Introduction Section 1. Les délocalisations, de quoi parle-t-on
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Introduction Section 1. Les délocalisations, de quoi parle-t-on
Introduction La question des délocalisations est largement étudiée dans la littérature économique et débattue sur la scène publique. Or, parler de délocalisation n’est pas chose aisée. On sait combien cette notion est floue et pose des problèmes de mesure (Arthuis , 2005 ; Aubert et Sillard, 2005 ; Bouba-Olga, 2006 ; Mouhoud, 2006)2. « Les délocalisations : une réalité controversée » se propose de poser la question de la France face au phénomène des délocalisations. Pour en saisir les enjeux et présenter les objectifs de notre analyse spécifique à l’Aquitaine, sa structure suit celle des principales études réalisées sur la question. Dans un premier temps, nous précisons ce qu’il faut entendre par « délocalisations » (section 1). En cherchant ensuite à proposer un bilan chiffré des délocalisations, nous sommes conduits à exposer les problèmes de mesure posés et à envisager les enjeux sous-jacents du phénomène, non mesurables (section 2). Sont ensuite discutés les déterminants (autrement dit les motivations) des délocalisations que nous nous proposons d’envisager dans le temps et en tenant compte des contextes sectoriels et territoriaux dans lesquels les firmes s’inscrivent (section 3). Enfin, nous résumons les principales recommandations couramment formulées en termes de politique publique (section 4). * * * Section 1. Les délocalisations, de quoi parle-t-on ? Plusieurs réalités aux impacts sociaux et économiques différenciés cohabitent sous le terme unique de délocalisation. Parler des délocalisations nécessite donc de préciser le sens qu’on leur donne, autrement dit de revenir sur la définition même du phénomène. 1.1. La définition stricto sensu des délocalisations La définition la plus étroite considère qu’il y a délocalisation si un espace de production « étranger » se substitue totalement à un espace de production national : Une délocalisation se définit comme la fermeture d’une unité de production sur le territoire national suivie de sa réouverture à l’étranger, en vue de réimporter sur le territoire national les biens produits et/ou de continuer à fournir les marchés d’exportations à partir de cette implantation (Fontagné et Lorenzi, 2005)3. Le phénomène est facilement repérable donc aisément mesurable. Elle est d’ailleurs fréquemment mobilisée en Europe et aux Etats-Unis où le débat se focalise sur la question des emplois supprimés. La définition se heurte toutefois à la qualité et à l’incomplétude des sources de données, mais ce n’est pas sa principale limite. 2 Arthuis, 2005, La globalisation de l'économie et les délocalisations d'activité et d'emplois, Rapport au Sénat ; Aubert P., Sillard P., 2005, Délocalisations et réduction d’effectifs dans l’industrie française, Insse ; Bouba-Olga O., 2006, Les nouvelles géographies du capitalisme, Comprendre et maîtriser les délocalisations, Seuil ; Mouhoud el M., 2006, Mondialisation et délocalisation des entreprises, Repères, La Découverte. 3 Fontagné et Lorenzi, 2005, Désindustrialisation, Délocalisations, Rapport du Conseil d’Analyse Economique. 24 Son principal défaut est de sous-estimer le phénomène : elle ne prend en compte ni les déplacements partiels d’activité, ni le recours à la sous-traitance internationale (Benaroya, 2005)4. Cette définition est ainsi qualifiée de restrictive. Il est en outre impossible d’identifier dans quelle mesure les firmes font, dans le cadre de la délocalisation, appel à leurs filiales historiquement implantées à l’étranger et orientées pour ce marché. Or, l’ensemble de ces éléments relève bien des logiques de la délocalisation. Pour en tenir compte, il est nécessaire de partir d’une définition élargie. 1.2. Elargir la notion de délocalisation : proposition de définition L’élargissement de la définition se fait en abandonnant la logique de pure substitution, autrement dit de fermeture/ouverture. Dans cette perspective, l’OCDE (OCDE, 2007)5 propose de définir une délocalisation de la manière suivante : Déplacement total ou partiel d’une activité industrielle (manufacturière ou de services) à l’étranger, soit auprès d’une filiale existante ou nouvelle, soit à travers une sous-traitance auprès de firmes non affiliées. La partie de l’activité délocalisée qui auparavant été destinée au marché intérieur est ensuite importée. Cette définition permet d’appréhender des réalités connexes à celle que recouvre la définition stricto sensu et conduit à préciser un ensemble de termes qui font désormais partie du débat public (cf. encadré 1.1). Encadré 1.1. Les termes associés aux délocalisations selon l’OCDE Externalisation (outsourcing) : utilisation de biens ou services produits à l’extérieur de l’entreprise. - Si elle a lieu à l’intérieur du pays où est localisée l’entreprise : domestic outsourcing ; - Si elle a lieu à l’étranger : outsourcing abroad. Délocalisation (offshoring) : externalisation à l’étranger. On distingue deux formes de délocalisations : - L’Offshore-inhouse sourcing : au sein du même groupe, soit des filiales préexistantes, soit des filiales créées à partir de zéro (ex nihilo, filiales « greenfields ») - Le transfert auprès d’une entreprise non affiliée (offshore outsourcing) : c’est de la soustraitance à l’étranger (subcontracting aboard). On se situe néanmoins dans une acception encore trop restrictive car seuls sont pris en compte les déplacements (complets ou partiels) d’activités. • Les délocalisations : une proposition de définition « extensive » L’approche retenue par la Commission des Finances française permet de tenir compte des cas de « non localisation », autrement dit de resituer le phénomène dans l’ensemble du processus décisionnel de l’entreprise : 4 In Fontagné et Lorenzi, 2005, op. cit. 5 Les délocalisations et l’emploi : tendances et impacts, Emploi, OCDE, 2007, pp. 1-216. 25 Sur un plan micro-économique, la délocalisation regroupe tous les arbitrages réalisés par les entreprises dans un sens défavorable à la localisation des activités et des emplois sur le territoire national (Arthuis, 2005 ; Brunel, 20066). La « délocalisation » désigne alors toute localisation réalisée à l’étranger qui s’effectue aux dépens d’une localisation domestique. La définition suppose un lien mécanique et négatif entre délocalisation et emploi dans le pays émetteur et elle nous autorise à exclure les stratégies de localisation à l’étranger à des fins de desserte du marché local. Trois types de délocalisations peuvent maintenant être distingués : - La délocalisation pure : transfert direct vers un pays étranger d’activités réalisées sur le territoire national (entraînant la fermeture ou la réduction forte de l’activité des sites sur ce territoire) ; - La délocalisation diffuse (ou partielle) : transfert et regroupement vers un pays étranger d’une activité répartie sur un ou plusieurs sites sur le territoire national (et n’entraînant pas nécessairement de fermeture) ; - La non-localisation : ouverture à l’étranger d’activités qui auraient pu être ouvertes sur le territoire national (elles sont par nature très difficiles à évaluer). Cette définition (extensive) pose un véritable problème de mesure. Il devient difficile de repérer et donc de quantifier ce qui relève réellement des délocalisations dans les stratégies d’internationalisation des firmes. Mais elle offre l’avantage indéniable de refléter la complexité du phénomène. 1.3. L’intérêt de la définition : la prise en compte de la complexité du phénomène Les délocalisations concernent aussi bien les transferts d'activités que les localisations d'unités nouvelles (avec ou sans prise de participation en capital) ayant pour objectif de réexporter la production. La volonté d’envelopper ces différentes réalités dans ce qu’elles ont de commun renvoie à la question de la prise de décision, autrement dit à un choix de nature microéconomique. C’est dans cette différence avec les analyses macroéconomiques que réside l’intérêt de l’approche extensive des délocalisations : la délocalisation est le fait des firmes. La complexité des délocalisations se retrouve dans les formes organisationnelles multiples qu’elles peuvent prendre. Elles vont de la sous-traitance, aux Investissement Directs à l’Etranger (IDE), en passant par des créations de filiales. Proposé par Van Welsum et Vickery (2004) et repris par l’OCDE7, un tableau à double entrée croisant la localisation de la firme (nationale ou internationale) avec son mode d’approvisionnement (externe ou interne), permet de mieux situer les délocalisations par rapport aux logiques plus larges de l’externalisation (figure 1.1). 6 Arthuis, 2005, op. cit ;, Brunel, 2006, Les délocalisations, Rapport d’informations à l’Assemblée Nationale. 7 Molnar M., Pain N., Taglioni D., 2007, The Internationalisation Of Production, International Outsourcing And Employment In The OECD, Economics Department Working Papers N°.561. 26 Figure 1.1. Délocalisations et externalisation Auprès d’autres entreprises (externalisation) Mode Au sein de d’approvisionnement l’entreprise (approvisionnement interne) Source : Van Welsum et Vickery (2004)8. Localisation Nationale Internationale (dans le pays (dans d’autres pays) considéré) Externalisation Externalisation dans internationale le pays Délocalisation Approvisionnement interne dans le pays Approvisionnement interne international Le déplacement de perspective que nous retenons a des conséquences du point de vue de l’analyse. Il oblige à considérer les délocalisations sous l’angle d’un processus dont il faut saisir la temporalité. Parallèlement, il suggère de changer d’échelle spatiale. La question de la mobilité des firmes s’insère : dans son environnement national (souvent signalé en termes de fiscalité, de coûts et de législation du travail, etc.) ; mais aussi dans son contexte productif local (ou territorial). La question des délocalisations ne peut donc être durablement dissociée de celle, plus générale, de la localisation. Autrement dit, elle ne peut être envisagée indépendamment des questions d’attractivité et de compétitivité des territoires. Parce que les lieux de la mobilité ne se réduisent pas aux espaces nationaux, il faut aussi considérer la mobilité des firmes à l’échelle infranationale. 1.3.1. Les échelles spatiales des délocalisations : à l’international et à l’infranational On distingue généralement trois formes de délocalisations suivant la proximité géographique de l’espace de production à l’espace de consommation (finale ou intermédiaire). Dans la mesure où les problématiques diffèrent selon la distance (coûts de coordination économiques, évolution des réglementations juridiques, etc.), cette typologie enrichit la définition des délocalisations : - Le offshore traduit l’idée de délocalisations lointaines (par exemple depuis la France vers l’Inde ou la Chine). - Le nearshore désigne les « délocalisations à proximité », c'est-à-dire dans un pays géographiquement proche (par exemple le Maroc ou la Roumanie pour la France). - Le onshore (ou délocalisations sur le territoire national) a deux acceptions. o Il traduit d’abord le fait de faire venir travailler des étrangers selon la législation du travail de leur pays d’origine. En l’état actuel des 8 Van Welsum, D. Vickery, G. (2006), Potential Impacts of International Sourcing on Different Occupations, DSTI/ICCP/IE(2006)1, OECD, Paris. 27 réglementations, le onshore est autorisé aux Etats-Unis mais, pour l’instant, prohibé en Europe9. o Selon une deuxième acception, le onshore désigne les « délocalisations » d’activités au niveau infranational (en général de la capitale vers la province), notamment motivée par les différentiels salariaux pouvant exister entre régions. Il est primordial de tenir compte de ces deux dernières formes de mobilité dans notre analyse des délocalisations car les enjeux de compétitivité et les politiques d’attractivité mettent en jeu la concurrence entre territoires, à l’échelle infranationale aussi. 1.3.2. La compétitivité et l’attractivité des territoires. La mobilité des activités économiques est nécessairement liée à la compétitivité et à l’attractivité des territoires. Le choix auquel l’entreprise est confrontée n’est pas simple car il ne se résume pas à quitter ou non l’espace productif national. La localisation dépend certes de facteurs macroscopiques, à l’instar de celui des écarts internationaux de coût des facteurs, mais la décision s’éclaire différemment lorsque l’on tient compte de la qualité relative des espaces de départ et d’arrivée, telle qu’une zone industrielle, un cluster, un territoire productif, une métropole, etc. Par exemple, lorsque le secteur informatique délocalise en Inde, ce n’est pas nécessairement l’Inde qui est choisie mais Bangalore et toutes les singularités productives, institutionnelles, technologiques qui lui sont associées. Peut-être en va-t-il de même lorsque les constructeurs et les équipementiers automobiles s’installent au Maroc, initialement dans la région de Casablanca, puis plus récemment à Tanger. Dans ces conditions, les délocalisations, mais aussi les relocalisations conçues comme un retour sur le territoire originel d’activités précédemment délocalisées, sont un révélateur de la compétitivité des espaces. S’il est bien question d’attirer de nouvelles activités économiques – et notamment d’attirer en Région ce qui pourrait partir sous la forme du nearshore – les mouvements de délocalisation/relocalisation rappellent qu’il est aussi question d’ancrage et qu’ils sont alors à considérer sous l’angle de la compétitivité des espaces. * * * La notion de délocalisation est loin de faire l’objet d’une définition consensuelle et unifiée. Plusieurs définitions co-existent selon que l’on adopte une vision étroite ou large du phénomène à étudier. De ce débat terminologique, on retient l’intérêt analytique d’une définition extensive. Elle seule permet d’appréhender la complexité du processus plus général de la localisation de la firme : dimension temporelle, influence des stratégies organisationnelles des entreprises (en particulier la question de l’externalisation), phénomènes exogènes concernant la compétitivité et l’attractivité des territoires. 9 Une des clauses de la directive Bolkestein entendait autoriser la référence au droit du travail d’origine pour les tâches durant moins de 8 jours. 28 Section 2. Les délocalisations : quelle phénomène et quels enjeux sous-jacents ? quantification du La difficulté à qualifier les délocalisations se retrouve quand on cherche à les quantifier. A la diversité des définitions est ainsi associée une variété d’estimations statistiques. Toutes les tentatives de mesure empirique convergent cependant sur un point : l’importance quantitative du phénomène reste modérée. Mais la faiblesse du repérage statistique n’enlève rien au fait que les délocalisations dessinent de nouveaux enjeux pour le tissu productif français à court et à long termes 2.1. Quantifier les délocalisations : des problèmes de mesure La quantification des mouvements de délocalisation renvoie à deux grands types de mesure. La mesure statistique directe décompte les présomptions de suppression d’emplois directement liées aux délocalisations. Elle est peu développée car les délocalisations ne font l’objet d’aucun repérage systématique, ce qui tient à la complexité du phénomène et à l’absence de définition claire et consensuelle, mais surtout au défaut d’enquêtes portant directement sur la question (OCDE, 2007, op. cit.). D’où le fait que l’on recourt à des méthodes indirectes. Les mesures statistiques indirectes estiment les délocalisations soit par les importations directes de biens manufacturés en provenance des pays « à bas salaires » (émergents et en voie de développement) effectués par les entreprises localisées sur le territoire national, soit par les IDE à destination de ces pays. Ces mesures indirectes souffrent néanmoins de plusieurs limites. • L’approche par les importations Elle surestime nécessairement les délocalisations car les importations considérées renvoient non seulement aux investissements de délocalisation et à la sous-traitance internationale mais aussi au développement des approvisionnements auprès des pays émergents et en voie de développement. Il est impossible de dissocier ce qui est imputable à l’un ou à l’autre. • L’approche par les IDE Une délocalisation au sens strict implique un flux de capital à destination du pays où a lieu l’implantation de la filiale. C’est pourquoi les IDE sont parfois utilisés pour estimer les délocalisations. On calcule alors la part des IDE destinés aux pays « à bas salaires ». Cette méthode est sujette à quatre critiques principales conduisant à minorer (a et b) ou à majorer (c et d) le phénomène sans qu’on puisse au total espérer que les effets se compensent. a. Basée sur la définition stricto sensu des délocalisations, elle ne rend pas compte de la complexité du phénomène (échanges intragroupes ou sous-traitance, par exemple). b. Une partie de la croissance des capacités de production délocalisées peut être autofinancée par des entités juridiques implantées dans le pays. On a donc dans ce cas, croissance des capacités de production dans le pays concerné sans flux d’IDE. c. A l’inverse, tous les IDE ne sont pas des délocalisations et tous les IDE n’impliquent pas de fermeture, ne serait-ce que partielle, sur le territoire national d’origine. d. Les IDE peuvent être des opérations purement financières, n’ayant rien à voir avec un transfert d’activités d’un pays à l’autre. 29 Ces deux approches (IDE et importations) donnent une indication sur l’ampleur du mouvement mais elles ne peuvent pas offrir une évaluation fiable des délocalisations. La raison fondamentale tient à ce que délocalisation et redistribution de capital productif ne sont pas synonymes. En outre, elles présupposent que les délocalisations se font exclusivement à destination des pays à « bas salaires ». D’autres approches existent mais souffrent, selon l’OCDE (2007, p.54), des mêmes limites : « seule l’utilisation de données de firmes individuelles permet une approximation plus proche de la réalité concernant l’impact des délocalisations sur l’emploi ». C’est l’objet des enquêtes et des mesures dites directes. 2.2. Les délocalisations : des chiffres aux enjeux sous-jacents Différentes études ont tenté de quantifier les délocalisations. Relativement insatisfaisantes au regard de l’impératif quantitatif, elles permettent cependant de révéler un certain nombre de faits stylisés utiles à la caractérisation du phénomène et de ses impacts sur le tissu productif. 2.2.1. Les délocalisations sont marginales. L’ensemble des rapports académiques et publics (OCDE, Sénat, Assemblée Nationale, etc.) propose une quantification des délocalisations. Basés sur des estimations ou des champs d’études différents, ces rapports concluent que l’effet des délocalisations sur la destruction des emplois reste de faible ampleur (cf. tableau 1.1). A titre d’exemple, l’étude réalisée par l’OCDE avance que lorsque la part des biens manufacturés externalisée à l’étranger (et importés) augmente de 1%, la perte d’emplois se chiffre à 0,15% de l’emploi sectoriel dans le pays d’origine (0,8% dans le cas des services). Tableau 1.1. Comparaison des quantifications des délocalisations en France Source Champ SESSI (De Gimel, 2005) Industrie manufacturière, entreprises de plus de 20 salariés CAE (Fontagné et Lorenzi, 2005) INSEE (Aubert et Sillard, 2005) Sénat (Katalyste, 2005) Industrie manufacturière, entreprises de plus de 20 salariés Industrie manufacturière hors énergie, toutes entreprises Tertiaire marchand Résultats Mesure en pourcentage de la production (trois années) 1993 1999 2002 1,3 2,4 2,7 1% de l’emploi industriel (et moins de 0,5% de l’emploi total entre 1993 et 2002) 0,35% de l’emploi par an (en moyenne, 1995-2001) 2,34% de l’emploi sur l’ensemble de la période 1995-2001 0,1 à 2,6% de l’emploi (variation selon les branches considérées) Méthode Estimation par les importations directes en provenance des pays « à bas salaires » rapportées à la production domestique. Méthode des balances-emplois 2 conditions cumulées : -Réduction d’effectifs (au moins 25%) ou fermeture d’établissement - Accroissement des importations en provenance d’un pays donné, pour le même type de biens Estimation à partir d’entretiens individuels auprès de 100 dirigeants d’entreprise, extrapolées en fonction de l’évolution des importations sectorielles Source : Adapté de Chanteau (2008) 30 La plupart des rapports (CAE, Sénat, etc.) sont venus alimenter les débats en concluant donc à la faible ampleur des délocalisations. Toutefois, tous soulignent la « faiblesse » de leurs propres estimations quantitatives. Deux initiatives ont tenté de quantifier plus précisément les délocalisations en utilisant des données individuelles d’entreprises : celle de l’ERM (European Restructuring Monitor : ERM, 2007)10 et celle de l’Insee (Aubert et Sillard, 2005, op. cit.). Leurs estimations corroborent la faiblesse relative du phénomène. • L’estimation fournie par l’ERM L’European Restructuring Monitor (ERM, observatoire européen des restructurations) est un observatoire créé en 200211 pour suivre l'ampleur de la restructuration des activités en Europe et de leurs conséquences sur l’emploi. La mise en place de l’observatoire au début des années 2000 est certainement liée à l’accélération du phénomène à partir de ce moment-là. L’ERM rassemble des données issues d'une revue quotidienne de la presse nationale spécialisée et de la presse économique. Les informations récoltées (annonces de la part des entreprises) fondent les estimations de l’ERM sur les restructurations relevant des délocalisations. Elles sont mesurées en termes d’emplois affectés. Cette méthode est soumise à un certain nombre de biais (exhaustivité et « effets d’annonce » par exemple) mais, en l’absence d’enquête systématique, elle demeure la source principale d’estimation des délocalisations. Celles-ci s’entendent ici au sens de l’OCDE d’un déplacement partiel ou total de l’activité initiale (cf. 1.3). Les principaux résultats concernent les pertes d’emplois dues aux restructurations en Europe, parmi lesquelles celles attribuables aux délocalisations (tableau 1.2). Tableau 1.2. Pertes d’emplois (restructurations et délocalisations, 2003-2006) Total des cas Nombre de cas 2003 2004 2005 2006 2003-2006 745 745 1049 936 3475 Pertes d’emplois annoncées 525389 662986 657072 600346 2445793 Délocalisations Nombre de cas 55 89 112 100 356 Pertes d’emplois annoncées 47011 45241 63894 38144 194290 Part des délocalisations dans le total (%) Nombre de cas Pertes d’emplois annoncées 7 12 11 11 10 9 7 10 6 8 Source : ERM, 2007, p.26 Pour la France, seuls 6,6% des emplois détruits seraient imputables aux délocalisations, ce qui les place loin derrière les faillites ou les fermetures. La tendance est la même pour l’ensemble de l’Europe (8%). Soulignons dès à présent que les données intégrées dans la base de l’ERM sous-estiment la réalité (nous reviendrons sur ce point dans la partie 2 du rapport). 10 European restructuring monitor quarterly - Issue 2, summer 2007. 11 Sa couverture géographique a été étendue en mai 2005 aux 27 États membres de l'UE plus la Norvège. 31 • L’estimation fournie par l’INSEE Pour l’INSEE (Aubert et Sillard 2005, p.64), « on parlera de délocalisation s’il y a substitution de production étrangère à une production française, résultant de l’arbitrage d’un producteur qui renonce à produire en France pour produire ou sous-traiter à l’étranger ». Afin de repérer statistiquement les délocalisations, les deux auteurs choisissent de croiser plusieurs sources de données (notamment le répertoire SIRENE d’établissements et d’entreprises, les Déclarations annuelles de données sociales (DADS) et les données douanières). La méthode reste soumise à l’impossibilité de repérer et d’enregistrer directement les délocalisations : ce sont les effets des délocalisations sur l’emploi et sur les importations qui servent à en repérer l’importance. Ce repérage se fait selon la méthode suivante. Il y a présomption de délocalisation si deux conditions sont conjointement remplies : 1- Une fermeture d’établissement ou une réduction d’effectif importante (au moins 25% du total) sur une période de temps limitée ; 2- Une augmentation, dans le même temps, des importations en provenance d’un pays étranger donné, du même type de biens auparavant produits en France. Les estimations de l’INSEE donnent les résultats suivants : dans les secteurs manufacturiers en France, 95000 emplois auraient été supprimés entre 1995 et 2001 du fait des délocalisations, ce qui ne représente que 2,4% des effectifs de l’industrie manufacturière. Bien que limités par l’impossibilité de mesurer directement le phénomène, les travaux de l’INSEE corroborent les conclusions des études précédentes concernant la faiblesse des délocalisations. Mais surtout, cette étude apporte trois résultats d’importance pour la caractérisation des enjeux liés aux mouvements de délocalisation : le premier concerne les pays de destination des délocalisations, le second, les variations sectorielles et le troisième, l’absence de fortes disparités régionales. 2.2.2. Des délocalisations… à destination des pays développés ! Contrairement à l’idée fortement répandue et fondant d’ailleurs la plupart des méthodes d’estimation, les délocalisations vers les pays « à bas salaires » ne sont pas majoritaires. Selon les chiffres de l’INSEE, elles ne concerneraient que 47% des délocalisations françaises. 53% des emplois perdus par les délocalisations sont le fait de migrations d’activités vers des pays développés. Ce résultat peut expliquer la faiblesse du phénomène lorsqu’il est mesuré sur la base de mouvements enregistrés vers les pays à « bas salaires ». A défaut d’analyse plus fine, il relativise la prédominance du coût des facteurs dans la décision de délocaliser ou, tout au moins, il indique que les entreprises exploitent des différences relativement minimes de coûts et de déplacer leurs sites de production pour d’autres raisons. Un autre résultat porte sur les formes organisationnelles prises par les délocalisations : les délocalisations à destination des pays développés passent majoritairement par la création de filiales ou le recours aux filiales préexistantes, tandis que la sous-traitance est le mode organisationnel dominant (à l’exception de l’Europe de l’Est) dans le cas des délocalisations à destination des pays à « bas salaires ». 32 2.2.3. Tous les secteurs sont concernés, mais certains plus que d’autres Les secteurs principalement touchés par les délocalisations vers les pays « à bas salaires » sont bien les secteurs de basse technologie employant une main d’œuvre peu qualifiée tels que l’habillement-cuir ou le textile (cf. tableau 1.3). Mais les délocalisations sont aussi de plus en plus nombreuses dans les secteurs de plus haute technologie, comme l’électronique et l’électroménager ou les biens d’équipement. Tableau 1.3. Emplois délocalisés par secteur Secteur Emplois délocalisés, moyenne annuelle (1995-2001), en % de l’emploi de 1994 Vers les pays Vers les pays « à développés bas salaires » Principales destinations Maroc, Tunisie, Vietnam, Chine Roumanie, Chine, Italie, Mexique Chine, République Tchèque, Etats-Unis Suisse, Etats-Unis, Allemagne, Irlande Habillement, cuir 0,1 0,7 Industrie textile 0,1 0,3 Industrie des équipements électriques et électroniques 0,3 0,3 Pharmacie, parfumerie et entretien 0,6 0,0 Industrie des produits minéraux 0,2 0,1 Italie, Venezuela, Belgique Edition, imprimerie, reproduction 0,1 0,0 Italie Industries du bois et du papier 0,1 0,1 Indonésie, Brésil, Finlande Industries des équipements des foyers 0,1 0,5 Chine, Pologne Construction navale, aéronautique et ferroviaire 0,4 0,0 Etats-Unis, Allemagne Industrie automobile 0,2 0,0 Espagne Industrie des équipements mécaniques 0,1 0,1 Italie, Turquie, RoyaumeUni, Chine Métallurgie et transformation des métaux 0,1 0,1 Belgique, Brésil Chimie, caoutchouc, plastiques 0,2 0,1 Inde, Espagne, Pays-Bas Industries agricoles et alimentaires 0,1 0,1 Allemagne, Pays Bas, Espagne, Belgique Industrie des composants électriques et électroniques 0,4 0,3 Italie, Espagne, Chine, Maroc Total 0,2 0,2 Source : Aubert et Sillard, 2005, p.78 N.B. : il faut manier les données avec prudence car elles sont relativement anciennes (1995-2001). 2.2.4. Peu de différences régionales Contrairement à la variabilité qui s’observe entre secteurs d’activités, les différences entre régions sont de moindre ampleur. Trois régions ont toutefois été plus durement touchées que les autres par les délocalisations : la Basse Normandie, la Lorraine et la région ChampagneArdenne. Ces différences tiennent probablement aux poids des secteurs les plus touchés dans 33 ces trois régions, bien que cette présomption ne fasse l’objet d’aucun développement dans l’étude de l’INSEE. Au final, quelle que soit la méthode d’estimation retenue, les études réalisées sur les délocalisations convergent pour relativiser l’ampleur économique du phénomène. Compte tenu des faiblesses intrinsèques des méthodologies déployées, il ne fait cependant guère de doute qu’une partie du phénomène reste masquée. Le décalage entre la perception courante du phénomène et sa mesure dite « scientifique » est loin de trancher le débat. Les délocalisations posent de réels problèmes économiques et sociaux plus ou moins aigus selon les secteurs, les régions et les périodes. Pour appréhender les points de retournement de 2003 et 2008, il serait nécessaire de disposer de données plus récentes (l’enquête de l’INSEE porte sur 1995-2001) Ce sont maintenant les enjeux et les craintes légitimes que les délocalisations véhiculent qui doivent être considérés et replacés au cœur des débats. 2.3. Les enjeux sous-jacents des délocalisations Quelques thèmes récurrents suscitent le débat sur les délocalisations et justifient les inquiétudes des politiques comme des analystes. 2.3.1. L’incertitude sur la mesure Outre le problème lié au chiffrage lui-même, l’impact économique du phénomène est nécessairement sous-estimé compte tenu de l’absence de données sur les effets de rétroaction des délocalisations. Les études ne peuvent pas évaluer les effets indirects sur les tissus productifs existants : effets sur la chaîne d’approvisionnement (notamment sur les firmes qui ne délocalisent pas, sur les sous-traitants lorsqu’une firme « délocalise » sa sous-traitance auprès d’un prestataire étranger…), effets négatifs du multiplicateur de revenu, etc. En outre, les délocalisations cachées issues d’un arbitrage conduisant à refuser le choix de la France au profit d’un site à l’étranger (lors, par exemple, d’une augmentation de la capacité de production) sont pratiquement impossibles à évaluer. Exemple : d’après l’INSEE, le secteur « habillement, cuir » aurait perdu, chaque année, 5,8% de ses effectifs de 1994 par an sur la période 1995-2001. Seulement 15% des emplois détruits seraient directement imputables aux délocalisations (dont 14% vers les pays « à bas salaires »). On peut s’interroger sur le lien entre la destruction totale d’emplois et les délocalisations. Si les effets indirects ne sont pas repérables, cela ne signifie pas qu’ils n’existent pas. Peut-être même expliqueraient-ils cette forte réduction de l’emploi dans le secteur. 2.3.2. La question de la localisation des industries de haute-technologie Les délocalisations ne sont plus limitées aux secteurs de faible technologie mobilisant une main d’œuvre peu qualifiée. Elles s’étendent aux secteurs à plus forte technologie et à ceux des services. Elles touchent désormais les emplois qualifiés. Ce n’est donc pas tant son extension quantitative que qualitative qui suscite l’inquiétude. L’ensemble des rapports alerte les décideurs politiques sur cette évolution, notamment ceux réalisés pour le CAE (Fontagné et Lorenzi, 2005, op. cit.) et l’Assemblée Nationale (Brunel, 2006, op. cit.). On devrait, selon eux, s’attendre à une accélération indéniable du phénomène ces prochaines années. 34 2.3.3. La montée des Pays Emergents. L’émergence des grandes économies d’Asie (notamment l’Inde et la Chine), ayant rattrapé leur retard technologique et disposant d’une main d’œuvre nombreuse et de plus en plus qualifiée, tend à modifier la division internationale du travail. Longtemps considérés comme des territoires d’accueil des délocalisations des pays développés, les pays émergents deviennent de véritables concurrents sur des marchés que ceux-là croyaient protégés. Cet argument est développé par Coris et Rallet (2008)12 dans le cas du logiciel et des services informatiques. L’analyse de ce qu’ils appellent « l’effet retour des délocalisations » permet d’envisager dans quelle mesure les délocalisations (emplois peu qualifiés) participent de la constitution d’avantages compétitifs pour les firmes des pays émergents pouvant s’engager dans un processus de remontée de la chaîne de valeur en vue, à terme, de concurrencer les firmes des pays développés sur des activités (services à haute valeur ajoutée) qu’elles croyaient 13 protégés. Cet enjeu est aussi analysé par l’OCDE (2007) lorsque l’organisation s’interroge sur la capacité des pays développés à rester compétitifs face à la montée des pays émergents. 2.3.4. L’importance des délocalisations à l’échelle locale La fermeture d’un site ou d’une usine n’a que peu d’impact au niveau macroéconomique mais les conséquences pour une région peuvent être particulièrement sévères. Les délocalisations n’ont pas non plus les mêmes effets sur les différentes classes de travailleurs. Si elles ont peu d’impact au niveau de l’emploi global, les travailleurs les moins qualifiés peuvent être fortement et durablement touchés. Compte tenu des spécialisations sectorielles à une échelle régionale et infrarégionale, les délocalisations touchant certains secteurs se soldent parfois par une véritable destruction des tissus économiques et sociaux de zones spécialisées au plan sectoriel. Cela pose la question de la reconversion professionnelle et des enjeux en termes de formation. Nous reviendrons sur cette question dans la section 4 et dans les enseignements de l’étude (partie 3 du rapport). La question régionale est quand à elle l’enjeu central de la présente étude. 2.3.5. La question cruciale des activités de recherche et développement (R&D) et des centres décisionnels Il existe des formes spécifiques de délocalisation auxquelles on commence juste à être attentif : les délocalisations des laboratoires de R&D, les délocalisations des maisons mères ou des centres de décision ou encore la migration de personnel scientifique à l’étranger. Bien que très marginaux au plan quantitatif, ces types de délocalisations peuvent avoir des impacts sur les économies d’origine bien plus importants que les seules pertes d’emplois à court terme. Ils sont liés à la compétitivité des pays (et des territoires) et interrogent alors leur capacité d’innovation. L’attention particulière à ces formes de délocalisations fonde certaines recommandations politiques (section 4). 2.3.6. L’impact incertain de la crise économique Une dernière question, largement ouverte, concerne l’impact de la crise économique. La récession actuelle, inédite par son ampleur et par sa synchronisation mondiale, conduit les états-majors des entreprises à reconsidérer ou du moins à s’interroger sur la taille de leur 12 CORIS M., RALLET A., 2008, « Les pays émergents à la conquête des marchés mondiaux », Revue de la régulation, n°2, janvier 2008. 13 Molnar M., Pain N., Taglioni D., 2007, The Internationalisation Of Production, International Outsourcing And Employment In The OECD, Economics Department Working Papers N°.561. 35 appareil productif à moyen terme. Il en découle de nouveaux arbitrages à faire entre les différentes localisations existantes et/ou envisagées. En outre, les prévisions macroéconomiques concernant des zones traditionnelles de délocalisation sont incertaines, à l’image du Maghreb, de l’Asie du Sud-est, du Mexique mais aussi de quelques pays d’Europe de l’Est singulièrement touchés par la crise comme la Hongrie ou la Lettonie. On voit réémerger dans les centres décisionnels des grands groupes des questionnements sur la stabilité politique des pays, sur les risques crédits, sur la volatilité des cours de change et des taux d’intérêts, etc. Il est évidemment trop tôt pour établir des prévisions dans la mesure où les entreprises interprètent différemment ces nouvelles données conjoncturelles. Toutefois, deux scénarii (extrêmes) peuvent être envisagés. - Le poids des incertitudes sur les économies qui reçoivent en masse les délocalisations pourrait conduire à ralentir le mouvement, voire générer des relocalisations dans le cadre d’une stratégie de minimisation des risques. On retrouve ici l’hypothèse d’une réaction protectionniste dans les pays d’origine, qui peut se manifester par le renforcement des barrières à l’entrée. Par exemple, en janvier 2009, le gouvernement français a fait signer aux constructeurs automobiles une charte par laquelle ils s’engagent à cesser d’exiger de leurs fournisseurs qu’ils s’implantent dans les pays à bas coûts afin de rentrer dans le panel des fournisseurs « sélectionnables ». - La réduction de la profitabilité des entreprises compte tenu de la baisse de la demande couplée à une exacerbation des pressions concurrentielles peut, à l’inverse, conduire les entreprises à amplifier le mouvement de délocalisation dans les pays à bas coûts. Toujours à titre d’exemple et dans le cadre de son plan de sauvetage et avant sa nationalisation, General Motors avait déclaré vouloir accroître ses approvisionnements venant d’Inde pour réduire ses coûts de revient. * * * L’estimation quantitative des délocalisations suggère qu’elles sont relativement marginales. Cet exercice est malaisé, ce qui tient à la pluralité des définitions et au manque de données mobilisables. La « mesure » ne peut ainsi recouvrir qu’une partie du phénomène. L’impact sectoriel des délocalisations peut être lourd avec l’apparition possible de trous durables dans le tissu productif régional et d’effets significatifs sur la balance commerciale extérieure. Les processus de délocalisation/relocalisation, méritent d’être en permanence surveillés. La crise est là pour le rappeler, le système économique est évolutif. 36 Section 3. Les facteurs explicatifs des délocalisations Les délocalisations ne se font pas seulement à destination des pays « à bas salaires ». Elles ne concernent pas uniquement (et de moins en moins) les secteurs de faible intensité technologique et les emplois peu qualifiés. On ne peut donc pas retenir comme seul critère explicatif du phénomène celui du « coût de la main d’œuvre ». Il n’est qu’un élément parmi un ensemble de facteurs souvent corrélés entre eux et dont l’importance évolue dans le temps. 3.1. Les résultats des enquêtes : une motivation par les coûts… mais pas seulement salariaux Selon l’enquête réalisée par A.T. Kearney (cf. tableau 1.4) auprès des grandes entreprises ayant délocalisé, la réduction des coûts serait la principale motivation à la délocalisation. Mais ces « coûts » ne se limitent pas à ceux du travail. Ils englobent aussi les coûts financiers, de management, de publicité, de communication, de transport, etc. Tableau 1.4. Les motivations pour délocaliser (grandes entreprises) en % Réduction des coûts Proximité clients Croissance des ventes Amélioration de la productivité Ouverture à un marché étranger Amélioration de la qualité de service Accroissement des compétences Autres 36 17 14 13 9 6 3 2 Source : Enquête A.T. Kearney d’après OCDE (2007) Très peu d’enquêtes de grande envergure ont été menées auprès des entreprises ayant délocalisé. Trois études, menées au niveau français , ont cependant pu être identifiées : celle du cabinet KPMG, celle de l’Assemblée des CCI et celle du cabinet Ernst&Young. 3.1.1. Les enquêtes de KPMG pour le MEDEF En 2003, KPMG a mené une première enquête pour le MEDEF sur les motivations des PME à délocaliser (cf. tableau 1.5). L’échantillon était composé de 200 PME dont le chiffre d’affaires se situait entre 7 et 75 millions d’euros. Tableau 1.5. Les facteurs déterminants pour les délocalisations vers l’étranger Critère Part des PME jugeant le critère déterminant Coûts Administration Fiscalité Infrastructures salariaux 79% 54% 42% 42% Cadre de vie Droit des affaires 25% 25% Source : KPMG (2003) 37 Le critère du coût de la main d’œuvre se dégage nettement pour justifier le choix d’une délocalisation. Plus des trois quarts des entreprises citent cet item comme facteur déterminant. Viennent ensuite l’Administration (54%), la fiscalité (42%) et les infrastructures (42%). L’exploitation des données ne nous renseigne pas sur le recouvrement des facteurs cités (on note que les critères ne sont pas ordonnés). Or, on peut supposer que les lieux retenus par les entreprises remplissent simultanément différents critères, le niveau relatif des coûts salariaux et la faiblesse des contraintes administratives allant de pair pour un certain nombre de destinations. Cependant, l’idée courante selon laquelle les coûts salariaux sont un déterminant fort des délocalisations est mise en avant par les PME ayant effectivement délocalisé. A la suite de cette première enquête, KPMG a renouvelé l’expérience en 2004 et en 2005 (KPMG, 2005). L’échantillon est élargi : les enquêtes ne portent plus exclusivement sur les délocalisations mais elles les resituent dans le contexte plus large des investissements à l’international des PME (voir encadré 1.2 pour la méthodologie retenue). Encadré 1.2. Les enquêtes de KPMG, objectif et méthodologie L’objectif clef des enquêtes KPMG est de « connaître l’attractivité de la France et son influence sur la perception des problématiques de délocalisation des investissements de la part des dirigeants de PME/PMI ». L’échantillon (200 entreprises) reflète le tissu des PME/PMI françaises dont le CA se situe entre 7 et 75 millions d’euros (soit 12 162 entreprises selon la base de données DIANE). Les entreprises interrogées correspondent aux secteurs clefs sélectionnés dans le cadre de l’étude, soit : Transport (15%), Métallurgie/Mécanique (15%), Services (17%), IAA (10%), Equipement (10%), Electronique et Informatique (10%), BTP (10%) et Autres industries (13%). L’enquête a été réalisée sous la forme d’entretiens téléphoniques. Tableau 1.6. Les raisons de l’externalisation (France ou étranger) des PME/PMI (%) Raison/Motivation Réduction des coûts / Modification de la structure des coûts Recentrage sur le cœur de métier Recherche d’un gain de souplesse Recherche de compétences accrues Recherche de capacité supérieure (S-T) Amélioration de la productivité Amélioration de la qualité Amélioration des moyens de contrôle Autres/divers Taux de réponse 42,30 16,50 14,40 13,40 4,10 3,10 3,10 1,00 15,50 Source : KPMG (2003) On retrouve (tableau 1.6), toute une série de facteurs qui reflètent les logiques traditionnelles de l’externalisation d’activités (des PME comme des grands groupes). L’externalisation est en général animée par deux objectifs complémentaires : la réduction des coûts par le recours à des fournisseurs (transferts des coûts fixes) et l’amélioration de la performance commerciale 38 et productive par le recentrage sur le cœur de métier de l’entreprise (et le transfert des risques sur les fournisseurs). L’externalisation est ainsi souvent formulée par les firmes comme la recherche de compétences « complémentaires ». La question de l’externalisation se pose alors dans le cadre d’un arbitrage entre le risque d’un excès de recentrage et donc de dépendance « à l’externe » et les gains en termes de rentabilité à court terme et de performance productive à moyen terme. Le tableau 1.7 distingue les PME selon l’objectif poursuivi par l’externalisation. On retrouve d’un côté celles pour lesquelles elle relève essentiellement d’une problématique de coûts et, d’un autre côté, celles pour lesquelles l’externalisation repose plutôt sur une logique de compétences. La coexistence de ces deux profils de motivation se fera nécessairement sentir dans les choix de localisation puisque ceux-ci se réaliseront selon des critères de sélection des fournisseurs différant significativement. Tableau 1.7. Les projets d’investissement à l’international (%) Projet Année 2003 2004 2005 Source : KPMG (2003) Croissance de nouveaux marchés 43 49 51 Délocalisation de la production 20 18 15 Création d’une activité différente à l’étranger 2 7 7 Comme souligné par le rapport KPMG, ces données (tableau 1.7) contredisent l’idée reçue selon laquelle les délocalisations dominent dans les projets d’investissement à l’étranger des PME. La majorité des projets (environ 50%) vise la pénétration de nouveaux marchés. Le motif de délocalisation n’est cité que dans 15% à 20% des projets. On note que le total en ligne est inférieur à 100%. Les données n’indiquent pas la provenance de cet écart. Contrairement à une autre idée répandue, les projets d’investissements à l’étranger des PME ne seraient pas « en explosion » : selon les enquêtes de KPMG, la part des PME ayant un projet d’IDE reste stable sur les trois années (entre 56% et 58% des PME interrogées). Ces premiers résultats sont complétés par l’analyse des motivations de l’investissement international (toutes formes de projets confondues). Tableau 1.8. Les motivations de l’investissement à l’international (%) Motivation Année 2003 2004 2005 Contrainte d’internationalisation des marchés 29 15 53 Conquête de nouveaux marchés 71 61 78 Suivi des donneurs d’ordres 26 27 32 Rapprochement au réseau des sous-traitants 8 4 11 Diminuer les coûts 26 42 Source : KPMG (2003) On retrouve (tableau 1.8) l’accès à de nouveaux marchés en tant que motivation principale de l’implantation à l’international. C’est donc essentiellement la volonté d’approvisionner un marché étranger qui domine dans les IDE des PME. En termes de choix de localisation, ce critère indique pourquoi les investissements sont en majorité réalisés dans les pays développés (pour conquérir un nouveau marché il faut que la demande y soit solvable). La deuxième série de « motivations » renvoie aux contraintes imposées par les clients. Chez les grands industriels, les logiques d’externalisation sont orientées vers un resserrement des 39 pyramides d’approvisionnement. Cela passe par la réduction du nombre de sous-traitants mais aussi par le follow sourcing (lorsque le donneur-d’ordres impose à ses sous-traitants de le suivre dans son internationalisation). Né dans l’industrie automobile, le follow sourcing se déploie dans un nombre croissant de secteurs. Dans l’enquête auprès des PME, cette motivation transparaît dans les deux items « Suivi des donneurs d’ordres » et « Contrainte d’internationalisation des marchés ». On retrouve ici encore une dualité de situations : des entreprises qui entendent s’implanter à l’international pour gagner de nouveaux clients et des entreprises qui le font afin de conserver leurs clients traditionnels (actuels). On note tout de même que l’internationalisation peut conjuguer ces deux motivations puisque le total en ligne des taux de réponses donnés dans le tableau 1.8 dépasse les 100%. Ne disposant pas des données sources, nous ne pouvons pas tester la corrélation en vue de l’interpréter. Tableau 1.9. L’apport d’une délocalisation totale ou partielle de la production (%) Apport Rien du tout Année 2004 2005 29 56 Un éventuel gain de compétitivité 21 13 Un gain de compétitivité certain 22 17 Un avantage concurrentiel majeur 15 14 Pas de réponse 13 Source : KPMG (2003) En 2004 et 2005, les PME/PMI ayant délocalisé en 2003 ont été interrogées sur l’apport de cette délocalisation (tableau 1.9). Les résultats montrent que les retours d’expérience sont décevants au regard des motivations annoncées en 2003. En se basant sur l’évolution des déclarations entre 2004 et 2005 (passage de 29% à 56% de l’item « Rien du tout »), on est amené à croire que le sentiment d’insatisfaction est croissant dans le temps sans que l’on puisse savoir si cela vient avec l’expérience de l’internalisation ou si cela est lié à l’année 2005 en particulier. 3.1.2. L’enquête des CCI françaises En 2005, l’Association française des CCI (AFCCI) a réalisé une enquête originale auprès de 100 entreprises moyennes des secteurs de production et de services ayant délocalisé en 20042005. Dans cette enquête, une délocalisation correspond à un approvisionnement à partir d’un pays à faible coût de main d’œuvre ayant des conséquences sur l’organisation ou le développement de l’activité du ou des sites français de production. Les résultats donnés par l’AFCCI font ressortir une grande diversité des stratégies d’entreprise. Même si les résultats sont à manipuler avec prudence compte tenu de la structure de l’échantillon (voir plus bas, tableau 1.11) et de sa faible taille, ils offrent des éléments d’éclairage. On retrouve notamment le fait que, du point de vue des PME, la décision de délocaliser relève plutôt de la contrainte. • La délocalisation : une opération souvent décidée « sous contrainte » Les entreprises avaient à classer cinq des sept critères suivants par ordre d’importance (de 1 à 5). Le tableau 1.10 reprend par ordre décroissant les items cités en rang l par les entreprises. 40 Tableau 1.10. Les critères déterminants des délocalisations Critère Nécessité de baisser le prix de revient Pression des donneurs d’ordres pour accompagner une nouvelle implantation Opportunité d’implantation sur un marché en croissance Obligation de justifier l’implantation dans un pays à bas coût pour réponse à un Appel d’Offre Contrainte de réglementation du marché du travail Recherche de main d’œuvre qualifiée Autres Taux de classement en tant que critère le plus important 36% 18% 18% 10% 7% 3% 8% Source : AFCCI (2005) Un biais d’interprétation est introduit par le champ même de l’étude car seuls les transferts vers des pays « à bas salaires » sont pris en compte. Il est donc logique de retrouver au premier rang des critères de la délocalisation, les écarts internationaux de coûts des facteurs (« baisser le prix de revient »). Toutefois, ce taux de 36% n’est pas aussi important que celui que l’on pouvait attendre dans le cas d’une approche ciblée sur les pays « à bas salaires ». Plus significative, l’opportunité d’implantation sur un marché en croissance est le principal critère sélectionné par 18% des entreprises. La conquête de nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents, se confond ici avec la notion de délocalisation. Les résultats des enquêtes de KPMG sur les investissements à l’étranger semblent se confirmer. La recherche d’une main d’œuvre qualifiée ne serait le critère dominant que dans 3% des cas de délocalisation par les PME. Une nouvelle fois, il faut interpréter ce résultat en tenant compte du biais initial de la démarche focalisée sur les pays « à bas salaires ». En revanche, la mise en évidence de la pression exercée par les donneurs d’ordres (18% au rang 1) et/ou les clients (10%) confirme le principe d’une décision de délocalisation prise sous contrainte. En totalité des réponses données, 27% des entreprises interrogées sélectionnent ce motif de délocalisation. Plus surprenant, parmi les entreprises subissant la pression des donneurs d’ordres, la majorité signale qu’elle observe une progression des coûts de transport et de logistique capable de remettre en question la délocalisation. Dans ce cas, l’opération ne revêt qu’un caractère temporaire (réponse à la demande à un instant donné) et n’a pas vocation, a priori, à se pérenniser. • L’impact des délocalisations D’après l’étude de l’AFCCI, les retombées des délocalisations seraient globalement positives : dans la plupart des cas, la part de marché de l’entreprise serait restée stable ou aurait augmenté ; l’emploi sur le territoire national aurait été maintenu dans 44% des cas et se serait même développé pour 19% des entreprises interrogées. 40% des entreprises interrogées envisageraient de renouveler l’opération. Les données peuvent toutefois se lire « à l’envers » : 60% des entreprises n’envisageraient pas de renouveler l’expérience et l’emploi aurait été réduit dans 37% des cas. 41 • Le point sur les secteurs jugés sensibles Les principaux secteurs concernés par les délocalisations seraient les sous-traitance automobile et aéronautique. Le rapport de l’AFCCI propose une mise en perspective des filières jugées « sensibles », secteurs auxquels il faut porter une attention particulière : l’industrie automobile, les industries du textile et de l’habillement, les TIC, la pharmacie et les biotechnologies. Toutefois, les résultats obtenus sur un échantillon de 100 entreprises moyennes ne sont pas généralisables (tableau 1.11). Tableau 1.11. Structure de l’échantillon : les secteurs dans l’enquête de l’ACFCI Secteur d’activités Mécanique et transformation des métaux Plasturgie/assemblage Textile/confection Bureau d’études, Biotechs, Services Electronique / Bobinage Négoce Chimie / Matières premières Traitement de surface Divers Part dans l’échantillon 33% 26% 12% 10% 8% 5% 4% 1% 1% Source : AFCCI (2005) 3.1.3. L’enquête Ernst & Young -2009 : une inflexion des critères de localisation L’enquête la plus récente a été produite par le cabinet Ernst & Young (la même étude est produite chaque année). Un de ses intérêts majeurs est d’avoir été réalisée après le début de la récession économique. Elle offre ainsi de premières indications sur la manière dont les dirigeants d’entreprises envisagent leurs décisions d’implantation14 dans ce contexte particulier. Le rapport donne aussi un certain nombre d’indications quand à l’attractivité relative de la France et de ses métropoles. Globalement (tableau 1.12), la crise semble s’accompagner d’une stabilité des implantations étrangères en Europe, mais avec une forte baisse des investissements en direction de la partie centrale et orientale de Europe : la crise renforce la base historique des investisseurs dans un contexte d’incertitude. La France affiche quant à elle un léger recul, mais elle conserve le second rang des investissements étrangers derrière le Royaume Uni, l’Allemagne présentant un dynamisme très fort en 2008. En Europe occidentale, ce sont les emplois tertiaires qui sont affectés par un recul des IDE, en particulier les activités financières. En Europe orientale, c’est plutôt l’industrie (automobile, électronique, informatique) qui est touchée par ce recul. 14 Réalisée auprès de 809 décideurs de grandes entreprises issues des cinq continent, l’enquête couvre l’ensemble des secteurs économiques et tient compte de différentes taille d’entreprises (21% d’entreprises avec moins de 150 M€ de CA ; 41% entre 150M€ et 1500 M€, 38% à plus de 15000M€). Elle a été administrée par téléphone entre février et mars 2009. La partie relative à l’attractivité de la France est basée sur 206 répondants. 42 Tableau 1.12. Les projets d’IDE selon European Investment Monitor Source : Ernst&Young, Baromètre de l’attractivité du site France 2009 La crise semble clairement renforcer l’attractivité des zones développées (Europe, US), mais aussi celle des BRIC qui restent bien placés à plus long terme dans les intentions d’IDE. En ce qui concerne les secteurs les plus touchés en France, il s’agit des logiciels, des services aux entreprises et de l’automobile. Le maintien de l’emploi industriel au niveau des IDE en France est surtout lié à la pharmacie et au transport- logistique. De plus, et malgré un poids relativement faible, les éco-technologies semblent aussi attirer les investisseurs étrangers. Cette enquête se distingue des précédentes car les décideurs sont interrogés sur la localisation de nouvelles opérations. L’enquête cherche à recenser et à analyser les projets futurs de délocalisation. Les critères cités comme les plus importants sont recensés dans le tableau 1.13 Tableau 1.13. Critères de localisation pour une nouvelle opération pour votre entreprise Critères Infrastructures logistiques et transports Qualification de la main d’œuvre Stabilité et transparence de l’environnement politique et légal Marché intérieur national et régional Infrastructures de télécommunication Potentiel de croissance de la productivité Coûts de la main d’œuvre Taxation des entreprises Stabilité du climat social Flexibilité du marché du travail % de citation 52 49 49 47 47 47 45 42 41 35 Source : Ernst&Young, Baromètre de l’attractivité du site France 2009 Ces résultats montrent une certaine inflexion de la hiérarchie des critères de localisation en temps de crise. Face à l’incertitude sur la conjoncture, la préférence des décideurs va aux localisations « rassurantes » : en termes d’infrastructures (logistiques, transport ou communication) et de qualification de la main d’oeuvre, au regard du potentiel de marché comme à celui de la stabilité de l’environnement politique et légal. Ils semblent mettre au second plan les critères de coût ou de flexibilité. Cette tendance s’inscrit dans le premier scénario évoqué plus haut : l’hypothèse d’un frein aux délocalisations, voire d’une relocalisation d’activités dans les espaces centraux, développés, mieux dotés en facteurs jugés prioritaires. Soulignons que la tendance est encore incertaine, qu’il ne s’agit que 43 d’ « intentions » de localisations et que des espaces dans les pays à bas coûts peuvent tout aussi bien satisfaire aux critères recherchés : les écarts sur les taux de réponses sont relativement faibles. Notons toutefois que 29% des entreprises interrogées (206 répondants) envisagent une extension d’activité ou une implantation en France (contre 19% l’année précédente) et 15% envisagent une délocalisation (contre 24% l’année précédente). Le motif de ces délocalisations est un motif de coûts et concerne plutôt les grandes entreprises (27%). A propos des domaines technologiques sources d’innovation en France dans les cinq années à venir, les répondants soulignent : l’Energie et les éco-activités à 46 et 41 % (la France représente 20% du poids européen dans les éco-industries mais n’attire que 6% des investissements directs), les TIC et la pharmacie/biotechnologies (à 24 et 21 %), mais aussi les transports. Les 206 répondants classent par contre l’Allemagne en tête comme principal concurrent de la France en termes d’attractivité, en raison de son marché intérieur et de la qualité de sa main d’œuvre. Le Royaume Uni reste quant à lui très attractif pour la flexibilité de son marché du travail. L’attractivité régionale peut être approchée par le classement des métropoles françaises. Sans surprise, le classement suit celui de la taille des zones urbaines et souligne une attractivité relative encore faible pour Bordeaux. Figure 1.2. L’attractivité des métropoles françaises Source : Ernst&Young, Baromètre de l’attractivité du site France 2009 Ce rapport va donc dans le sens d’un ralentissement des intentions de délocalisation dans le nouveau contexte de crise. Il ne s’agit bien entendu que de déclarations, mais le rapport souligne aussi des éléments rassurants quant à l’attractivité de la France, en particulier dans les domaines de la santé et des transports. 44 * * * Au terme de cette revue des principales études sur les motifs des délocalisations, deux enseignements fondamentaux apparaissent. En premier lieu, l’hétérogénéité des résultats selon le type d’entreprise considéré ou le moment de mise en œuvre de l’enquête montre que l’on ne peut se satisfaire d’une vision unidimensionnelle des facteurs de délocalisation. La réalité vécue par les entreprises est plurielle. Elle s’incarne dans l’expression différenciée des motifs de délocalisation. L’effet taille et l’effet sectoriel semblent les deux aspects les plus structurants de cette diversité. En second lieu, la recherche d’une localisation low cost n’est pas le seul facteur explicatif des délocalisations. Celui-ci intervient à côté d’autres éléments qu’il convient d’articuler. Les facteurs de marché ou les contraintes exercées par les donneurs d’ordres (notamment pour les PME) sont tout autant, voire plus fortement, cités dans ces études. Ces premiers enseignements suggèrent de déplacer la réflexion sur les délocalisations d’une perspective statique (à l’instant t) vers une analyse des processus temporel de localisation. 3.2. La nécessité d’analyser les mouvements de délocalisation dans le temps La question de la mobilité des activités productives doit s’appréhender sous l’angle de la compétitivité des lieux : l’entreprise choisit une localisation en fonction des avantages qu’elle lui procure. On considère alors que les dotations factorielles, et donc les coûts des facteurs, sont structurants dans les choix de localisation. En généralisant au niveau macro-économique, on peut définir des spécialisations productives nationales déterminées en fonction des dotations factorielles. Mais l’introduction du facteur temps conduit à modifier l’appréhension habituelle de la délocalisation et à élargir en conséquence l’angle d’analyse. 3.2.1. Les trois temps du processus de délocalisation L’analyse de la compétitivité des sites passe habituellement par la comparaison des coûts induits de fonctionnement entre deux ou plusieurs localisations pour une activité donnée. Or, ces coûts s’expriment différemment lors des trois phases de la vie d’une localisation productive : - La phase d’implantation pour laquelle il faut prendre en compte l’ensemble des coûts d’implantation en distinguant les investissements greenfield (implantation par création) et brownfield (implantation par rachat). Dans le cas où l’activité nouvelle s’inscrit dans le cadre d’une substitution de localisation (délocalisation au sens stricte), il convient d’ajouter les coûts de fermeture/réduction d’activité (plan social, diminution de l’actif comptable, etc.). - La phase de production pour laquelle les coûts de production directs et indirects doivent être pondérés par le niveau d’efficacité d’utilisation des facteurs de production (productivité, taux de défaut des produits, etc.). - La phase de pérennisation de la localisation concerne son évolution dans le temps du point de vue de l’activité : extension/réduction des capacités de production, investissements de 45 renouvellement, dépenses de R&D, etc. Il s’agit de considérer à la fois les coûts de la croissance/décroissance et les différentes opportunités et contraintes (disponibilité de main d’œuvre, risque pays, croissance du marché local, etc.). C’est lors de cette phase que peuvent apparaître les relocalisations. 3.2.2. Des coûts et des facteurs multiples Trop souvent, l’attention se focalise sur les coûts de production, voire sur les coûts relatifs du travail. Ceux-ci sont un élément important pour les activités intensives en travail, au premier rang desquelles les productions manufacturières. Mais ils ne représentent qu’une partie de la structure des coûts nécessaires au fonctionnement opérationnel d’une unité de production. Pour une approche complète de la délocalisation par les coûts, il faut distinguer les coûts directs des coûts indirects en les considérant au cours des trois phases du processus de la délocalisation. Nous proposons une typologie de ces différents coûts selon trois catégories : les coûts de « réalisation » de l’activité, les coûts (gains) liés à l’utilisation de l’architecture réglementaire et les coûts (gains) liés aux externalités de localisation • Les coûts de « réalisation » de l’activité On distingue les coûts d’utilisation des facteurs de production des autres coûts de réalisation de l’activité. - Parmi les coûts d’utilisation des facteurs de production, on distingue ceux liés au travail, au capital physique et au capital financier. Les coûts du travail recouvrent principalement les salaires directs et indirects (charges sociales, cotisations…) et les coûts de la formation. Les coûts du capital physique sont liés à l’achat ou à la location des locaux, des équipements (y compris leur maintenance) mais aussi au taux d’amortissement fiscal, etc. Les taux d’intérêt sont les principaux coûts du capital financier. L’ensemble de ces facteurs ne peuvent s’évaluer toutes choses égales par ailleurs. Ils doivent être pondérés par leur efficacité de production, autrement dit par les productivités du travail et du capital, par le taux de défaut des pièces, par les taux d’absentéisme, de turn-over ou d’accidents du travail. - Parmi les autres coûts de réalisation de l’activité, on distingue généralement les coûts des « utilities », des services annexes, des impôts et taxes. Les coûts des « utilities » s’appliquent, par exemple, aux télécommunications, à l’eau ou à l’énergie. Des coûts sont aussi associés aux « services annexes ». Il s’agit des coûts associés au financement des besoins de trésorerie, à la gestion et/ou à la comptabilité mais aussi des coûts des services auxiliaires de production (nettoyage, services informatiques…) ou encore (et ce ne sont pas les moindres) des coûts logistiques et de transport. Enfin, les impôts et les taxes doivent être considérés. • Les coûts (gains) liés à l’utilisation de l’architecture réglementaire L’activité des entreprises s’insère dans un environnement institutionnel qui définit les « modalités de fonctionnement » possibles des différentes localisations (cf. les rapports annuels de la Banque mondiale Doing Business). Cet environnement génère des coûts et/ou 46 des gains dont les firmes doivent tenir compte même s’ils sont difficiles à mesurer et encore plus à anticiper. Il existe en effet des coûts bureaucratiques associés aux délais de création ou de fermeture d’entreprise, aux procédures d’importation/exportation, au permis de construire, à la certification des sites, aux réglementations environnementales, etc. ; et des coûts liés au fonctionnement du marché du travail relatifs aux procédures d’embauche et de licenciement, conditions de l’emploi en termes de flexibilité du temps de travail par exemple, de syndicalisation, de grève, de taille du marché du travail, etc. A l’inverse, il faut tenir compte des gains potentiels associés aux subventions pouvant être proposées : les déductions des dépenses de R&D, d’innovation et de dépôts de brevets, les subventions d’investissement (création/renouvellement/reconversion/adaptation), les aides à l’exportation, le conseil en organisation et en technologie (veille, intelligence économique, etc.), pour ne citer que les dispositifs les plus connus. • Les externalités de localisation Les dynamiques d’agglomération sont motrices dans les choix de localisation. On parle alors d’externalités d’agglomération positives (respectivement négatives) à propos des gains monétaires et non monétaires (respectivement pertes) liés à la localisation dans un même espace de plusieurs activités économiques. Plus largement, certaines localisations permettent de générer un gain économique car les entreprises bénéficient des infrastructures partagées et qu’elles se trouvent à proximité d’autres activités dont la présence peut leur bénéficier sans qu’elles aient à en supporter directement le coût. Dans le cas d’une externalité négative, le raisonnement est le même mais l’effet économique de la localisation ou de l’agglomération d’activités se traduit par une perte économique. La pollution, l’encombrement, l’accroissement des délais de livraison sont des exemples courants d’externalités négatives. Les principales externalités positives (perspectives de gains) sont associées : à la qualité des infrastructures de transport assurant l’accessibilité des biens et des personnes, à la présence d’organismes publics de recherche, à celle des partenaires économiques complémentaires (offre de produits conjoints, sous-traitants, fournisseurs, etc.) ou à celle d’entreprises de même nationalité déjà implantées, ou encore à l’existence d’aménités positives facilitant l’expatriation des cadres (écoles internationales, systèmes d’impositions, règles d’obtention de visas, services culturels, qualité du cadre de vie, etc.). A l’inverse, diverses externalités négatives (perspectives de perte) peuvent être mentionnées, liées : à la congestion (système de transport..), à la concurrence pour l’accès au marché du travail (particulièrement vraie pour les PME) et au marché foncier, aux systèmes de dépollution, aux dépenses de protection et de sécurité, aux aménités négatives pour les expatriés, etc. Du point de vue de la firme, ces facteurs sont difficiles à évaluer en amont de la prise de décision. Ils le sont d’autant plus que non seulement ils évoluent mais qu’ils se révèlent aussi pour partie dans le temps, une fois l’implantation réalisée. Par conséquent, les gains effectifs d’une délocalisation ne seront pas toujours à la hauteur des attentes, ainsi que l’ont montré les études précédemment exposées (3.1). Ce décalage peut conduire à une révision du choix initial. Mais surtout, les responsables sont-ils dotés d’une rationalité suffisante pour faire un choix optimal ? Autrement dit, ont-ils toute l’information et ont-ils les « capacités cognitives » pour 47 la traiter ? Tous ces éléments de coût peuvent-ils être estimés, anticipés et correctement évalués par les entreprises au moment d’une décision d’implantation à l’étranger ? Peuvent-ils seulement être pris en compte ? D’autres facteurs n’interviendraient-ils pas dans la prise de décision ? Il semble difficilement tenable de ramener la question de la localisation à une décision purement rationnelle de maximisation du profit (ou de minimisation des coûts) sous contraintes. Le processus de décision est probablement imparfait, inabouti, révisable et enchâssé dans des contextes territoriaux, productifs et sectoriels. Il semble impératif d’interroger ce processus. 3.3. Le choix de délocaliser : le processus de décision Ainsi que l’indiquent les enquêtes de KPMG et de l’AFCCI, la décision de délocaliser n’est pas nécessairement issue d’un processus rationnel d’anticipation dans le temps de l’ensemble des coûts directs et indirects. Au contraire, la délocalisation peut être guidée par la pression des donneurs d’ordres ou des clients. Dans le même sens, la délocalisation peut naître de la pression des actionnaires de la firme à la recherche d’un maintien ou d’une amélioration de la rentabilité financière à plus ou moins court terme. Il convient alors de situer la décision de délocaliser prise par une firme dans la dynamique sectorielle dans laquelle la firme s’inscrit et dans la stratégie plus individuelle de l’entreprise. La dynamique sectorielle s’entend au sens de la concurrence entre les acteurs, concurrence qui ne se joue pas nécessairement à l’échelle nationale. On sait par exemple que, dans le secteur du logiciel, les délocalisations des firmes européennes suivent les délocalisations américaines. La stratégie de la firme est appréhendée à travers quatre relations fondamentales qu’elle entretient avec ses partenaires : la relation salariale (marché du travail), la relation d’approvisionnement (avec les fournisseurs), la relation commerciale (avec les clients finals ou les donneurs-d’ordres) et la relation avec les financeurs (figure 1.3). Ces quatre relations sont à la fois définies au niveau de la firme et au niveau sectoriel puisqu’elles définissent le jeu concurrentiel. Figure 1.3. Un champ concurrentiel structuré autour de 4 piliers Relation salariale Relation d’approvisionnement (salariés et marché du travail) (fournisseurs) Firme & Secteur (articulation des 4 relations au sein de l’organisation et dans le jeu concurrentiel) Relation financière Relation commerciale (investisseurs et institutionnels) (clients finals et donneurs-d’ordres) Source : Jullien et Smtih (2008) 48 Cette grille de lecture est issue des travaux académiques de B. Jullien et A. Smith (2008)15 et constitue l’arrière plan théorique de notre approche (notamment dans la construction des guides d’entretien et d’analyse). Elle nous permet d’ordonner de manière synthétique l’ensemble des facteurs de délocalisation jusqu’alors évoqués, selon la dimension (ou relation) à laquelle ils se réfèrent (tableau 1.14). Tableau 1.14. Principaux facteurs de délocalisation selon les quatre relations de la firme Relation commerciale Relation d’approvisionnement Pression des clients Coûts d’approvisionnement (finals ou donneurs d’ordres, y compris pour les cas de délocalisation temporaire liée aux exigences des appels d’offre) (matières, logistiques, coût total d’achat dans le cas des délocalisations par soustraitance) Relation salariale Relation financière Coûts du travail (pas seulement le salaire horaire mais productivité, coûts de licenciement…) Accès au financement Compétences Positionnement sur le marché (prix, qualité, délais) Suivi des clients à l’étranger Caractéristiques produit/process (qualité, délais, taille des séries…) Suivi des sous-traitants à l’étranger (accès aux compétences, mais au sens large incluant les enjeux de dépendance et de perte des compétences) Taille et disponibilité du bassin de main d’œuvre Aides publiques Pression actionnariale (y compris turnover, poids des syndicats…) Nous avons regroupé les principaux déterminants des choix de délocalisation selon un nombre limité de classes de facteurs. Par exemple, la classe « positionnement sur le marché » regroupe les délocalisations ayant pour objectif d’améliorer (ou de maintenir) les parts de marché de l’entreprise qu’elle joue, pour le faire, sur les prix, la qualité (y compris les services) ou encore les délais. Nous rappelons que nous ne considérons pas les localisations de type « accès au marché local » comme des délocalisations, bien qu’elles puissent, à terme, orienter les délocalisations (par réorientation de filiales). Cette grille est au cœur de notre étude de la mobilité des firmes en Aquitaine. Elle est mobilisée dans l’analyse des résultats de l’enquête (partie 3) parce qu’elle répond aux deux impératifs d’appréhension des délocalisations/relocalisations : la dimension temporelle des processus et leur insertion dans un contexte plus large. 15 Au niveau empirique, elle a été mobilisée pour étudier des secteurs aussi différents que les industries agroalimentaires, aéronautique/défense, pharmaceutique ou les AOC viticoles. 49 3.2.1. La temporalité des processus de délocalisation/relocalisation Les firmes peuvent être contraintes de délocaliser par leurs partenaires… Nous l’avons déjà vu, les partenaires de la firme peuvent influencer ses choix stratégiques de localisation (cas, par exemple, de délocalisations réalisées sous la pression des clients ou des actionnaires). La délocalisation est alors vécue comme une contrainte. … et réciproquement, les délocalisations des firmes ont des impacts sur leurs partenaires. La décision de délocaliser relève fréquemment d’une recherche de compétitivité (maintien ou amélioration des parts de marché) de la firme. Dans ce cas, c’est la stratégie de la firme qui va avoir un impact, à plus ou moins court terme, une ou plusieurs des relations avec les partenaires. Par exemple, une délocalisation guidée par des gains en termes de coûts de main d’œuvre génère du chômage local dans le pays d’origine (détérioration de la relation salariale). Dans le cas de délocalisation par sous-traitance, celle-ci affecte le réseau de soustraitants initial (baisse plus ou moins importante de l’activité…). Des facteurs qui se lisent aussi « en positif » : les relocalisations Les facteurs sont ici présentés sous l’angle « négatif » de la délocalisation mais, pour l’ensemble, ils se lisent aussi dans le jeu inverse : - d’un frein aux délocalisations (ils se révèlent alors à la firme avant la délocalisation) - ou d’un moteur aux relocalisations (ils se révèlent alors dans le temps, une fois la délocalisation réalisée). Parmi les facteurs défavorables aux délocalisations (ou favorables aux relocalisations), on peut par exemple citer : la qualité insuffisante des biens et services fournis pouvant nécessiter un système de contrôle rigoureux (complexe et coûteux) ; les retards dans les délais de livraison, bloquant la production et engendrant la perte de parts de marché voire de marchés ; les coûts supérieurs à ceux qui étaient prévus (en plus des coûts de contrôle de la qualité), notamment les coûts de transports ou les évolutions possibles des salaires dans les pays de délocalisation ; les difficultés de management (liés aux problèmes linguistiques, culturels, de communication, etc.). Nous retrouvons l’idée que l’ensemble des facteurs de (dé)localisation sont, à l’instar des coûts salariaux, amenés à évoluer dans le temps : le gain à un instant donné peut, à terme, diminuer voire se transformer en perte. 3.2.2. L’influence des contextes sectoriels et spatiaux : attractivité et ancrage Les facteurs de délocalisation précités n’agissent pas nécessairement au niveau de la firme. Au contraire, ils peuvent être définis à l’échelle du secteur et donc jouer sur les décisions de l’ensemble des firmes d’un secteur. Parallèlement, les firmes peuvent aussi être influencées par les prescriptions des cabinets de consulting (benchmark par exemple) ou par le mythe du « c’est mieux ailleurs ». Par leur capacité d’attractivité, certains lieux deviennent, à terme, des « normes » de localisation (ou de délocalisation), à l’exemple de la Silicon Valley ou de Bangalore dans le 50 cas des délocalisations, autrement dits des « lieux » où les firmes d’un même secteur s’agglomèrent. On les désigne souvent par le terme de clusters. La littérature sur le sujet (par exemple Vicente, 2005)16 souligne que les normes de (dé)localisation sont globalement générées par deux types de comportement : - Un comportement mimétique (on parle d’ « effet pingouin »). Une entreprise va là où sont les autres firmes uniquement parce qu’elles y sont. Ce phénomène résulte de l’incapacité des agents économiques à recueillir toute l’information nécessaire à la prise de décision. L’agglomération constatée des activités économiques agit ainsi comme un signal positif dans les choix d’implantation. Le mimétisme est le principal facteur de localisation et il est souvent question d’attractivité sans ancrage a priori. - Un comportement lié à la présence d’externalités positives de localisation : on va là où les autres firmes sont parce qu’avec leur présence sur le territoire s’y sont développées des compétences spécifiques. Plus le nombre de firmes augmente, plus les effets positifs sont importants : disponibilité d’une main d’œuvre spécialisée, possibilités de coopération entre les firmes (partage d’informations) et présence de fournisseurs spécialisés, relations scienceindustrie, image locale et d’une façon générale, présence de ressources partagées. Ainsi, l’espace n’est pas neutre. Lorsqu’une firme délocalise, elle ne va pas simplement « ailleurs », elle va aussi quelque part. L’espace d’accueil est caractérisé par un certain nombre de critères intrinsèques (ressources naturelles par exemple) ainsi que par son architecture institutionnelle (cadre législatif, infrastructures, etc.). L’attractivité d’un territoire est à la fois « donnée » mais elle est surtout construite, par les politiques publiques visant à favoriser l’attractivité et l’ancrage des activités économiques sur le territoire. Or, comme nous l’avons déjà signalé, ces politiques sont définies à des échelles géographiques différentes, supranationales (européenne), nationales et régionales. L’action publique régionale est ainsi contrainte au sens où, par exemple, ce n’est pas à son échelle que se définissent les principaux cadres législatifs et réglementaires. Comment l’action régionale peut-elle ou doit-elle agir sur les deux volets de l’attractivité et de l’ancrage afin de limiter les délocalisations et de favoriser les relocalisations ? Si cette action doit nécessairement être ciblée sur certaines activités économiques et sur certains types d’entreprises (on sait que les PME sont plus « attachées » au territoire), elle ne fait pas l’objet de recommandations dans les principaux rapports publiés sur la question. 16 Vicente J., 2005, Les Espaces de la net-économie : Clusters TIC et aménagement numérique des territoires, Economica. 51 Section 4 – De l’impact des délocalisations aux recommandations politiques Lorsqu’on déplace la question vers l’action publique se pose, en préalable, celle du bilan ou de l’impact des délocalisations. Il faut alors reconnaître que les cadres théoriques les plus fréquemment mobilisés pour fonder la politique économique considèrent globalement les délocalisations sous un angle positif. 4.1. Un bilan globalement positif ? Oui, mais… La théorie économique dominante défend l’efficacité économique de la mobilité des entreprises. Dit autrement, les délocalisations font partie du jeu normal d’une économie mondialisée. Si les conséquences négatives des délocalisations d’activités sont reconnues et confirmées empiriquement, par exemple sur le marché de l’emploi des pays industrialisés, elles sont censées n’être que de court ou moyen termes. 4.1.1. Un petit détour par la théorie économique : un bilan positif Les théories traditionnelles du commerce international reposent sur le postulat que les délocalisations font partie d’un processus normal et globalement bénéfique pour la croissance : 1) La mobilité des entreprises s’effectue sur la base de la recherche de l’efficacité économique (autrement dit la maximisation du profit) ; 2) La localisation des activités s’inscrit dans cette démarche : les entreprises implantent les établissements de production en fonction des dotations factorielles dont disposent les espaces. Les facteurs de production (travail, capital, ressources naturelles) étant supposés peu ou pas mobiles, les entreprises optimisent l’utilisation de ces facteurs en se déplaçant elles-mêmes. Selon cette lecture, les pays verraient leurs spécialisations productives s’affiner au fur et à mesure que les frontières commerciales s’ouvrent : une division internationale du travail basée sur les dotations factorielles se met en place. Pour les pays développés, les délocalisations concernent des produits arrivés à maturité et relevant d’une production nécessitant un outil productif à faible technologie. Il semble alors normal que les pays en développement, peu innovants, se développent sur ce secteur tandis que les pays développés ont avantage à se spécialiser dans la production de biens à plus forte valeur ajoutée et continuent à innover. Les spécialisations réciproques permettraient ainsi un échange bénéfique à l’ensemble des partenaires. Cet effet bénéfique, dit de « substitution/compensation » (figure 1.4), se produit dans le temps. Si les délocalisations sont en effet porteuses de destruction des emplois au niveau local (certaines régions) et à court terme, ces pertes d’emplois se compensent au niveau macro (nation) et à plus long terme. En partie, cette anticipation d’effets positifs se vérifie sur le temps long de l’histoire économique (substitution de l’industrie puis des services à l’agriculture). A long terme, les délocalisations s’inscriraient dans un processus normal et bénéfique : amélioration de la compétitivité, croissance, firmes plus efficaces et plus performantes. 52 Figure 1.4. L’effet de compensation/substitution Amélioration de la compétitivité dans le pays d’origine (aug° des exportations et des bénéfices) Création d’emplois dans le pays d’accueil Délocalisations Réinvestissement (dans le pays d’origine) Baisse des coûts de production Destruction de l’emploi non qualifié dans le pays d’origine Augmentation de l’emploi qualifié Effet de court terme Effet de long terme Source : Adapaté de M. el Mouhoud, 2006, op. cit. 4.1.2. Un bilan plus mitigé au niveau empirique Selon les études de l’OCDE, le schéma que nous venons d’exposer se vérifierait dans les faits : les délocalisations ont un bilan globalement positif. Notamment, l’amélioration de la compétitivité des entreprises engendrerait à terme un accroissement des parts de marché, d’où la possibilité de création de nouveaux emplois dans les pays d’origine. Ce bilan est relativisé par l’organisme lui-même (OCDE, 2007, op. cit.) quand il recense les principaux effets positifs et négatifs des délocalisations (tableau 1.15). L’OCDE affirme toutefois que seules les pertes d’emplois étant immédiatement connues, la plupart des bénéfices n’apparaissent qu’à plus long terme et ne sont donc pas perçus comme des conséquences directes des délocalisations. A notre sens, il en va de même pour les effets négatifs. Plus encore, nous rappelons (section 2) que les délocalisations peuvent avoir des effets dramatiques au niveau local et qu’il convient de ne pas s’en tenir à une évaluation quantitative du phénomène. Nombreux sont les enjeux sous-jacents au phénomène : notamment, il est légitime de s’interroger sur la validité du processus de compensation dès lors que les délocalisations touchent des secteurs de moyenne à haute technologie et affectent les emplois qualifiés. 53 Tableau 1.15. Principaux impacts positifs et négatifs des délocalisations. Les effets positifs des délocalisations Les effets négatifs des délocalisations Accroissement du pouvoir d’achat des consommateurs (bas prix des importations). Baisse des salaires réels de certaines catégories de travailleurs. Amélioration de la rentabilité des entreprises qui délocalisent. Détérioration de la balance commerciale. Meilleure maîtrise de l’inflation grâce à l’impact des faibles prix à l’importation. Affaiblissement possible de la capacité innovatrice (cas des délocalisations de laboratoires de R&D). Amélioration de la capacité exportatrice. Perte de recettes fiscales. Les effets locaux (régionaux, emploi peu qualifié). Source : Elaboration des auteurs d’après OCDE (2007). Nous présentons maintenant les principales recommandations politiques formulées dans la littérature (rapports, études). 4.2. Face aux délocalisations, quelles recommandations pour quelle politique ? La conception « positive » des délocalisations conduit à penser la politique économique, et la politique industrielle, comme une série d’accompagnements qui s’imposent d’eux-mêmes pendant la phase de transition. Il s’agit en quelque sorte de minimiser les coûts sociaux et économiques des ajustements inéluctables à cette nouvelle donne mondiale, ajustements dont font partie les délocalisations. A plus long terme, c’est un ajustement structurel des économies qui est recommandé. Ainsi, l’ensemble des rapports et études s’accorde en général pour formuler des recommandations politiques combinant deux dimensions : 1) La première vise à rendre l’économie plus flexible afin d’accélérer la transition, en améliorant le fonctionnement des marchés des produits et du travail et en prenant des mesures d’accompagnement des pertes d’emplois induites par les délocalisations. 2) La seconde consiste à faciliter l’adaptation des économies aux nouvelles spécialisations productives que leur réserve la mondialisation. Pour les économies développées, l’effort de recherche développement et l’adaptation au progrès technique sont au coeur de ce second enjeu des politiques économiques. Nous ne détaillons pas ici ces préconisations qui cachent souvent un présupposé idéologique. Nous citons cependant pour les illustrer, les principales mesures recommandées par l’OCDE (OCDE, 2007) aux économies développées afin de faciliter leur ajustement structurel face aux délocalisations (tableau 1.16). 54 Tableau 1.16 : Les principales mesures d’ajustement structurel préconisées par l’OCDE. Mesure Commentaire Organiser au niveau national et local un bon système d’éducation et une formation continue de toutes les personnes L’OCDE met ici en évidence que les travailleurs recevant une bonne formation ont moins de risque de se retrouver au chômage. Si tel est le cas, ils retrouveront plus facilement un emploi Appliquer un traitement social aux personnes qui perdent leur emploi. Le traitement social ne peut être que transitoire. A long terme, il faut agir sur les structures du marché du travail afin de le rendre plus flexible. Inviter les firmes multinationales à bien respecter les normes sociales et à discuter leur plan de délocalisation avec les salariés. Accroître les efforts de R&D et d’innovation. Seule l’innovation permanente permettrait de limiter la nécessité de délocaliser. L’innovation technologique est mise en avant et il est recommandé de prendre les PME en considération. Réhabiliter la culture scientifique et technologique. Il faut lutter contre la pénurie d’ingénieurs et de techniciens afin de limiter les délocalisations dans les secteurs innovants et intensifs en connaissances. Eliminer les barrières aux échanges et aux investissements. Il faut réduire les barrières réglementaires afin d’augmenter les exportations (et compenser ainsi les pertes d’emplois). Améliorer l’évaluation quantitative des coûts et des bénéfices des délocalisations. Une meilleure connaissance du phénomène est nécessaire pour permettre une meilleure orientation des politiques publiques. Source : Synthèse effectuée d’après OCDE (2007). Bien qu’elle insiste aussi et avant tout sur l’évaluation qualitative et la compréhension du phénomène, notre étude suit cette dernière mesure. Son principal enjeu et de fournir aux décideurs les éléments de connaissance qui leur permettront d’orienter leurs actions politiques. L’étude s’inscrit en effet dans la perspective suggérée par le Conseil d’Analyse Economique (Fontagné et Lorenzi, 2005, p.93) : « les délocalisations posent avant tout une question d’aménagement du territoire et une question politique ». * * * 55 Conclusion de la partie 1 Tout au long de cette première partie, nous avons défendu la nécessité d’une meilleure compréhension des mouvements de délocalisation-relocalisation. Le caractère souvent émotionnel associé à ces mots montre à quel point le phénomène est en réalité difficile à cerner. Il convient donc d’en accepter la complexité et de tenter de la réduire pour la rendre intelligible. Au sens de cette étude, cela passe par une acception ouverte du phénomène nécessitant son évaluation à la fois quantitative et qualitative. Il convient aussi de prendre en compte la temporalité des processus et des décisions de localisation et d’adopter une lecture qui s’inscrit dans les contextes sectoriels et territoriaux qui sont ceux des entreprises. Enfin, il faut positionner l’action publique dans une optique plus offensive que défensive. Cela ne peut se faire sans une bonne compréhension des mobilités afin de déterminer où, quand et comment agir. Pour satisfaire ces exigences, deux méthodologies ont été mobilisées dans notre étude. La première renvoie à la construction d’une base de données régionale originale (ESPA). La seconde concerne l’analyse qualitative des mouvements de délocalisation-relocalisation et de leurs enjeux (potentiels ou effectifs) pour l’Aquitaine. Cette analyse est issue du traitement des entretiens menés auprès d’entreprises, d’experts sectoriels et d’acteurs institutionnels. 56