Derrière les panneaux de Villeneuve-lès

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Derrière les panneaux de Villeneuve-lès
Jean Lafitte
10 février 2011
Derrière les panneaux de Villeneuve-lès-Maguelone
1 – Le jugement du 12 octobre 2010
Par un jugement du 12 octobre 2010, le Tribunal administratif de Montpellier a condamné la ville de Villeneuve-lès-Maguelone à enlever les plaques « Vilanòva-de-Magalona » des
panneaux officiels d’entrée et de sortie d’agglomération.
Le monde des langues régionales et spécialement occitaniste s’en est bruyamment ému en
caricaturant cette décision de justice comme une atteinte au droit de langues régionales, qui
« appartiennent au patrimoine de la France » selon l’article 75-1 de la Constitution. Mais lu
honnêtement, ce jugement ne dit pas du tout cela : simplement ces plaques n’ont pas là leur
place, parce que ce genre de mention ne figure pas dans la liste limitative fixée par les textes
spéciaux qui règlementent ces panneaux.
Il n’empêche que l’on a vu déferler sur les lieux des manifestants venus de loin, y compris
de la Catalogne espagnole, et il y a des députés et des sénateurs qui se sont empressés de
proposer des lois pour permettre ce type d’affichage.
La ville a fait appel, et l’affaire est aujourd’hui pendante devant la Cour administrative
d’appel de Marseille.
Mais au-delà des apparences et derrière le nuage de fumée de la propagande occitaniste, il
convient de voir les réalités.
2 – La portée réelle de l’article 75-1 de la Constitution
En effet, même sur un autre support, la mention « VILANÒVA DE MAGALONA » peutelle prétendre à la qualification d’élément de la langue régionale du lieu, telle que la reconnait
l’art. 75-1 ?
Tout en renvoyant à l’Annexe pour l’étude détaillée de cet article, j’en retiens que la
langue que doit conserver une collectivité territoriale est celle de son territoire, et telle
qu’elle a été transmise de façon continue par les générations successives, comme tout bien
patrimonial.
3 – Le toponyme “roman” héréditaire : Vilanova de Magalouna
L’ouvrage historique de référence est le très officiel Dictionnaire topographique du
département de l’Hérault, établi par Eugène Thomas qui était alors l’archiviste du département et le président de la Société archéologique de Montpellier, dictionnaire publié en 1865
http://books.google.fr/books/download/Dictionnaire_Topographique_du_Départeme.pdf?id=c
SktAAAAQAAJ&output=pdf&sig=ACfU3U2oLK9eOlncR8YocwT6JbBI0zRCHg
Pour Villeneuve, avant les attestations françaises, on n’y trouve que des attestations
latines, Villanova. Dans le « sous-dialecte de Montpellier » qui garde a en finale, cela donne
aujourd’hui Vilanova.
Pour Maguelone, il en est de même, sauf qu’au terme de son énumération des attestations
anciennes, l’auteur écrit : « La langue romane et vulgaire du pays l’appelle Magalouna. »
Sauf preuve contraire, Vilanova de Magalouna est donc la seule forme moderne en
« langue d’oc » locale qui soit attestée par l’Histoire jusqu’en 1865.
4 – La « renaissance d’oc » à Montpellier au XIXe s.
Il parait inutile de rappeler en détail le mouvement de renaissance littéraire des parlers
d’oc, « renaissance » amorcée en Catalogne en 1833, et vigoureusement lancée en Provence
par Mistral et six de ses amis en 1854, sous le nom de Félibrige. Le Languedoc proche n’y fut
pas indifférent, mais l’assortit délibérément d’un mouvement savant qui se traduisit par la
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fondation à Montpellier, en 1869, de la célèbre Société pour l’étude des langues romanes qui
allait créer dès 1870 sa non moins célèbre Revue des langues romane, deux ans avant la revue
parisienne Romania.
En bref, on peut en retenir le témoignage du poème La Viradona publié dans le tome IV
de cette Revue, 1873, et l’avis du célèbre érudit montpelliérain Charles de Tourtoulon dans la
présentation qu’il en fait pp. 424-428. L’auteur, Alexandre Langlade (1820-1900), « écrit
dans la variété du sous-dialecte de Montpellier qui est parlée à Lansargues, bourg de 1,700
habitants, situé à 18 kilomètres E. du chef-lieu du département. » Tourtoulon décrit brièvement cette variété dialectale, qui tire vers le provençal. Sur notre sujet, p. 427, après avoir
constaté que ce parler conserve en o des mots généralement passés à ou, il écrit :
« Toutes les fois que la forme o et la forme ou ont été également en usage pour le même mot,
M. Langlade a préféré la dernière, comme plus conforme au génie de la langue d’oc. »
Et dans le poème lui-même, nous lisons, p. 437 :
Passa à Beziès, Frountignan, Miraval,
Vei Magalouna e sa glèisa en rouïna.
Ainsi, en 1873, dans les environs mêmes de Montpellier, le nom Magalouna apparait dans
LA Revue savante, comme le « plus conforme au génie de la langue d’oc », et avec la caution
d’un des plus grands érudits du pays.
5 – Mais alors, pourquoi le toponyme “occitan” : Vilanòva de Magalona ?
C’est la question qu’on se pose légitimement. Malheureusement, pour y répondre, il nous
faut descendre des hauteurs de la poésie et de la science historique et linguistique pour
plonger dans le marigot des jalousies, puis de la désinformation et du détournement politicien.
En deux mots, « Vilanòva de Magalona » est la graphie « cheval de bataille / cheval de
Troie » du mouvement occitaniste ; elle relève du système de graphie dite « classique » qui a
été préconisé à la fin du XIXe s. par des acteurs étrangers à la région de Montpellier :
– l’abbé, puis chanoine Joseph Roux (1834-1905), Limousin ;
– les instituteurs Prosper Estieu (1860-1939), originaire de l’Aude, et Antonin Perbosc
(1861-1944), originaire du Tarn-et-Garonne.
Ces derniers, de formation de base primaire, se sont appuyés sur le Choix de poésies
originales des troubadours publié par le savant Raynouard (1816-1821) et sur le mythe d’une
langue qui n’aurait que peu changé depuis le moyen âge, pour préconiser d’écrire la langue de
leur temps comme celle des troubadours (XIe-XIIIe s.). Ils se souciaient peu d’être lus : « nous
voulons écrire une vraie langue et peu nous importe de ne pas être compris » (Lettre de
Perbosc à Estieu du 9 aout 1894). Mais c’était pour eux un moyen de se démarquer du
système de Mistral dont ils jalousaient le prestige.
Allant plus loin que l’abbé Roux, ils reprennent le o des textes anciens (lo solelh) au lieu
de (lou soulèlh). Mais pas plus que leurs contemporains, ils n’ont pas remarqué que dans les
Choix de Raynouard, on rencontrait déjà des graphies en ou pour quelques mots dont le o
ancien était déjà senti comme passé au son [u] (notation de l’Alphabet phonétique international “API” pour ou français) ; par exemple, tout (t. III, pp. 160, 166, t. IV, p. 7), carboucle (t.
III, p. 224, t. IV, p. 26) etc.
C’est peu, mais cela existe, et sera confirmé par les études savantes du phénomène, depuis
un article du célèbre romaniste Paul Meyer en 1868 jusqu’à nos jours.
Le résultat, c’est, entre autres, Magalona « occitan » au lieu de Magalouna et le besoin
vite apparu de marquer les o qui se liraient [o] (o fermé comme dans tôt) ou [ɔ] (o ouvert
comme dans port) ; on choisi finalement l’accent grave pour les deux cas, donc Vilanòva
« occitan » au lieu de Vilanova. C’est donc la rupture de la transmission de la langue héréditaire et de l’usage populaire des locuteurs, et pour l’abandon du ou, un retour en arrière de
trois ou quatre siècles, donc tout le contraire de la conservation du patrimoine reçu des
Anciens.
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Pourquoi donc ce remplacement ? C’est que, pour ces “pères” de l’occitanisme, le ou
vient du français, alors que le salut du monde d’oc est de s’écarter ce qui est français. Car bien
au-delà du maintien de la « langue d’oc », les deux instituteurs mènent un combat politique :
contre l’Église — c’est de l’époque — ils ont trouvé un thème de choix dans l’histoire, plus
ou moins arrangée, de la Croisade albigeoise du début du XIIIe s. ; la reprise par le roi des
possessions de son vassal, le comte de Toulouse, dont les ancêtres avaient usurpé bien des
pouvoirs régaliens, devient une conquête de tout le Midi par le Nord ; la défaite à Muret, en
1213, de la coalition des Toulousains et des Aragonais et Catalans est la fin des libertés du
Midi entier, alors que les historiens catalans d’aujourd’hui reconnaissent qu’elle a surtout mis
fin aux visées du roi d’Aragon sur les terres méridionales du royaume de France, etc.
Du fait de l’effacement de l’Église dans la société, l’anti-cléricalisme ne mobilise plus
aujourd’hui ; mais le discours anti-français (du Nord) se porte très bien dans les milieux
occitanistes, tous les malheurs du Midi étant dus au pouvoir “jacobin” exercé depuis Paris. Il
existe même deux partis occitanistes, le Parti de la Nation occitane (P.N.O.), qui s’est doté en
mars 2007 d’un Gouvernement provisoire Occitan, et le Parti occitan (POc) ; ils sont évidemment relayés par une nébuleuse d’associations de toutes tailles et de tous objets qui,
consciemment ou non, travaillent à créer le mythe d’une Occitanie politique, qui est au bout
des banderoles, les fusils n’étant pas encore au programme.
Le marquage du terrain par des inscriptions dans cette graphie occitane, qui tranche
sur le français, est donc essentiel dans la manœuvre sur les esprits.
Dans l’Hérault, ce marquage a été organisé par une lettre circulaire du 5 mai 2008
adressée aux maires par la section départementale de l’Institut d’études occitanes, dont
l’organe central avait alors pour président M. David Grosclaude. Tous les modèles proposés
par une entreprise choisie par l’I.E.O. comportent une croix de Toulouse, la même pour tout
le Midi, pour faire entrer dans les esprits que l’Occitanie existe et doit se « libérer »
politiquement :
Voilà pourquoi le jugement du Tribunal administratif de Montpellier a déclenché tant de manifestations évoquées plus haut. La « langue d’oc » parlée à
Montpellier n’était pas le premier de leurs soucis !
On comprend aussi qu’on ne peut interpréter
l’article 75-1 de la Constitution comme un blancseing pour détourner l’argent public au profit de
constructions linguistiques dont le but réel est de
diviser la République, en violation de l’article 1er de
la même Constitution.
Et pour ceux qui en douteraient, voici la carte
toujours visible sur le site officiel de la campagne
des élections régionales 2010 de ce même M. David
Grosclaude, patronné par Régions et peuples solidaires http://r-p-s.info/+-David-Grosclaude-+. Membre
du Parti occitan, M. Grosclaude siège aujourd’hui au
Conseil régional d’Aquitaine.
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ANNEXE
L’article 75-1 de la Constitution,
fondement du droit des langues régionales
En insérant dans la Constitution un article 75-1, l’article 40 de la loi constitutionnelle n°
2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a fait aux
langues régionales une place exemplaire au sommet de l’édifice juridique français :
« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »
Sans préjudice du statut conféré au français par le 1er alinéa de l’article 2 et la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce texte fonde le statut légal des langues régionales par son
affirmation, dont deux mots sont essentiels, le substantif patrimoine et l’adjectif régionales, et
par sa place dans le Titre XII de la Constitution.
Sans nous étendre davantage, notons que cette place confère un rôle primordial à toutes
les collectivités territoriales, sans hiérarchie entre elles, pour la reconnaissance et la
conservation des langues patrimoniales de leur territoire. Il nous parait par contre utile de
nous attarder sur la portée des deux mots le patrimoine et régionales.
1 – Le mot patrimoine
Le substantif patrimoine se rencontre trois autres fois dans la Constitution :
– à l’art. 47-2, il vise les biens matériels des administrations publiques dont les comptes
doivent donner une image fidèle ;
– à l’art. 74, il s’agit spécialement du « patrimoine foncier » des collectivités d’outre-mer ;
– et dans les considérants de la Charte de l’environnement de 2004 annexée à la Constitution :
« l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains ».
On ne peut en tirer aucune acception spécifique du mot dans l’article 75-1. Or le sens que
lui donnent tous les dictionnaires vient d’être confirmé par l’Académie française, dans la
IXème édition de son Dictionnaire en cours de rédaction :
« PATRIMOINE n. m. XIIe siècle. Emprunté du latin patrimonium, de même sens, lui-même
dérivé de pater, « père ».
« Ensemble des biens que l’on hérite de ses ascendants ou que l’on constitue pour le
transmettre à ses descendants. Patrimoine paternel, maternel. Patrimoine familial. Dissiper,
dilapider et, fam., manger son patrimoine. Gérer, accroître son patrimoine. [acception juridique]
Par ext. Ensemble des biens, des richesses matérielles ou immatérielles qui appartiennent à une
communauté, une nation et constituent un héritage commun. La notion de patrimoine national est
due à l’abbé Grégoire. Le patrimoine culturel, naturel. Le patrimoine architectural, artistique,
littéraire. La protection, la conservation du patrimoine. […]. »
Il s’agit donc ici de la richesse immatérielle de la France, un héritage commun des
Français. Le mot « héritage » et l’étymologie qui renvoie aux pères, aux ascendants, placent
dans le temps chacune des langues considérées, introduisant comme essentielle leur
dimension historique. De plus, il implique à la fois continuité et changement : chaque
génération reçoit son patrimoine de la précédente, mais à la différence d’un trésor qu’on
enferme dans un coffre et qu’on ne montre que rarement, elle se sert de ce patrimoine et
l’enrichit ou l’appauvrit, selon son industrie et les aléas de la fortune.
Ainsi en est-il des langues, toutes sujettes au changement, changement qui tend à se
traduire dans l’écriture.
2 – Le mot régionales
L’adjectif régionales vient compléter le concept : l’héritage reçu des pères n’est pas dilué
dans l’« hexagone », mais impérativement localisé dans l’espace. Mais quel espace ? La
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région étant une des collectivités territoriales définies par la Constitution (art. 72), on pourrait
penser que c’est d’elle qu’il s’agit.
Mais le bon sens écarte vite cette interprétation, car le domaine de la majeure partie des
langues ainsi qualifiées ne coïncide pas avec une région administrative. Il convient donc de
déterminer l’interprétation légale du mot région quand il s’agit d’une langue.
3 – La région en droit des langues de France
Nous n’avons pas trouvé de trace du mot région dans notre droit administratif avant les
décrets de Vichy du 30 juin 1941 qui définirent les territoires sur lesquels s’exerceraient les
« pouvoirs spéciaux de police et […] en matière économique » des préfets régionaux institués
par l’acte dit loi du 19 avril 1941 : régions de Lyon, Marseille, Montpellier, etc. De toute
façon, cette mesure fut annulée à la Libération.
C’est dans ce vide du droit administratif en la matière que l’on voit apparaitre le mot
région, tout justement dans la loi “Deixonne” du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement
des langues et dialectes locaux ; certes, son titre ignore l’expression langues régionales, mais
elle use par trois fois du mot région, comme domaine d’une langue (art. 1er et 5) ou de
richesses culturelles et de folklore particulier (art. 4).
Au même moment, l’expression langue régionale elle-même existait au moins dans le
vocabulaire des militants ; en témoigne le texte publié par l’Institut d’études occitanes
(I.E.O.) dans le numéro de ses Annales de la fin de 1950 (Tome II, fasc. 2) et intitulé La
réforme linguistique occitane et l’enseignement de la langue d’oc ; réécrivant le titre de la
proposition de loi Deixonne rappelé ci-dessus, ce texte débute ainsi : « L’Assemblée
Nationale a adopté récemment le projet de loi Deixonne tendant à l’enseignement facultatif
des langues régionales de France ».
Pour le législateur comme pour les militants, la région visée ne peut s’entendre que dans
l’acception courante de territoire relativement étendu que lui donnait moins de vingt ans plus
tôt le Dictionnaire de l’Académie française de 1932-1935 :
« Vaste étendue de pays. Toutes les régions de la terre. La domination anglaise s’étend en
Afrique sur de nombreuses régions.
« Il se dit plus particulièrement d’un Ensemble de territoires qui tous présentent certains
caractères communs : identité ou analogie du climat, ou mêmes productions du sol, ou mêmes
formes de l’activité humaine, etc. […] La région pyrénéenne. La région parisienne. »
Quatre ans après la loi “Deixonne”, le besoin de coordonner les actions économiques
conduira à user encore du mot région avec ce même sens courant, dans le décret n° 55-873 du
30 juin 1955 pris en matière législative en application de la loi de pouvoirs spéciaux du 2 avril
1955 : « Des programmes d’action régionale seront établis en vue de promouvoir l’expansion
économique et sociale des différentes régions et en particulier de celles qui souffrent de
sous-emploi ou d’un développement économique insuffisant. » (art. 1er). Certes, il est prévu
qu’un arrêté interministériel définira le cadre de ces programmes d’action, et de fait, l’arrêté
du 28 novembre 1956 instituera les régions qui deviendront nos régions actuelles. Mais il est
intéressant de voir la souplesse du décret de 1955 dans sa conception de ces circonscriptions :
Art. 2. — Ces programmes seront préparés, soit dans le cadre du département, soit dans le
cadre de la circonscription des inspecteurs généraux de l’administration et inspecteurs généraux de
l’économe nationale, soit dans un cadre différent lorsque des facteurs géographiques ou
économiques conduisent à s’écarter de ces circonscriptions administratives.
Pour revenir aux langues régionales, lorsqu’en 1975 le Parlement légifère sur le projet de
“réforme” de l’enseignement présentée par le ministre de l’éducation nationale René Haby, un
amendement d’origine parlementaire introduit ce qui sera l’article 12 de la loi n° 75-620 du
11 juillet 1975 : est affirmée plus nettement qu’avant la place de l’enseignement des langues
et cultures régionales tout au long de la scolarité.
Pour l’application de cet article, le ministre adressa aux Recteurs l’importante circulaire
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n° 76-123 du 29 mars 1976. Dès le début, elle règle la question du mot région :
« dans un pays comme la France, chaque région — ce mot ne doit pas être pris ici dans son
acception administrative — possède un patrimoine culturel propre, né de l’accumulation
séculaire du legs intellectuel, moral et matériel des générations précédentes, de l’empreinte
qu’elles ont laissée sur le sol et dans le paysage, des mentalités et des coutumes qui se sont forgées
et, pour certaines, ont subsisté jusqu’à nous. »
Mais il est rappelé par ailleurs « que les langues reconnues par la réglementation en
vigueur sont : le breton, le basque, le catalan, les langues d’oc et le corse. »
Or la loi “Deixonne” mentionnait la « langue occitane ». Remplacer ce singulier par un
pluriel était inacceptable pour les occitanistes qui réagirent par plusieurs articles de leurs
publications, et surtout par un recours juridique : le 10 mai 1976, recours gracieux au ministre
qui ne répondit pas ; d’où le 19 octobre un recours contentieux devant le Conseil d’État,
exercé par M. Philippe Carbonne, secrétaire général de la Fédération de l’enseignement
occitan. Mais ce recours sera rejeté par un arrêt du 7 octobre 1977, en conformité avec
l’argumentation et les conclusions du commissaire du gouvernement M. Renaud Denoix de
Saint Marc.
Quoique lointaine, cette affaire fournit encore des éléments essentiel du statut juridique
des idiomes d’oc. Il parait important de reproduire l’unique « considérant » de l’arrêt :
« Considérant qu’en utilisant dans sa circulaire du 29 mars 1976 relative à la "prise en compte
dans l’enseignement des patrimoines culturels et linguistiques français", l’expression "les langues
d’oc", le ministre de l’Education s’est borné à rappeler que, conformément à la loi du 11 janvier
1951 qui, aux termes de ses articles 1er et 10, a pour but "de favoriser l’étude des langues et
dialectes locaux dans les régions où ils sont en usage" et notamment dans les zones d’influence de
la langue occitane, cet enseignement devait être dispensé en se référant à la pratique en usage dans
chaque région ; que, par suite, la requête susvisée qui ne conteste que l’emploi de cette expression
purement interprétative, n’est pas recevable ; »
Les régions de la loi “Deixonne” sont donc les territoires des « langues et dialectes
locaux », définition spéciale à la matière, tout comme le décret du 30 juin 1955 entendait
adapter les régions des programmes d’action (économique) régionale aux facteurs
géographiques ou économiques, déterminants dans cette autre matière. Et rien dans les textes
juridiques subséquents n’en justifie une autre interprétation.
La cause est donc entendue : la région d’une « langue régionale » est son domaine
linguistique, et la langue est un élément du patrimoine culturel de cette région, selon la
définition remarquable qu’en donne le texte ministériel.
4 – Consensus politique sur la dimension historique et territoriale
La double dimension historique et territoriale des langues régionales était déjà au cœur du
rapport sur les « langues et cultures régionales » que M. Bernard Poignant, élu socialiste,
avait remis à M. Jospin, Premier ministre, le 1er juillet 1998. D’entrée, il admettait leur double
qualification : « …ces langues régionales appelées aussi langues historiques de la
France… ». Et parmi les retouches constitutionnelles qu’il envisageait en conclusion, il
suggérait d’insérer dans le Préambule la disposition suivante : “la nation reconnaît les langues
historiques du peuple de France, comme formant avec le français son patrimoine
linguistique”.
Les mêmes idées se retrouvent dans les propos échangés au Parlement lors des débats de
mai 2008 sur les langues régionales :
Ainsi, Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, dès le 4ème
alinéa de la « déclaration du Gouvernement sur les langues régionales » faite à l’Assemblée
nationale le 7 mai 2008 :
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« Parmi ces langues [de France], les langues régionales ont le privilège d’avoir une assise
territoriale depuis plusieurs siècles. Elles font partie intégrante de l’histoire et de la géographie
de notre pays. »
Et dans sa réponse finale aux déclarations de divers députés :
« Il s’agit d’ouvrir un espace d’expression plus large aux langues historiquement parlées sur
notre territoire […] »
Six jours après, le 13 mai, la parole était au Sénat. Deux sénateurs devaient afficher des
idées concourantes :
M. Raymond Couderc, sénateur-maire de Béziers (UMP) :
« il ne suffit pas de le faire [prôner la diversité culturelle dans le monde] si l’on étouffe les
langues historiques et autochtones sur son propre sol. » […]
« …les langues historiques de France ont besoin d’un véritable statut. »
M. Jean-Paul Alduy, sénateur-maire de Perpignan (UMP) :
« Les langues régionales ont une tradition, une syntaxe, une longue histoire. »