Surveillance de Salmonella dans la chaîne alimentaire

Transcription

Surveillance de Salmonella dans la chaîne alimentaire
Surveillance de Salmonella dans la chaîne alimentaire pour la détection d’émergences en France
Surveillance de Salmonella dans la chaîne alimentaire
pour la détection d’émergences en France
Renaud Lailler (1) ([email protected]), Frédérique Moury (1), Vincent Leclerc (1), Marylène Bohnert (2), Sabrina Cadel-Six (1), Anne Brisabois (1)
(1) Université Paris-Est, Anses, Laboratoire de sécurité des aliments, Unité Listeria Salmonella E.coli, Maisons-Alfort, France
(2) Anses, Laboratoire de Ploufragan-Plouzané, Unité Hygiène et qualité des produits avicoles et porcins, Ploufragan, France
Résumé
Les salmonelles représentent la deuxième cause d’infection
humaine d’origine alimentaire en Europe. La réglementation
en vigueur s’applique principalement à la filière avicole, de
l’élevage à la production d’œufs de consommation et de
viandes fraîches. Les récentes épidémies de salmonellose,
d’ampleur nationale voire européenne, survenues en
lien avec la consommation d’aliments issus de filières
réglementées ou non, soulignent l’importance de maintenir
une surveillance des salmonelles tout au long de la
chaîne alimentaire. Le réseau Salmonella tient une place
importante dans le dispositif français. Il permet de mener
une surveillance événementielle et multisectorielle, et
complète la surveillance programmée correspondant
notamment à la réalisation des plans de surveillance et
de contrôle. Depuis de nombreuses années, ce réseau
permet de détecter l’émergence de souches de salmonelles
d’origine non humaine, présentant des caractéristiques de
virulence ou de résistance aux antibiotiques potentiellement
problématiques pour la santé publique.
L’amélioration continue du fonctionnement de ce réseau et la
mise en œuvre de méthodes modernes de caractérisation et
d’outils épidémiologiques sont engagées en lien étroit avec
les responsables de la surveillance des salmonelles isolées
chez l’homme. Un niveau satisfaisant de vigilance nécessite
des moyens modernes et efficaces pour collecter et partager
l’information et pour l’analyser rapidement notamment en
situation d’alerte sanitaire. Les outils épidémiologiques
appliqués à ces nombreuses données soulignent le besoin
d’études plus approfondies pour expliquer des phénomènes
inhabituels observés pour certains sérovars et ainsi
préserver au mieux la santé des consommateurs.
Abstract
Surveillance of Salmonella in the agro-food chain for
outbreak detection in France
Salmonella is the second cause of human foodborne infection
in Europe. Regulations are mainly applied to the poultry
sector, from livestock production to the consumption of
fresh meat and eggs. Recent outbreaks of salmonellosis in
France and elsewhere in Europe have been linked to food
consumption in both regulated and unregulated sectors.
This observation highlights the need to maintain monitoring
of Salmonella throughout the food chain. The Salmonella
network plays an important role in the French surveillance
system and facilitates event-based multi-sector surveillance
while supplementing regulated monitoring based on official
analyses. For many years, the network has made it possible
to detect emerging non-human Salmonella strains whose
virulence or antimicrobial resistance profiles can pose
problems for public health.
In close collaboration with those in charge of human Salmonella
isolate surveillance, the network strives to constantly improve
its performance and to apply innovative typing methods and
epidemiological tools. A satisfactory level of vigilance requires
modern and efficient methods of information collection,
sharing and rapid analysis, especially during health alerts.
The epidemiological tools applied to these numerous data
highlight the need for more detailed studies to explain the
unusual phenomena observed for specific serovars in order to
help preserve the health of consumers.
Keywords
Salmonella, Surveillance, Zoonosis, Serovar, Emergence
Mots-clés
Salmonella, surveillance, zoonose, sérovar, émergence
Salmonella est une bactérie présente dans l’environnement ainsi que
chez un grand nombre d’animaux qui, le plus souvent, l’hébergent
de manière asymptomatique. Cette bactérie peut survivre dans
l’environnement pendant de longues périodes, contribuant ainsi au
maintien de la bactérie au sein du réservoir animal.
continue entre 2008 (n=134 580) et 2013 (n=82 694). L’hypothèse la
plus probable avancée pour expliquer cette diminution, réside dans le
succès des programmes européens de lutte contre Salmonella pour
réduire la prévalence de la bactérie dans les populations de volailles,
en particulier chez les poules pondeuses(1).
Les salmonelles non typhiques sont à l’origine d’infections alimentaires.
Celles-ci peuvent entraîner des cas isolés ou être responsables de toxiinfections alimentaires collectives (TIAC). Leur impact est important
en termes de santé publique, mais elles peuvent également avoir des
répercussions économiques conséquentes lorsqu’une filière ou une
catégorie de produit est identifiée comme vecteur de l’infection. Les
aliments impliqués dans les TIAC sont le plus souvent les œufs et les
produits à base d’œufs crus ou ayant subi un traitement thermique
insuffisant, les produits laitiers (lait cru ou faiblement thermisé), ainsi
que les produits carnés (bovins, porcs et volailles) (Anses, 2011).
La vigilance appliquée aux salmonelles doit être maintenue pour
détecter l’émergence de nouvelles souches présentant un danger en
santé publique et identifier les tendances évolutives des différents
sérovars isolés de la chaîne alimentaire. Pour cela, des données de
qualité doivent être collectées et enregistrées au sein d’une base de
données, dans un pas de temps permettant l’analyse et la prise de
décision pour réduire les risques.
Cette diversité de sources de contamination justifie de mettre en place
une surveillance élargie des salmonelles tout au long de la chaîne
alimentaire, chez l’animal et dans l’environnement, en relation avec la
détection de cas humains de salmonelloses.
Selon le rapport publié par l’EFSA et l’ECDC en janvier 2015 et relatif
aux données de prévalence rapportées par les différents États membres
pour l’année 2013 (EFSA et ECDC, 2015), Salmonella demeure après
Campylobacter la principale cause d’infection humaine d’origine
alimentaire au regard du nombre de cas confirmés. Le nombre de
cas humains de salmonellose rapporté en Europe a diminué de façon
Le dispositif de surveillance
nationale des salmonelles dans
la chaîne alimentaire
Le dispositif français de surveillance des salmonelles, en place depuis la
fin des années 1990, a évolué sous l’effet combiné de la réglementation
européenne et des niveaux de prévalence observés dans les différentes
sources (Figure 1). Les réglementations européennes et nationales
constituent un socle majeur pour harmoniser et collecter des données
(1) Règlement CE 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre
2003 sur le contrôle des salmonelles et d'autres agents zoonotiques spécifiques
présents dans la chaîne alimentaire.
Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation no 68/Spécial Vigilance sur la chaîne alimentaire 11
Enquête de prévalence et programme
de contrôle des Salmonelles
+ sensibilité aux antibiotiques
Basée sur réglementation EU et Fr
DGAL
Plans de surveilance
et de contrôle des aliments
Food law
Commission Européenne
Surveillance et programmes
de contrôle
Directive zoonose
Surveillance
programmée
Anses – LNR
Services vétérinaires
Cas sporadiques
Laboratoires
d’analyses médicales
et biologiques, privés
et hôpitaux
TIAC
Cas humains
Consommation
Envoi volontaire
de souches er rapports
Distribution
Abattoir
Réseau de laboratoires
privés et publics
ARS / DD(CS)PP / DGAI
Déclaration obligatoire
Animal
Surveillance
événementielle
Envoi volontaire
de souches et rapports
CNR Salmonella
Réseau Salmonella : souches non humaines de salmonelles
RNOEA / RESAPATH : réseaux spécialisés (volailles / résistance aux antibiotiques)
Figure 1. Organisation du système de surveillance des salmonelles en France en 2015, adapté de David et al. (2011)
tout au long de la chaîne alimentaire. L’existence concomitante
de réseaux de surveillance complémentaires dans les domaines
vétérinaires et agro-alimentaires permet d’obtenir des informations
précieuses sur des secteurs ou sur des points de collecte de données
non couverts par la réglementation.
En France, un réseau d’épidémiosurveillance piloté par le laboratoire
de sécurité des aliments de l’Anses, le réseau Salmonella, a été créé
en 1997 pour suivre les tendances évolutives d’isolement des sérovars
provenant des différents secteurs (santé animale, alimentation,
environnement). Cette surveillance repose en première intention
sur l’identification de la bactérie et la détermination de sa formule
antigénique (2 600 sérovars sont référencés actuellement) (Grimont et
Weill, 2007). Ces résultats analytiques et la collecte des renseignements
épidémiologiques associés sont très utiles pour suivre les tendances
évolutives, la détection d’émergences d’événements inhabituels ou de
nouveaux agents pathogènes.
La diversité des acteurs de cette surveillance, l’organisation mise
en place pour garantir la qualité et la représentativité des données,
ainsi que les atouts et spécificités de chaque élément de ce dispositif
national font de ce dernier un système efficace pour répondre aux
attentes des gestionnaires et des évaluateurs de risques, notamment
en situation d’alerte sanitaire (David et al., 2011).
Surveillance par le réseau Salmonella
Ce réseau poursuit deux objectifs : 1) apporter aux laboratoires
d’analyses alimentaires et vétérinaires une expertise technique pour
le sérotypage des isolats de Salmonella, 2) développer une activité
de vigilance dans la surveillance des Salmonella isolées de la chaîne
agro-alimentaire. Près de 140 laboratoires repartis sur l’ensemble
du territoire national adhérent au réseau et réalisent les analyses
de première intention. Ces laboratoires transmettent, de manière
volontaire, des souches à sérotyper au laboratoire de sécurité des
aliments de l’Anses et/ou des résultats de sérotypage, ainsi que des
renseignements épidémiologiques associés (contexte, date, lieu et type
du prélèvement, etc.). Ces informations collectées sont issues de trois
secteurs: i) santé et production animales (animaux malades, porteurs
sains ou environnement d’élevage), ii) alimentation (produits destinés
à la consommation humaine ou animale, environnement des abattoirs,
ateliers de découpe et/ou de transformation), iii) écosystème naturel.
La réglementation européenne sur les zoonoses cible certaines filières
d’élevage et certains sérovars(2), ce qui peut avoir un impact sur la
remontée des informations. Cependant, la relative stabilité du nombre et
de la distribution des données du réseau et les similitudes observées dans
le passé concernant l’évolution des principaux sérovars isolés à la fois
chez l’Homme et dans les aliments, soulignent l’intérêt du réseau dans
le dispositif national de surveillance des Salmonella (Lailler et al., 2012).
Jusqu’en 2013, toutes les informations épidémiologiques et les
résultats d’analyse collectés par le réseau étaient centralisées dans
une base de données de type MSAccess. Une nouvelle application
interfacée-Web sur serveur Oracle® (ACTEOLab-Salmonella), permet
aujourd’hui la centralisation des données dédiées à une épidémiologie
plus opérationnelle. Des outils d’épidémiologie, précédemment et
nouvellement développés, seront utilisés sur les données de cette
nouvelle application pour permettre d’améliorer la pertinence et la
réactivité du dispositif de surveillance des souches de Salmonella
d’origine non-humaine en France (Lailler et al., 2014).
Une fois ces données enregistrées, des requêtes spécifiques permettent
d’identifier précisément les isolats appartenant aux différents sérovars,
en leur associant l’ensemble des informations épidémiologiques
disponibles. Ce type de requête est régulièrement mis en œuvre en
situation d’investigation de cas humains groupés, détectés suite à
l’analyse des données du CNR Salmonella.
Les données de surveillance,
tendances évolutives
Analyses des données brutes
Le nombre de résultats de sérotypage collectés par le réseau
Salmonella a augmenté de 45 % entre 2007 et 2012 (Tableau 1).
Cette augmentation résulte d’une collecte plus importante de souches
dans le secteur de la santé et production animales (14 567 souches en
2012 versus 8 605 souches sérotypées en 2007), du fait du dépistage
obligatoire avant abattage des salmonelles dans les troupeaux de
poulets de chair. L’augmentation constante de la transmission de
(2) Règlement CE 2160/2003 du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre
2003 sur le contrôle des salmonelles et d'autres agents zoonotiques spécifiques
présents dans la chaîne alimentaire.
12 Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation no 68/Spécial Vigilance sur la chaîne alimentaire
Tableau 1. Nombre de souches collectées chaque année par
le réseau Salmonella entre 2007 et 2012, pour les principaux
sérovars, toutes origines confondues
Années
Senftenberg
%
Typhimurium
%
Indiana
2007
2008
2009
2010
2011
2012
1 827
2 151
2 796
2 362
3 756
13,1
16,1
18,8
14,0
20,0
4 290
21,1
2 003
1 513
1 480
2 449
2 349
1 987
14,3
11,3
10,0
14,5
12,5
9,8
1 915
1 409
1 139
1 123
1 281
1 375
%
10,1
8,5
7,6
7,6
7,3
9,4
Mbandaka
328
483
860
800
1 141
1 540
%
2,3
3,6
5,8
4,7
6,1
7,6
Montevideo
750
970
1 054
1 038
1 213
1 273
%
Derby
%
S. 1,4,[5],12:i:-
5,4
7,3
7,1
6,2
6,4
6,3
1 524
887
918
976
906
724
10,9
6,6
6,2
5,8
4,8
3,6
84
100
188
315
513
646
%
0,6
0,7
1,3
1,9
2,7
3,2
Saintpaul
236
177
131
181
412
632
1,7
1,3
0,9
1,1
2,2
3,1
Enteritidis
884
832
661
570
530
533
%
6,3
6,2
4,5
3,4
2,8
2,6
Kottbus
855
504
364
520
703
367
%
6,1
3,8
2,5
3,1
3,7
1,8
347
%
194
332
551
618
496
%
Dublin
1,4
2,5
3,7
3,7
2,6
1,7
Infantis
247
185
208
203
169
267
%
1,8
1,4
1,4
1,2
0,9
1,3
264
120
219
119
70
95
%
1,9
0,9
1,5
0,7
0,4
0,5
Virchow
78
36
67
128
67
65
%
0,6
0,3
0,5
0,8
0,4
0,3
3 220
3 848
4 146
5 222
5 036
5 561
Hadar
Autres sérovars
%
Total
23,0
28,8
27,9
31,0
26,8
27,4
13 979
13 347
14 837
16 850
18 808
20 314
% : proportion relative du nombre de souches du sérovar concerné, au regard de
l’ensemble des souches collectées durant l’année
données des sérotypages réalisés par les laboratoires partenaires, en
nombre absolu et en part relative, entre 2007 (n=7 815/13 979 soit
55,9 %) et 2012 (n=15 050/19 901 soit 75,6 %), explique également
cette augmentation. Les principaux sérovars isolés durant cette période
ont été, toutes origines confondues, Senftenberg et Typhimurium
(incluant les variants de ce serovar). Le Tableau 1 présente l’évolution
du nombre de souches collectées dans le cadre du réseau Salmonella,
quelle que soit l’origine du prélèvement, pour les sérovars les plus
fréquents, ceux qui sont réglementés et pour ceux marqués par une
évolution significative entre 2007 et 2012.
Les sérovars retenus comme dangers sanitaires de première catégorie
par la réglementation française(3) sont Enteritidis, Typhimurium, Hadar,
Virchow et Infantis. Ces sérovars sont recherchés, d’une part sur les
volailles de l’espèce Gallus gallus (production d’œufs destinés à la
consommation humaine et de carcasses et viandes découpées de
poulets de chair) et d’autre part, sur les volailles de l’espèce Meleagris
gallopavo (production de carcasses et de viandes découpées de dindes).
Sous l’hypothèse d’une stabilité de fonctionnement du réseau, une
décroissance de fréquence d’isolement de S. Enteritidis est observée
dans la base de données du réseau Salmonella, en santé et production
animales. La part relative des souches S. Enteritidis a diminué chaque
année entre 2007 (6,3 %) et 2012 (2,6 %). Ce constat est en cohérence
avec le bilan dressé au niveau européen (EFSA, 2015). Les données du
(3) A rrêté du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de
première et deuxième catégorie pour les espèces animales.
réseau montrent une certaine stabilité du nombre et de la part relative
(<2 %) des souches appartenant aux sérovars réglementés Infantis,
Virchow et Hadar. Ces deux derniers sérovars n’apparaissent plus
depuis plusieurs années parmi les sérovars les plus fréquemment isolés,
à la fois chez l’Homme (Jourdan-Da Silva et Le Hello, 2012a ; Le Hello
S., communication à la 18e journée annuelle du réseau Salmonella) et
tout au long de la chaîne alimentaire.
L’évolution du nombre de souches de S. Senftenberg (Tableau 1)
résulte d’une plus forte transmission des résultats de sérotypage
par les partenaires dans les sous-filières avicoles réglementées. La
contamination régulière des prélèvements d’environnement reflète la
présence importante de ce sérovar dans les bâtiments de production
(couvoirs), voire l’émergence de ce sérovar du fait de l’évolution
génétique de certaines souches appartenant à ce sérovar (Boumart
et al., 2012). Pour autant, ce sérovar n’est pas retrouvé parmi les
principaux sérovars identifiés par le dispositif de surveillance des
salmonelles d’origine humaines. Cette observation peut s’expliquer
par la faible capacité de ce sérovar à persister et coloniser l’intestin de
ces volailles (Boumart et al., 2012).
Les données collectées au cours de cette période soulignent également
une augmentation quasi-constante de l’importance relative des
souches du sérovar S. Mbandaka entre 2007 (2,4 %, 328/13 979) et 2012
(7,6  %, 1 540/20 314) (Tableau 2). Cette évolution s’observe dans les
secteurs santé et production animales et hygiène des aliments destinés
à l’Homme et dans les filières bovine et avicole (principalement dindes
et Gallus gallus et secondairement, canard et caille). Néanmoins, ce
sérotype n’est pas retrouvé dans les vingt premiers sérovars isolés chez
l’Homme.
L’augmentation du nombre de souches S. 1,4,[5],12:i:- (Tableau 1)
traduit l’émergence au niveau national des souches correspondant aux
variants monophasiques de Typhimurium, rapportée depuis environ
une décennie en Europe (Anses, 2013 ; EFSA et ECDC, 2015). La note
de service DGAL/SDSSA/N2010-8059 du 4 mars 2010(4) a facilité la
centralisation de ces souches par le réseau dès 2011. Une première
étude de caractérisation de ces variants a été menée et a confirmé
que ces souches dérivaient quasi-exclusivement (99,8 %) du sérovar
Typhimurium (Anses, 2013). La description détaillée des effectifs
annuels, comptabilisés depuis 2007 pour ces souches monophasiques
montre une grande dispersion de ces variants dans les filières animales
et les catégories d’aliments recensées. Dès 2007, ces variants étaient
déjà plus largement isolés d’élevages de volailles et d’aliments issus
de la filière porcine (viandes de porc et produits de charcuterie). La
survenue de plusieurs foyers de TIAC en France en 2010 et 2011 a
également renforcé cette collecte de souches isolées d’aliments (Anses,
2013 ; Bone et al., 2010 ; Gossner et al., 2012 ; Raguenaud et al., 2010).
Les données collectées au cours de cette période soulignent également
une évolution quasi-constante entre 2007 et 2012 du nombre de
souches du sérovar S. Mbandaka (Tableau 2). Cette évolution s’observe
dans les deux secteurs (santé et production animales et hygiène des
aliments destinés à l’Homme), dans les filières bovine et avicole
(principalement dindes et Gallus gallus et secondairement, canard et
caille).
Analyses des données en relation avec les investigations
de cas humains de salmonelloses
Au-delà du suivi des tendances évolutives des sérovars, la surveillance
assurée par le réseau Salmonella apporte de précieuses informations
pour identifier d’éventuelles sources alimentaires de contamination
et étayer les investigations épidémiologiques menées par l’Institut
de veille sanitaire (InVS), suite à la survenue d’une TIAC. Ce fut
le cas, par exemple, à l’occasion des investigations menées lors de
cas groupés de salmonelloses à S. 4,12:i:-, liés à la consommation
de saucisson sec en 2010 (Jourdan-Da Silva et Le Hello, 2012b). Un
(4) Note de service DGAL/SDSSA/N2010-8029 du 4 mars 2010, modifiant la
note de service DGAL/SDSSA/N2010-8059 relative à la mise en œuvre des
arrêtés relatifs à la lutte contre les salmonelles dans les troupeaux de volailles –
mesures relatives aux laboratoires.
Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation no 68/Spécial Vigilance sur la chaîne alimentaire 13
Tableau 2. Nombre de souches du sérovar Mbandaka, collectées entre 2007 et 2012 par le réseau Salmonella, selon le secteur d’origine,
la filière animale ou la catégorie d’aliment
Secteur / dont filière
2007
2008
2009
2010
2011
2012
Alimentation humaine
60
45
62
76
71
135
dont fromage
7
9
4
7
9
15
dont lait cru
20
10
13
13
17
43
dont poulet
4
1
3
0
1
15
dont œuf
2
1
4
8
1
1
181
321
675
632
1 014
1 219
Santé et production animales
dont filière bovine
79
81
62
97
136
186
dont filière avicole
102
234
610
532
866
1 022
Autres secteurs
Total
87
117
123
92
56
186
328
483
860
800
1 141
1 540
Analysis of S.I 4,12:i:– using
Farrington with b=5 and w=3
S.I 4,12:i:– observed
15
No. infected
No. infected
15
10
5
0
10
5
0
2001 2002
I
2003
2004
I
I
I
2005
2006
2007
2008
2006
2006
2007
I
I
I
I
III
I
I
time
Analysis of S.I 4,12:i:– using
RKI with b=5 and w=3
2008
2008
III
I
III
time
Analysis of S.I 4,12:i:– using
Bayes with b=5 and w=3
15
No. infected
15
No. infected
2007
10
5
0
10
5
0
2006
2006
2007
I
III
I
2007
2008
2008
2006
2006
2007
III
I
III
I
III
I
time
2007
2008
2008
III
I
III
time
Figure 2. Distribution des alarmes produites par trois méthodes statistiques (Farrington, RKI et Bayes), au cours de la période 20062008, pour les souches S. 1,4,[5],12:i:Chaque graphique présente le nombre de souches collectées par le réseau Salmonella (en ordonnées) en fonction du temps (en abscisse). Chaque alarme statistique est
signalée par un triangle rouge. Les pointillés bleus indiquent l’effectif attendu, calculé par chaque méthode statistique.
autre exemple est l’épisode épidémique qui a impliqué deux souches
de Salmonella : S. Typhimurium et S. 4,12:i:-, entre décembre 2012 et
janvier 2013. Les investigations épidémiologiques et microbiologiques
étaient concordantes et ont montré que cette épidémie était liée à la
consommation de produits achetés chez un traiteur (Bassi et al., 2013).
Plus récemment, le réseau Salmonella a caractérisé en lien avec le
CNR deux souches de S. Enteritidis, isolées d’œufs de consommation.
Ces analyses ont été réalisées dans le cadre d’une alerte d’ampleur
européenne à S. Enteritidis survenue durant l’été 2014, en lien avec la
consommation d’œufs produits en Allemagne (ECDC et EFSA, 2014).
À travers cet exemple, l’InVS a rappelé le potentiel épidémique de ce
sérovar, malgré la baisse constante du nombre de cas rapportés en
Europe ces dernières années (18e journée annuelle du réseau Salmonella).
Les investigations menées suite à la survenue de cas humains dans
des contextes variés (cas sporadiques ou groupés) mettent parfois
en évidence des sérovars plus rares. Une revue de la littérature
réalisée par Colomb-Cotinat et al. (2014), sur une période de vingt
ans (1993-2013) a souligné l’importance de nouveaux animaux de
compagnie (des reptiles, et particulièrement des tortues) comme
source potentielle de contamination humaine par Salmonella chez
les plus jeunes. La transmission des salmonelles aux jeunes enfants
peut survenir de manière directe mais également indirecte, via les
mains des parents ou l’environnement du foyer. Les sérovars isolés
chez l’Homme dans ce contexte, appartiennent majoritairement à
la sous-espèce S. Enterica subsp. enterica (Colomb-Cotinat et al,
2014).
14 Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation no 68/Spécial Vigilance sur la chaîne alimentaire
La détection d’événements
inhabituels
La détection d’événements inhabituels repose sur un algorithme défini
pour chacun des sérovars identifiés dans la base du réseau Salmonella.
Le système utilise trois méthodes statistiques déjà en place dans
certains centres nationaux de référence : la méthode de Farrington, une
méthode reposant sur un algorithme bayésien et une méthode utilisée
par l’Institut Robert Koch. Ces algorithmes programmés sous logiciel R
se basent, pour chacune des trois méthodes, sur le calcul d’une valeur
attendue de l’évènement pour la semaine en cours, en tenant compte
des valeurs observées pour la même semaine au cours des cinq années
précédentes. Une alarme statistique est produite si la valeur attendue
est significativement différente de la valeur observée. La réalité
épidémiologique de cette alarme est validée sur la base des données
épidémiologiques transmises, après élimination des éventuels doublons
ou autres faux signaux (envois groupés de résultats, par exemple).
Au cours de la période 2008-2009, différents signaux ont été identifiés
à partir des données du réseau Salmonella (Danan et al., 2011). À titre
d’illustration, voici deux exemples de ces alarmes :
• le sérovar Hessarek, rare et non règlementé, a été détecté « en
excès » par les trois méthodes statistiques durant le mois de
septembre 2008. Ce sérovar était à l’origine d’une contamination
localisée à tous les niveaux d’un élevage de canards. L’alarme a été
notifiée aux partenaires impliqués dans la surveillance de la filière,
• des alarmes successives ont été émises depuis fin 2007, pour
le variant monophasique du sérovar Typhimurium, de formule
antigénique S. 1,4,[5],12:i:- (Figure 2). Ces signaux successifs et
fréquents suggéraient l’émergence massive de ce sérovar qui,
aujourd’hui, est en tête des sérovars les plus fréquemment isolés chez
l’Homme. L’émergence de ce variant a concerné l’ensemble des pays
européens et américains pour lesquels les données de surveillance
sont disponibles.
Ce système d’alarmes statistiques montre clairement sa puissance pour
la détection de phénomènes rares, parmi les très nombreux sérovars
et les données compilées au sein de la base de données du réseau
Salmonella. Il est alors possible de mettre en place une surveillance
accrue ou une vigilance ciblant spécifiquement ces sérovars d’intérêt.
Des outils adaptés à la nouvelle application ACTEOLab sont en cours
de développement pour répondre à ces attentes analytiques au sein
du réseau Salmonella (Lailler et al., 2014).
Discussion - Conclusion
Le réseau Salmonella a prouvé son utilité dans le dispositif national de
surveillance et permet de mettre en place des actions renforcées de
vigilance en cas de situation ou d’évolution inhabituelle. Il s’est révélé
être un outil efficace pour la centralisation nationale des données de
contaminations par Salmonella aux différentes étapes de la chaîne
agro-alimentaire et la détection de clones ou sérovars émergents. Les
actions d’amélioration des outils informatiques et épidémiologiques
en cours faciliteront le partage d’information et l’analyse statistique
automatique des données collectées. Dans ce contexte d’évolution
des outils de surveillance, il est également nécessaire de consolider
la représentativité des données collectées par le réseau. Pour cela,
une meilleure estimation du nombre total d’analyses réalisées pour
la recherche de Salmonella dans les différents secteurs d’activité et
les différents types de prélèvements serait souhaitable. De plus, avoir
une meilleure connaissance du nombre de prélèvements dans lesquels
sont recherchées les salmonelles, permettrait d’estimer la fréquence de
contamination des différentes matrices prélevées, pour chaque sérovar
identifié.
Les tendances évolutives observées pour les principaux sérovars
soulignent que le choix des deux serovars (Virchow et Hadar) parmi les
cinq sérovars réglementés en filière avicole s’avère de moins en moins
pertinent. Une adaptation semble nécessaire et devrait prendre en
compte les spécificités rencontrées actuellement dans les différentes
filières : importance relative d’isolement des sérovars, prévalence accrue
de contamination d’une catégorie d’aliment ou encore problématique
particulière pour la santé publique, comme par exemple la résistance
accrue aux antibiotiques.
Pour guider le gestionnaire du risque, le choix des sérovars réglementés
pourra s’appuyer sur des travaux approfondis de caractérisation, basés
sur le séquençage du génome bactérien. Ces études permettront
d’affiner les connaissances liées à la circulation des clones majeurs
de salmonelles, isolés dans la chaîne alimentaire et impliqué en santé
publique. Elles faciliteront également les études d’attribution de source
de contamination. Au final, la pression de contrôle exercée par les
contrôles officiels pourra être davantage centrée sur les aliments
ainsi définis comme étant les plus à risque et les recommandations
destinées aux consommateurs pourront être d’autant plus ajustées.
Il est important de disposer d’une vision globale de la contamination
et l’articulation entre les différents secteurs de la chaîne alimentaire
(production primaire – aliment – Homme) doit être faite dans une
démarche de type « One Health » (Calistri et al., 2013). L’harmonisation
des procédures de caractérisation et d’analyse des résultats doit être
maintenue entre les différents acteurs de la chaîne de surveillance.
Les signaux d’alerte et de vigilance révélés par le dispositif de surveillance
des salmonelles d’origine non humaine pourraient aboutir à la mise
en place d’investigations approfondies sur le terrain. Ces études,
programmées en concertation avec les responsables du dispositif de
surveillance des salmonelles d’origine humaine, permettraient ainsi de
mieux prévenir et maîtriser le danger que représentent les salmonelles.
Les salmonelles ne connaissant aucune frontière entre les différents
secteurs d’activité, le système de surveillance doit suivre la même
logique.
Remerciements
Les auteurs remercient vivement tous les partenaires du réseau Salmonella
ainsi que l’ensemble des membres de l’équipe d’animation de ce réseau,
grâce à qui ce dispositif de surveillance peut exister et fonctionner.
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Bulletin épidémiologique, santé animale et alimentation no 68/Spécial Vigilance sur la chaîne alimentaire 15