Divines

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Divines
Dossier pédagogique Collège/Lycée — Français
Divines
un film de Houda Benyamina
Divines
Sommaire
Un film de Houda Benyamina
Dossier conçu par le site
Zérodeconduite.net.
Rédacteur en chef : Vital Philippot
Crédits et Sommaire
Rédacteurs du dossier : Philippe Leclercq
(Ciné-analyse), Florence Salé (Activités
Français)
Pour tout renseignement :
[email protected]
01 40 34 92 08
http://www.zerodeconduite.net
p. 03 | Introduction
p. 04 | Fiche technique du film
p. 05 | Ciné-analyse
p. 09 | Fiches pédagogiques
p. 09 | Avant le film
p. 10 | 1 - La Banlieue
p. 13 | 2 - L’Argent
p. 15 | 3 - L’Amour à l’envers
p. 16 | 4 - La Violence
p. 18 | 5 - Les Féminins
p. 19 | Documents
p. 23 | Corrigé des activités
NB : le corrigé des activités est
réservé aux membres du Club
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gratuite, désinscription rapide :
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Dossier pédagogique – Divines
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Introduction
D
ivines, le premier film de Houda
Benyamina, a obtenu la Caméra
d’or (qui récompense un premier
film, toutes sélections confondues) lors de la 69e édition du
Festival de Cannes.
Favorablement accueilli par la critique,
célébrant l’énergie et l’inventivité de la réalisation ainsi que le talent des comédiens,
il rencontre depuis sa sortie en salles l’enthousiasme du public, parmi lesquels de
nombreux enseignants.
Il serait dommage pour les éducateurs de
passer à côté de ce film, aussi proche des
préoccupations et des espoirs de la jeunesse d’aujourd’hui (qu’elle habite en banlieue ou pas) que riche de potentialités dans
le cadre d’un travail pédagogique. Divines
s’avère en effet aussi passionnant d’un point
de vue thématique (les rapports filles-garçons, les stéréotypes de genre, la banlieue,
les valeurs que véhicule notre société) que
cinématographique (le jeu sur le tragique et
les codes du film de gangster).
Comme c’est souvent le cas pour des films
contemporains qui ne sont ni des adaptations littéraires ni des documentaires, le film
ne rentre pas exactement dans les « cases »
des programmes scolaires. Mais il fait écho
à de nombreuses notions étudiées en Français, en EMC ou en Sciences Économiques
et Sociales, et plus généralement permet de
mener une réflexion utile à la formation de
la sensibilité et de l’esprit critique des futurs
citoyens que sont les élèves.
On a donc choisi de partir du film et de ses
qualités dans ce dossier en deux parties :
une « Ciné-analyse » pour entrer de manière
problématisée dans le film, et une proposition d’activités qui s’adresse d’abord au professeur de français mais dont chacun pourra
s’emparer dans le cadre d’un travail interdisciplinaire, au lycée comme au collège (dès
la quatrième, si l’on prend soin de préparer
les élèves à la violence du film).
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Fiche technique
Synopsis
Un film de : Houda Benyamina
Dans un ghetto où se côtoient trafics et
religion, Dounia a soif de pouvoir et de
réussite. Soutenue par Maimouna, sa meilleure amie, elle décide de suivre les traces
de Rebecca, une dealeuse respectée. Sa
rencontre avec Djigui, un jeune danseur
troublant de sensualité, va bouleverser son
quotidien.
Écrit par : Romain Compingt, Houda
Benyamina, Malik Rumeau
Avec : Oulaya Amamra, Déborah
Lukumuena, Kevin Mischel, Jisca
Kalvanda...
Année : 2016
Langue : Français
Fiche technique
Pays : France
Durée : 105 minutes
Production déléguée : Easy Tiger
Distributeur France : Diaphana
Distribution
Date de sortie en France : 31 août
2016
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Ciné-analyse
Par Philippe Leclercq, professeur de Lettres-Cinéma
Découvrir / Ciné-analyse
Avec Divines, Houda Benyamina interroge la place des femmes en banlieue,
espace géographique et social singulier. Elle construit ainsi une réflexion sur
la féminité, envisagée dans une double logique d’adaptation et de subversion
des codes masculins. La réalisatrice utilise également les ressorts de la tragédie
antique pour exprimer le déterminisme auquel sont soumises ses héroïnes, dont
la marche vers leur destin est parfois interrompue par des moments d’évasion
onirique.
Le premier long-métrage de Houda Benyamina, Caméra d’or au dernier Festival
de Cannes, est un film de scénario, très
construit, linéaire, prévisible dans ce qu’il
sous-tend de déterminisme et de clichés
sur le comportement du
jeune des quartiers. Du
jeune, en l’occurrence,
décliné au féminin, de
« la » bonhomme des
cités, à l’image accomplie
de Rebecca ou en devenir de Dounia, qui, pour
exister dans le territoire et
l’ordre des « lascars », doit
en adopter les codes et se
dépouiller de sa propre
féminité.
Chaque séquence du film est envisagée
comme une unité dramatique qui fait sens,
qui draine son lot de significations destinées à montrer le mécanisme de la colère
menant à l’affrontement et la tragédie. La
trajectoire de Dounia est alors jalonnée
d’épreuves et de coups durs, métaphorisés en contrepoint par la
danse conçue comme un
combat, et un possible
(l’art, l’amour). Un possible que le cinéma de
Benyamina refuse néanmoins à son héroïne,
gardée jusqu’au bout sur
les rails scénaristiques
en dépit de la porosité
des espaces et des multiples ouvertures réelles
ou imaginaires, portes,
murs et couloirs franchis (du théâtre, de la
mosquée, du supermarché…). Si bien que
Chaque séquence
du film est
envisagée
comme une unité
dramatique qui
fait sens, qui
draine son lot de
significations
de toutes les effractions commises par
Dounia, aucune ne donne ailleurs que sur
la délinquance qui se referme sur elle plus
sûrement que le piège de la petite vie promise par son milieu (famille, religion, école).
Du carcan à la spirale
Dounia, élève turbulente d’un lycée professionnel de banlieue (volontairement
indistincte), vit dans un ghetto social. Son
enfermement est redoublé par les limites
du bidonville où elle habite avec sa mère,
femme débauchée, et son frère travesti
(comme autre forme de fuite ? de quête
identitaire ?). Son horizon apparaît bouché.
On notera combien les cadrages laissent
peu de place à la visibilité, la représentation physique des lieux, exprimant en cela
l’absence de vision d’avenir de l’héroïne.
Ce sont ici des espaces souvent réduits au
symbole, des zones transitoires ou cadre
inconsistant d’une vie sans ancrage, à la
dérive (rue, friche, cave, couloir, supermarché, théâtre, gare, etc.). Même les lieux
d’habitation sont des endroits de passage,
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où l’on se croise.
Dounia, qui s’est éloignée de la religion
(l’imam, en figure paternelle d’un islam
apaisé, le lui reproche) et qui fuit ensuite
l’école pour ne pas se
soumettre aux « règles »
que l’institution paternaliste tente de lui imposer (le conflit initial avec
la professeure de BEP
accueil), est résolue à
s’extraire du carcan qui
l’enserre. Elle, qui ne possède rien d’autre que sa
puissante énergie, veut
tout. Et tout pour elle,
c’est la « maille », la « thune », la « money!
money! money! ». En l’absence de repères
(de père), l’argent apparaît à ses yeux
comme l’emblème de la réussite absolue (le
moyen pris pour fin et valeur). L’argent au
pouvoir tyrannique duquel elle est avide de
se soumettre, à l’opposé de sa quête émancipatrice et à l’égal des prétentions matérialistes des nantis. Or, les seuls leviers de
« réussite » ou modèles d’autorité offerts à
ses yeux sont des figures
de transgression.
Livrée à elle-même après
avoir quitté le lycée,
Dounia observe les trafics, et admire ceux qui
en détiennent les clés.
Le voyage de Rebecca
à Phuket, vu à travers
un écran d’iPad, la fait
rêver. L’argent facile circule aisément de main en
main. Le miroir aux alouettes fascine, bientôt exprimé dans la scène onirique de la
« Ferrari » et une mise en scène longtemps
vide de présences coercitives, policières
ou parentales.
Il s’agit dès lors pour Dounia, secondée
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Contrefaire le
masculin est ici
un gage d’autorité
et de respect,
une manière de
circonscrire son
territoire
par sa fidèle complice (et faire-valoir) Maimouna, d’investir le terrain et de gagner
sa part de pouvoir. Roublarde pratiquante
(le hijab pour cacher le vol de friandises et
sodas), elle passe du larcin en supermarché
à la fauche d’argent de la drogue, doublant
ainsi Samir, le « postier » de Rebecca, sur
son propre marché.
De la flambe à l’incendie
L’autorité des filles des cités se gagne, nous
l’avons dit, sur le terrain ultra-machiste des
hommes. Contrefaire le masculin est ici un
gage d’autorité et de respect, une manière
de circonscrire son territoire. Pour s’élever
et sortir de la fange où son surnom la maintient depuis toujours, la « bâtarde » doit se
durcir. Elle suit un entraînement de boxe, et
une rapide initiation lui permet de gagner
la confiance de Rebecca (mère/père de
substitution) dont elle devient la livreuse
principale.
Dans ce film sur les trafics et la flambe, tout
semble devoir s’acheter et se vendre. Rien
n’a de valeur (excepté la solide amitié qui
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Découvrir / Ciné-analyse
protectrice de la police, et qui renvoie aux
tensions qui perdurent dans certains quartiers.
L’enjeu de mise en scène qui lie ces deux
séquences à distance
fonctionne
comme un envers
et un endroit du
même conflit. La
première apparaît
comme un piège,
une manifestation
de rejet adressé
à une société qui
exclut ; la seconde
oppose les mêmes
dans une situation inversée où
les jeunes demandent une aide que les
secours leur refusent. Tous réunis dans le
même face-à-face absurde qui suscite les
mêmes effets, le même embrasement de la
rue.
Sans doute pour asséner ce discours déjà
ancien, la réalisatrice n’hésite pas à sacrifier Maimouna, le personnage le moins
[...] un visage posé
comme un point
d’interrogation
adressé aux
autorités dans leur
relation irrésolue
avec la jeunesse
des quartiers
lie Dounia à Maimouna), tout a un coût. Y
compris humain. Quand Dounia découvre
la petite affaire sexuelle entre Samir et sa
mère elle en conçoit une terrible colère,
mélange de dégoût pour l’univers de traîtrise auquel elle s’est liée et de honte pour
sa mère indigne. Doublement humiliée, la
« bâtarde » commet un acte cathartique
qui aurait pu être fondateur du nom et de
la place qu’elle cherche à se faire dans le
milieu. Or, l’incendie de voitures qu’elle
déclenche reste vain. Pire, il la sanctionne
pour sa juvénile inconséquence : Dounia
est arrêtée et désormais fichée par les services de police, séparée de sa comparse
Maimouna et rejetée par Rebecca.
Cette scène de l’incendie, qui fonctionne
en écho avec celle tragique de la fin du
film, invite le politique dans la fiction. Entre
l’acte de malveillance et le caillassage des
services de secours de la première scène
et l’incendie de la cave causant la mort
de Maimouna de la scène finale, il y a un
visage comme figure d’impuissance face
à la situation explosive des banlieues, un
visage posé comme un point d’interrogation adressé aux autorités dans leur relation
irrésolue avec la jeunesse des quartiers. Ce
visage, c’est celui navré du sapeur-pompier, interdit d’intervenir avant l’arrivée
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perverti de la bande de filles. Au milieu de
la cave et au cœur de la tragédie, fait-elle
également flamber l’argent qui brûle les
mains et les esprits des jeunes en mal de
repères, de sens, de valeurs, et qui refusent
les « règles », qui refusent de jouer les rôles
de « larbins » que la société leur assigne.
Découvrir / Ciné-analyse
De la drogue à la drague
Du haut des cintres du théâtre où elle
observe en catimini les répétitions du spectacle de Djigui, Dounia comprend intuitivement qu’une autre issue est possible. Or, ce
point de vue dominant ne va pas l’adoucir,
la civiliser, lui offrir l’envol vers les cieux
attendus (un cauchemar prémonitoire de
chute hante souvent ses nuits). Le corps
du grâcieux danseur qu’elle scrute de son
perchoir fait naître en elle un désir longtemps indompté, de crainte de faiblir. Le
crachat dont elle le couvre constitue un
acte contradictoire d’accaparement et de
rejet ; le regard qu’elle porte sur lui est viril,
prédateur (elle le « mate » comme un mec).
Les rapports entre les deux sont durablement heurtés, l’apprentissage amoureux
compliqué. Arrivée
à son terme, Dounia
réactive cependant
quelques marqueurs
de féminité (maquillage, vêtements…)
qui, nous dit la réalisatrice, ne sont
pas les signes d’une
abdication de son
héroïne face au masculin. Le lent travail
d’approche,
sorte
de parade nuptiale animale toute entière
comprise dans la scène de séduction chorégraphiée où chacun tient l’autre par les
cheveux, indique qu’elle place ses protagonistes sur le même pied d’égalité farouche.
On remarquera encore que le personnage
de femme fatale, que Dounia endosse pour
piéger le mafieux Réda, se développe sur
le double registre érotisé de la surféminité
perfide et de la masculinité ultra-violente,
emprunté à la cinématographie américaine de gangsters.
C’est à un périlleux
exercice
d’équilibrisme dramatique
entre le bien (le beau)
et le mal (comme les
deux faces d’une
même danse) auquel
se livre longtemps
Dounia. Attirée par
celui qui parvient à
sortir de sa condition par le haut (la danse
contemporaine, qui n’est sans doute pas
le moyen le plus orthodoxe pour un garçon des cités), elle reste inapte à renoncer à son appétit de l’argent. Aussi est-ce
en le lui confisquant un moment que Djigui parvient à l’approcher, à la faire littéralement redescendre sur terre, au niveau
des planches du théâtre. Contrairement à
l’opiniâtre danseur, elle ne parvient pas à
faire de son corps l’instrument d’une sublimation, d’un cheminement constructif. Le
montage alterné du spectacle de danse et
du passage à tabac de Dounia par Réda
souligne l’écart qui sépare les deux corps
rencontrés fugacement, le mouvement
vers le bas du corps fracassé de Dounia
contre le bel effort d’arrachement à l’apesanteur du danseur.
C’est à un périlleux
exercice d’équilibrisme
dramatique entre le
bien (le beau) et le
mal (comme les deux
faces d’une même
danse) auquel se livre
longtemps Dounia
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Avant le film
Analyse du titre
Avant le film
1/ Analysez le titre du film et la manière dont il apparaît à l’écran (voir photogramme ci-dessous).
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Fiche élève 1
La Banlieue : entre réalisme et mythe,
une géographie signifiante
Fiche élève 1 : La Banlieue
1/ À partir des photogrammes suivants, analysez la représentation de la banlieue dans le film.
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Fiche élève 1 : La Banlieue
2/ La banlieue, un labyrinthe : à partir des photogrammes suivants, montrez que la banlieue est un espace
labyrinthique et carcéral.
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3/ La banlieue est-elle présentée dans le film de manière uniquement négative ?
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Fiche élève 1 : La Banlieue
4/ Rêves de fuite et d’ascension sociale : à partir des photogrammes suivants, montrez que fuir la banlieue est
perçu comme le seul moyen d’ascension sociale.
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Fiche élève 2
L’Argent : entre réalisme et sacré
Fiche élève 2 : L’Argent
1/ Un manque, un désir : à partir des photogrammes montrez que l’argent est d’abord présent par son absence
qui suscite un désir d’Ailleurs.
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2/ Aliénation et danger : à partir des photogrammes, montrez que l’argent provoque une aliénation et constitue
un danger.
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3/ Idole des temps modernes : à partir des photogramme, montrez l’importance de l’argent dans la société
moderne et sa futilité.
Fiche élève 2 : L’Argent
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Fiche élève 3
L’Amour à l’envers : illusion et vérité
1/ Sexualités : remémorez-vous les passages qui traitent de la sexualité, que constatez-vous ?
Fiche élève 3 : L’Amour à l’envers
2/ Séductions : à partir des photogrammes suivants, montrez que les jeux de séduction passent par l’apparence.
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3/ Du crachat au baiser, du coup à l’étreinte : retracez le parcours sentimental de Dounia et Djigui.
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Fiche élève 4
La Violence : la métaphore renouvelée du feu
Fiche élève 4 : La Violence
1/ Contre les institutions ou contre soi ? À partir des photogrammes, analysez contre qui la violence de Dounia
s’exerce.
2/ Le renouvellement de la métaphore tragique du feu : à partir des photogrammes suivants, montrez que la
symbolique du feu parcourt le film.
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Fiche élève 4 : La Violence
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Fiche élève 5
Les Féminins : réflexion sur le genre
Fiche élève 5 : Les Féminins
1/ Jeux de rôles : à partir des photogramme, montrez que la femme est assignée à certains codes.
2/ Sororité : montrez comment la complicité entre Dounia et Maïmouna offre un dénouement tragique au film.
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Les Misérables de Victor Hugo, Quatrième partie, Livre Sixième « Le Petit Gavroche »
Extrait 1 :
Documents
Un soir que ces bises soufflaient rudement, au point que
janvier semblait revenu et que les bourgeois avaient repris les
manteaux, le petit Gavroche, toujours grelottant gaiement
sous ses loques, se tenait debout et comme en extase
devant la boutique d’un perruquier des environs de l’OrmeSaint-Gervais. Il était orné d’un châle de femme en laine,
cueilli on ne sait où , dont il s’était fait un cache-nez. Le petit
Gavroche avait l’air d’admirer profondément une mariée en
cire, décolletée et coiffée de fleurs d’oranger, qui tournait
derrière la vitre, montrant, entre deux quinquest, son sourire
aux passants ; mais en réalité il observait la boutique afin de
voir s’il ne pourrait pas « chiper » dans la devanture un pain
de savon, qu’il irait ensuite revendre un sou à un « coiffeur »
de la banlieue. Il lui arrivait souvent de déjeuner d’un de ces
pains-là. Il appelait ce genre de travail, pour lequel il avait du
talent, « faire la barbe aux barbiers ».
Extrait 2 :
Gavroche montra ses deux protégés et dit :
- Je vas coucher ces enfants-là.
- Où ça, coucher ?
- Chez moi.
- Où ça chez toi ?
- Chez moi.
- Tu loges donc ?
- Oui je loge.
- Et où loges-tu ?
- Dans l’éléphant, dit Gavroche.
Montparnasse, quoique de sa nature peu étonné, ne put retenir une exclamation :
- Dans l’éléphant!
- Eh bien oui, dans l’éléphant! Repartit Gavroche. Kekçaa ?
Ceci est encore un mot de la langue que personne n’écrit et
que tout le monde parle. Kekçaa signifie : qu’est-ce que cela
a?
L’observation profonde du gamin ramena Montparnasse au
calme et au bon sens. Il parut revenir à de meilleurs sentiments pour le logis de Gavroche.
- Au fait ! dit-il , oui l’éléphant… - y est-on bien ?
- Très bien, fit Gavroche. Là, vrai, chenûment. Il n’y a pas
de vents coulis comme sous les ponts.
- Comment y entres-tu ?
- J’entre.
- Il y a donc un trou ? demanda Montparnasse.
- Parbleu ! Mais il ne faut pas le dire. C’est entre les jambes
de devant. Les coqueurs ne l’ont pas vu.
- Et tu grimpes ? Oui, je comprends.
- Un tour de main, cric crac, c’est fait, plus personne.
Après un silence, Gavroche ajouta :
- Pour ces petits j’aurai une échelle.
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Documents
Extrait 3 :
(Livre quinzième)
Gavroche, avec son expérience des choses de ce monde,
reconnut un ivrogne.
C’était quelque commissionnaire du coin qui avait trop bu et
qui dormait trop.
- Voilà pensa Gavroche, à quoi servent les nuits d’été.
L’Auvergnat s’endort dans sa charrette. On prend la charrette pour la République et on laisse l’Auvergnat à la monarchie.
Son esprit venait d’être illuminé par la clarté que voici :
- Cette charrette ferait joliment bien sur notre barricade.
L’Auvergnat ronflait.
Gavroche tira doucement la charrette par l’arrière et l’Auvergnat par l’avant, c’est-à-dire par les pieds ; et, au bout
d’une minute, l’Auvergnat, imperturbable, reposait à plat sur
le pavé.
La charrette était délivrée.
Gavroche, habitué à faire face de toutes parts à l’imprévu,
avait toujours tout sur lui.Il fouilla dans une de ses poches et
en tira un chiffon de papier et un bout de crayon rouge chipé
à quelque charpentier.
Il écrivit : «République Française. Reçu ta charrette.» Et il
signa : «Gavroche.»
Cela fait, il mit le papier dans la poche du gilet de velours
de l’Auvergnat toujours ronflant, saisit le brancard dans ses
deux poings et partit dans la direction des halles, poussant
devant lui la charrette au grand galop avec un glorieux tapage triomphal.
Ceci était périlleux. Il y avait un poste à l’Imprimerie royale.
Gavroche n’y songeait pas. Ce poste était occupé par des
gardes nationaux de la banlieue. Un certain éveil commençait à émouvoir l’escouade et les têtes se levaient sur les
lits de camps. Deux réverbères brisés coup-sur-coup, cette
chanson chantée à tue-tête, cela était beaucoup pour des
rues si poltronnes, qui ont envie de dormir au coucher du
soleil, et qui mettent de si bonne heure leur éteignoir sur
la chandelle. Depuis une heure le gamin faisait dans cet arrondissement paisible le vacarme d’un moucheron dans une
bouteille. Le sergent de la banlieue écoutait. Il attendait.
C’était un homme prudent.
[…]
Cela dit, Gavroche s’en alla, ou, pour mieux dire, reprit vers
le lieu d’où il venait son vol d’oiseau échappé. Il se replongea
dans l’obscurité comme s’il y faisait un trou, avec la rapididté
rigide d’un projectile ; la ruelle de l’Homme-Armé redevint
silencieuse et solitaire ; en un clin d’œil, cet étrange enfant,
qui avait de l’ombre et du rêve en lui, s’était enfoncé dans la
brume de ces rangées de maisons noires, et s’y était perdu
comme de la fumée dans des ténèbres ; et l’on eût pu le
croire dissipé et évanoui, si, quelques minutes après sa disparition, une éclatante cassure de vitre et le patatras splendide d’un réverbère croulant sur le pavé n’eussent brusquement réveillé de nouveau les bourgeois indignés. C’était
Gavroche qui passait rue du Chaume.
Quelles sont les différences mais aussi les ressemblances entre Dounia et Gavroche à travers ces extraits ?
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Incendies de Wajdi Mouawad
17 - Orphelinat de Kfar Rayat
19 - Les pelouses de banlieue
Nawal : Et les enfants qui étaient ici, où sont-ils ?
Hermine Lebel : Des hommes sont arrivés en courant, ils ont
bloqué l’autobus, ils l’ont aspergé d’essence et puis d’autres
hommes sont arrivés avec des mitraillettes et…
Le médecin : Tout s’est passé très vite. Les réfugiés sont arrivés. Ils ont pris tout le monde. Même les nouveaux-nés. Tout
le monde. Ils étaient en colère.
Documents
Sawda : Pourquoi ?
Le médecin : Pour se venger. Il y a deux jours, les miliciens
ont pendu trois adolescents réfugiés qui se sont aventurés en
dehors des camps. Pourquoi les miliciens ont-ils pendu les
trois adolescents ? Parce que deux réfugiés du camp avaient
violé et tué une fille du village de Kfar Samira. Pourquoi ces
deux types ont-ils violé cette fille ? Parce que les miliciens
avaient lapidé une famille de réfugiés. Pourquoi les miliciens
l’ont-ils lapidée ? Parce que les réfugiés avaient brûlé une
maison près de la colline du thym. Pourquoi les réfugiés ontils brûlé la maison ? Pour se venger des miliciens qui avaient
détruit un puits d’eau foré par eux. Pourquoi les miliciens ont
détruit le puits ? Parce que des réfugiés avaient brûlé une
récolte du côté du fleuve au chien. Pourquoi ont-ils brûlé la
récolte ? Il y a certainement une raison, ma mémoire s’arrête
là, je ne peux pas monter plus haut, mais l’histoire peut se
poursuivre encore longtemps, de fil en aiguille, de colère en
colère, de peine en tristesse, de viol en meurtre, jusqu’au
début du monde.
Longue séquence de bruits de marteaux-piqueurs qui
couvrent entièrement la voix d’Hermile Lebel. Les arrosoirs crachent du sang et inondent tout. Jeanne s’en va.
Nawal : Sawda !
Simon : Jeanne ! Jeanne, reviens !
Nawal : J’étais dans l’autobus, Sawda, j’étais avec eux! Quand
ils nous ont arrosés d’essence j’ai hurlé : « Je ne suis pas du
camp, je en suis pas une réfugiée du camp, je suis comme
vous, je cherche mon enfant qu’ils m’ont enlevé ! » Alors ils
m’ont laissée descendre, et après, ils ont tiré, et d’un coup,
d’un coup vraiment, l’autobus a flambé, il a flambé avec tous
ceux qu’il y avait dedans, il a flambé avec les vieux, les enfants, les femmes, tout ! Une femme essayait de sortir par la
fenêtre, mais les soldats lui ont tiré dessus, et elle est restée
comme ça, à cheval sur le bord de la fenêtre, son enfant
dans ses bras au milieu du feu et sa peau a fondu, et la peau
de l’enfant a fondu et tout a fondu et tout le monde a brûlé
! Il n’y a plus de temps, Sawda. Il n’y a plus de temps. Le
temps est une poule à qui on atranché la tête, le temps court
comme un fou, à droite, à gauche, et de son cou décapité, le
sang nous inonde et nous noie.
À travers ces deux extraits d’Incendies de Wajdi Mouawad, établissez un parallèle avec le film, sur la question de la violence et du tragique.
Dossier pédagogique – Divines
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