctions sont incompatibles avec
celles de membre de conseil de surveillance. Les membres du directoire sont nommés par le
conseil, et peuvent être révoqués par l'assemblée générale, ainsi que, si les statuts le prévoient,
par le conseil de surveillance. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu
à des dommages-intérêts.
Organe collégial, le directoire est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute
circonstance au nom de la société ; il les exerce dans la limite de l'objet social et sous réserve
de ceux expressément attribués par la loi au conseil de surveillance et aux assemblées
d'actionnaires. La loi soumet toutefois impérativement un certain nombre de décisions à
l'autorisation préalable du conseil de surveillance. En outre, les statuts peuvent renforcer cette
obligation en subordonnant la conclusion des opérations qu'ils énumèrent à l'agrément du
conseil. Lorsqu'une opération exige l'autorisation du conseil de surveillance et que ce dernier la
refuse, le directoire peut soumettre le différend à l'assemblée qui décide de la suite à donner à
l'opération.
Dans ses relations avec les tiers, la société est représentée par le président et, le cas
échéant, par les membres du directoire qui ont été investis par le conseil de surveillance du titre
de directeur général. Les dispositions des statuts limitant les pouvoirs du directoire ou le pouvoir
de représentation du président et des membres du directoire investis du titre de directeur
général sont inopposables aux tiers.
Le conseil de surveillance
Contre-pouvoir imposé au directoire par le législateur, le conseil de surveillance est l'organe
de contrôle. Ses membres qui peuvent comprendre des personnes morales, sont nommés et
révocables par l'assemblée générale des actionnaires. Le conseil élit en son sein un président
et un vice-président qui doivent obligatoirement être des personnes physiques. Le contrôle
(7) J.-J. Caussain, Le directoire et le conseil de surveillance de la société anonyme – Préface de Michel Germain,
Litec, 2002.
http://www.creda.ccip.fr
5
La société à directoire,
Forme d'élection de la gouvernance
exercé par le conseil de surveillance porte aussi bien sur la régularité des comptes que sur
l'appréciation de l'opportunité des décisions de gestion prises par le directoire.
Véritable contrepoids du directoire, le conseil de surveillance comprend les non executive
directors, la loi disposant que les membres du conseil de surveillance exercent une mission de
contrôle, et que ceux-ci ne peuvent pas s'immiscer dans la gestion quotidienne de la société
assurée par le directoire. En outre, le conseil de surveillance peut se faire assister par les
comités spécialisés exigés en matière de gouvernance d'entreprise, d'autant plus que la
possibilité de mettre en place de telles commissions existe depuis la réforme des sociétés
commerciales intervenues il y a plus de quarante ans (8).
*
* *
Cette organisation des pouvoirs ainsi fixée par la loi obéit aux principes généraux de la
Corporate Governance. Ce mode de gestion des sociétés repose, en effet, sur une séparation
très nette entre le pouvoir de direction et celui de contrôle qui, dans le système anglo-saxon,
sont répartis entre les executive directors et les non executive directors. Les premiers siègent
au directoire, qui a pour vocation de réunir des cadres de l'entreprise ou, en tous cas, des
dirigeants qui, sans siéger en permanence, assument cependant le day-to-day management au
sein de l'entreprise et peuvent donc se réunir à tout moment pour prendre des décisions
importantes, lesquelles sont mises en œuvre par le président du directoire (équivalent du Chief
Executive Officer) en sa qualité de représentant légal de la société.
De plus, la structure dualiste instaure la dyarchie au sommet préconisée par les principes
de Corporate Governance en faisant cohabiter le président du directoire (équivalent du Chief
Executive Officer) et le président du conseil de surveillance (homologue du Chairman of the
Board). Ce dernier convoque et préside cet organe, qui nomme lui-même les membres du
directoire et, le cas échéant, décide de leur révocation soit directement, si les statuts l'ont prévu,
soit en la proposant à l'assemblée. Le président du conseil de surveillance préside également
les assemblées.
En introduisant dans notre droit des sociétés la possibilité de recourir à la structure dualiste,
le législateur a poussé jusqu’à son extrême la logique de la séparation des pouvoirs, puisque
celle-ci repose sur deux organes distincts. Ce faisant, il est allé au-delà des exigences posées
en matière de Corporate Governance par le monde financier anglo-saxon, pour lequel cette
dissociation peut être aménagée au sein d'un seul organe : le conseil d'administration.
(8) Cf. art. 115, al. 2 du décret du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales.
http://www.creda.ccip.fr
6