André Coyné
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André Coyné
André Coyné Antonio, Cretina, César S ur César Moro – sa vie, son œuvre – on peut lire le prologue, « Poésie, fil d’Ariane... », et la notice biographique de mon édition d’Amour à mort et autres poèmes, Paris, Orphée/La Différence, 1990. Je me bornerai à rappeler trois points : 1) Quand, le dernier jour d’août 1925, Moro quitte Lima, où il est né en 1903, pour se lancer à la conquête de Paris, il a déjà beaucoup dessiné, beaucoup peint, peu écrit en revanche de poèmes. 2) C’est sa découverte du Surréalisme à Paris et le fait que, juste avant 1930, il adhère au groupe animé par Breton qui l’assurent qu’il est né poète, et aussi que le français sera la prima lingua de sa poésie (elle le restera lorsqu’il retournera aux Amériques : Lima, puis Mexico et de nouveau Lima jusqu’à sa mort). 3) De 1930 à octobre 1933, où il voyage de Paris à Londres pour rejoindre le bateau qui le ramènera au Pérou, il a fréquenté les cafés et autres lieux de réunion des surréalistes de façon plus ou moins suivie,1 tout en menant, en marge du groupe, des amours comme des amitiés nullement orthodoxes. Parfois, à l’intérieur même du groupe, il ruait contre l’excès de sérieux de ses amis; ainsi la fois où, lors du « procès » intenté à une des vedettes de la politique du moment, le rad-soc Édouard Herriot, il coupa le procureur du service : « Oui da, cet Herriot est une horrible canaille, mais cela n’empêche pas que ce soit un fort bel homme ! ». 1. D’un billet d’Éluard, peut-être de 1930 : « Quand nous verrons-nous ? Nous nous réunissons le soir à 7 heures au Café-Tabacs du Nouveau Siècle, près de la Porte St. Martin, faubourg St. Martin ». D’un autre billet du même Éluard, mais co-signé par Breton et de 1932 : « Pourquoi ne vous voit-on plus ? Nous allons toujours à Cyrano, jusqu’au 5 août ». D’une carte de Breton du 5 septembre 1932, de Cadaqués, co-signé par Crevel, Valentine Hugo, Éluard, Dali : « Je rentre à Paris dans une huitaine de jours et j’espère que cette année j’aurai l’occasion de vous voir très souvent ». 42 Lecturas del texto De la dizaine de poèmes de jeunesse de Moro qui subsistent, antérieurs à son départ pour l’Europe, le second en date, du 25 janvier 1925, est adressé à un certain « Reinaldo, à Lima »: « Yo maté mi alegria... / Bien quisiera volverla a escarmenar ! ». Quoi qu’il en soit, la « préhistoire poétique» de Moro allait conclure quelques mois après son arrivée à Paris, avec une suite de vers datée du 14 janvier 1926 : « Jorge, qué lejos ... / qué lejos mis pupilas / incansables... » (p. 131). Le « Jorge» en question désigne Jorge Seoane à qui Moro était lié, depuis Lima, par une grande affection et à qui il empruntait l’épigraphe du poème qu’il lui dédiait : « lo miré con César Moro en las pupilas y él miro fijamente a César Moro ». Entre 1927 et 1929, Moro commence à écrire – encore très peu et toujours en espagnol – « surréalistiquement ». Ses premiers textes dûment « surréalistes », qui, à la fois, inaugurent sa poésie française – simplement, sa poésie – sont de 1930 et de 1931. De mars 1930, « À l’occasion du Nouvel An », une « prose» d’un humour atroce, dès son titre, laquelle, à sa manière, corrobore les explications qu’en 1935, à Mexico, Antonin Artaud donnera du Surréalisme, « plus qu’un mouvement littéraire », « le cri organique de l’homme », le « refus désespéré de vivre, et qui pourtant doit accepter la vie» (« Le plus pur, le plus désespéré d’entre vous, disait-on communément de tel ou tel surréaliste. Car pour nous n’était vraiment pur que ce qui était désespéré ») : Il fallait détruire l’abominable amour qui nous mène encore, il faudrait tout détruire jusqu’aux cendres, jusqu’à l’ombre, pour ne plus recommencer, pour faire disparaître cette honte que signifie exister ne fût-ce qu’un instant (p. 262). Et plus loin : Je vis loin de ce que j’aime, on a le courage, on appelle cela courage, de vivre quand même, je rencontre des gens dans la rue, j’ai des personnes qui ne m’estiment pas ou qui m’estiment, je dis bonjour, je suis libre encore, c’est-à-dire je ne suis ni au bagne, ni dans une maison de fous, j’habite encore parmi les gens normaux, je prétends avoir des amis, dans la rue je me conduis comme tout le monde [...]. Tant qu’il me sera possible de supporter tant d’ignominies il me semble bon de me tenir pour un lâche. Que ceux qui aiment la vie sortent de leurs taupinières et prennent leur parti. Ah, je vous assure que vous ne me prendrez pas à vos plaisirs imbéciles, car je n’aime ni boire, ni manger, ni faire l’amour. Voilà ce qui me fait différent de vous, je n’aime pas m’amuser, je n’aime rien (pp. 262-263). 43 André Coyné À l’autre extrême de cette période, décembre 1931, une autre « prose », qui, elle, a vaincu, du moins temporairement, le « désespoir » et opté pour la « merveille », qu’elle quête dans les couloirs et les rames du Métro parisien : C’est la pluie, le vent, le soleil, mais c’est toujours l’amour. L’amour souterrain, dans ces couloirs illuminés un instant par le passage des trains (p. 256). Six mois plus tard, un dimanche de juin 1932, Moro écrit le seul poème érotique stricto sensu que j’aie trouvé dans ses papiers : Garde-moi vite dans ton cœur Je t’embrasse comme une flamme Je te brûle de baisers De baisers hurlants tu brûles Mon fleuve je suis ta mère Et je lèche tes pieds mon père Je suis ta mère et c’est pour ça que tu viens vers moi Je lèche ton testicule gauche où je m’attarde Comme sous le soleil Je bois à flots en m’étouffant le parfum de tes aisselles À pleines dents je mâche tes poils Ô quel grand cri ta poitrine velue Tes testicules frémissants Attends tes jambes comme des colonnes d’église À côté de ton membre entre tes jambes C’est mieux que la vie intra-utérine Vite passe-moi l’eau de tes yeux Je brûle j’ai la poitrine fendue Pour recevoir ton flot de ton sperme Pour me frotter les yeux de ton sperme Pour me frotter le corps pour me remplir la bouche Pour avaler tes pieds (p. 301). 1932 est la première année faste de la poésie de Moro. Le 22 et le 23 octobre, il compose un long poème qui commence: « Pour l’amour / À la dédicace de l’amour... » (pp. 306-307). C’est ce poème, revu et resserré, que publie, en son n° 5, mai 1933, la revue L.S.A.S.D.L.R, sous le titre « Renommée de l’amour » : L’amour dédicace à l’amour Les jours sans pluie Et comme il convient les beaux jours Pour l’amour et ses préférences Au renom du plus vieil amour À la pluie du mot amour Au seul amour sans regret sans bonheur sans retour [...] 44 Lecturas del texto Aux signes de feu du poignard Aux seuls aux uniques souvenirs sexuels À la bouche de pierre de l’amour Au froid de l’eau la nuit Pour ne plus recommencer Au plus tendre amour (pp. 308-309). Un des derniers mois qu’il passe à Paris, exactement en août 1933, Moro reprend le titre « Renommée de l’amour » pour en-tête d’une « prose » d’une véhémence exacerbée: J’ai cherché l’amour comme un forcené, le sombre amour dont l’extase se tient à midi comme une orange transpercée par un clou, nourrie du seul air et de la pluie battante, suspendue à rien, navigant dans l’espace comme des milliers de boîtes légères exhalant une fumée plaintive, les tonnes de nuages de l’amour et ses chagrins de fer blindé, dont le visage sobre, uni, poli comme une aiguille était plus large que le marbre [...] (p. 336). De retour à Lima, fin 1933-début 1934, Moro se comporte en héraut du « Surréalisme Mondial ». Aussi souvent qu’il le peut, il « intervient » : des articles, deux expositions, une polémique avec le chilien Vicente Huidobro et, à partir de 1936, la rédaction et la diffusion d’un Bulletin de « défense de la République Espagnole ». Il continue à élaborer son œuvre poétique à part : force poèmes, à une exception près, en français, qui prolongent ceux de ses dernières années parisiennes, et qu’il garde, presque tous, dans ses tiroirs.2 Il est manifeste mon désir, je l’abandonne au domaine des hautes antiquités, cette rumeur de la mer une bague, de cette soif de la mer les produits interdits si chers aux marécages de l’âme-sandale (p. 263). À peine débarqué, courant janvier 1934, il célèbre de plus belle l’amour, ses « aspects », ses « reflets » – et déjà, nul doute, un amour, qui doit avoir, comme tous ses amours, d’emblée, la violence de la passion, « une encre rouge servant à écrire / AMOUR » : Aspects je parle de vous seuls Reflets sublimes de l’amour Pour mieux m’entendre 2. Voir l’édition que j’ai faite, en 1987, à Madrid, d’un choix d’entre eux, qu’il voulait dédier, avec son « admiration sans fin », à Breton et à Éluard : Ces poèmes..., Madrid, Ediciones La Misma, Col. Libros Maina. 45 André Coyné Je baisse la tête et je vous parle sublimes reflets Aussi loin que ma main Mais près de toi mon amour Plus près de toi J’ignore l’absence Car ma force naît de ton image Premièrement c’est vert et j’erre dans ton nom Dans le tunnel interminable de la vie de forçat Premièrement les couleurs changent Mais l’amour revient plus blessé que jamais Seul se maintient son visage invulnérable Du naufrage les restes j’oublie (p. 220). S’agit-il du même amour, d’un autre, ce 7 avril suivant, un « samedi », à « minuit », dans le long « adieu » qui débute : Ce qui devait arriver est arrivé, sans que je m’en aperçoive tout ce long travail de chagrins et de chagrins est apparu devant mes yeux en sécheresse mortelle. À nu l’échafaudage d’inégalable peine (p. 260). Et, une page plus loin, s’achève : Adieu ma jeunesse, adieu passé misérable prenant une allure grandiose à la lueur vorace de cette ignition minérale. Combien durera-t-il mon corps secoué par la fièvre, combien encore résisteront mes yeux devant cette lumière sans l’ombre prodigieuse de mon amour. Je dis adieu à tout ce qui un moment a pu faire dévier ma pensée vers des contrées où l’on ne sait pas ton nom. Adieu amour, je te quitte à jamais pour mes tourments (p. 261). Toujours de ce mois d’avril, une semaine plus tard, le 14 : Que d’étincelles se ruent Avec une vivacité non ordinaire Vers le souffle chaud du contact charnel Imbibé de larmes La vue lourde La vie insoutenable Une saison éternelle pour l’amour Quel temps de fièvre pour aimer Quelle joie de feu de sanglots pour aimer Premier jour au monde pour l’amour (p. 230). 46 Lecturas del texto Et le 19 encore : Nuit des amants ouvre ta gangue Ouvre tes jambes sors tes mamelles d’acier Avale-moi comme tu avales la fumée des cratères Giclant sur ton visage inaltérable Pour moi plus pauvre que nature Dont les veines éclatent au sang qui passe Charriant l’angoisse d’un amour Plus grand que le souffle du monde Ouvre tes lèvres Donne la mesure monstrueuse de ta cruauté Plus loin que ma présence Brûle et dévore les ciments de ma vie (p. 242). Puis le 28 : Oublier ton goût d’incendie Ta nuée de tourments Ton odeur de tonnerre Ton poids de fleuve Tes gestes de cataclysme ? Je t’avoue par extorsion d’aveux Je vomis mon âme Même le souvenir se sauve Péniblement des miasmes de la bataille Où je me nomme pluie aiglefin Échelle de braise Dans les rues mortelles du rêve Tu t’éloignes Je me réveille aveugle Quelle rencontre sans terme Comme une douleur abdominale Aux fils les plus fins du bout Des doigts crispés (pp. 238-239). Je saute au 10 janvier 1938. Moro se prépare à quitter derechef Lima, cette fois pour Mexico. Qu’est-ce qui lui souffle de « prendre congé » de celui qui doit alors être « l’amour » pour lui exceptionnellement en espagnol ? À peine dix vers : El amor al despedirse dice: sueña conmigo El sueño es una bestia huraña Que hace revolverse los ojos con la respiración Entrecortada pronunciar tu nombre 47 André Coyné Con letras indelebles escribir tu nombre Y no encontrarte y estar lejos y salir dormido Marchar hasta la madrugada a caer en El sueño para olvidar tu nombre Y no ver el día que no lleva tu nombre Y la noche desierta que se lleva tu cuerpo (p. 84). Quand il s’embarque au Callao, à destination de Mazatlán, le port du Pacifique d’où il gagnera par voie terrestre la capitale mexicaine, Moro emmène avec lui Cretina, ou Crétine, la tortue domestique qu’il possédait depuis un certain temps et qui, en 1935, avait signé une des sentences du Catalogue de la première manifestation surréaliste réalisée au Pérou.3 Peu après son retour à Lima, en 1934, un jour qu’il traversait le Parc de la Réserve, Moro avait inopinément assisté au coït d’un couple de tortues éléphantines, deux monstres qui lui semblèrent surgis des âges antédiluviens et dont, trois lustres plus tard, il se rappellerait surtout le cri du mâle se jetant sur la femelle. C’est de ce jour qu’il avait élu la tortue sous toutes ses formes comme animal totémique. Tant qu’elle vécut, Crétine en incarna l’image. « Antonio, Cretina, César » – le titre que j’ai mis à mes propos reprend un vers du poème de La tortuga ecuestre qui commence : « Te voir le jour l’eau lente… » (p. 44). Ce vers rassemble les trois acteurs du livres : Antonio, l’aimé ; César, l’amant ; Crétine, ce qui les unit : l’amour. Moro est arrivé à Mexico en mars 1938. Dès avril, il y reçoit Breton, qu’il n’avait pas revu depuis octobre 1933 et qui vient en tournée de conférences et à la fois pour rencontrer Trotsky. À cette occasion, il collabore au numéro d’hommage à Breton que publie le mensuel Letras de México, tout en organisant le « supplément » Les surréalistes français pour la revue Poesía. Il est piquant de penser que ce peut être un soir qu’il rentrait d’écouter Breton, après avoir dans la journée traduit Péret, Arp ou Guy Rosey, passé le Caballito, du côté de l’Alameda, que lui « apparut », avec sa « chevelure aux noirs éclairs », son « haleine de pierre humide », le « démon » qui plus que nul autre jusque là ou par la suite, et plus longtemps, allait marquer (au sens fort) tout ensemble sa vie et son œuvre. Fin mai, lors d’un séjour qu’il fait à San Luis Potosí, au nord de Mexico, Moro écrit les premières strophes de La tortuga ecuestre, qui sera son seul livre de poèmes en espagnol et dans lequel culminera la phase strictement surréaliste de sa poésie. 3. Le texte produit par Cretina disait : « La comodidad de la ropa / No es ejercicio suficiente ». Sur la même page du Catalogue, la reproduction d’un collage de Moro et trois autres fragments : deux de Chirico et un de Breton. 48 Lecturas del texto Nul doute qu’il s’agit également d’un des plus beaux livres d’amour passion qu’ait suscité, en quelque langue, un mouvement qui cherchait dans l’amour humain, l’amour fou ou l’amour sublime, aussi bien que dans la poésie et dans la liberté, les raisons qu’a l’homme de ne pas, d’emblée, « désespérer ». Le poète ne narre pas une histoire, il ne fait pas étalage de sentiments ; il découvre, dans le tourment et la merveille qui découlent conjointement pour lui de la présence-absence de l’objet – le sujet – de son amour, de sa passion, du secret des métamorphoses. Que cet objet, ce sujet, ce tu auquel s’adresse le je que lui-même assume, soient un il, et non une elle, comme chez Breton ou Péret, ne saurait, aujourd’hui, surprendre, encore moins scandaliser, le lecteur le moins préparé. Ne disons pas ces jeunes poètes de Mexico à Buenos Aires qui reconnaissent dans la tortue ecuestre une des œuvres emblématiques de leur génération. La composition du livre court de mai 1938 à juillet 1939. À partir de janvier 1939, parallèlement aux poèmes de La tortuga, Moro rédige, aussi en espagnol, une série de Cartas, qu’il mènera jusqu’en novembre, où il les interrompra à la suite d’une altercation avec leur destinataire. La tortuga ecuestre se déroule dans le temps mythique – circulaire – de la poésie. Les Cartas, elles, relèvent du temps historique – linéaire – de la prose. Elles donnent ainsi à entendre les étapes d’une passion, depuis son point d’extrême incandescence jusqu’à celui où elle se met, non pas à se défaire, mais à faire avec ce qui à terme ne pourra que la défaire. Carta I, du 23 octobre 1938 : Cuando te digo cosas que pueden parecerte pueriles, no hago sino exteriorizar en forma espontánea una convicción. No me explico cómo los demás no perciben inmediatamente todo lo que yo veo, no supongo, veo en ti (p. 61). Carta II, du 25 janvier 1939 : El amor en la noche. Un tumulto se anuncia, un tumulto como de sangre que se vierte. Las alas del mundo empiezan a dormir, y sólo tus ojos iluminan el silencio, el gran silencio que reina a tu llegada (p. 62). Carta III, du 28 février 1939 : Grandeza de saberte el más alto deber, la urgencia mayor, y sacrificarte a un deseo simplemente humano. Soy el santo de los santos. El receptáculo de tu amor. Gracias a ti, de este fuego que ha quemado toda impureza (p. 63). Carta IV, du 18 juin 1939 : André Coyné 49 Tu historia es la historia del hombre. El gran drama en que mi existencia es el zarzal ardiendo, el objeto de tu venganza cósmica, de tu rencor de acero. Todo sexo y todo fuego, así eres. Todo hielo y todo sombra, así eres. Hermoso demonio de la noche, tigre implacable de testículos de estrella, gran tigre negro de semen inagotable de nubes inundando el mundo (p. 64). Carta V, du 25 juillet 1939 : Sólo pido a la vida que nunca me deje un momento de reposo, que mientras haya un soplo de vida en mí, me torture y me enloquezca tu recuerdo, que cada día se me haga más odiosa tu ausencia y que por una fuerza incontenible me llegue a encerrar en una soledad que no esté habitada sino por tu presencia (p. 66). Carta VI, du 10 octobre 1939 : Nada tengo que reprocharte o debiera reprocharte hasta el aire que respiro; no es tu cuIpa ser lo más hermoso y lo más terrible en mi vida. Tu ausencia, tu sadismo, tu indiferencia: qué cosa puedo hallar fuera de tu mundo absorbente sino el silencio y la sombra mortales en que a lo largo de los días te busco (p. 68). Et enfin Carta [VII], du 17 novembre 1939 ; Sigo dispuesto a aceptarlo todo, a callar, a sufrir en silencio siempre que pueda leer en tu corazón que mi afecto no te es odioso, que me guardas un sitio aunque sea pequeño en tu corazón y que tu actitud no es definitiva y que puedo interpretarla coma resultado de ciertas circunstancias que actualmente son desfavorables (p. 69). Peu après la mort de Moro, j’ai trouvé entre les pages d’un de ses livres de chevet une feuille pliée en six, où était dactylographié à deux couleurs (les « ANTONIO » en rouge) un poème singulier – « Antonio es Dios... » – qu’il n’avait jamais montré à quiconque et gardait à portée de main en guise de « mémorial » de ce qu’avait été quelque chose comme sa « nuit de feu » : ANTONIO es Dios ANTONIO es el Sol ANTONIO puede destruir el mundo en un instante ANTONIO hace caer la lluvia ANTONIO puede hacer oscuro el día o luminosa la noche ANTONIO es el origen de la Vía Lactea ANTONIO tiene pies de constelaciones ANTONIO tiene aliento de estrella fugaz y de noche oscura ANTONIO es el nombre genuino de los cuerpos celestes 50 Lecturas del texto ANTONIO es una planta carnívora con ojos de diamante ANTONIO puede crear continentes si escupe sobre el mar ANTONIO hace dormir el mundo cuando cierra los ojos ANTONIO es una montaña transparente ANTONIO es la caída de las hojas y el nacimiento del día ANTONIO es el nombre escrito con letras de fuego sobre todos los planetas ANTONIO es el Diluvio ANTONIO es la época megalítica del Mundo ANTONIO es el fuego interno de la Tierra ANTONIO es el corazón del mineral desconocido ANTONIO fecunda las estrellas ANTONIO es el Faraón el Emperador el Inca ANTONIO nace de la Noche ANTONIO es venerado par los astros ANTONIO es más bello que los colosos de Memnon en Thebas ANTONIO es siete veces más grande que el Coloso de Rhodas ANTONIO ocupa toda la historia del mundo ANTONIO sobrepasa en majestad el espectáculo grandioso del mar enfurecido ANTONIO es toda la Dinastía de los Ptolomeos México crece alrededor de ANTONIO (pp. 56-57) Après la La tortuga ecuestre, Moro – dont la production française prend un nouvel élan et ne connaîtra d’arrêt qu’en août 1955, lorsque le terrassera la maladie – écrira en tout et pour tout six (ou sept) poèmes en espagnol. Le premier d’entre eux, du 26 avril 1940, constitue un appendice du livre, avec la clé, en quelque sorte de son titre, puisqu’il révèle la « copulation » cosmique du « couple divin » formé par la « divine tortue» et le « tigre royal » : Libertad-Igualdad E1 invierno recrudece la melancolía de la tortuga ecuestre El invierno la viste de armiño sangriento El invierno tiene pies de madera y ojos de zapato La esmeralda puede resistir la presencia insólita del tigre Acoplado a la divina tortuga ecuestre Con el bramido de la selva llorando por el ojo fatal de la amatista La generación sublime por venir Desata las uñas de las orquídeas que se c1avan en la cabeza de los angélicos ofidios La divina tortuga asciende al cielo de la selva Seguida por el tigre alado que duerme reclinada la cabeza sobre una almohada [viviente de tenuirrostros André Coyné 51 El invierno famélico se vuelve un castillo El invierno tiene orejas de escalera un peinado de cañón Tiene dientes en forma de sillas de agua Para que los soldados ecuestres de la tortuga Beban las sillas y suban las orejas Desbordantes de mensajes escritos en la nieve Como aquel que dice: «a su muy digno cargo elevado Como el viento participe en un % mínimo, me es grato Dirigir un alerta de silencio» En vano los ojos se cansan de mirar La divina pareja embarcada en la copula Boga interminable entre las ramas de la noche De tiempo en tiempo un volcán estalla Con cada gemido de la diosa Bajo el tigre real (pp. 55-56). Quand Moro le rencontra, en avril ou mai 1938, Antonio se préparait à entrer comme « cadet » au Collège militaire de Tacuba, D. F., qu’il fréquente en 19391940, et d’où il sort sous-lieutenant pour commencer une carrière qui, au fil des ans, le mène dans une série de garnisons des États de Sinaloa, Querétaro et Nuevo León. Début 1947, il a le grade de lieutenant et est en poste à Perote, Veracruz. Peu de temps après, il quitte l’armée. Une nombreuse correspondance témoigne de ses relations suivies, toutes ces années, avec celui à qui, en décembre 1942, il a encore inspiré Lettre d’amour, un long poème français que les éditions Dyn publient, en 1944, en une précieuse plaquette tirée à 50 exemplaires, comportant une eau-forte d’Alice Rahon Paalen. Quelque rapport que l’aimé et l’amant aient continué à entretenir, Lettre d’amour ferme poétiquement ce que j’ai appelé le « cycle d’Antonio », que le passé de ses verbes renvoie, si l’on peut dire, à la mémoire. Dans les lettres que de Mexico Moro échangeait avec E. A. Westphalen, son grand ami liménien, et que celui-ci a partiellement publiées en 1983 sous le titre Vida de poeta, figurent un certain nombre de références à Antonio et... au fils qui lui naît dans l’intervalle. Le 28 décembre 1944 : Vient de naître un fils d’Antonio. Je ne le connais pas encore, mais il a l’obligation d’être beau, mystérieux et puissant. Le 13 juin 1945 (Moro est depuis peu décidé à rentrer au Pérou) : Soudain j’ai vu le soleil et les plages de là-bas et sans la moindre sentimentalité je trouve qu’il ne faut peut-être pas ruiner sa vie au nom de quelqu’un qui crache dessus. 52 Lecturas del texto Le 15 novembre 1945 (s’il veut revenir à Lima ce n’est pas pour changer d’atmosphère) : Je m’estime aussi bien ou aussi mal que n’importe où. Mieux que partout ailleurs et pire puisque, tu le sais, ou bien ne te l’ai-je jamais dit ? j’aime, toute ma vie est ici, attachée à un seul être depuis bientôt huit ans. Le 5 juillet 1946 (il va de tourment en tourment) : Se donner totalement à une idée ou à un amour et après huit années de dévouement, d’amour fou, d’adoration, me retrouver pire qu’au début, c’est-à-dire plus seul par suite de cet échec et si meurtri. Le 17 octobre 1946 (que fera-t-il à Lima, d’où son correspondant lui annonce qu’il pense partir ?) : Je n’ai pas de projets et je ne m’appartiens pas. Au Pérou j’ai une mère et ici j’ai le fils d’Antonio que j’adore et pour lequel je me sens obligé à faire tout ce qui est en mon pouvoir. Le 21 du même mois, en ajout à la lettre précédente : À l’idée de quitter l’enfant je sens une horrible angoisse. C’est la première fois de ma vie que j’aime un enfant, vraiment, en adulte, tout en sachant la différence de mondes qui nous sépare et sans jalousie. Ce doit être merveilleux d’avoir un enfant, un fils. Je considère cet enfant tout à fait comme mon fils et, s’il l’était, je ne l’aimerais pas davantage. Le 9 février (ou mars) 1948, sur le point de voyager enfin : Figure-toi qu’il y a maintenant ici une épidémie, ou presque, de méningite. Ce matin j’ai mangé chez Antonio. La fille d’un de ses voisins a déjà une fièvre énorme. J’en tremble pour son fils qui, comme je te l’ai dit, est ma passion sénile. Moro quitte donc Mexico, après dix ans de séjour, en avril 1948. Il ne bougera plus de Lima jusqu’à sa mort, le 10 janvier 1956. Il n’a jamais cessé alors de correspondre non seulement avec Antonio, mais avec sa femme, Concepción, voire avec cet enfant qu’il considérait comme son fils, Jorgito. Cela n’empêchait pas qu’il connût d’autres amours – le même amour en d’autres incarnations, qui si elles ne lui faisaient pas oublier le Dieu Soleil « origine de la Voie Lactée », pour lequel il avait brûlé à Mexico, ne le remettaient pas moins chaque fois à Dieu : « On voit toujours Dieu. Mais on ne l’a vu qu’une fois. Après on a été chassé au Paradis », notait-il en 1952. André Coyné 53 Que le lecteur qui souhaite en savoir plus se reporte à Amour à mort et autres poèmes, où j’ai rassemblé sa poésie des années ultimes. L’y attendent: « le premier oiseau lutteur », accompagné du « premier oiseau de proie », l’« élève âgé de l’air », les « Dioscures irascibles équarrisseurs » ou « taille douce », « voltigeurs bicéphales », tel « démiurge bateleur », tel « centauride », le « roi semé s’il aime », « Perceval l’enfant », « le Pierrot vert » à la « pâleur nègre », « Joseph le dormeur » – et « Bébé centenaire Bébé mammouth », et « Geo Ostensoir, dit Royal Splendor », que je cite en derniers, l’un parce que, à peine arrivé moi-même à Lima, fin 1948, j’en ai revêtu le masque ; l’autre parce que, un certain temps après, début 1953, c’est moi qui, une nuit restée sans lendemain, ai été cause que Moro ait rêvé de tout lui donner : On donne tout pour ne rien avoir. Toujours à recommencer. C’est le prix de la vie merveilleuse.