L`obligation faite à un accusé d`être assisté d`un

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L`obligation faite à un accusé d`être assisté d`un
Version pré-print – pour citer ce commentaire :
E. Vergès, « L’obligation faite à un accusé d’être assisté d’un défenseur et l’absence de l’avocat », obs. sous
Cass. crim. 31 mars 2005, Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2005-4, p. 972
L’obligation faite à l’accusé d’être assisté par un défenseur et l’absence de l’avocat
Cass. crim. 31 mars 2005, bull., n°114
L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 31 mars 2005 met en valeur un autre aspect de l’article 6§3 c) de la
Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel tout accusé a le droit de bénéficier de l’assistance du
défenseur de son choix.
En l’espèce, un accusé comparaissait devant une Cour d’assises pour tentative de meurtre et vol avec armes
commis en état de récidive. Un mois avant l’audience, l’accusé n’avait pas choisi d’avocat. Conformément à l’article
317 CPP, lequel prévoit que « la présence d’un défenseur auprès de l’accusé est obligatoire », le président de la Cour d’assises en
désigna un d’office. L’avocat commis reçut une copie du dossier et eut l’occasion de rencontrer l’accusé. Cependant,
entre la commission d’office et le jour de l’audience, l’accusé choisit un autre avocat. Au jour de l’ouverture des
débats, les choses allaient encore se compliquer, puisque l’avocat commis d’office était présent, l’avocat choisi par
l’accusé était absent et un troisième avocat s’était substitué au deuxième pour demander le renvoi de l’audience. Le
président de la Cour d’assises prit alors la décision de renouveler la commission d’office au profit du premier avocat
et de rejeter corrélativement la demande de renvoi. Cette décision était motivée par la nécessité de juger l’affaire dans
un délai raisonnable et par la présence d’autres co-accusés dont le choix du défenseur n’avait pas posé de difficulté.
Condamné à vingt-cinq années de réclusion criminelle, l’accusé forma un pourvoi en cassation. Il invoquait,
parmi différents moyens, le fait que les dispositions de l’article 317 du Code de procédure pénale, qui autorisent le
président de la Cour d’assises à commettre un avocat d’office, étaient contraires à l’art. 6§3 c) de la Conv. EDH d’où
il résulte que l’accusé a le droit d’être assisté par le défenseur de son choix.
Le pourvoi fut rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation au motif que « si l’article 6.3.c de ladite
Convention reconnaît à l’accusé le droit à l’assistance d’un défenseur de son choix, la nécessité d’assurer la continuité de la justice et celle de
permettre le jugement des accusés dans un délai raisonnable justifient qu’en l’absence du défenseur choisi, le président de la cour d’assises en
commette un d’office ».
Cet arrêt se trouve dans la continuité d’une jurisprudence bien établie, qui permet à la Cour de cassation
d’encadrer de façon assez stricte la mise en œuvre de la liberté de choix de l’avocat par la personne poursuivie en se
fondant sur le motif d’une bonne administration de la justice. Dans un arrêt du 5 décembre 1990 1, la Cour de
cassation avait à juger d’une affaire similaire. Un avocat désigné tardivement avait demandé le renvoi d’une audience
de Cour d’assises, car il ne pouvait être présent le jour des débats. La demande avait été rejetée par le président de la
juridiction qui avait fait usage de son pouvoir de commission d’office. Se fondant sur la nécessité d’assurer la
continuité du cours de la justice et celle de permettre le jugement des accusés dans un délai raisonnable, la Cour de
cassation a considéré que l’absence du défenseur choisi par l’accusé n’entraînait pas le renvoi automatique de l’affaire.
Une solution identique a été retenue en matière correctionnelle, alors que l’assistance par un défenseur relève d’une
simple faculté. La chambre criminelle a pu juger, le 17 janvier 1996 2, que le renvoi de l’affaire ne s’imposait pas
malgré l’absence du défenseur.
Dans ces trois arrêts, le juge répressif devait arbitrer entre deux impératifs posés par la Conv. EDH : d’une
part, le droit d’être assisté par le défenseur de son choix, droit qui repose sur la nécessaire relation de confiance entre
la personne poursuivie et son défenseur ; d’autre part, la nécessité de juger l’affaire dans un délai raisonnable.
Principe de célérité et droits de la défense se confrontaient ainsi plaçant le juge face à un choix délicat : déroger à une
règle posée par l’article 6§3 de la Conv. EDH pour satisfaire à un principe posé par l’article 6§1.
Pour trancher la contestation, il faut se référer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme. Dans un arrêt Croissant c. Allemagne du 28 août 1992 3, la CEDH a considéré que la liberté de choix du
défenseur ne revêtait pas un caractère absolu. Les juridictions nationales peuvent passer outre « s'il existe des motifs
pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent » (§29). Parmi les motifs pertinents qui correspondent
à l’intérêt de la justice, la Cour européenne évoque la nécessité d’éviter les interruptions et ajournements d’audience.
En d’autres termes, la recherche d’une certaine célérité peut motiver le choix de juger un prévenu en l’absence de son
avocat, ou, comme dans l’arrêt étudié, de désigner d’office un avocat contre la volonté de l’accusé.
1
Cass. crim. 5 déc. 1990, bull, n°419
2
Cass. crim. 17 janv. 1996, bull, n°29, Procédures 1996, Com. n°192, obs. J. Buisson.
3
CEDH, Croissant c. Allemagne, 28 août 1992, n° 13611/88.
Ainsi, une fois n’est pas coutume, les restrictions apportées par le juge interne à l’exercice des droits
fondamentaux reconnus par la Conv. EDH trouvent un écho favorable dans la jurisprudence de la CEDH. L’arrêt
commenté montre aussi et surtout que les droits fondamentaux de l’accusé peuvent se contredire, obligeant le juge
pénal à trouver la voix d’un compromis, qui dépasse le traditionnel conflit entre droits individuels et intérêt de la
société.
Etienne Vergès