Docs Pragmatique Hor

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Pragmatique
Master ALL Recherche : UE3 (S1) & UE1 (S3) / UE8 option « Sciences du langage »
J-C Pitavy
Semestre d’automne 2013
Langage, cognition et communication : aspects paradoxaux
Corpus d’étude n°1
Ah Sire !
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PERCEVAL
Frappe à la porte d’Arthur, qui ouvre.
KARADOC
On voulait vous parler…
PERCEVAL
C’est très important.
KARADOC
C’est capital !
Arthur referme la porte
PERCEVAL
Sire ! Sire !
KARADOC
C’est pas des conneries, faut vraiment qu’on
vous parle !
PERCEVAL
Faites pas l’con, sire, ouvrez !
ARTHUR
Ouvre.
Vous frappez encore une fois sur cette porte,
vous prenez un pain chacun !
PERCEVAL
Moi, j’serais vous, j’vous écouterais ! Non !
Moi, j’s’rais nous, je vous… si moi j’étais vous,
j’vous écouterais !
KARADOC
Non. C’est « Si moi je suis vous… », non ?
PERCEVAL
Maintenant, faut nous écouter. Parce que là on
en a gros.
KARADOC
On en a gros.
ARTHUR
Et si moi j’ai pas du tout envie de vous
écouter ?
KARADOC
Vous faites comme vous voulez…
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PERCEVAL
Ah, mais moi franchement, je s’rais nous…
non ! je s’rais vous… j’vous écout’rais…
KARADOC
Voilà !
PERCEVAL
Non, elle me fait chier cette phrase.
ARTHUR
Moi, je s’rais vous par contre, je foutrais
l’camp ! Parce que j’préfère jouer carte sur
table avec vous, là, vous êtes à deux doigts du
cachot.
PERCEVAL
Mais nous, on venait juste se plaindre, là.
ARTHUR
Oui, mais, ça change rien au cachot, ça. Vous
seriez venus m’apporter des tartines, c’est
pareil : j’ai pas envie d’voir vos tronches !
Arthur referme la porte.
PERCEVAL
Recommence à frapper.
Sire, ouvrez ! On en a gros !
KARADOC
Je vous assure, c’est pas le moment d’faire la
fine bouche.
ARTHUR
… la sourde oreille !
PERCEVAL
Quoi ?
ARTHUR
C’est pas le moment d’faire la sourde oreille !
PERCEVAL
Qu’est-ce que j’ai dit ?
ARTHUR
Vous, rien. C’est l’autre con qui a dit « C’est
pas le moment d’faire la fine bouche », dans le
contexte c’est déplacé.
PERCEVAL
On estime qu’on a droit à un entretien !
ARTHUR
Vous avez rien à estimer, barrez-vous !
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KARADOC
Vous nous utilisez bon gré, mal gré, pour
arriver sur la fin !
ARTHUR
Quoi ?
PERCEVAL
Comment quoi ?
ARTHUR
J’ai pas compris !
KARADOC
Vous nous utilisez bon gré, mal gré, pour
arriver sur la fin !
Arthur rouvre la porte.
ARTHUR
Je vous utilise bon gré, mal gré, pour arriver
sur la fin ?
KARADOC
Exactement !
PERCEVAL
C’est intolérable, sire.
ARTHUR
Je vous utilise contre votre gré, pour arriver à
mes fins.
KARADOC
Ah ouais, c’est mieux…
PERCEVAL
La tournure est plus graduelle.
ARTHUR
Plus claire ?
PERCEVAL
Plus claire, ouais !
ARTHUR
V’s avez r’marqué qu’je vous pige de mieux en
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mieux, quand même ?!
PERCEVAL
Ah ouais, c’est c’que j’étais en train d’me
dire…
KARADOC
… de plus en plus vite, en tous cas.
PERCEVAL
C’est plus filiforme…
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… plus fluide !
Ouais !
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ARTHUR
PERCEVAL
ARTHUR
Ehhh… bon ben ! j’vous écoute alors, en quoi
est-ce que « je vous utilise contre votre gré,
pour arriver à mes fins » ?
KARADOC
Merde, du coup j’suis paumé, moi…
Soupir. Arthur referme la porte.
PERCEVAL
Sire, ouvrez !
KARADOC
Ça y est, j’me rappelle pourquoi vous nous
utilisez machin truc !
PERCEVAL
Ouvrez, on en a gros !
Arthur revient et ouvre la porte énergiquement.
ARTHUR
Vous avez quinze secondes !
KARADOC
On est persuadés que vous nous utilisez pour la
Quête du Graal.
PERCEVAL
Voilà. On aurait dû commencer par là, en fait.
ARTHUR
Qu’est-ce que vous voulez dire ?
PERCEVAL
Vous, votre truc, c’est le Graal ! Ça, vous
pouvez pas dire le contraire ? Vous arrêtez pas
d’nous bassiner avec.
KARADOC
Le Graal par ci ! le Graal par là ! Le Graal par
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ci ! le Graal par là ! Le Graal par ci ! le Graal
par là ! Le Graal par ci ! le Graal par là !
PERCEVAL
Et nous, à vous entendre, on dirait qu’on est
juste là pour l’chercher…
ARTHUR
Oui, c’est vrai.
KARADOC
Ah !
PERCEVAL
C’est pour ça : on en a gros.
ARTHUR
Mais, évidemment que vous êtes là pour le
chercher, parce que si ‘y avait pas l’Graal à
chercher, vous seriez pas là ! Nous non plus,
d’ailleurs… Même Kaamelott, je l’ai construit
pour ça.
PERCEVAL
Ouais, là ‘y a l’Graal à chercher, on est là…
KARADOC
Comme par hasard…
ARTHUR
Mais, sans ça, vous seriez des bouseux.
KARADOC
Comment ça ?
ARTHUR
Oui, vous auriez une bicoque, avec trois
chèvres, comme la plupart des pégus, et c’est
tout !
PERCEVAL
Ouais, c’est une façon d’voir les choses.
Arthur referme la porte.
KARADOC
Sire ouvrez !
PERCEVAL
On en a gros !
ARTHUR
Non, mais c’est bon, j’vous utilise. Allez vous
coucher !
PERCEVAL
Comment ?
KARADOC
200
Vous nous utilisez ?
ARTHUR
Ouais, pas d’problème, j’assume. Cassez-vous !
PERCEVAL
Pour arriver à vos fins ?
ARTHUR
Ouais, ouais ! vous inquiétez pas. Je l’prends
sur moi. Foutez l’camp.
PERCEVAL
Bonne nuit, Sire !
Alexandre Astier, série télévisée Kaamelott, II, 1
« Les exploités » (2005)
Questions
— Dégager un plan possible pour l’épisode :
combien de parties peut-on proposer ?
— Que cherchent à faire les chevaliers
Perceval et Karadoc ? Comment s’y
prennent-ils ?
— Quelles expressions françaises courantes
reconnaît-on dans l’échange ?
— Parmi les expressions qu’emploient les deux
chevaliers, lesquelles sont adaptées à leur
discours ? pourquoi ?
— Comment caractériser la manière de communiquer de deux chevaliers en général, à
en juger par ce qui se dit dans cette
rencontre ?
— Comment caractériser la ou les réactions,
voire les stratégies d’Arthur ?