Dès 5 ans, les filles rejettent l`obésité

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Dès 5 ans, les filles rejettent l`obésité
Enfance
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Dès 5 ans, les lles rejettent l’obésité
Françoise Askevis-Leherpeux et Loris T. Schiaratura
Enfance / Volume 2009 / Issue 02 / June 2009, pp 241 - 256
DOI: 10.4074/S0013754509002067, Published online: 10 July 2009
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Françoise Askevis-Leherpeux et Loris T. Schiaratura (2009). Dès 5 ans, les lles
rejettent l’obésité. Enfance, 2009, pp 241-256 doi:10.4074/S0013754509002067
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Dès 5 ans, les filles rejettent l’obésité
Françoise ASKEVIS-LEHERPEUX* et Loris
T. SCHIARATURA**
RÉSUMÉ
Cette étude avait pour objectif majeur de tester l’hypothèse d’une
asymétrie de genre dans la stigmatisation de l’obésité chez des jeunes
enfants. Elle avait aussi pour objectif de tester si, dès ce jeune âge,
l’obésité est associée à une perception de responsabilité (perception
des causes) et de contrôlabilité (perception des solutions).
On a demandé à des filles et des garçons, âgés de 5 et 6 ans, de
ranger par ordre de préférence décroissante six dessins représentant
des filles et des garçons variant en corpulence (maigre, obèse et
intermédiaire). Puis on leur a demandé de répondre à un questionnaire
mesurant leurs perceptions des causes et des solutions.
Les résultats confirment que le rejet des enfants obèses, de même
sexe ou de sexe opposé, est plus marqué de la part des filles que des
garçons. Ils montrent également que, si garçons et filles penchent vers
des explications internes de l’obésité, seules les filles soulignent que
l’obésité est contrôlable. Elles ajoutent que faire du sport peut être une
solution efficace.
Ainsi, dès ce très jeune âge, la stigmatisation de l’obésité traduit
une asymétrie de la catégorisation de genre. Les filles, particulièrement
sévères à l’égard de leurs pairs obèses, pensent que l’obésité peut se
maîtriser et semblent avoir internalisé les standards normatifs de la
beauté féminine.
MOTS CLÉS : STIGMATISATION, OBÉSITÉ, GENRE, ASYMÉTRIE, RESPONSABILITÉ, CONTRÔLABILITÉ
*Toute correspondance est à adresser à Françoise Askevis-Leherpeux, Université Lille Nord
de France, Laboratoire PSITEC, Domaine Universitaire du Pont de Bois, 59653 Villeneuve d’Ascq
Cedex, France, e-mail : [email protected]
**Université Lille Nord de France, Laboratoire PSITEC
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Françoise ASKEVIS-LEHERPEUX, Loris T. SCHIARATURA
ABSTRACT
As early as 5 year old, girls stigmatise overweight
The major aim of this study was to test gender asymmetry of body-size
stigmatisation in preschool children. It also examined to what extent
very young children associate overweight with responsibility (cause
perception) and controllability (solution perception).
Five and six year-old boys and girls were asked to rank six drawings
differing in terms of gender (girls vs. boys) and body size (thin, obese, and
average-size). They were then asked to answer a questionnaire measuring
perceived causes and solutions.
Results first confirmed that either male or female obese children
were more rejected by girls than by boys. They also revealed that both
girls and boys associated overweight with internal causes, but only girls
thought that overweight is controllable, suggesting that doing sport may
be appropriate to overcome overweight. Thus, even at a very young age,
over-weight stigmatisation is biased by gender category asymmetry. Girls
are especially severe against overweight peers. They think that overweight
is controllable and seem to have internalized normative standards of
feminine beauty.
KEY-WORDS: STIGMATISATION, OBESITY, GENDER, ASYMMETRY, RESPONSIBILITY, CONTROLLABILITY
Dès 5 ans, les filles rejettent l’obésité
L’OMS considère l’obésité comme une priorité en matière de pathologie
nutritionnelle. Aujourd’hui, c’est plus de 10 % de la population adulte française
qui souffre d’obésité. C’est le cas d’un enfant sur six, une obésité installée dès
l’enfance augmentant la morbidité à l’âge adulte.
À ce problème de santé publique, s’ajoutent des souffrances individuelles
résultant de la stigmatisation de l’obésité. En effet, en dépit de sa prévalence
croissante dans la population et donc d’une certaine banalisation fréquentielle,
l’obésité reste une des « déviances » les plus stigmatisantes. De nombreux
travaux de sociologie ont ainsi montré que cette stigmatisation se traduit par des
difficultés d’accès à l’enseignement supérieur et à des postes de haut niveau, et,
pour les filles, par une moindre probabilité de se marier, en particulier de faire des
mariages ascendants (voir par exemple, McClean & Moon, 1980 ; Matusewich,
1983 ; Pearce, Boergers, & Prinstein, 2002 ; ou, en France, Poulain, 2001). La
raison de cette forte stigmatisation tient entre autres choses à la perception
que l’obésité est contrôlable. Or, cette perception est partagée par la majorité
des personnes obèses elles-mêmes. Il en découle que certaines stratégies de
coping, comme le fait de rejeter ses difficultés et échecs sur la discrimination
d’autrui, n’ont, du moins auprès des femmes, pas l’effet protecteur habituel.
En effet, les femmes obèses se sentent souvent responsables de leur stigmate
et estiment qu’être rejetées sur la base de leur corpulence est justifié. Elles ont
en conséquence une mauvaise estime de soi, ce qui n’est pas le cas de tous les
groupes stigmatisés (Crocker & Major, 1989), et risquent alors de manifester des
symptômes de dépression et de résignation acquise (Crocker, Cornwell, & Major,
1993 ; Rousseau, Barbe, & Chabrol, 2003).
Cependant, la plupart des études portent sur les personnes obèses de sexe
féminin. Certes, on sait que le surpoids est culturellement mieux accepté chez
les hommes, que sa distribution socio-économique n’est pas la même chez les
uns et les autres, et que la stigmatisation est plus forte à l’égard des femmes qu’à
celui des hommes (Poulain, 2002). De plus, les critères de beauté et d’esthétique
ne sont pas les mêmes chez les femmes que chez les hommes et les hommes
accordent moins d’importance à l’apparence physique que les femmes (Amadieu,
2002 ; Pliner, Cornwell, & Major, 1990). Mais, si le lien entre surpoids et estime
de soi est moins fort chez les hommes que chez les femmes (Miller & Downey,
1999), il existe aussi chez les hommes. Enfin, si c’est sans doute sous des formes
différentes, la stigmatisation à l’égard des hommes existe et, comme à l’égard des
femmes, s’installe dès le plus jeune âge.
DÈS L’ENFANCE
Même si le lien entre obésité et estime de soi augmente avec l’âge, il n’est pas
absent chez l’enfant : dès 7 ans, les enfants obèses sont plus déprimés et ont un
plus mauvais concept de soi que les enfants normo-pondéraux (Strauss, Smith,
Frame, & Forehand, 1985). Ce dernier résultat suggère que si les enfants sont
déjà touchés par l’obésité et ont déjà une estime de soi qui en souffre, alors
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ils doivent également être stigmatisés. C’est effectivement à ce constat, proche
de celui dressé chez les adultes, que conduisent les études, pour la plupart
anglo-saxonnes, menées sur la question. Nous ne mentionnerons que quelques
aspects de ce tableau. Dès l’enfance, la stigmatisation s’observe déjà au niveau
sociétal et familial : les enfants obèses sont moins souvent acceptés dans les
collèges prestigieux, leurs parents leur paient moins d’études et les jugent moins
compétents (Pearce et al., 2002). Les rares études sociométriques menées en
milieu scolaire montrent que les enfants obèses sont rejetés par leurs pairs. Ce
rejet des pairs obèses s’inscrit dans la tendance générale à rejeter d’autant plus
ceux qui « dévient » de la norme qu’on les pense responsables de leur déviance
(Juvonen, 1991). En fait, les enfants obèses semblent avoir autant d’amis proches,
mais être, en dehors de ce cercle fermé, plus rejetés que les autres (Strauss
et al., 1985). Par ailleurs, dès l’âge de 4 ans, on observe des attitudes et des
stéréotypes « anti-gros », même de la part d’enfants qui eux-mêmes souffrent
de surpoids (Cramer & Steinwert, 1998 ; Lerner & Korn, 1972 ; Richardson,
Hastorf, Goodman, & Dornsbusch, 1961 ; Staffieri, 1967). Ceci suggère
que, très tôt, les enfants internalisent l’image négative que les autres ont de
l’obésité.
Comme chez l’adulte (Weiner, Perry, & Magnusson, 1998), ces préjugés et
stéréotypes vont de pair avec une attribution de responsabilité et de contrôlabilité
(Sigelman & Begley, 1987 ; Tiggemann & Anesbury, 2000), et ce dès l’âge de
4 ans (Muscher-Einzman, Holub, Miller, Goldstein, & Edwards-Leeper, 2002).
D’ailleurs, on observe aussi des attitudes négatives à l’égard des « minces » ou des
« maigres », mais moins fortes et associées à la maladie, donc à un moins grand
contrôle. Cependant, et toujours comme chez l’adulte, informer sur l’absence de
responsabilité et de contrôlabilité ne suffit généralement pas à faire changer les
attitudes et les stéréotypes à l’égard des obèses (Bell & Morgan, 2000).
Enfin, les rares études prenant en considération l’appartenance de genre des
enfants montrent une asymétrie catégorielle (pour une revue, voir, par exemple,
Tang-Péronard & Heitmann, 2008). Par exemple, Pearce et al. (2002) constatent
chez des adolescents que l’obésité ne conduit pas au même type de victimisation.
Alors que les garçons sont plutôt victimes d’agressions physiques et d’insultes,
l’obésité des filles leur vaut plutôt d’être écartées des activités sociales, leurs pairs
refusant de leur parler ou de s’asseoir à côté d’elles. Dans une étude menée auprès
de plus jeunes, Latner & Stunkard (2003) présentent à des filles et des garçons
des cibles fictives du même sexe qu’eux et avec différents handicaps. Selon
une procédure fréquemment utilisée, et que nous reprenons ici, ils demandent
aux enfants de ranger les différentes cibles par ordre décroissant de préférence
amicale. Ils observent que garçons et filles attribuent le plus mauvais rang à
l’enfant obèse, mais que les filles lui attribuent un rang encore plus mauvais
que les garçons. De façon plus générale, les filles rejettent principalement ce
qui est lié à l’apparence esthétique et les garçons ce qui relève d’un handicap
fonctionnel.
Dès 5 ans, les filles rejettent l’obésité
OBJECTIFS
La majorité des travaux sur la stigmatisation des personnes obèses ont été faits
aux États-Unis. Or, si les processus psychologiques sous-jacents au phénomène
de stigmatisation valent sans doute de part et d’autre de l’Atlantique, les
déterminants sociaux de l’obésité, tels que l’âge ou le sexe, n’ont pas la même
incidence aux États-Unis qu’en France (voir, par exemple, Régnier, 2004). De
plus, seul un petit nombre de ces travaux s’est penché sur la question de
l’asymétrie de genre, en particulier chez les jeunes enfants.
La présente étude est donc, à notre connaissance, la première à tester
en France l’hypothèse d’asymétrie chez des jeunes enfants. Plus précisément,
demandant à des enfants de 5 et 6 ans, filles et garçons, de ranger par
ordre décroissant de préférence amicale des dessins représentant des filles et
des garçons variant en corpulence (maigre, normale, obèse), nous faisons les
hypothèses suivantes :
1. garçons et filles manifesteront une préférence pour les enfants de même sexe
qu’eux, d’abord de corpulence normale puis maigres ;
2. cependant, le rejet des obèses, de même sexe ou de sexe opposé, sera plus
marqué de la part des filles que des garçons.
L’étude a aussi pour objectif de tester si, dès ce jeune âge, l’obésité est associée
à une perception de contrôle. Nous y ajoutons la distinction souvent négligée
dans la littérature sur la stigmatisation (Amirkham, 1998) entre la responsabilité
du stigmate, c’est-à-dire la perception des causes (pourquoi il/elle est obèse ?), et
sa contrôlabilité, c’est-à-dire la perception des solutions (est-ce qu’il/elle pourrait
faire changer les choses ?). Cependant, sachant que le lien entre croyances et
intentions comportementales est loin d’être direct (voir, par exemple, Anusbery &
Tigeman, 2000, ou Bell & Morgan, 2000), aucune hypothèse n’est avancée
concernant le lien entre les deux classes de mesures.
MÉTHODE
Participants
Soixante-quinze enfants de grande section de maternelle (5 - 6 ans), scolarisés
dans le nord de la France dans des établissements classés « zone d’enseignement
prioritaire », dont 37 garçons et 38 filles, ont pris part à l’étude (âge moyen = 5,30
ans). Ils étaient de milieu socio-économique modeste (parents mineurs, ouvriers
ou employés) et en grande partie d’origine européenne (45 %) ou maghrébine
(40 %). Deux institutrices, en formation de Psychologue Scolaire, ont assuré
les passations. Seules deux filles ont été, sur des critères visuels, considérées par
les expérimentatrices comme souffrant de surpoids. La variable « corpulence de
l’enfant » n’a donc pas été prise en compte par la suite.
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Matériel
Dessins - cibles
Le matériel était composé de 3 séries de 6 dessins stylisés en noir et blanc
(6 cm x 14 cm), composés par un dessinateur professionnel. Les dessins, collés
chacun sur un support aimanté, étaient homogènes du point de vue de la taille
et de l’habillement, et la forme du visage était ajustée à la corpulence. Les 6
dessins d’une même série variaient selon le genre et la corpulence : maigre (visage
émacié, corps filiforme, membres décharnés), obèse (visage joufflu, ventre rond
et membres larges) et normale (profil intermédiaire). Les 3 séries (voir exemple
en figure 1) différaient par le type de visage associé à chacune des corpulences.
Ainsi, sur l’ensemble des dessins, les trois enfants obèses d’un même sexe avaient
un visage qui leur était spécifique et, sur l’ensemble des passations, chacune trois
des corpulences était associée à chacun des trois visages.
Questionnaire de croyances
Une série de 8 questions fermées1 , pré testées auprès de 8 enfants du même
âge que ceux ayant participé à l’étude (5 garçons et 3 filles), a été retenue (voir
Annexe I). Six portaient sur la responsabilité (perception des causes : 4 internes
et 2 externes) et 2 sur la contrôlabilité (perception des solutions : 2 contrôlables).
En accord avec des études du même type menées d’enfants également jeunes,
une première étape consistait à proposer de répondre « oui », « non », « je ne sais
pas », puis en cas de réponse oui ou non, de préciser si c’était « un petit peu » oui
ou non, ou « beaucoup » oui ou non. Les réponses ont été codées de 1 (beaucoup
non) à 5 (beaucoup oui), 3 représentant l’incertitude.
Procédure
L’étude s’est déroulée sur 3 semaines. Seuls ont participé des enfants volontaires
et dont les parents avaient signé un consentement.
L’enfant était installé au calme dans une pièce, face à l’expérimentatrice et,
devant un tableau aimanté.
La première tâche consistait à ranger par ordre de préférence décroissante, et
sans remise, les enfants représentés sur les dessins. La consigne initiale, « avec
lequel de ces enfants tu préférerais jouer ? », était répétée jusqu’à épuisement de
la série. Le rang 1 était attribué à l’enfant désigné en premier, puis le rang 2, etc.,
jusqu’au rang 6 pour le dernier. Une fois un dessin choisi, il était retiré, de sorte
que les choix se faisaient sans remise.
1 La préférence pour des questions fermées s’appuie sur le fait que les enfants de cet âge ont
certaines difficultés à traduire leurs conceptions en réponse à des questions ouvertes (voir, par
exemple, Sigelman & Begley, 1983).
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Figure 1.
Série de 6 dessins.
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Après une question d’auto-perception (à qui tu ressembles ?), venait le
questionnaire de croyances, qui était amorcé par l’identification d’un enfant obèse
(qui est gros dans ces dessins ?)2 .
À l’issue de la passation, d’une durée moyenne de 10 minutes, l’enfant était
remercié et ramené dans sa classe.
RÉSULTATS
Préférences et rejets
La procédure consistant à choisir le dessin préféré (rang 1), puis, sans remise,
celui qui vient après (rang 2), et ainsi de suite jusqu’au rang 6, la structure des
données ne permet que deux types d’analyses : la description des rangs moyens
et la comparaison des patterns de réponses individuels3 .
Les rangs moyens associés à chacun des dessins cibles (tableau 1) confirment
une préférence pour les enfants de même sexe normo-pondéraux (2,07) puis
maigres (2,48). Ces préférences valent à la fois pour les garçons et les filles4 .
L’analyse des patterns individuels confirme la préférence pour les pairs de
même sexe, normo-pondéraux puis maigres. Les premiers choix s’orientent
préférentiellement vers les pairs de même sexe normo-pondéraux (51 %) ou
maigres (32 %), aussi bien de la part des filles (au total 89 %) que de celle des
garçons (76 %), χ 2 (1) = 2,95, ns. Les seconds choix se portent préférentiellement
vers les pairs de même sexe maigres (30 %) puis normo-pondéraux (17 %), aussi
bien de la part de filles (au total 39 %) que des garçons (54 %), χ 2 (1) = 1,74, ns.
Ces premiers résultats soulignent un certain consensus des filles et des garçons
dans le choix préférentiel d’un pair de même sexe de corpulence normale puis
maigre.
Cependant, un désaccord entre garçons et filles s’observe au niveau du dessin
rangé en moyenne à la suite des pairs de même sexe, normo-pondéraux ou
maigres. Alors que, en moyenne, les filles placent ensuite le garçon de corpulence
normal, les garçons placent le garçon obèse. Ceci suggère que le « sort » attribué
à l’enfant obèse de même sexe n’est pas le même pour les garçons et les filles,
et que les filles rejettent plus la fille obèse que les garçons ne rejettent le garçon
obèse. Ce constat est confirmé en associant à l’enfant obèse de même sexe un
score de rejet égal à la différence entre le rang qui lui est associé et le rang 3,
c’est-à-dire le rang qui lui serait attribué si les choix intrasexe étaient guidés par
2 La plupart des enfants (91 %) ont dit ressembler le plus à l’enfant de même sexe, normopondéral ou maigre. Tous les enfants ont correctement répondu à la question d’identification.
3 Les rangs étant attribués sans remise, les six évaluations sont contraintes. Ainsi, une fois que
le rang « 1 » est attribué à un dessin, il n’est plus disponible pour les suivants de sorte la variance
intra-sujet des six évaluations est par définition constante. Ces contraintes, communes à toutes
les études dans lesquelles il s’agit de ranger des stimuli, interdisent de soumettre les rangs à une
ANOVA à 3 facteurs (sexe de participants, sexe de la cible, corpulence de la cible), avec mesures
répétées sur les deux derniers.
4 On s’est assuré que ces rangements ne dépendaient pas de l’origine ethnique des enfants.
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4,05 (1,39)
Garçons
4,62 (1,42)
2,47 (1,55)
Note : plus le rang est faible, plus la préférence est forte.
1,95 (1,23)
Filles
4,34 (1,37)
4,12 (1,37)
2,17 (1,44)
3,67 (1,39)
Normal
Obèse
Normale
Maigre
Garçon
Fille
Dessin - Cible
2,51 (1,50)
4,30 (1,47)
Maigre
Tableau I.
Rang moyen (et écart type) de chaque dessin - cible, en fonction du sexe des participants.
3,28 (1,43)
4,49 (1,52)
Obèse
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la corpulence. Ainsi, plus le score est élevé, plus l’enfant obèse de même sexe est
rejeté. L’analyse montre que ce score est plus élevé chez les filles (M = 1,13) que
chez les garçons (M = 0,30), t(37) = 5,05, p < 0,001. Cette différence se confirme
par l’examen du pourcentage d’enfants attribuant au pair obèse de même sexe un
rang supérieur à 3, qui est plus élevé chez les filles (66 %) que chez les garçons
(41 %), χ 2 (1) = 4,80, p < 0,001.
Si l’enfant obèse de même sexe est plus rejeté par les filles que par les garçons,
cette asymétrie vaut-elle également pour les enfants obèses du sexe opposé ?
L’analyse du pourcentage d’enfants plaçant l’enfant obèse, de même sexe et
de sexe opposé, en dernier ou avant dernier rang confirme et étend le constat
d’asymétrie (figure 2).
80
%
60
60
54
45
filles
40
27
garçons
20
0
fille obèse
garçon obèse
Figure 2.
Pourcentages de filles et de garçons plaçant l’enfant obèse de même
sexe et de sexe opposé en dernier ou avant-dernier rang.
Les résultats confirment d’abord que le rejet des enfants obèses de même sexe
est plus marqué de la part des filles que des garçons (45 % vs 27 %), χ 2 (1) = 2,66,
p < 0,05, confirmant l’asymétrie relevée dans l’analyse précédente. De plus, la
fille obèse est autant rejetée par les filles (45 %) que par les garçons (54 %),
χ 2 (1) = 0,41 ns, mais le garçon obèse est moins rejeté par les garçons (27 %)
que par les filles (60 %), χ 2 (1) = 8,54, p < 0,01. Les garçons rejettent
d’ailleurs moins le garçon obèse (27 %) que la fille obèse (54 %), χ 2 (1) = 5,12,
p < 0,05.
Croyances
Les résultats (voir tableau 2) ont été soumis à deux analyses (t de Student) :
comparaison du degré d’adhésion des garçons et des filles et comparaison de
leur degré d’adhésion respectif au point central de l’échelle (incertitude).
Ils montrent que filles et garçons s’accordent sur la perception des causes
(responsabilité) mais pas sur celles des solutions (contrôlabilité).
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Tableau II.
Perception moyenne (et écarts types) des causes, internes et externes,
et des solutions, en fonction du sexe des participants
Filles
Garçons
Moyenne
Exprès
2,84a (1,53)
3,30a (1,63)
3,07 (1,59)
Faute
3,53a (1,55)*
2,78a (1,25)
3,45 (1,63)*
Trop manger
4,31a (1,09)***
4,21a (1,22)***
4,26 (1,15)***
Pas assez de sport
3,37a (1,63)
3,30a (1,47)
3,33 (1,55)
Maladie
2,57a (1,62)
2,48a (1,48)*
2,53 (1,54)*
Parents
3,00a (1,52)
2,81a (1,60)
2,90 (1,55)
Attention
3,74a (1,46)**
2,86b (1,69)
3,31 (1,63)
Volonté
3,63a (1,38)**
2,62b (1,57)
3,13 (1,55)
Causes internes
Causes externes
Solutions
Notes :
1. les valeurs moyennes accompagnées d’astérisques diffèrent de la valeur centrale de l’échelle (3)
à un seuil inférieur à 0,05 (*) 0,01 (**), ou 0,001 (***).
2. Deux moyennes munies d’un indice différent sur une même ligne diffèrent à un seuil inférieur à
0,05
Responsabilité : perception des causes
Les réponses des filles ne diffèrent de celles des garçons sur aucun des items.
L’analyse, limitée aux items pour lesquels la moyenne globale est différente du
point central de l’échelle (3) à un seuil inférieur à 0,05, montre que, pour la moitié
des items, les enfants privilégient la causalité interne. Non, être gros, ce n’est pas
une maladie (M = 2,53). Si certains enfants sont gros, c’est leur faute (M = 3,45),
et c’est surtout, parce qu’ils mangent trop (M = 4,26).
Contrôlabilité : perception des solutions
Les réponses aux deux items montrent une différence entre filles et garçons.
Alors que celles des garçons ne diffèrent pas du point central de l’échelle, celles
des filles s’en écartent significativement et diffèrent de celles des garçons. Les
filles ont tendance à penser que, oui, si un enfant obèse fait attention, il peut
maigrir (M = 3,74 vs. M = 2,86, t (74) = 2,39, p < 0,05), et que, oui, s’il le veut, il
peut devenir mince (M = 3,63 vs. M = 2,62, t(74) = 2,96, p < 0,01).
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Corrélations
L’analyse des corrélations entre l’adhésion aux différents items de croyance et
le rang attribué à l’enfant obèse de même sexe ou de sexe opposé montre des
résultats significatifs seulement pour les filles. Elles rejettent d’autant plus le
garçon obèse qu’elles pensent que si certains enfants sont gros, c’est parce qu’ils
mangent trop, r(37) = 0,37, p < 0,05, et elles rejettent d’autant plus la fille obèse
qu’elles pensent que si certains enfants sont gros, c’est parce qu’ils ne font pas
assez de sport, r(37) = 0,36, p < 0,05.
DISCUSSION
L’objectif majeur de cette étude était de tester, dans un contexte français,
l’hypothèse d’asymétrie de genre dans la stigmatisation de l’obésité chez des
jeunes enfants. Plus précisément, on demandait à des filles et des garçons,
âgé(e)s de 5 et 6 ans, de ranger par ordre de préférence décroissante six dessins
représentant des filles et des garçons variant en corpulence.
Nous faisions l’hypothèse que garçons et filles s’accorderaient sur une
préférence pour les enfants de même sexe, d’abord de corpulence normale puis
maigres, mais que le rejet des enfants obèses, de même sexe ou de sexe opposé,
serait plus marqué de la part des filles que des garçons. L’étude avait aussi pour
objectif de tester si, dès ce jeune âge, l’obésité est associée à une perception
de responsabilité (perception des causes) et de contrôlabilité (perception des
solutions).
Les résultats confirment la tendance commune des garçons et des filles à
préférer un pair de même sexe de corpulence normale puis maigre. Ils suggèrent
ainsi de façon positive que l’esthétique du filiforme n’attire ni les uns ni les
autres.
Ils confirment aussi l’hypothèse d’asymétrie catégorielle dans le rejet de
l’obésité. D’abord, le sort attribué à l’enfant obèse de même sexe n’est pas le
même pour les filles et les garçons. Comme dans l’étude de Latner & Stunkard
(2003), les filles rejettent plus la fille obèse que les garçons ne rejettent le garçon
obèse. De plus, cette asymétrie s’étend aux choix concernant l’autre sexe. Alors
que la fille obèse est autant rejetée par les filles que par les garçons, le garçon
obèse est moins rejeté par les garçons. L’ensemble de ces résultats suggère
que les choix des garçons sont d’abord guidés par la similitude de genre, alors
que, pour les filles, mieux vaut être un garçon normo-pondéral qu’une fille
obèse.
Enfin, si garçons et filles partagent une tendance à l’internalité, en particulier
l’idée que si certains enfants sont gros parce qu’ils mangent trop, il n’en est pas
de même de la perception des solutions. Alors que les garçons sont partagés,
les filles soulignent que, si un enfant obèse fait attention ou s’il le veut, il
peut maigrir. On pourrait objecter qu’il s’agit ici d’une question de désirabilité
sociale. Mais, l’enfant pouvait répondre qu’il ne savait pas. De plus, si tout n’était
Dès 5 ans, les filles rejettent l’obésité
qu’une question de désirabilité sociale, on pourrait se demander pourquoi elle
serait partagée par les filles et les garçons pour les causes mais pas pour les
solutions. Il nous semble plutôt que cette différence entre garçons et filles reflète
la plus grande importance accordée par les filles à la corpulence et à l’esthétique.
D’ailleurs, ce n’est que les réponses des filles qui montrent une corrélation entre
le rang attribué à l’enfant obèse et les croyances internes, suggérant qu’une des
solutions pour satisfaire à cette esthétique serait de moins manger pour un garçon
et de faire du sport pour une fille.
En conclusion, cette étude montre que, dès 5-6 ans, l’obésité peut être source
de stigmatisation, en particulier de la part des filles, qui sont particulièrement
sévères à l’égard de leurs pairs obèses et pensent que l’obésité peut se maîtriser.
Ceci confirme que l’asymétrie entre garçons et filles se construit très tôt (voir,
par exemple, Le Maner-Idrissi & Renault, 2006) et suggère que, dès 5 ans, les
filles ont internalisé l’importance normative de la beauté féminine qui participe à
la stigmatisation de l’obésité. Cependant, cette étude mériterait d’être répliquée,
d’abord en précisant le type d’activité ludique (jouer à quoi), puis en abordant
d’autres types d’activité. Cela permettrait de tester si cette asymétrie se généralise
ou si, comme le suggèrent certains travaux, elle dépend des critères (esthétiques
vs sociaux vs fonctionnels) de choix.
REMERCIEMENTS
Nous remercions Mesdames Balt et Namyouïsse d’avoir recueilli les données, ainsi
que les enfants et leurs parents.
Nous tenons aussi à tout particulièrement remercier M. Napolitano (alias
« Napo ») de nous avoir fait profiter de ses talents artistiques.
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Françoise ASKEVIS-LEHERPEUX, Loris T. SCHIARATURA
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Françoise ASKEVIS-LEHERPEUX, Loris T. SCHIARATURA
ANNEXE I
Questionnaire de croyances
Responsabilité : Perception des causes
Causes internes
Tu crois qu’il/elle fait exprès d’être gros(se) ?
D’après toi, c’est de sa faute si il/elle est gros(se)
Est-ce que tu crois qu’il/elle est gros(se) parce qu’il/elle mange trop ?
Est-ce que tu crois que s’il/elle est grosse, c’est parce qu’il/elle ne fait pas assez
de sport ?
Causes externes
D’après toi, s’il/elle est gros(se), c’est parce que c’est une maladie ?
Est-ce que tu pense que s’il/elle est gros(se), c’est parce que ses parents sont
gros ?
Contrôlabilité : perception des solutions
Est-ce que tu penses que s’il/elle faisait attention, il/elle pourrait maigrir ?
À ton avis, si il/elle le veut, il/elle peut devenir mince ?