Patrimoine. Un poids lourd à gérer

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Patrimoine. Un poids lourd à gérer
14. Morlaix
Vendredi 15 février 2008 Le Télégramme
Patrimoine. Un poids lourd à gérer
rachat préalable de tous les
m² par chambre de commerce
et
d’industrie,
attendrait sans doute encore son heure.
À chaque dossier bouclé, ce sont
pourtant au moins deux autres
qui restent à régler. Que deviendra la chapelle des Jacobins, fermée au public pour non-conformité ? Que dire de l’ancien lycée
de Kernéguès (lire ci-dessous) et
que fera la ville, des anciens bâtiments de la rue de Brest, qu’elle
est bien partie pour acheter à
l’hôpital ?
Morlaix est riche
de son
patrimoine… et
bien pauvre quand
il s’agit de le
gérer. Le débat a
toutes les chances
de s’inviter dans
la course aux
municipales
aujourd’hui
commencée.
La réhabilitation de l’ancienne
Banque de France est presque
bouclée. Un dossier géré avec
succès de privé à privé… De
quoi réjouir la municipalité.
Et dire que pendant 370 ans, la
municipalité morlaisienne n’a
pas eu besoin de se soucier de ce
beau bâtiment du XVIIe siècle,
joyau inscrit au registre des
Monuments historiques depuis
2004.
Sauf que… d’ici juin 2009, les
ursulines auront déserté les couloirs de leur couvent, en haut de
la rue de Bréhat. Et d’ici
juin 2009 peut-être, ce sera un
bout de patrimoine en plus,
niché dans 2,5 hectares de verdure, qui entrera comme une épine
dans le pied de la ville.
« L’État
n’a plus d’argent »
Dès qu’il a appris la nouvelle, la
semaine passée, Michel Le Goff
s’est montré catégorique : « Les
locaux ne nous appartiennent
pas ». Une façon de dire qu’il
Ancien lycée de Kernéguès.
Un jour réhabilité ?
n’est, d’emblée, pas question
que la future municipalité, si le
maire
sortant
en
était
le fer de lance, se porte acquéreur.
« Ce site est très beau mais très
coûteux. Parmi les différents
patrimoines locaux, c’est celui
qui risque, en effet, de poser le
plus problème », confirme le maire actuel. Pour le foyer du couvent, l’option d’une opération
immobilière trouve déjà grâce
aux yeux de l’élu local. Mais quid
de la chapelle ou du parc, très
gourmands en gwenneg ? Là-dessus, Michel Le Goff soupire :
« L’État, on le sait, n’a plus d’argent… »
Mal à son patrimoine
Depuis toujours, c’est clair, la ville a « mal à son patrimoine »,
pourtant si riche pour une com-
Enclavé près de l’hôpital et
au-dessus du centre-ville, le site
de l’ancien lycée de Kernéguès et
sa réhabilitation font partie du
programme de campagne de
Michel Le Goff et de sa liste
« Agir pour Morlaix ».
Le site, propriété de la ville,
héberge toujours les services
techniques, le Sivom, le tribunal
d’instance et des locaux syndicaux.
Depuis le départ de la caserne
des pompiers, attenante, il se
sent déjà un peu plus seul.
Une étude rendue en 2006
Et l’histoire est là pour le rappeler : la ville de Morlaix souhaite
depuis longtemps trouver une
nouvelle affectation à ce vaste
bâtiment du XIXe siècle. En
2004, le torchon avait brûlé avec
Morlaix-communauté, préférant
l’option de l’ancienne Manufactu-
re à celle de Kernéguès pour ses
nouveaux locaux, et obligeant
l’équipe de Michel Le Goff à
revoir ses plans.
Fin 2006, une étude rendue par
la Safi (Société d’aménagement
du Finistère) parlait d’une reconstruction des services techniques
ailleurs, pour privilégier le réaménagement du site en bureaux,
appartements et ateliers d’artistes.
Le projet « est prêt »
Et aujourd’hui ? « Le projet est
prêt. Selon les résultats des prochaines élections municipales…
Il n’y aura plus qu’à appuyer »,
commente-t-on juste à la ville.
Quant au contenu… Tout juste
apprend-on que « Vu la taille du
bâtiment, ce sera forcément multifonctionnel », et que la tour de
logements HLM pourrait, elle,
être condamnée.
Sophie Prévost
Thierry Simon. « C’est comme en bourse »
Installé à
l’aéropôle, Thierry
Simon vend « de
l’immobilier
d’investissement ».
Pour lui, le
patrimoine vacant
est davantage
source
d’opportunités que
de tracas.
le levier de la loi Robien.
Thierry Simon, gérant de Capitoral.
ments historiques. Je participe également au montage de la résidence
Saint-Matthieu, rue de Paris, en
zone de protection du patrimoine
architectural, urbain et paysager
(ZPPAUP), qui est un projet de
réhabilitation permettant d’utiliser
L’avenir de l’ancien lycée de Kernéguès fait partie des chevaux de campagne
de l’équipe conduite par le maire sortant, Michel Le Goff.
mune de 16.000 habitants. Celuici a parfois eu la chance d’être
jugé prioritaire : comme le théâtre à l’italienne refait à neuf, comme la Banque de France bientôt
remplie par six logements de
standing, comme la manufacture
de tabacs en cours de réhabilitation, comptée, par les Monuments historiques, parmi les
« ouvrages les plus remarquables
de Bretagne », mais qui, sans le
Des logements
encore et toujours…
Allée du Poan Ben, la fantomatique « cité judiciaire » n’a que le
clos et le couvert. Si le tribunal
devait quitter Morlaix, Michel Le
Goff y verrait bien… « des appartements
de
standing ».
Une option qui pourrait, encore
et toujours se
profiler,
dans les bâtiments du lycée
Notre-Dame-du-Mur, sans doute
bientôt mis en vente par le diocèse.
Gare donc, à l’indigestion, même
si de l’aveu de l’adjoint à l’urbanisme, Alain David, « le problème n’est pas tant le nombre de
logements que l’on pourra faire, mais plutôt leur diversification ».
Gérant de la société Capitoral
(www.capitoral.fr) le Morlaisien
Thierry Simon va quotidiennement
« à la pêche » aux investisseurs souhaitant profiter des mesures de défiscalisation sur l’immobilier. C’est lui
qui a réalisé, notamment, le montage de la Banque de France. Faire du
logement ? Il dit oui, bien sûr, mais
pas à n’importe quelles conditions.
Sur quels bâtiments anciens
ou classés avez-vous déjà eu
l’occasion de travailler ?
Sur la Banque de France, en centreville : j’ai proposé à un groupe spécialisé de réaliser l’opération, pour
laquelle les six appartements qui
seront mis à la location sont déjà
vendus. Je travaille aussi sur une
aile de l’ancienne manufacture de
tabacs, où l’on devrait faire une
vingtaine de logements de type studios ou T1. Dans les deux cas, les
investisseurs peuvent défiscaliser
via la loi Malraux, qui s’applique
aux bâtiments classés aux Monu-
Ce patrimoine architectural
de Morlaix est-il, pour vous,
une force ou un handicap ?
Pour l’instant, c’est un atout
offrant de belles opportunités en
terme de réaménagement. Je n’ai
honnêtement pas choisi de venir à
Morlaix pour son patrimoine, je ne
fais pas que les « produits »
Malraux.
Mais de fait : une ville classée et,
en même temps, déclinée du point
de vue de son habitat ancien,
située à mi-chemin entre Brest,
Saint-Brieuc et Quimper, a toutes
les raisons d’intéresser les investisseurs… pourvu que les critères
économiques soient bons.
Cette défiscalisation ne risque-t-elle pas, à votre avis,
de saturer le centre-ville en
logements locatifs, trop chers
pour une population qui se
précarise ?
On n’est jamais à l’abri, c’est vrai,
de la résidence « de trop ». Personnellement, je ne prends jamais
aucun projet sans qu’il n’ait un
sens économique. Pour la Banque
de France, beaucoup de personnes
âgées recherchant des prestations
haut de gamme sont spontanément venues se présenter à nous.
Pour les studios de la Manu, il y
avait la légitimité de l’IUT, à deux
pas… Il s’en est fallu de peu, en
revanche, pour que l’école NotreDame-de-Lourdes, si elle avait été
vendue, ne mette 50 nouveaux
logements à louer sur le marché.
Peut-être 50 de trop. C’est une
alchimie, un pari qui se joue comme en bourse, sans qu’on ne
connaisse jamais précisément le
point de bascule.