Les enfants peuvent-ils créer du savoir
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Les enfants peuvent-ils créer du savoir
Les enfants peuvent-ils réellement créer du savoir?1 Carl Bereiter et Marlene Scardamalia, Université de Toronto Traduction française : Natalie Dallaire et Stéphane Allaire, Équipe Affordance (http://affordance.uqac.ca), Université du Québec à Chicoutimi Dans le cadre de plusieurs études que nous avons publiées au cours des deux dernières décennies, nous avons argumenté en faveur et donné des exemples de coélaboration de connaissances – ou son synonyme, la création de connaissances – par des élèves du primaire. Des articles de ce numéro spécial de la Revue canadienne de l’apprentissage et de la technologie en fournissent une variété d’autres exemples. Cependant, même des commentateurs bien disposés à notre égard ont mis en doute si ce dont nous parlions est véritablement de la création de connaissances. Les écoliers, diront-ils, ne produisent pas de connaissances qui sont nouvelles pour l’humanité. Bien que cela leur était inconnu jusqu’à présent, il s’agit au mieux d’une approximation des savoirs des experts à ce sujet. Mais que signifie vraiment créer de la connaissance? Dans cet article, nous tentons d’examiner plus en profondeur ce que veut dire, pour des élèves, le fait de créer du savoir public. Cela est un enjeu important, non seulement en ce qui concerne l’éducation à l’enfance, mais aussi pour l’éducation jusqu’à l’âge adulte, puisque ce n’est en principe qu’à partir des études universitaires des cycles supérieurs avancés (3e cycle et postdoctorat) que l’étudiant est censé « contribuer à la connaissance ». La véritable création de connaissances doit-elle attendre aussi longtemps? Est-ce que la connaissance qui existe déjà doit d’abord être maîtrisée par les élèves et les étudiants avant que ceux-ci ne puissent eux-mêmes s’aventurer dans l’innovation du savoir? La coélaboration de connaissances, en tant que pratique éducative, est basée sur la prémisse que la véritable création de connaissances n’a pas à attendre. Un principe clé de la coélaboration de connaissances (voir l’article Un bref historique de la coélaboration de connaissances dans le présent numéro) est celui qui mentionne : « Idées réelles, problèmes authentiques ». Des idées réelles sont celles qui proviennent des participants, qui ne sont pas copiées; des problèmes authentiques sont des problèmes dont la solution fournit une contribution aux connaissances de la communauté, et non pas des problèmes dont la seule valeur est l’apprentissage qui s’en suit. Alors, est-ce que le principe d’ « idées réelles, problèmes authentiques » peut s’appliquer de façon réaliste aux efforts de création de connaissances des enfants? La réponse dépend du fait que l’on puisse véritablement s’attendre à ce que des enfants créent de la connaissance. Avant de procéder, nous devons clarifier que nous ne parlons pas de la création de connaissances dans le sens transmis par le slogan populaire « Les apprenants construisent eux-mêmes leurs propres connaissances ». Cela est d’ailleurs vrai de tout apprentissage significatif du point de vue de la psychologie cognitive (incluant mais ne se limitant pas uniquement à la perspective des Piagétiens). Nous parlons plutôt de la création de connaissances en tant que connaissances productives de travail que les compagnies vouées à la création de connaissances produisent pour mériter cette appellation, et qui 1 Bereiter, C., & Scardamalia, M. (2010). Can Childrean Really Create Knowledge ? Canadian Journal of Learning and Technology, 36(1), [On-line]. Available : http://www.cjlt.ca/index.php/cjlt/article/view/585 voit le jour dans les laboratoires de recherche et d’ingénierie, lors de recherche académique créative et dans les groupes d’innovation de toutes sortes. Pour le moment du moins, nous voulons considérer la création de connaissances comme étant une proposition dichotomique. Ainsi, soit les enfants créent de la connaissance, soit ils n’en créent pas. Il n’y a pas de degrés variables de création de connaissances, dans le sens que nous n’attribuerions pas, à ce chapitre, un pointage de 95% au Conseil national de recherche et un pointage de 28% à des enfants brillants de la cinquième année. Les enfants sont en apprentissage constant, mais ils ne créent pas constamment de la connaissance. Donc, certains enfants peuvent ne jamais avoir créé des connaissances ou encore ne pas s’être engagés dans un effort volontaire et couronné de succès en vue de faire avancer le savoir. Une règle pour prévenir les exclusions injustes : les normes qui déterminent ce que constitue véritablement la création de connaissances par les enfants ne devraient pas être plus sévères que celles utilisées pour reconnaître qu’une thèse de doctorat ou un article scientifique a fait « une contribution au savoir ». Lorsque nous pensons à la création de connaissances, les exemples qui nous viennent en tête seront vraisemblablement des œuvres de génies. Pourtant, des milliers d’articles qui ne sont pas nécessairement de calibre à obtenir un prix Nobel sont publiés chaque mois, bien que les pairs de leur(s) auteur(s) les reconnaissent en tant que contribution à leur champ d’expertise. Ce ne sont pas toutes les réalisations cognitives que l’on peut qualifier de création de connaissances. Cependant, si nous élevons la norme au point d’en exclure de nombreuses personnes qui gagnent leur vie, du moins en partie, par la création de connaissances, alors nous excluons automatiquement – et injustement – presque tous les étudiants et écoliers. La création de connaissances : une forme particulière de résolution de problèmes Chaque fois que vous résolvez un problème, vous êtes en train de créer un certain type de savoir mais, pour que celui-ci corresponde à la définition de la création de connaissances, il doit répondre à des critères supplémentaires. Il doit avoir de la valeur pour un individu autre que la personne y ayant réfléchi, une utilité qui dépasse l’instant présent, une application autre que celle de la situation au cours de laquelle il a émergé et, finalement, faire preuve d’au moins une petite part de créativité (quelle que soit la manière dont on en juge). Ces critères ne sont peut-être pas nécessairement très rigoureux, mais dans le cas de la plupart des situations de résolution de problèmes de la vie quotidienne, l’un ou plusieurs des aspects mentionnés précédemment fait défaut. De la même manière, la majorité des cas de résolution de problèmes que fait un étudiant dans le cadre de ses travaux scolaires réguliers ne répond pas non plus à ces critères. En guise d’exemple, solutionner un exercice arithmétique énoncé par écrit peut exiger une certaine pensée créative, mais la solution n’a aucune valeur au-delà de ce que l’étudiant apprend des efforts consentis pour résoudre ce même problème. En outre, des activités de nature plus constructiviste peuvent également ne pas répondre aux critères de la coélaboration de connaissances. À l’école primaire, une activité populaire de ce genre est la planification d’un voyage par les élèves sur la planète Mars. En tant qu’activité d’apprentissage, la planification d’un tel voyage est fort recommandable. Les élèves peuvent, ce faisant, y acquérir des connaissances utiles au sujet de l’astronomie, de l’aéronautique et de la biologie. Cependant, la situation de résolution de problèmes, c’est-à-dire la manière de planifier un voyage sur Mars, a peu de chances d’être utile à d’autres personnes, ou encore, risque peu d’être applicable à une autre situation. Bien entendu, au moment où les jeunes se sont engagés à planifier un voyage sur Mars (ou à réaliser toute autre activité riche en connaissances ou en idées), ceux-ci peuvent soulever des problèmes plus profonds ou inspirer des idées plus grandes qui pourraient servir de base à la coélaboration de connaissances. Mais au cœur de l’activité typique d’apprentissage, qu’elle soit constructiviste ou non, il s’agirait là d’un effet secondaire qui n’avait pas été prévu (Scardamalia et Bereiter, 2007). À l’opposé, dans le cadre d’une approche de coélaboration de connaissances, produire de « vraies idées » servant à résoudre des « problèmes réels » n’est pas une démarche occasionnelle, mais plutôt l’un des principes essentiels de cette pratique. La création de connaissances qui rend possible la création de connaissances ultérieures La création de connaissances peut prendre plusieurs formes et servir plusieurs fonctions. Elle peut répondre à des besoins pratiques et à des questions. Cependant, l’une de ses fonctions les plus importantes est de permettre la création de connaissances futures supplémentaires. Cela confère à la science et aux disciplines dites progressives leur aspect dynamique. La théorie de l’évolution de Darwin a répondu partiellement à la question de l’origine des espèces, mais le concept de la sélection naturelle y a joué un rôle beaucoup plus grand, non seulement en ce qui concerne les progrès dans le domaine de la biologie, mais aussi dans d’autres champs d’application comme la créativité ou la médecine (Dennett, 1995; Simonton, 1999). Bien que la théorie des probabilités ait été développée à l’origine pour analyser les jeux de hasard, et qu’elle est encore utilisée aujourd’hui à cette fin, elle s’avère aussi un outil essentiel pour plusieurs secteurs de recherche, allant de l’épidémiologie aux changements climatiques. Une société moderne pourrait à peine fonctionner sans elle. La recherche fondamentale, pourrions-nous dire, peut être qualifiée comme telle dans le sens que ses conclusions soutiennent la création de connaissances à venir. Les plus grandes réalisations de la création de connaissances ont des effets qui se propagent à travers la culture, en affectant la création de connaissances futures dans un vaste éventail de domaines. À plus petite échelle cependant, la création de connaissances par des enfants peut avoir un effet de rayonnement similaire. Presque par défaut, la création de connaissances par des enfants aura la qualité principale de permettre la création de connaissances subséquentes. Il y a eu des cas où des jeunes personnes ont produit des inventions utiles et fait des découvertes scientifiques significatives. Dans une classe vouée à la coélaboration de connaissances, des élèves de 5e et 6e année ont découvert le phénomène de «vulnérabilité apprise » chez les coquerelles sifflantes malgaches! Mais de tels exploits sont trop rares pour satisfaire les critiques qui doutent que les enfants puissent, du moins régulièrement, créer des connaissances. Le cas moyen doit se baser non pas sur la production de savoirs qui sont nouveaux pour le reste du monde, mais bien sur la production de connaissances qui a pour effet de permettre la création de connaissances futures. Considérons un exemple simple dont a traité l’article de Zhang, Scardamalia, Reeve et Messina en 2009. Alors qu’ils étudiaient le phénomène de la lumière, des élèves de quatrième année ont reçu un prisme et ont fait des observations sur la réfraction, tel que suggéré dans le programme scolaire officiel. Leurs notes dans Knowledge Forum® ont progressé du simple compte-rendu de résultats de leurs expériences à des tentatives de clarification du concept de la réfraction afin de les utiliser par la suite pour expliquer leurs conclusions expérimentales. Des questions sont survenues à propos des arcs-en-ciel et les élèves ont commencé à échafauder des théories. Par exemple : Ma théorie est que le soleil brille à travers les gouttelettes de pluie et les tempêtes qui réagissent comme des prismes qui forment un arc-en-ciel. Que cette idée ait été pensée par son auteur d’une manière autonome ou qu’il la tienne d’une source faisant figure d’autorité est secondaire par rapport au fait que cette idée est un savoir communément accepté qui, en lui-même, ne pourrait être qualifié comme étant de la création de connaissances. Cependant, des élèves ont observé que les couleurs de l’arc-en-ciel apparaissent toujours dans le même ordre, et cela a donné naissance à une variété d’idées et de critiques qui ont culminé dans le résumé suivant : Nous en sommes arrivés à une réponse. Les différentes fréquences de lumière forment les différentes couleurs. Le rouge a la plus longue fréquence et voyage le plus rapidement. Le violet a la plus courte. Le rouge se trouve toujours au premier rang de l’arc-en-ciel parce qu’il voyage le plus rapidement. Le violet est toujours au dernier rang parce qu’il voyage plus lentement que toutes les autres couleurs. Les couleurs entre les deux se présentent des plus longues fréquences aux plus courtes… Il s’agit également d’une idée qui peut être retracée dans des sources d’information. Si nous consultons celles qui sont les plus facilement accessibles sur Internet cependant, nous pouvons y déceler des différences importantes. Wikipédia nous offre une explication qui n’est pas aussi technique que bien d’autres entrées à caractère scientifique que l’on trouve dans cette encyclopédie électronique, mais il est encore probable que celle-ci intimidera les élèves de 4e année. Un article à ce même sujet de la University Corporation for Atmospheric Research (la Corporation universitaire de recherche atmosphérique) est rempli de calculs et de chiffres et, ainsi, est encore plus susceptible de demeurer inaccessible à de jeunes élèves. D’un autre côté, un site web expressément conçu pour des écoliers fournit une explication plus facile à lire, mais qui ne répond pas à la question et qui risque plus alors de confondre que d’informer les apprenants : La lumière du soleil pénètre chaque goutte de pluie et les couleurs y émergent comme si la goutte d’eau était un prisme. Ce « pliage » et ces reflets se produisent en même temps dans chacune des gouttelettes d’eau et ce procédé est c’est ce qui compose les couleurs de l’arc-en-ciel que vous voyez lorsqu’il pleut. Ce qui est sous-entendu, c’est que ce qui se produit « en même temps » constitue en luimême une explication suffisante du phénomène de l’arc-en-ciel. Cela donne à entendre que chaque gouttelette de pluie produit un arc-en-ciel complet, tandis que l’explication tirée de Wikipédia explique que les différentes couleurs atteignent l’œil depuis diverses gouttelettes situées à diverses altitudes. Bien que l’explication des élèves ne soit pas entièrement limpide, et ce plus particulièrement en ce qui a trait à la relation entre la vitesse et la longueur d’ondes, elle a la qualité d’avoir du sens du point de vue d’un élève de quatrième année. Cela ne s’est pas produit simplement en copiant un texte ou en le paraphrasant. Cela reflète un effort collectif d’élaboration d’une théorie. Ce qui en a résulté ne semblera pas particulièrement original pour un adulte, mais elle aura rendu un aspect du monde physique plus compréhensible qu'il ne l’était avant. C’est à cela qu’on s’attend de la création de connaissances scientifiques et ces élèves y sont parvenus. Dans quelle mesure cette partie de théorisation enfantine permettra-t-elle la création de connaissances subséquentes? Cela ne pourra être déterminé que par les événements ultérieurs. En gardant en tête que cet effort ne concernait pas une question essentielle, par exemple celle du fonctionnement de l’électricité, nous pouvons prédire que ‒ d’une certaine façon ‒ l’effort aura eu le mérite à tout le moins de pourvoir des concepts fonctionnels à ces jeunes apprenants (la longueur d’ondes, la réfraction de la lumière, etc.) qu’ils pourront utiliser dans leurs recherches ultérieures. En plus de cela, ce travail devrait avoir renforcé la confiance de l’enfant au sujet du phénomène supposément mystérieux qu’est la lumière. Pour des enfants de dix ans, il nous semble que cela soit suffisant pour leur reconnaître une création de connaissances authentique et bénéfique. Du savoir productif Tous les types de connaissances, à l’exception des connaissances profondément liées à un contexte, aident à acquérir des connaissances nouvelles. Cependant, certains types de connaissances sont plus utiles en ce sens que d’autres. Les mathématiques sont si puissantes à cet égard que C.P. Snow qualifie son ignorance comme étant la raison principale pour laquelle la culture littéraire intellectuelle a été isolée de la culture scientifique dans son ouvrage The Two Cultures. Mais la simple capacité à résoudre des problèmes dans des manuels d’exercices ou lors de tests ne constitue pas une connaissance mathématique suffisante au soutien de l’acquisition de connaissances théoriques dans d’autres domaines, ni même à une connaissance avancée des mathématiques. Appelons les connaissances qui sont d’une utilité significative dans l’acquisition et la création de connaissances subséquentes du savoir productif. Pour devenir productif, ce savoir doit être vécu par l’apprenant. On doit travailler avec celui-ci et l’utiliser dans différents contextes; il doit également être exploré et questionné, lié non seulement à d’autres idées explicites, mais aussi à des intuitions et des habitudes. L’acquisition de nouveaux savoirs productifs vous transforme en quelque sorte en une autre personne; vous percevez le monde un peu différemment, vos pensées sont structurées quelque peu différemment; vos intuitions et, éventuellement, vos schèmes de pensée subissent des changements. Le savoir productif est un concept utile dans l’éducation contemporaine. Il peut remplacer la notion désormais désuète de maîtrise. L’idée voulant qu’une personne puisse savoir tout ce qu’il y a à connaitre à propos d’un champ d’études n’est plus crédible depuis plusieurs siècles. L’ensemble des connaissances augmente beaucoup trop rapidement pour que l’apprentissage de celles-ci suive le rythme. Dans la pratique, la maîtrise a signifié l’apprentissage d’un contenu au programme d’un cours académique jusqu’à l’obtention d’une certaine note (communément, celle-ci est située à 80% aux examens de niveau). Cependant, il est possible d’atteindre un tel résultat sans vraiment avoir atteint la maîtrise dans un sens plus large et, ce qui nous concerne davantage à présent, sans avoir acquis de savoir productif. En mathématiques, il y a raison de conclure que, pour la plupart du monde, il y a peu de croissance du savoir productif au-delà de l’arithmétique des nombres entiers.2 L’arithmétique utilisant des nombres rationnels peut être maîtrisée jusqu’à un certain point, mais le concept de proportionnalité en tant que manière de comprendre les aspects mesurables du quotidien est ténu, si ce n’est carrément incompris. Cela rend donc l’algèbre inaccessible sauf en tant qu’ensemble de procédures inutiles.3 Des chargés de cours universitaires en mathématiques nous ont dit que cela est également vrai au sujet du calcul différentiel et intégral pour la plupart des étudiants, même après que ceux-ci aient réussi un cours d’introduction supposément très rigoureux. Dans ce numéro spécial, un article intitulé «Knowledge Building and mathematics: Shifting the responsibility for knowledge advancement and engagement » (La coélaboration de connaissances et les mathématiques : le rejet de la responsabilité de l’avancement des connaissances et de l’engagement) par Moss et Beatty fournit un compte-rendu dans lequel les étudiants font de l’algèbre « vivante », c’est-à-dire qu’ils pensent d’une manière algébrique dans des contextes variés, créant ainsi du savoir mathématique productif pour eux-mêmes. Les mathématiques ne sont toutefois que l’exemple le plus dramatique de l’échec des études à développer des savoirs productifs; on dit dramatique parce que le potentiel y est si grand et la réalité, si pathétique. Il faut dire que le savoir productif en tant que résultante est rare dans l’ensemble des programmes scolaire. Ce jugement sommaire n’est pas appuyé par des données supportant cette constatation parce qu’il n’existe pas d’instruments pour évaluer en masse le savoir productif. D’ailleurs, nous ne connaissons aucun test déjà existant à cet égard, bien que celui-ci soit concevable. Il existe toutefois une littérature imposante au sujet des idées fausses (dont un survol général est fait dans Wandersee, Mintzes et Novak, 1994; des recherches plus récentes se sont spécialisées dans l’examen des idées fausses par des sujets individuels). Cette recherche a démontré à maintes reprises que les étudiants sont capables de réussir des examens mais qu’ils 2 Nous avons - de temps à autre au cours des années - posé à des adultes instruits le problème de comment mesurer 1/7e de pied (en mesure impériale) avec une règle ordinaire graduée en seizièmes de pouce, en tant que test informel de savoirs productifs concernant les nombres rationnels. Les réponses reçues ont varié de l’incapacité totale à fournir une réponse jusqu’à l’habileté à calculer une solution en fractions décimales, par exemple 1,714, mais sans être capable d’indiquer ce point sur la règle et ce, en échouant à comprendre pourquoi 1,714 n’est pas une réponse adéquate à ce problème. Quelques personnes comprennent que la difficulté réside dans la conversion de seizièmes en septièmes, mais elles sont incapables de le faire. 3 Il existe une productivité illusoire dans le fait que le cours d’Algèbre I est nécessaire pour réussir Algèbre II, qui à sont tour pourra être essentiel pour survivre à Calcul différentiel et intégral I. Mais exception faite des quelques étudiants qui réussissent à comprendre d’eux-mêmes ce que tout cela signifie, il s’agit d’un chemin qui mène nulle part, un fait qui devient apparent si les étudiants s’aventurent dans un cours de mathématiques avancées où la compréhension est nécessaire. manquent de savoirs productifs. Il y a aussi les observations des critiques du monde de l’éducation, dont la source des données est habituellement constituée d’étudiants universitaires à qui ils ont enseigné. Mais dans ce contexte, cette source est significative parce que si les étudiants collégiaux et universitaires sont mal pourvus en savoirs productifs s’appliquant à leur apprentissage disciplinaire, cela suggère que ces mêmes conditions sont encore pires dans la population générale. Nous tenons à clarifier que nous ne suggérons pas que les écoles enseignent seulement des connaissances qu’il faut apprendre par cœur. Beaucoup de ce qui est enseigné dans les écoles est utile, parfois jusqu’au point d’en être impressionnant. Plusieurs écoles font, par les temps qui courent, la promotion d'études environnementales que les étudiants considèrent intensément significatives, au point où plusieurs d’entre eux deviendront des activistes de l’environnement ou, à tout le moins, des sympathisants de ces activistes. Mais est-ce qu’ils saisissent les concepts d’écologie et d’écosystème au point d’y trouver de nouvelles manières de comprendre les systèmes complexes du monde naturel et social? Les étudiants pourront acquérir beaucoup de connaissances significatives au sujet de l’adaptation biologique des différentes espèces de plantes et d’animaux en ne réussissant pas à acquérir une compréhension fonctionnelle du concept de la sélection naturelle au-delà de la sélection des traits individuels (par exemple, les cous longs des girafes). Cependant, la sélection naturelle est un des concepts les plus productifs jamais développés pas la science (Dennett, 1995). D’autres cas de connaissances particulièrement productives ont été identifiés en tant que « concepts structurants centraux » (Case, 1992; Case et Okamoto, 1996), des « formes épistémiques » (Collins et Ferguson, 1993) et des « schémas abstraits » (Ohlsson, 1993). Des exemples autres que ceux déjà mentionnés sont la connaissance de la causalité, la structure du récit, les probabilités et les statistiques, les concepts grammaticaux et rhétoriques, les concepts de la fonction et du modèle, l’extrapolation et l’interpolation, les types d’énergie et de force, les concepts de base en génétique, en physiologie, en culture et en dynamique des groupes. Dans tous ces cas toutefois, le savoir disciplinaire est seulement potentiellement productif et fournit uniquement des outils utiles à la création de nouvelles connaissances au moment même où les étudiants acquièrent de l’expérience en les utilisant à cette fin. De manières limitées, la connaissance qualifiée de « par cœur » peut parfois être productive. Par exemple, des procédures apprises à force de répétition pour l’utilisation d’un tableur informatique peuvent être utiles dans l’apprentissage des mathématiques, mais certainement pas aussi profitables qu’une compréhension des principes de ce programme informatique, qui rend possible une utilisation plus créative du tableur. En général, la connaissance de matières scolaires est potentiellement productive seulement dans la mesure où celle-ci est significative et comprise avec une certaine profondeur. Mais nous devons en faire davantage pour que la connaissance significative produise des progrès supplémentaires au chapitre des connaissances. Il existe différentes manières de « vivre » la nouvelle connaissance pour qu’elle devienne productive. Le discours, qu’il soit présenté sous forme d’argumentation, d’explication ou d’écriture réflexive peut y jouer un grand rôle, jumelé à l’utilisation de la connaissance dans une variété d’activités constructives, ludiques et centrées sur la résolution de problèmes. La coélaboration de connaissances peut cependant s’avérer une manière particulièrement puissante de convertir des connaissances significatives, mais inertes, en du savoir productif. Son pouvoir provient du fait que c’est en cours de coélaboration de connaissances que les personnes utilisent délibérément la connaissance pour en créer de nouvelles; c’est alors qu’elles utilisent leurs savoirs d’une manière productive. La coélaboration de connaissances À travers une très vaste gamme de problèmes, la coélaboration de connaissances en revient à la production et l’amélioration de théories. L’invention et la conception peuvent nécessiter beaucoup de peaufinage, d’essais et d’erreurs, mais il est d’une grande utilité si, en même que vous essayez de construire un avion qui vous transportera, vous élaborez une théorie sur le contrôle du vol aérien, tels que l’ont fait les frères Wright (Bereiter, 2009). D’une manière similaire, cela vous aidera si, en plus d’expérimenter des manières de conserver l’énergie, vous avez une théorie qui vous permet de calculer le coût de production énergétique total d’un sac en papier plutôt qu’un sac en plastique. L’élaboration de théories revêt cependant sa plus grande utilité lors de la résolution de problèmes de compréhension. C’est ce genre de construction de théories qui a la plus grande influence sur les objectifs majeurs de l’enseignement formel. L’échafaudage de théories par des enfants au sujet des arcs-en-ciel est un exemple de coélaboration de connaissances qui résulte en la résolution de problèmes de compréhension. Des élèves peuvent bâtir des artefacts conceptuels qu’ils aiment appeler des théories et que l’on peut qualifier à tout le moins comme étant des quasi-théories (Scardamalia et al., 2010). Typiquement, ces créations ne réussissent pas tout à fait à fournir des résultats prévisibles que l’on peut vérifier, mais les bonnes théories générées par des élèves sont confrontées aux preuves, peuvent être améliorées et l’on peut débattre ce qu’elles expliquent et ce qu’elles n’expliquent pas. Elles peuvent satisfaire aux normes de cohérence explicative (Thagard, 2000), qui incluent la cohérence interne ou logique, la cohérence avec les faits qui sont déjà acceptés et la cohérence avec d’autres théories. L’élaboration de théories ne se limite pas à la science, mais peut également jouer un rôle dans l’histoire, les sciences sociales et la littérature (Bereiter et Scardamalia, sous presse). Des explications d’événements historiques ou de l’actualité et des interprétations d’œuvres littéraires sont des théories de cas particuliers, plutôt que des théories générales et elles incluent des raisons d’agissements humains en tant qu’éléments explicatifs, mais elles sont sujettes aux mêmes critères de cohérence explicative que les théories générales. Nous pouvons dire que l’élaboration de théories est la façon la plus courante de vivre en intellectuel à l’intérieur des disciplines académiques. C’est ce qui distingue l’historien du marchand de livres et d’objets anciens, le critique littéraire du lecteur qui s’adonne à cette activité pour le plaisir et l’ornithologue de l’observateur d’oiseaux amateur. Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose de mal avec ceux qui vendent des livres ou des objets anciens, des lecteurs qui visent le divertissement ou les observateurs d’oiseaux amateurs, mais nous ne bâtissons pas des maisons d’enseignement pour les servir. Nous construisons effectivement celles-ci pour que l’on puisse y enseigner la littérature, l’histoire et la biologie. Afin que les étudiants acquièrent des savoirs productifs dans ces domaines, il n’y a rien de tel que de les occuper à des utilisations productives réelles de ces connaissances disciplinaires. Il existe plusieurs manières d’en arriver là, incluant des situations-problèmes données à résoudre par l’enseignant, des projets pratiques tels que la création de jouets ou de programmes informatiques, des œuvres d’art, des adaptations de textes et des débats. Le développement de théories joue un rôle particulier dans le sens qu’il pourvoit un chemin direct à la création de connaissances subséquentes. Coélaboration de connaissances comparé à Wikipédia En dehors du monde de l’éducation, il est relativement simple de distinguer la création de connaissances de l’apprentissage. Généralement, on ne paie pas les gens pour qu’ils apprennent (lorsque c’est le cas, c’est parce qu’ils ont été exemptés de faire leur travail habituel afin qu’ils puissent suivre un cours académique ou de formation). On paie les individus pour qu’ils réalisent un travail productif, dont une catégorie est la création de connaissances. Tout cela se complique sérieusement lorsque nous considérons la création de connaissances par des étudiants ou des élèves, puisque le travail habituel (si vous choisissez de l’appeler ainsi) de ceux-ci et de celles-ci est d’apprendre. La coélaboration de connaissances se rapproche de et finit alors par être confondue avec cette grande catégorie de pratiques éducatives que l’on nomme, dans plus d’un million des documents sur le Web, de « l’apprentissage actif » – c’est-à-dire des approches dans lesquelles les apprenants tiennent un rôle cognitif et physique proactif qui s’oppose au rôle principalement réceptif de leur propre apprentissage (Bonwell et Eison, 1991). Les wikis sont une technologie encore relativement nouvelle dans les écoles, mais ils gagnent rapidement du terrain. Ceux-ci offrent une manière facile pour les étudiants de collaborer à la production d’un document et fournissent aussi une base de discussion pour que les étudiants puissent discuter des problèmes qui sont survenus au cours de leur projet collectif. Ils ont été proclamés par certains auteurs comme étant une technologie idéale pour la coélaboration de connaissances (par exemple, par Cress et Kimmerle, 2008). Puisque des utilisations innovatrices des wikis sont toujours en émergence, nous ne commenterons pas cette manière de voir les choses. Cependant, l’utilisation la plus courante des wikis en classe semble être la production de documents semblables à ceux qui paraissent sur Wikipédia; une comparaison de cette activité à la coélaboration de connaissances est alors appropriée et s’avère donc informative. Wikipédia est plus que le compendium de type encyclopédique des sujets inscrits qui y apparaissent. Il est un ensemble complet d’organisation sociale à partir de laquelle ces inscriptions sont produites. Le processus sociocognitif qu’il représente est fondamentalement l’antithèse de la création de connaissances. Nous n’affirmons pas cela pour critiquer Wikipédia. Il s’agit plutôt pour nous d’indiquer pourquoi une comparaison entre le concept de coélaboration de connaissances et le processus emprunté par Wikipédia devrait nous aider à clarifier les caractéristiques qui sont propres à la coélaboration de connaissances. Les administrateurs de Wikipédia ont des normes de contenu bien articulées qui excluent essentiellement la création de connaissances4. Les contributeurs potentiels sont avertis de ne pas rendre compte de nouveaux travaux de recherche ou de la présentation de leurs propres idées. Les idées controversées d’une discipline doivent être rapportées en toute 4 Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:About#Wikipedia_content_criteria) impartialité. Le but de cette démarche est de représenter l’état actuel de la connaissance dans un domaine et non pas de la faire progresser. Il est encore possible, cependant, qu’une certaine forme de création de connaissances puisse émerger en cours d’élaboration d’un sujet Wikipédia. Cela pourrait arriver si un concept difficile ou contre-intuitif est présenté de telle sorte que cela le rende accessible à un plus grand nombre de personnes que les seuls spécialistes en la matière. Le concept pourrait y être centré sur une analogie nouvelle et instructive ou bien il pourrait s’agir d’une explication qui relie un concept difficile à des connaissances plus familières d’une manière qui reste fidèle à l’idée principale. Ce sont là des innovations pédagogiques. On reconnaît d’ailleurs qu’il s’agit de quelque chose qu’un enseignant passé maître dans son sujet est en mesure de faire. Une large part de ce qui est le plus saisissant dans la création de connaissances de la part d’étudiants ou d’élèves s’avère de l’invention pédagogique. Celle-ci rend les idées complexes d’un champ d’études plus accessibles aux apprenants et plus applicables aux questions à propos de lesquelles ils réfléchissent véritablement. En voici un exemple : dans une classe de 5/6e années, les élèves se sont divisés en petits groupes afin d’examiner différentes forces. Deux jeunes ont entrepris l’étude de la puissante force nucléaire. Ils ont rédigé une note de deux paragraphes qui a été consignée à une base de données accessible aux autres élèves de la classe. Le premier paragraphe y est lu comme s’il a été copié d’une encyclopédie définissant la puissante force nucléaire. Le second paragraphe y décrit des accélérateurs de particules, dont on dit qu’ils sont utilisés pour étudier la puissante force nucléaire. Le professeur y a inséré un bref commentaire disant qu’il ne comprenait pas comment l’accélérateur de particules est censé expliquer la puissante force nucléaire. Les élèves ont repris leur travail et ont éventuellement produit une note qui explique le lien. Elle se termine par l’affirmation mémorable à l’effet que lorsqu’il y a une déflagration, tout explose - sauf les atomes. Ceci montre la robustesse de la puissante force nucléaire. Il est facile de critiquer la conclusion des élèves : les molécules ne se séparent pas en général les unes des autres non plus lors d’une explosion. C’est la puissante force nucléaire qui retient le nucléus de l’atome, mais pas ses électrons. De plus, le concept lui-même a été supplanté dans la physique moderne. Néanmoins, l’assertion propose une idée qui peut avoir une influence considérable sur la manière dont on conçoit la matière. Les élèves savaient peut-être déjà que la matière solide est composée d’atomes, mais il se peut qu’ils ne conçoivent jamais la matière de cette façon. Ce faisant, c’est-à-dire en voyant les solides du monde qui les entourent comme étant décomposables jusqu’à mais non pas au-delà du niveau atomique, on leur donne un point de vue à partir de lequel la chimie, la science atomique et, finalement, l’étude de la physique moderne des particules leur deviennent conceptuellement accessibles. Ce qui jusque-là avait été marginalement compris en termes conceptuels commence à devenir du savoir productif. Bien qu’une telle compréhension ne fasse pas reculer les limites de la connaissance de ces champs d’étude, il s’agit bien d’une contribution créative à la communauté locale et, dans une forme accessible à tous ses membres. Au moment même où les réseaux de connaissances se répandent, des inventions locales de ce genre se propageront. Dans le cas présent du concept généré par ces élèves à propos de la puissante force nucléaire, qui date d’avant les guerres mondiales, celui-ci pourrait rejoindre une population beaucoup plus grande par l’entremise d’un site web social convenable. Les nouveaux échelons d’ « ouverture » qui sont présentement promus en éducation ont le potentiel non seulement de disséminer les progrès de la connaissance, mais aussi de favoriser les systèmes de rétroaction qui peuvent résulter en une amélioration des connaissances qui est encore accrue. À une certaine époque, nous étions attirés par l’idée que les étudiants, qui venaient tout justes de compléter un chapitre portant sur la coélaboration de connaissances, préparent leur base de données Knowledge Forum® afin qu’elle puisse être transmise aux élèves de l’année suivante pour qu’ils puissent eux aussi y travailler. Nous avions espéré qu’en documentant leurs progrès concernant les connaissances, tout autant que les difficultés qu’ils ont rencontrées, en plus des stratégies et les problèmes qui n’avaient pas encore été résolus, que cela aiderait les étudiants de l’année suivante à progresser encore plus, produisant un effet cumulatif semblable à ceux rencontrés dans les disciplines progressives. Ce que nous avons découvert, cependant, est que les élèves – de toute évidence craintifs de transmettre des informations naïves ou erronées ou d’avoir l’air fou aux yeux de ceux qui les suivraient – ont filtré toutes leurs idées les plus intéressantes ou les plus nouvelles et incongrues et ont produit quoi au juste... Ils ont réalisé quelque chose qui ressemblait à une copie tirée d’une encyclopédie. Cela s’est déroulé avant l’existence de Wikipédia, mais nous ne nous imaginons pas qu’un wiki aurait pu engendrer un résultat un tant soit moins décevant. Ce que les élèves ont alors oublié d’y ajouter sont leurs propres idées, leurs propres efforts en vue de la création de connaissances. Nos efforts actuels de développement de la technologie Knowledge Forum® se tournent vers l’éveil des élèves à une plus grande compréhension de la dimension prometteuse5 des idées et des manières qui leur permettent de s’élever à l’intérieur des réseaux locaux de connaissances et, même, de les dépasser. Même s’ils ont beaucoup en commun, le partage de connaissances (dans lequel excelle Wikipédia) est très différent de la création de connaissances. Cela est vrai même lorsque ces deux processus utilisent la même information et produisent des résultats qui paraissent similaires. C’est une chose que de vous casser la tête pour produire une explication cohérente d’un phénomène, en utilisant n’importe laquelle information qui semble pertinente (il s’agit là du phénomène de l’élaboration de théories). C’est une toute autre chose de réfléchir fortement afin de façonner une description intelligible d’une théorie dont vous venez de prendre connaissance. C’est une chose que de travailler à améliorer votre théorie et une autre que de fignoler votre description d’une théorie existante (tout en faisant votre possible pour ne pas déformer celle-ci). Si les wikis doivent devenir un outil de coélaboration de connaissances (contrairement au fait d’en être seulement un complément utile), ils auront besoin d’être régis par un ensemble de normes sociocognitives radicalement différentes de celles de wikipedia.org. Ces normes ont été créées dans l’intention d’optimiser le partage de connaissances et de maximiser la qualité des savoirs partagés. Mais l’optimisation de la création de connaissances exige des normes qui encouragent la résolution créative de problèmes et la perception que toute connaissance est potentiellement améliorable. 5 “Promisingness” dans le texte original anglais. Des approches apparentées Nombre de pratiques éducatives modernes s’apparentent en pensée à la coélaboration de connaissances, de telle sorte qu’on peut les utiliser en tant que parties de celle-ci. Cependant, ces pratiques ne remplissent pas, auprès des élèves ou étudiants, toutes les conditions obligatoires de la démarche d’élaboration de théories, de la production et de l’amélioration des savoirs de la communauté et de l’utilisation des médias et des moyens de participation dans des réseaux distribués qui caractérisent le travail productif dans les organisations modernes vouées à la création de connaissances. Elles partagent avec la coélaboration de connaissances un engagement à céder aux étudiants une plus grande part de contrôle en leur conférant la responsabilité non seulement de la conduite de leurs activités, mais aussi de leur essence cognitive. Celle qui s’en rapproche le plus en pensée est le constructionnisme, conçue d’après des notions piagétiennes par Papert (1991), appliquée dans Logo et mise de l’avant par ses anciens étudiants diSessa (2000), Resnick (1994) et Kafai (2006). Tout comme le mot constructionnisme le sous-entend, l’idée maîtresse en est que les étudiants doivent être des constructeurs plutôt qu’uniquement des utilisateurs d’artefacts. Papert y a inclus des théories parmi les types d’« entités publiques » que pourraient construire les étudiants: cela rendrait le constructionnisme, du moins d’un point de vue théorique, compatible avec la coélaboration de connaissances. Ce qui s’est rapproché le plus de la construction de théories a été le modelage informatique de relations quantitatives (diSessa, 2000; Wilensky & Reisman, 2006). Il s’agit d’une partie importante du travail scientifique créatif. Toutefois, dans la pratique éducative, les problèmes sont habituellement ceux qui sont posés par l’enseignant et ils ne font pas partie des efforts normaux de l’apprenant pour comprendre son univers. Les problèmes d’explication qui génèrent des efforts d’élaboration de théories par des étudiants sont ceux qui font appel à des théories qualitatives (deKleer et Brown, 1985) – des théories causales souvent de forme narrative : « La vapeur entre par ici et pousse sur le piston, qui tourne la roue et ouvre la valve de retour… », et ainsi de suite. « Learning Science by Design » (Apprendre les sciences par la conception) (Kolodner, 2006) est une autre approche s’apparentant à la coélaboration de connaissances. Comme pour le constructionnisme, elle est centrée sur la construction de choses qui fonctionnent, mais les tâches de construction représentent ici des problèmes devant être résolus : par exemple, construire une automobile-jouet qui non seulement avance, mais qui peut aussi parcourir un terrain accidenté. « Learning Science by Design » pourrait être qualifié comme étant de la coélaboration de connaissances élémentaire pour l’ingénierie. On pourrait aussi l’appeler la coélaboration de connaissances pour l’invention, excepté que pour des raisons concrètes, toutes ces activités constructionnistes pratiques nécessitent tellement de structuration préalable d’outils, de matériaux et de problèmes que la portée d’invention en est limitée, tout comme c’est le cas en ce qui concerne la prise en charge aux niveaux supérieurs par les étudiants ou que ce travail devienne le point d’appui de la vie scolaire. La « Philosophy for Children » (philosophie pour les enfants), telle qu’elle a été développée au cours des années par Lipman (1988), a pour but la transformation de la classe en une communauté de recherche philosophique dont la pensée réflexive est le principe conducteur. Une classe vouée à la coélaboration de connaissances devrait avoir cette caractéristique; les méthodes testées par Lipman pour rendre les concepts épistémologiques accessibles aux jeunes apprenants peuvent d’ailleurs s’avérer précieuses dans l’atteinte de cet objectif. La philosophie pour les enfants se distingue de la coélaboration de connaissances en ce sens qu’elle se concentre sur l’objectif philosophique traditionnel des croyances plutôt que sur la conception et la production de nouveaux savoirs. La conception6 est toutefois une idée présente à travers tous les divers travaux de Perkins (1981, 1986, 1998), qui fournissent ainsi un substrat conceptuel important pour la coélaboration de connaissances. De manière similaire, le « Galileo Educational Network » (Réseau éducatif Galilée) (http://www.galileo.org) a pour but l’enseignement en vue d’une compréhension en profondeur à travers des projets dont les assises sont la recherche et qui comportent un aspect conceptuel important. Finalement, les pratiques éducatives et de coélaboration de connaissances des « Communities of Learners » (communautés d’apprenants) (Brown et Campione, 1994) visent des résultats similaires. Les communautés d’apprenants poursuivent ces mêmes buts en empruntant la pratique d’apprenants en tant qu’enseignants plutôt que celle de participants dans une communauté d’inventeurs ou de bâtisseurs de théories. Il s’agit donc d’une pratique comparative qui peut aider à comprendre à la fois la relation qui existe entre la coélaboration de connaissances et l’apprentissage, ainsi que les différences qui les soustendent (Scardamalia et Bereiter, 2007). Les différences se manifestent dans le fait qu’au sein des communautés d’apprenants, les étudiants collaborent afin de produire des manuels scolaires destinés à l’enseignement à d’autres étudiants, tandis qu’en coélaboration de connaissances les étudiants coopèrent pour résoudre des problèmes de connaissance, en utilisant les médias pour situer des idées dans des réseaux de connaissances distribuées. Alors que la coélaboration de connaissances est apparentée à seulement un petit nombre d’autres pratiques éducatives, elle est à tout le moins compatible avec d’autres. Par exemple, des exposés magistraux, des démonstrations et des lectures dirigées peuvent avoir leur place dans un cadre de coélaboration de connaissances, bien qu’en tant que moyens subalternes plutôt que de formule principale. Il en va de même pour des problèmes donnés à résoudre par l’enseignant. Il existe des problèmes éclairants, ceux dont l’intérêt provoque la réflexion et dont il est peu probable que les étudiants y aient déjà pensé par eux-mêmes mais qui engendrent des savoirs productifs. (Les mathématiciens distinguent les énigmes mathématiques des problèmes. Dans ces énigmes, les solutions sont sans conséquences et alors, seulement le processus y est important, tandis que dans les véritables problèmes mathématiques, les solutions ont de la valeur pour l’évolution de la compréhension.) Dans le but de mieux aligner des ensembles de puissantes ressources de connaissances avec les idées puissantes des étudiants, nous travaillons avec des équipes qui construisent des environnements d’apprentissage ouverts, afin de faire de tout objet web un objet du discours de coélaboration de connaissances et, éventuellement, de créer des modèles sophistiqués visant l’utilisation constructive de sources qui font figure d’autorité (l’utilisation constructive de ces ressources est un principe de la coélaboration de connaissances — 6 Le mot original anglais employé dans le texte est design. voir à cet effet l’article « A Brief History of Knowledge Building » (Un bref historique de la coélaboration des connaissances dans le présent numéro de cette revue). Le travail sur les habiletés d’apprentissage et de réflexion pourrait également avoir sa place dans une démarche de coélaboration de connaissances, bien que si l’on permette que cela en devienne la force motrice, cela pourrait avoir pour effet de détourner ces énergies d’un travail plus essentiel. Si les étudiants se sont engagés à coélaborer des connaissances suffisamment variées, qui incluent de concocter de théories, ainsi que la conception, l’invention, la programmation et la planification et, si au cours de ce processus ils communiquent abondamment, les éducateurs doivent se demander qu’est-ce qui a été laissé de côté qui mériterait une attention particulière en termes d’habiletés de réflexion. Ainsi que le démontrent plusieurs articles dans ce numéro spécial, un large éventail d’habiletés du XXIe siècle sont des sous-produits de la coélaboration de connaissances (voir par exemple Gan, Scardamalia, Hong et Zhang dans le présent numéro de cette revue; McAuley, 2009; Moss et Beatty, présent numéro de cette revue et Sun, Zhang et Scardamalia, présent numéro de cette revue). La coélaboration de connaissances est incompatible avec les programmes d’enseignement très étendus mais superficiels, qui exigent une familiarisation rapide avec une multitude de sujets. Mais quand on y pense bien, tout le monde n’est-il pas contre cette façon de faire? La coélaboration de connaissances peut absorber une quantité d’autres pratiques éducatives en les rattachant à ce but central qu’est l’avancement de la création de connaissances de l’ensemble de la communauté. Il est beaucoup moins probable que ces autres pratiques puissent assimiler la coélaboration de connaissances, parce que cela exigerait une restructuration fondamentale de l’autre pratique de sorte à centraliser la création d’idées et leur amélioration au cœur de la vie quotidienne de la classe, plutôt qu’on en fasse de même avec les activités et les procédures. Dans cet article, nous avons tenté d’élaborer le concept de la création de connaissances de telle sorte qu’il rende plausible que des apprenants naïfs puissent créer des savoirs qui favoriseront la création de connaissances subséquentes et que les salles de classe puissent devenir des lieux de création de connaissances à part entière. La création de connaissances qui alimente la création de connaissances est une dynamique de laquelle dépendent de plus en plus les sociétés actuelles, afin qu’elles puissent composer avec des problèmes croissants (Homer-Dixon, 2006). La coélaboration de connaissances donne l’opportunité aux étudiants de faire partie intégrante de cette dynamique en tant que pratique éducative, en menant la vie de la société de l’information plutôt que de seulement s’y préparer. Références Bereiter, C. « Innovation in the absence of principled knowledge: The case of the Wright Brothers ››. Creativity and Innovation Management, vol. 18, no 3, 2009, p. 234-241. Bereiter, C. et M. Scardamalia. « Theory Building and the pursuit of understanding in history, social studies, and literature›› sous la direction de M. J. Lawson et J. R. Kirby. The Equality of Learning. New York: Cambridge University Press, en cours de publication. Bonwell, C. et J. Eison. « Active learning: Creating excitement in the classroom. ›› AEHE-ERIC Higher Education Report No. 1, Washington, D.C.: Jossey-Bass, 1991. Brown, A.L. et J.C. Campione. « Guided discovery in a community of learners›› sous la direction de K. McGilley. 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