Pourquoi la France manque-t-elle d`ingénieurs et - Paris

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Pourquoi la France manque-t-elle d`ingénieurs et - Paris
Pourquoi la France manque-t-elle d'ingénieurs et ...
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Pourquoi la France manque-t-elle
d'ingénieurs et de scientifiques ?
Le Monde.fr | 22.02.2012 à 10h26
Par Daniel Bloch, ancien président d'Universités, ancien recteur d'Académie, ancien directeur des
Enseignements supérieurs.
La France manque d'ingénieurs et de scientifiques pour innover et rendre son
économie et son industrie plus compétitives. Les coupables désignés : le collège puis
le lycée qui décourageraient l'orientation vers les sciences , mais aussi les bacheliers
scientifiques eux-mêmes qui, une fois le baccalauréat obtenu, se détourneraient de
plus en plus massivement, année après année, des filières scientifiques et
technologiques supérieures. La réalité est toute autre.
Depuis 25 ans le nombre de bacheliers scientifiques a augmenté plus rapidement que
celui des bacheliers généraux dont ils font partie et le nombre de diplômés en
sciences - ingénieurs ou masters - s'est accru lui-même plus rapidement que le
nombre de bacheliers scientifiques. Mais si le baccalauréat scientifique remplit ainsi
correctement son rôle, il n'en est pas de même pour le baccalauréat technologique,
dont la contribution à ce niveau de formation - celui des ingénieurs et des masters est restée négligeable. Plus encore, à peine plus de la moitié des élèves de terminale
technologique atteint le niveau d'un diplôme de l'enseignement supérieur court : un
véritable gâchis qui pose d'autant plus d'interrogations que les élèves des terminales
technologiques relèvent - bien davantage que ceux des terminales générales - de
catégories socioprofessionnelles défavorisées, de ceux dont on considère souvent
qu'ils ont naturellement une intelligence plus concrète qu'abstraite. C'est donc bien le
baccalauréat technologique dont le contenu, sinon l'existence, doit être remis en
cause, afin d'assurer tout à la fois la réussite des élèves dans l'enseignement
supérieur , de participer à sa démocratisation et de contribuer à la "production" des
cadres scientifiques et technologiques pour notre pays.
Au lycée, le "poids" du baccalauréat scientifique n'a pas reculé.
Depuis des décennies, la moitié des bacheliers généraux sont des bacheliers
scientifiques, les autres bacheliers se répartissant entre la série économique et
sociale et la série littéraire. De 1985 à 2011, le nombre de bacheliers généraux a
augmenté de 67 % et celui des bacheliers scientifiques dans une proportion voisine
mais néanmoins légèrement supérieure (74 %).
Les bacheliers scientifiques ne se sont pas détournés des voies scientifiques et
technologiques supérieures
Le nombre de diplômés scientifiques au niveau de la licence s'est accru à un rythme
plus rapide que celui des bacheliers scientifiques. Cette remarque n'est pas atténuée
si l'on fait abstraction du développement de la licence professionnelle, puisqu'en
2009, dans le secteur des sciences et des technologies , le nombre des licences autres que professionnelles - a été de 24 235, une croissance de 125 %, bien
supérieure donc à celle - 74 % - du nombre de bacheliers scientifiques.
Les bacheliers scientifiques ont également été, en proportion, de plus en plus
nombreux à obtenir un diplôme scientifique du niveau du Master, d'un DEA, d'un
DESS ou relevant des sciences de l'ingénieur, puisque leur nombre s'est accru à un
taux de 119 %, là encore supérieur à la croissance du nombre de bacheliers
scientifiques. Même si l'essentiel de cette croissance s'est produite de 1985 à 1995,
ce mouvement ne s'est pas interrompu depuis, grâce à la montée en puissance des
masters professionnels à l'université et d'une croissance encore significative du
nombre d'ingénieurs diplômés.
Dès lors que l'on met en regard le nombre de bacheliers scientifiques à l'année n et le
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nombre d'ingénieurs, master, DEA ou DESS à l'année n+5 - puisqu'il faut cinq années
après le baccalauréat pour atteindre ce niveau - on constate également que les
bacheliers scientifiques se sont, année après année, de moins en moins détournés
des voies scientifiques et technologiques.
La baisse des effectifs d'entrée en licence scientifique, à l'Université, bien réelle avec un effondrement de 24 % en 1996 à 11 % aujourd'hui du nombre de bacheliers
scientifiques qui empruntent cette voie - est ainsi plus que compensée par la
croissance très significative des flux d'entrée dans les écoles d'ingénieur qui recrutent
au niveau du baccalauréat, et par l'arrivée dans les licences scientifiques d'une part
de diplômés des Instituts Universitaires de technologie qui y poursuivent leurs études
et d'autre part des élèves ayant échoué à l'entrée des facultés de médecine et de
pharmacie et qui se réorientent.
Le taux d'accès des jeunes à l'enseignement supérieur long est trop faible
Dès lors, pourquoi manque-t-on d'ingénieurs et de scientifiques ? Les données
gravées sur le tableau de bord de l'OCDE pour les sciences, la technologie et
l'industrie, établissent à quel point la situation dans laquelle est placée notre pays est
paradoxale. En dépit de ce que la part des diplômés en science et technologie parmi
les diplômés de l'enseignement supérieur est l'une des plus élevée au monde, nous
produisons insuffisamment de diplômés dans ce secteur - mais aussi dans beaucoup
d'autres - tout simplement parce que le taux d'accès des jeunes à l'enseignement
supérieur long est extrêmement faible, nettement inférieur à celui atteint dans la
moyenne des pays de l'OCDE.
Ainsi, le manque de scientifiques et de technologues ne résulte pas de ce que les
bacheliers se détournent des filières scientifiques - il est d'ailleurs sain que des
scientifiques alimentent aussi les filières de la santé ou de l'économie, et que ceux
qui ont obtenu leur baccalauréat avec difficulté choisissent des parcours de formation
moins ambitieux - mais d'abord parce que nous ne conduisons qu'un nombre
insuffisant de jeunes au baccalauréat général ou à un baccalauréat conçu de telle
manière qu'il permette de progresser jusqu'au niveau de la licence puis au niveau d'un
diplôme de master ou d'ingénieur.
Le baccalauréat technologique, sous sa forme actuelle, n'est pas adapté à une
poursuite d'études longues
Par construction même, le baccalauréat technologique n'est aujourd'hui pas conçu
pour assurer la réussite des élèves dans l'enseignement supérieur long. Alors que le
premier diplôme d'enseignement supérieur désormais reconnu au niveau européen
est celui de la licence (L) et notamment celui la licence en ingénierie, le baccalauréat
technologique s'affiche encore dans notre pays comme essentiellement destiné à
préparer à des études supérieures courtes, du type de celles prenant place dans les
sections de techniciens supérieurs (STS) ou dans les Instituts universitaires de
technologie (IUT), et donc débouchant sur un diplôme de niveau inférieur à celui de la
licence, et ne permettant donc pas directement, contrairement à celle-ci, l'accès à
une formation de niveau master (M).
Aujourd'hui encore, et en dépit de réformes récentes, l'enseignement "technologique"
inclus dans le baccalauréat technologique est exagérément développé au détriment
de la formation "scientifique" De plus, la séparation formelle entre enseignements
technologiques et enseignements scientifiques constitue, ici comme dans d'autres
formations supérieures, un signe d'archaïsme. Pour ne donner qu'un exemple, la série
technologique la plus importante, intitulée "Sciences et technologie de l'industrie et du
développement durable " (!), elle-même divisée en quatre sous-spécialités, comporte
seulement, pour l'ensemble première et terminale, 15 heures d'enseignement
scientifique, à comparer au double pour la "technologie", alors que nombre de ces
enseignements de technologie seraient davantage profitables ultérieurement, sur un
socle scientifique élargi et approfondi. Les programmes doivent être définis non pas
de façon interne, au sein de l'enseignement scolaire, mais en liaison étroite avec les
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enseignements supérieurs, notamment universitaires.
Un développement réellement significatif du caractère généraliste du baccalauréat
technologique, constitue un élément-clé d'une politique visant à remettre à un bon
rang international le taux d'accès des jeunes français au niveau de la licence, et en
conséquence aussi ensuite au niveau d'un master ou d'un diplôme d'ingénieur. Les
modifications - mineures - apportées récemment à l'organisation du baccalauréat
technologique ne devraient pas avoir de conséquences significatives, la vraie question
demeurant posée : entre le baccalauréat professionnel et le baccalauréat général peut-être insuffisamment technologique - y a-t-il réellement la place pour le
baccalauréat technologique créé il y a 44 ans alors que n'existait pas encore le
baccalauréat professionnel ? Le débat doit prendre place aussi en dehors la rue de
Grenelle car, comme l'écrivait Jean-Pierre Chevènement en 1985, alors qu'il était
ministre de l'éducation nationale : "Notre système éducatif évolue davantage en
fonction de pressions internes que de sollicitations externes. Il suit une logique
institutionnelle, qui veut qu'après plusieurs décennies d'existence, une institution
cherche davantage à se reproduire qu'à servir le public ou la cause pour lesquels elle
avait été initialement conçue".
S'il n'y avait qu'une grande réforme à accomplir au niveau de l'enseignement
secondaire, celle-ci devrait concerner l'enseignement technologique des lycées. Car si
nous avons traité en détail ci-dessus de l'enseignement technologique relevant du
secteur industriel et de la production, les constats effectués s'appliquent de façon
encore plus accablante aux enseignements liés aux métiers des services et de la
gestion.
Pour lire d'autres analyses , rendez-vous sur le site de la Fondation Res Publica
(http://www.fondation-res-publica.org/) .
Daniel Bloch, ancien président d'Universités, ancien recteur d'Académie, ancien directeur des Enseignements
supérieurs.
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