Histoire Sainte-Thérèse

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Histoire Sainte-Thérèse
Drummondville, secteur Sainte-Thérèse
Historique de son expansion spatiale et démographique
entre 1880 et 1963
Le développement du secteur Sainte-Thérèse s’inscrit dans deux périodes distinctes, chacune d’elles
importantes dans l’histoire de Drummondville. D’abord, l’époque du moulin à scie Vassal-Mercure
(1880-1920), lequel s’élevait dans l’actuel parc Sainte-Thérèse, puis l’ère des grandes usines de textile
qui s’implantent à la limite occidentale du secteur à compter de 1920. Le présent rapport présente un
bref historique des deux périodes précitées et le portrait spatial du Sainte-Thérèse des années 1960.
Les limites du secteur Sainte-Thérèse ne coïncident pas avec celles de la paroisse Sainte-Thérèse,
telle qu’érigée en 1937. Nous en avons retenu que la portion méridionale soit de la rue Du Moulin à la
rue Laurier, ce qui représente moins de la moitié du territoire paroissial (voir carte intitulée
« Délimitation secteur Sainte-Thérèse et paroisse Sainte-Thérèse »).
Période de 1880 à 1920
À la suite de la fondation de Drummondville, en 1815, des colons viennent défricher la terre du
secteur Sainte-Thérèse et la cultiver. Ils s’appellent successivement Steele, McLeod, René. Un
village prend forme dès 1880, alors que débutent les activités d’une scierie située dans l’actuel parc
Sainte-Thérèse. Pendant 40 ans, les estacades du moulin Vassal (du nom de son propriétaire,
Henri Vassal, de 1880 à 1905), puis du moulin Mercure (du nom de Alexandre Mercure qui le dirige
jusqu’à sa fermeture) retiennent les billots emportés par le courant jusqu’au pied du moulin. Les
meilleures pièces de bois sont sciées en planches alors que les rebuts sont achetés, entre autres,
par MM. Comtois et Poirier qui les transforment en bardeaux dans leur moulin situé moins d’un
arpent en aval de la scierie. La production destinée aux marchés extérieurs est évacuée grâce à
une voie de desserte du Canadian Pacific qui emprunte un tracé parallèle à l’actuelle rue Celanese.
Les activités du moulin Vassal sont adjacentes à la rivière Saint-François qui transporte la matière
première (billots de bois) et alimente en eau les chaudières de la scierie. Les résidences du patron
et des cadres s’élèvent sur la côte, en direction ouest, alors que les maisons des ouvriers
s’adossent aux cages de planches placées au sud de la voie ferrée (dans le périmètre formé par les
rues Raimbault, Lafontaine, Mercier et Mercure). Il y en a une dizaine, recouvertes de bois blanchis
à la chaux, toutes alignées, chacune avec une écurie pour garder un cheval, quelques poules et
des lapins. (voir carte 2, tirée du plan d'assurance de 1918). La population est assez nombreuse
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pour justifier l’ouverture d’un bureau de poste, lequel porte le nom du patron Henri Vassal, et d’une
école pouvant recevoir une soixante d’élèves, laquelle est détruite par le feu en 1931 1.
En 1888, on détache le village Henri-Vassal de la municipalité du canton de Grantham, soit les lots
un et deux du deuxième rang du canton de Grantham, pour l’inclure dans les limites du village de
Drummondville. Ses effectifs ainsi gonflés, Drummondville obtient le statut de ville.
De l’époque du moulin à scie Vassal-Mercure, le secteur Sainte-Thérèse a hérité de maisons
bourgeoises, dont celles habitées par le couple Henri Vassal et Adélaïde Niquette (669 boulevard
Mercure) et par la famille de Alexandre Mercure (673 boulevard Mercure). On peut également
identifier quelques maisons louées aux employés du moulin à scie. À noter celle qui s’élève au
206, rue Vassal, dont un des deux logements fut d’abord habité par la famille de Edouard Niquette,
beau-frère de Henri Vassal et contremaître au moulin à scie. Les cordonniers Trudel et Boucher y
ont tour à tour exercé leur métier 2.
Période de 1920 à 1960
Les activités du moulin Mercure cessent au début des années 1920 alors que la Southern Canada
Power entreprend la construction du barrage Hemming, situé à deux kilomètres en amont de la
scierie.
Le secteur Sainte-Thérèse tourne dès lors le dos à la rivière pour assurer son
développement.
En effet, sa croissance sera dorénavant étroitement liée à deux entreprises
manufacturières, soit la Jenkes Canadian Co à compter de 1920 (située sur son flanc ouest) et la
Canadian Celanese à compter de 1926 (située dans l’axe sud-ouest). Pendant de nombreuses
années, la Canadian Celanese emploiera, à elle seule, plus d’ouvriers que toutes les autres
industries du grand Drummondville réunies.
Malgré l’absence de statistiques démographiques pour les décennies 1910 et 1920, le tableau 1 est
révélateur de la progression fulgurante de la population à la suite de l’implan-tation des grandes
industries de textile aux limites du secteur. En effet, le recensement de 1936 indique la présence
de plus de 3000 personnes alors qu’au début du siècle on en dénombrait à peine une centaine.
Tableau 1 : Statistiques démographiques de la paroisse Sainte-Thérèse *
Année
1891
1901
Population
106
102
1911
1931
1936
1941
1946
1951
3191
3847
4760
5090
* La superficie de la paroisse Sainte-Thérèse est deux fois plus grande que celle du secteur Sainte-Thérèse.
Dans le cadre de l’étude, la portion septentrionale a été retranchée, soit de la rue Du Moulin à la rue SaintJean.
Sources : P. Grondin, Atlas d’histoire drummondvilloise, vol. 2, 1985. Recensements paroissiaux conservés à
la paroisse-mère Saint-Frédéric de Drummondville dans le cartable intitulé Fabrique Saint-Frédéric – registres
– Mgr Mayrand, ASN. Recensements du Canada, 1891 et 1901.
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D’ailleurs, seul le village Saint-Joseph-de-Grantham affiche un plus grand dynamisme que SainteThérèse, en 1937, avec une population presque deux fois plus nombreuse (voir tableau 2).
Tableau 2 : Statistiques démographiques - 1937
Grand Drummondville *
19 424
Saint-Joseph
6 282
Sainte-Thérèse
3 358
Saint-Simon
1 982
Saint-Pierre
1 128
Saint-Jean-Baptiste
387
Saint-Félix
173
* Le grand Drummondville inclut Saint-Frédéric, Sainte-Thérèse, SaintJoseph, Saint-Simon, Saint-Charles, Saint-Félix, Saint-Jean-Baptiste,
Saint-Philiippe et la campagne.
Source : Recensements paroissiaux conservés à la paroisse-mère SaintFrédéric de Drummondville dans le cartable intitulé Fabrique SaintFrédéric – registres – Mgr Mayrand, ASN.
Cependant, en terme de qualité du bâti, Sainte-Thérèse l’emporte haut la main sur les maisonnettes
et les plains-pieds précaires de Saint-Joseph, construits en charpente et en forme de boîtes 3 selon
les observations du sociologue Hughes. C’est que la plupart des constructions du secteur SainteThérèse sont couvertes brique, et ses occupants bénéficient d’escaliers intérieurs pour atteindre
leur appartement. De plus, la rue Celanese a été recouverte de macadam, alors que la rue Lindsay
s’est transformée en une voie large et attrayante jusqu’à la rue des Forges afin d’attirer la clientèle
relativement aisée de Sainte-Thérèse dans ses nouveaux commerces.
En 1937, la moitié de la population protestante du grand Drummondville ainsi qu’un bon nombre de
catholiques anglais demeurent à l’intérieur des limites de Sainte-Thérèse. C’est d’ailleurs à l’église
Sainte-Thérèse qu’on confie la desserte de la population catholique de langue anglaise de toute la
ville, soit une messe pour eux les dimanches et fêtes, et une retraite prêchée par un religieux de
leur langue 4. On ne se surprendra pas de retrouver des anglophones dans chacun des trois
noyaux, fort différenciés, qui composent le secteur Sainte-Thérèse : le boulevard, les multifamiliales
adjacentes aux manufactures et le square.
Le premier noyau s’étire le long du boulevard Mercure. Une population aisée, principalement des
cadres intermédiaires, des commerçants, des professionnels, cohabite avec les ouvriers les moins
bien logés de tout le secteur. Le bord de la rivière est enjolivé par quelques coquettes maisons
unifamiliales, propriété de directeurs d’usine. Sur le côté ouest du boulevard Mercure s’élève
l’essentiel de l’armature commerciale du secteur. Les propriétaires, tous canadiens-français, se
réservent généralement le rez-de-chaussée pour leur commerce et pour loger leur famille, et le
reste de l’édifice est loué à des familles francophones et/ou anglophones 5. À titre d’exemple,
l’immeuble Roy, situé à l’angle de la rue Mercier, loge l’épicerie Roy et la famille du même nom au
rez-de-chaussée, la famille Lampron au premier étage et une famille anglaise protestante au
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deuxième étage 6. Les familles anglaises de ce noyau ont souvent des revenus beaucoup plus
élevés que leurs propriétaires. Si elles ont choisi d’être locataires plutôt que d’acheter ou de
construire une maison à logement unique, c’est de crainte d’avoir de la difficulté à la vendre
advenant un départ précipité 7.
Sur le boulevard Mercure se concentrent la seule industrie située à l’intérieur du secteur (la
Boulangerie Guérin & frère) et les bâtiments institutionnels (l’église et le presbytère) devant lesquels
s’étend, en contrebas de la côte, le parc Sainte-Thérèse aménagé dès 1931 sur le site de
l’ancienne scierie. C’est là que la population en général s’adonne aux sports nautiques, alors que
les employés de la Canadian Celanese jouissent d’installations prestigieuses dans l’aire de la
station de pompage.
Le deuxième noyau, juxtaposé aux manufactures, est habité par des ouvriers d’industrie tant
anglophones (de conditions modestes) que francophones. Selon un observateur de l’époque :
« Les maisons sont presque toutes nouvelles et de meilleure condition que la moyenne dans les
villages périphériques 8 ».
Comme c’était le cas sur le boulevard Mercure, le propriétaire est
canadien-français, mais, cette fois, il est ouvrier. Notre observateur-sociologue explique ainsi cette
propension à la propriété : « La propriété immobilière pour le Canadien français est beaucoup plus
un placement, source de revenus, qu’une façon de s’élever socialement en s’offrant le luxe de vivre
seul sous son propre toit dans le voisinage jugé convenable. […] Tous les Anglais locataires, ce qui
est le cas du grand nombre, ont des propriétaires canadiens-français 9 ». L’édifice moyen contient
de deux à quatre logements, parfois six. Les recenseurs de l’époque identifient fréquemment les
édifices sous le nom du propriétaire. Ainsi, le bloc Ruest de la rue Celanese loge deux familles
Ruest au deuxième étage, une famille anglaise et la famille Goudreau au premier étage ainsi
qu’une famille anglaise et la famille Clair au rez-de-chaussée 10.
Ce deuxième noyau, caractérisé
par la densité de ses habitations multifamiliales, s’étire vers au-delà de la rue Lindsay pour se
terminer par le parc Poirier.
Dans le square s’élèvent les résidences construites par Canadian Celanese Ltd pour loger son
directeur et ses principaux collaborateurs.
Construites à l’hiver 1926-1927, les 12 maisons
ceinturent une place agrémentée de deux courts de tennis et d’une salle de curling. Par son
aménagement physique bien ordonné, sa végétation luxuriante, le style des bâtiments et les
matériaux de recouvrement, le square reproduit, sur quelque 5,7 ha, des quartiers bourgeois
d’Angleterre. La maison réservée au directeur (numéro 5) s’élève sur un domaine de 2 ha. Plus
vaste que les 11 autres résidences, elle est aménagée de façon à bien séparer le quartier des
maîtres de celui des domestiques 11.
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Sur le plan religieux
L’érection de la paroisse Sainte-Thérèse survient en 1937. Elle tire son nom de la petite sainte de
Lisieux, tant vénérée par le peuple et par le clergé, canonisée peu de temps auparavant.
Le
presbytère accueille dès 1938 son curé fondateur, Joseph Beauchemin, et ses vicaires, alors que les
offices paroissiaux sont célébrés dans le soubassement de l’église jusqu’à la fin de sa construction, en
1949 12.
Portrait du secteur Sainte-Thérèse des années 1960
(Voir carte intitulée « 1963 – Secteur Sainte-Thérèse »)
Au début des années 1960, Sainte-Thérèse est une « ville-dortoir » densément habitée de part et
d’autre de la rue Celanese, à l’exception d’un quadrilatère connu sous le nom de « square
Celanese », réservé à 12 membres de l’état-major de la plus importante entreprise manufacturière
de Drummondville.
Leurs techniciens et administrateurs habitent des résidences érigées en
bordure de la rivière Saint-François, ou dans des résidences multifamiliales, propriété de Canadiens
français dont les revenus sont généralement inférieurs à ceux de leurs locataires anglophones. Un
noyau de résidences modestes, hérité de la période du moulin à scie Vassal-Mercure, subsiste sur
les rues Cartier, Vassal et Mercier.
La fonction institutionnelle se limite à l’église qui fait face à son propre parc. C’est le centre d’une
constellation d’entreprises d’affaires qui ont pignon sur la rue Celanese et sur le boulevard Mercure.
Les usines, desquelles la population de Sainte-Thérèse tire sa subsistance, encadrent le secteur à
l’ouest et au sud-ouest.
Enfin, les surfaces récréatives se résument au parc Sainte-Thérèse et au parc Poirier; ce dernier,
en dépit de la qualité de ses équipements, est plus ou moins fonctionnel en raison de son isolement
des noyaux populeux 13.
1
Cartable conservé au centre documentaire Côme-Saint-Germain, intitulé Quelques notes sur l’histoire des paroisses et de la région de
Drummondville, réalisées à partir de documents conservés à la bibliothèque municipale de Drummondville.
Souvernirs de Ulric Traversy colligés par Roger Paradis et publiés sous le titre Paroisse de Sainte-Thérèse-de-l’Enfant-Jésus 1937-1987.
s.é., s.d., p. 21 à 24.
3
E. C. Hughes. Rencontre de deux mondes, la crise d’industrialisation du Canada français. Montréal, Ed. Lucien Parizeau, 1944. p. 71.
4
P. Mayrand. Panorama, 30 mars 1960.
5
E. C. Hughes. op. cit. p. 312.
6
Recensement fait par la paroisse Saint-Frédéric-de-Drummondville en 1936.
7
E. C. Hughes, op. cit. p. 312.
8
ibid. p. 306 à 311.
9
loc. cit.
10
Recensement fait par la paroisse Saint-Frédéric-de-Drummondville en 1936.
11
Y. Allard. Les maisons du carré Celanese, octobre 1993.
12
P. Mayrand. Panorama, 25 juin 1958.
13
G. Gauthier. Dynamique d’un espace urbain : Drummondville et sa région. Étude géographique d’une ville moyenne. Thèse Ph. D.
(Géographie), Université de Nice, 1980. p. 284.
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