Manuel de correspondance com m erciale française

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Manuel de correspondance com m erciale française
Le « français sur objectifs spécifiques », version 1900
La découverte sur le « Marché des Anciens Livres » à Istanbul d’un Manuel
de Correspondance commerciale française datant de 1919, rédigé par le
Professeur Gaètan ou Gaetano Frisoni et publié chez le fameux éditeur
milanais Ulrich ou Ulricho Hoepli (Éditeur-libraire de la Maison Royale
d’Italie), a de quoi remettre en cause l’idée reçue que nos manuels et
méthodes en français professionnel répondent à de récents besoins de communication à caractère pragmatique et fonctionnel. Il est intéressant en outre
de noter que l’exemplaire en notre possession avait déjà bénéficié de trois
éditions en 17 ans (cf. première Préface rédigée le 1er juin 1902 et deuxième
Préface rédigée le 30 juin 1919).
Ce manuel fait partie d’une série polyglotte, c’est-à-dire également publié en
langues italienne, espagnole, anglaise, allemande et portugaise dont il est
spécifié en première page de titre « chacune forme un texte original et les
autres en sont la traduction ou la clef ». Nous supposons que le manuel de
référence publié en premier était en portugais puisque l’auteur indique en
note de bas de page que les buts du manuel de correspondance française sont
similaires à ceux du manuel de correspondance portugaise rédigé à Gênes en
1895, manuel modèle à partir duquel se seraient constitués les autres.
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Aline Gohard Radenkovich
Cette dimension polyglotte s’inscrit dans une tradition didactique qui remonte
au XVIe siècle en Europe, illustrée par des nomenclatures, dictionnaires,
grammaires, textes littéraires, correspondances épistolaires, etc. en plusieurs
langues comme en témoigne le Repertorio analitico di manuali pubblicati
dal 1625 al 1860. Insegnare il francese in Italia (Minerva et Pellandra,
1997). Ainsi l’ouvrage Colloquia, et Dictionariolum Octo Linguarum (Berlaimont, 1656), destiné aux marchands, soldats et voyageurs qui souhaitent
utiliser une langue à des fins simplement communicatives, est sans doute le
plus représentatif de cette dimension plurilingue reflétant une époque de
circulation intense des idées, des hommes et des biens dans une Europe en
pleine expansion (Rizza, 1996). Dans cet exemple précis, l’ouvrage organisé
en deux parties, dialogues suivis d’un dictionnaire, propose une lettre-modèle
en latin qui sera traduite en sept langues : « françois, flamen, alleman,
espaignol, italien, anglois, portuguez ». Ces lettres, elles-mêmes divisées en
deux parties, demande et réponse, simulent en quelque sorte l’échange épistolaire entre l’expéditeur et le destinataire. Cette approche didactique
spécifique, de par son organisation en colonnes parallèles de lettres
présentées successivement en plusieurs langues et regroupées en un volume,
se retrouvera tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles.
Ce qui marque toutefois la spécificité de notre série polyglotte du début du
siècle par rapport aux manuels précédents « polyglottes », c’est-à-dire où se
côtoyaient les textes en plusieurs langues, tient à la nouvelle conception didactique d’un plurilinguisme où chaque langue fait l’objet d’un manuel en
soi.
Quelques hypothèses sur le contexte économique en ce début
de siècle : des besoins accrus de communication commerciale
Sans pouvoir restituer précisément les raisons qui ont présidé à la publication
de cette série polyglotte et plus spécifiquement à celle du Manuel de
correspondance commerciale française « à l’usage des étudiants, des négociants et des industriels qui désirent se perfectionner dans la phraséologie
mercantile française de nos jours » (tel est l’objectif énoncé en sous-titre sur
la deuxième page de titre), on peut toutefois faire l’hypothèse que cet
ouvrage a répondu à des besoins de communication à une époque où le port
de Gênes et plus largement l’Italie du Nord, ont connu dès la fin du XIXe
siècle une période florissante dans leurs échanges commerciaux et maritimes
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avec tous les ports européens et au-delà. Si l’on en croit Frisoni, chargé par le
Commandeur Hoepli de compiler une série de Manuels de Correspondance
Commerciale Polyglotte (c’est-à-dire couvrant les principales langues
européennes), ces ouvrages utilitaires devaient « témoigner de la moderne
activité et du grand développement que les affaires ont atteint de nos jours ».
Il est également non négligeable de rappeler que les élites ‘levantines’,
majoritairement implantées autour du Bosphore sous l’Empire ottoman,
maîtrisaient plusieurs langues dont le français, utilisé comme langue de
communication et de négoce entre les diverses communautés résidant autour
de la Méditerranée : il n’est donc pas surprenant d’avoir retrouvé l’un de ces
manuels sur un marché istanbuliote.
Par ailleurs une autre source consultée, soit l’ouvrage intitulé Un secolo di
Manuali Hoepli : 1875-1971, dirigé par Alessandro Assirelli (1996), faisant
l’inventaire de toutes les publications retrouvées depuis la fondation de la
Maison Hoepli (en vue de l’exposition à Milan à l’automne 1997) nous
permet de confirmer l’hypothèse d’une mutation économique et sociale
extrêmement dynamique. Ainsi, l’Introduction : Il caso Hoepli rédigée par le
sociolinguiste Tullio De Mauro (Assirelli, 1996), retraçant le contexte socioéconomique, témoigne de l’incessante activité éditoriale de la Maison Hoepli,
par les domaines représentés et les thèmes choisis, les préoccupations
scientifiques et les priorités économiques de l’époque. Plus encore, elle
montre comment la diffusion de la connaissance est portée par une nouvelle
conception éditoriale (bénéficiant de nouvelles techniques d’imprimerie) et
commerciale de l’édition (non plus réservée à titre confidentiel aux seules
élites) s’appuyant sur la circulation des marchandises, décuplée et accélérée
par les réseaux de communication (téléphone et télégraphe) et par de
nouveaux moyens de transports (trains, bateaux à vapeur).
Il apparaît clairement que la fin du siècle dernier et le début de ce siècle ont
vu une véritable explosion industrielle et urbaine, que l’édition Hoepli née au
cœur de cette mutation économique, qui a révolutionné le rapport au travail et
plus largement le rapport des individus à leur environnement, en a été non
seulement le témoin actif mais plus encore l’un des acteurs majeurs de la
vulgarisation des nouveaux savoirs et savoir-faire. Les nombreux titres
couvrant tous les domaines possibles de la pensée philosophique à la
recherche scientifique, de la recherche scientifique aux innovations techniques, médicales, industrielles, etc. sont dans ce sens représentatifs de cette
transformation historique des sociétés et des mentalités. L’auteur de l’Introduction (ibid.) décrit ce processus ainsi : « Il significato che i Manuali Hoepli
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hanno nella storia della cultura italiana è qui : essi sono riusciti a costruire
attraverso un secolo e più una rete articolata di ‘determinazioni’ del
conoscere tecnico, scientifico, storico, umanistico, una rete preziosa tessuta a
partire da un sapiente sforzo editoriale che ha raccolto e convogliato energie
per un pubblico vastissimo di lettrici e lettori » (p. 14). Il n’est donc pas
étonnant que les langues aient trouvé leur place dans cette frénésie de
publications, étant les vecteurs par excellence de la connaissance, des idées et
des inventions et de toute forme de communication touchant les divers
secteurs de l’activité humaine et économique.
Indices sur l’auteur du manuel et sur ses présupposés
didactiques
Une première information sur l’auteur nous est donnée sur la deuxième page
de titre plus détaillée que la première. Sa fonction et ses titres sont déclinés
ainsi : « Ancien Professeur de Langue Française à l’Institut Bianchi, Membre
de l’Académie parisienne des Inventeurs, Industriels et Exposants ». Au verso
de la première page de titre, nous sommes alertés par la grande productivité
du rédacteur sous la rubrique Ouvrages du même auteur ; plus de quatorze
titres annoncés comprenant aussi bien les manuels en six langues (avec des
titres présentés dans la langue visée) que des grammaires : Grammatica ed
esercizi pratici della lingua Danese Norvegiana ou encore Grammatica,
esercizi pratici e dizionario della lingua Catalogna (Barcellonese) avec la
clef des thèmes et un recueil de 350 proverbes ; de même des dictionnaires
commerciaux en six langues, outils complémentaires des six manuels de
correspondance commerciale ou encore des dictionnaires bilingues tels que :
Diccionario e Frasario das linguas Portugueza-Italiana e ItalianaPortugueza ; Dizionario Moderno Italiano-Spagnuolo ; Dizionario Moderno
Genovese-Italiano e Italiano-Genovese, con una raccolta di 1000 proverbi.
Or contre toutes nos attentes, l’auteur du manuel ne se déclare pas enseignant
mais expert en relations commerciales maritimes qui vient de se retirer des
affaires, comme il se plaît à l’indiquer dans sa première Préface. C’est donc
sur la demande de l’éditeur milanais qu’il accepte de faire bénéficier de toute
sa pratique et de son expérience acquises pendant de longues années et qu’il a
dédiées aux affaires « comme correspondant dans les principales maisons de
Gênes ». Mieux, il se met d’autant plus à la tâche qui lui incombe qu’il a
gardé les copies des lettres et bon nombre de documents se rapportant aux
opérations de son commerce en n’en retenant pour le manuel que ceux à
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caractère international, mettant de côté donc tout ce qui avait une forme
strictement locale.
En conformité avec ce principe, il s’est efforcé, explique-t-il, de généraliser
ses modèles le plus possible et de ne donner que des lettres courantes et d’un
usage constant, parce qu’elles sont plus nombreuses et par conséquent les
plus recherchées et les plus utiles ; pour ajouter un peu plus loin : « quant aux
documents, au lieu de suivre l’usage généralisé de les réunir à la fin de
l’ouvrage en une collection stérile de modèles qu’on ne consulte en général
presque jamais, j’ai pensé qu’il était bien plus utile de les insérer dans le texte
en les faisant opportunément figurer dans les diverses opérations de
commerce ».
Si l’on devait traduire en langage pédagogique moderne, ce méthodologue
avant la lettre du ‘français destiné à des publics spécifiques’, opte pour la
notion de ‘modèle’ illustré ou exemplifié par des documents ‘authentiques’
en regard de situations-types inventoriées et retenues en fonction de leur
fréquence.
Principes d’organisation du manuel
Ce précurseur du ‘français à des fins commerciales’ ou plutôt de ‘la pratique
de la correspondance commerciale’ en français et autres langues, propose une
« classification de lettres en groupes distincts » et « une division en autant de
chapitres qu’il y a de sujets généraux de correspondance » (Première
Préface).
L’auteur adopte donc un regroupement de ses correspondances par type
d’activités ou tâches, annoncées dans une Table systématique des matières,
telles que :
1.
2.
3.
4.
5.
Lettres circulaires
Offres de service
Lettres pour ranimer des relations languissantes
Demandes d’emploi ou de placement
Demandes de Renseignements sur la moralité d’un négociant et sur la
solvabilité d’une maison
6. Certificat de bon service – Lettres de satisfaction – Certificats de
Notoriété
7. Lettres de Recommandation et d’Introduction
8. Affaires en marchandises – Ordres et leur exécution
9. Agents Commissionnaires, Représentants et Voyageurs de Commerce
10. Transports Maritimes et Terrestres
11. Agents Expéditeurs
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12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
24.
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Comptabilité
Demande de paiement
Demande d’un délai ou atermoiement
Reproches, Plaintes et Réclamations
Faillites
Contentieux
Affaires de Banque
Lettres de Change
Lettres de crédit et demandes de crédit
Affaires maritimes et documents qui s’y rapportent
Bourse
Télégrammes
Annonces et Réclame
Activités épistolaires complétées par :
un Dictionnaire des termes de commerce
un Vocabulaire commercial français-italien
des Abréviations
une Table analytique des matières.
Plusieurs caractéristiques se dégagent de la lecture de ce sommaire : la première étant l’extrême diversité des échanges et actes de communication écrite
mis en œuvre par le monde des affaires, de négoce terrestre, bancaire et
maritime ; la deuxième étant l’ordre dans lequel sont présentées ces différentes activités écrites comme si elles suivaient une progression, voire une
logique à caractère davantage pragmatique que linguistique. Le souci de
classification des diverses opérations les plus fréquemment rencontrées dans
l’activité commerciale et tous les secteurs directement concernés par ces
activités professionnelles (transports, banques, services, comptabilité, contentieux, changes, bourse, etc.) a incité l’auteur à définir les différentes
situations de communication (information ou lettres circulaires, offres de
service, lettres de recommandation et d’introduction, plaintes et réclamations,
relance, demandes de délai, réclame, etc.) et les modes de correspondance –
ou ‘pratiques écrites’ – les plus utilisés dans ce contexte. Il est clair que
Frisoni n’a pas voulu céder à la facilité en regroupant les échanges
épistolaires par branche spéciale de l’activité commerciale, sauf pour le
charbon et la fonte mais pris en tant qu’exemples prédominants des marchandises exportées, souhaitant ainsi préserver le caractère transverse et donc
‘généralisable’ des lettres d’un usage courant sélectionnées pour son ouvrage.
Il est intéressant de noter également que l’auteur s’appuie sur des documents
authentiques mais, selon son principe de généralisation, il va adapter ces
documents, les ‘pédagogiser’ en quelque sorte. Toutefois il s’attachera à en
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préserver l’authenticité (et là réside cette étonnante modernité de l’ouvrage et
de la démarche) « afin de conserver en quelque sorte leur originalité »
précisera-t-il « en reproduisant les sigles, frises, ornements et vignettes telles
qu’on les trouve dans les écritures d’affaires ».
Enfin le chapitre portant sur le ‘Télégramme’ comme nouvelle technique de
communication utilisée dans les relations commerciales fait l’objet d’un
traitement à part entière dans le manuel pour les raisons que l’auteur explicite
ainsi : « Je me suis occupé de la correspondance télégraphique, car je sais par
expérience qu’elle cause souvent quelque embarras aux marchands qui
aiment la concision et la clarté en même temps que l’économie ». C’est un
peu comme si cette technique, alors encore mal maîtrisée par ses usagers,
nécessitait un entraînement spécifique du fait qu’elle aurait engendré ses
propres pratiques écrites (économie syntaxique). L’organisation générale de
l’ouvrage et les préoccupations méthodologiques qui les sous-tendent
prouvent que Gaètan Frisoni a conçu ses manuels, ainsi que ses grammaires
et dictionnaires bilingues, sur l’idée préalable d’un usage transverse à
l’intention de publics diversifiés et sur la constitution d’un certain nombre de
compétences linguistiques que l’on dénommerait aujourd’hui compétences de
communication professionnelle courante, proposant comme support final à ce
perfectionnement linguistique, un dictionnaire des termes de commerce et un
vocabulaire commercial français-italien.
Pour terminer, dans sa Seconde Préface, Frisoni retrace avec précision les
quelques modifications nécessaires à l’organisation du manuel afin d’en
faciliter l’emploi aux usagers. Nous retiendrons, quant à nous, que l’auteur a
revu et augmenté « la partie lexicographique, dans laquelle, déclare-t-il,
j’avais ma liberté d’action et qui fut si utile aux étudiants des écoles
moyennes de commerce, et si bien agréée par eux ». Cette phrase qui nous
paraît anodine nous indique toutefois que les langues européennes (y compris
le danois-norvégien) étaient enseignées dans ces écoles à des fins utilitaires.
Nous retrouvons ce souci à la fois du professionnel et du pédagogue qui
conclut sa préface ainsi : « ... et je serais heureux si mes fatigues pouvaient
continuer à favoriser le développement des études commerciales ».
Exemples de « pratiques épistolaires » dans les lettresmodèles
Nous nous attacherons à donner ici quelques exemples types des usages
linguistiques et des modes d’organisation de ces lettres-modèles qui ne sont
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pas fondamentalement différents de ceux pratiqués de nos jours. Toutefois
nous pourrons constater que les formules de politesse (introductives et
conclusives), la langue propre à la correspondance commerciale, bancaire ou
autre, ont beaucoup évolué, ceci vraisemblablement sous la pression d’une
intensification et d’une transformation des échanges dans le temps et l’espace
visant en priorité l’efficacité, faisant ainsi l’économie d’une recherche
stylistique. Ces précautions linguistiques (de l’ordre de la « courtoisie ») que
nous trouvons tout au long de cette correspondance restituée par l’auteur, ont
pour but évident de ménager les relations, même dans les cas litigieux, qui
traduisaient à l’époque le type de rapports existants entre les individus, entre
le fournisseur et le client, entre ‘gens du même monde’ (les commerciaux)
s’inscrivant dans un réseau de liens interpersonnels construits sur le long
terme et sur la distance.
1. Premier exemple : celui du chapitre 3 dont le titre est comme suit :
LETTRES
pour ranimer des relations languissantes
Ces lettres-modèles ont pour caractéristiques communes de débuter la
correspondance par une formule de regret mais avec une recherche de
diversité dans l’expression, comme les exemples suivants en témoignent :
Solari Jacques de Gênes, Fabrique de pâtes gênoises à
Messieurs Melvil & Bride à Rangoon : Messieurs : – C’est
avec un vif regret que je vois s’affaiblir nos relations qui
néanmoins n’ont jamais cessé d’être cordiales et d’une utilité
réciproque et auxquelles j’attachais une grande importance.
Anise & Sani de Catanzaro, Commissionnaires en Draperies et
Soieries à Messieurs Percic & Crivic à Antivari : Messieurs : –
Nous remarquons avec un vif regret que depuis quelque temps
vos commissions se font toujours plus rares. Nous n’osons
l’attribuer au défaut de bonnes dispositions envers nous.
G. Liprandi, de Girgenti, Soufrière « Etoile» à Monsieur P.
Long à Aberdeen : Monsieur : – En feuilletant mon enregistreur du trimestre dernier il me tombe par hasard sous les
yeux votre honorée lettre du 5 mai écoulé, et je m’aperçois, à
mon grand regret que vous ne m’avez plus donné l’occasion de
vous prouver mon vif désir de vous servir...
Bini & Canti de Barletta, Docks Vinicules à Messieurs Carusi
& Cino à Callao (Pérou) : Messieurs : – Privés depuis
longtemps de vos bonnes nouvelles, nous en éprouvons un très
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vif regret et nous ne pouvons nous expliquer le motif de votre
silence.
On observe également un souci de la part de l’auteur de diversifier les
formules conclusives de politesse quoique celles-ci soient relativement
codifiées et donc figées dans leur formulation, ainsi :
Solari Jacques de Gênes, Fabrique de pâtes gênoises à Messieurs Melvil & Bride à Rangoon : Vous pouvez être sûrs que
je saurai apprécier votre confidence et tandis que je vous
présente d’avance mes meilleurs remerciements, je vous prie de
me croire votre Tout dévoué Jacques Solari.
Anise & Sani de Catanzaro, Commissionnaires en Draperies et
Soieries à Messieurs Percic & Crivic à Antivari : Dans l’attente
de vous voir nous confirmer cette supposition, nous vous
saluons sincèrement.
G. Liprandi, de Girgenti, Soufrière « Etoile » à Monsieur P.
Long à Aberdeen : Tâchez, je vous en prie, de ranimer un peu
notre échange d’affaires et je vous en serai très obligée. Dans
l’attente de vos ordres, je vous salue très sincèrement.
Bini & Canti de Barletta, Docks Vinicules à Messieurs Carusi
& Cino à Callao (Pérou) : Croyez que nous redoublerons de
zèle dans l’exécution de vos ordres, et dans cette attente,
agréez l’assurance de notre sincère amitié.
2. Deuxième exemple : celui du Chapitre 5 s’intitulant :
DEMANDES DE RENSEIGNEMENTS
sur la moralité d’un négociant et sur la solvabilité d’une maison avec des
réponses épistolaires et télégraphiques
Ce titre, un peu long mais précis, annonce clairement l’objectif de la correspondance (n’oublions pas que ce manuel est un ouvrage de lettres-modèles
auxquelles peut se référer l’usager en cas de besoin ou d’incertitude d’où la
nécessité d’être explicite) et indique en fait les différentes étapes
d’organisation du chapitre. Celles-ci s’articulent d’une part autour d’une
demande-type de renseignements mais dont les formulations peuvent se
diversifier et de réponses-types qui, quant à elles, s’élaborent et varient dans
leur formulation selon un plan d’évaluations successives comme suit:
a) Favorables
b) Restrictives
c) Douteuses
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d) Évasives
e) Négatives
– tantôt à partir d’une même demande de renseignements sur la solvabilité
d’une maison, deux réponses épistolaires la première comportant une
appréciation favorable (a), la deuxième une appréciation restrictive (b) (cf.
document n°1);
– tantôt à partir d’une demande de renseignements portant sur la moralité
d’un négociant, quatre réponses télégraphiques selon le plan proposé plus
haut.
3. Troisième exemple : le chapitre 15 s’articulant autour de :
REPROCHES ET RECLAMATIONS
ET PLAINTES
Accusations et Justifications
Le plan proposé repose sur des ‘cas d’études’ de manquement aux
engagements pris par le partenaire commercial, tels que :
a) Marchandises qui ne sont pas conformes à l’ordre donné : marchandises
laissées pour compte et risque.
b) Marchandises de qualité inférieure ou avariées.
c) Retards dans l’expédition des marchandises, lenteur dans l’exécution des
ordres.
d) Marchandises non retirées ; colis en souffrance : marchandises refusées.
e) Erreurs de calcul ; erreurs de déclaration ; méprises dans l’expédition.
f) On se plaint de ne pas recevoir de réponse.
g) Faute d’accomplissement d’un engagement qu’on a pris.
Nous retrouvons un plan-type d’organisation de l’argumentation :
– Premier temps : lettre-accusation du client se plaignant :
Formules introductives contenant le reproche, la réclamation tout en
l’atténuant.
Exposition du cas : description précise du dommage subi (souvent chiffrée)
suivie d’une demande d’explication ou de réparation du dommage.
Formules conclusives de politesse brèves.
– Deuxième temps : lettre-justification du fournisseur se défendant :
Formules introductives reprenant le cas exposé par le client, pouvant déjà
exprimer la position du destinataire : surprise, protestation de bonne foi, ou
excuses.
Manuel de correspondance commerciale française
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Formules argumentatives soit justifiant le dommage, soit le reconnaissant et
le réparant, soit au contraire le refusant et exprimant son indignation.
Formules conclusives brèves reprenant l’une des trois positions: excuses et
réparation ; proposition d’un compromis ; refus et incitation à honorer le
paiement sans retard.
Rôle et destin des Manuels Hoepli
Il semblerait que la série polyglotte et autres ouvrages du même auteur,
grammaire et dictionnaires, ainsi qu’une bonne partie des publications et
productions de cette époque, aient disparu sous les deux bombardements qu’a
subis la ville de Milan à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, si l’on se
réfère à l’inventaire des publications citées dans le catalogue de la maison
Hoepli. Pour exemplifier, sur les quatorze ouvrages annoncés dans la
bibliographie du Manuel de Correspondance commerciale, une dizaine de
manuels de cette époque ont été retrouvés et inventoriés. Or nous n’étions
qu’en 1919, ce qui signifie que Gaètan Frisoni, décédé vraisemblablement
vers 1931, a dû encore produire un certain nombre d’ouvrages, comme le
prouvent d’ailleurs les quelques autres titres répertoriés entre 1919 et 1931
toujours dans le domaine de la langue, tels que : El espanol comercial.
Cincuenta lecciones practicas en 1921 ou encore Grammatica spagnuola
teorico-pratica en 1925.
Ulricho Hoepli est présenté dans l’Introduction du Catalogue comme
« l’encyclopédiste de l’Ère industrielle » qui pourrait s’apparenter à l’extraordinaire profusion d’idées, de savoirs et de catégorisation du savoir du
Siècle des Lumières : il a en effet largement favorisé, si ce n’est impulsé une
vulgarisation des recherches et des applications techniques en langage
accessible, s’opposant ainsi à l’hégémonie d’une « intelligentsia filosoficolitteraria » qui refusait ses lettres de noblesse à la culture scientifique et
technique en plein essor. Cet éditeur a lancé un défi littéralement boulimique
touchant à tous les domaines, de la teinture à l’apiculture, en passant par la
conservation des aliments, les applications de l’électricité, le téléphone, l’alimentation, la photographie, la planification rationnelle, la chimie industrielle,
la pharmaceutique, etc., en s’appuyant sur un réseau européen d’experts, de
chercheurs, de professionnels. Son autre audace a été de destiner la diffusion
de ces connaissances aux enfants d’une bourgeoisie terrienne traditionnelle
certes mais également à ceux issus d’une bourgeoisie « progressiste et
éclairée » née de l’industrialisation, s’élargissant progressivement aux autres
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couches sociales en voie de scolarisation qui fourniront les futures classes
moyennes.
Quant à l’auteur du manuel, Gaètan Frisoni, il pourrait être considéré comme
le « polyglotte » de l’époque de par sa connaissance générale et spécialisée
de neuf langues européennes (allemand, anglais, catalan, espagnol, français,
gênois, italien, portugais-brésilien et danois-norvégien). Le Jury de la VIIe
Exposition Nationale, sous le haut patronage de la Société Gênoise pour le
développement du Commerce, des Arts et des Industries, lui a d’ailleurs
décerné une Grande médaille d’Or pour l’ensemble de ses publications. Rien
n’indique dans son manuel ni dans sa bibliographie que l’auteur ait eu
recours au service d’un enseignant de langue ni encore moins d’un
pédagogue.
Il n’est pas exagéré d’avancer que Frisoni et Hoepli ont été les diffuseurs
actifs du savoir par la langue, une langue qui s’est voulue accessible aussi
bien dans la langue maternelle, en pleine construction identitaire, qu’en
langues étrangères, proposant des modèles et des apprentissages structurés,
tournés vers une communication professionnelle courante et internationale.
Les tableaux qui sont reproduits ci-contre témoignent de la productivité des
deux hommes et de leur adéquation à cette émergence des sciences exactes et
des sciences appliquées :
– « Figura 1 : Numero di volumi pubblicati per anno », les publications
Hoepli atteignent un sommet entre 1891 et 1916 qu’elles ne retrouveront
jamais par la suite ;
– « Figura 2 : Distribuzione per periodi delle percentuali di pubblicazioni per
categoria », pendant cette même période les langues (Code 400) jouent un
rôle décisif puisqu’elles ne retrouveront plus cette place privilégiée, si ce
n’est, dans une moindre mesure, entre 1932 et 1971.
Symboles d’une époque-charnière vivant une extraordinaire ouverture au
monde, ces manuels, porteurs de la « modernité », sont ainsi définis par
Tullio De Mauro (p. 27) :
I manuali sono alle scaturigini anche di questo processo : se ne
alimentano e lo alimentano. Sfuggiti troppo spesso all’attenzione della «classe dei colti », anche per questa hanno
lavorato e, più largamente, per noi tutti, promuovendo sapere e
tecniche e quelle che Benedetto Croce altamente chiamava
« opere di vita », e ciò nella luce della tolleranza e della ra-
Manuel de correspondance commerciale française
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gione, creando una tessitura nazionale della cultura in collaborazione con il fiore della cultura specialistica internazionale.
Dans sa conclusion, l’auteur de Il caso Hoepli propose l’étude systématisée et
précise de la langue italienne utilisée par tous les rédacteurs de manuels aussi
bien de vulgarisation scientifique et technique que ceux de la langue
proprement dite : il considère en effet que les ouvrages Hoepli sont le lieulaboratoire de la stabilisation progressive des usages et de l’introduction
d’une terminologie technico-scientifique, mieux le lieu-miroir de l’élaboration d’une langue d’instruction qui a touché toute une population dont
seulement 2,5% parlait en 1861 la langue des grands centres urbains industriels, langue qui de toute évidence a contribué à l’unification culturelle et
linguistique de la future République italienne.
Ouvrages de référence
Assirelli, Alessandro (1996), Un secolo di Manuali Hoepli. 1871-1971,
Milano, Ulrich/Ulricho Hoepli, 5e éd., 1996 (1ère éd. en 1992).
De Mauro, Tullio (1996), « Introduction : Il caso Hoepli (p. 11-29), in Un
secolo di Manuali Hoepli. 1871-1971.
Frisoni, Gaètan/Gaetano (1919) : Manuel de Correspondance commerciale
française, Milano, Ulrich/Ulricho Hoepli, Éditeur-libraire de la Maison
Royale d'
Italie, 4e éd. (1ère éd. 1902).
Minerva, Nadia / Pellandra, Carla (a cura di) (1997), Insegnare il Francese
in Italia. Repertorio analitico di manuali pubblicati dal 1625 al 1860,
Bologna, Clueb.
Rizza, Riccardo (a cura di) (1996), Colloquia, et Dictionariolum Octo
Linguarum (Berlaimont, 1656), Pisa, Mauro Baroni Editore.
Mes remerciements spéciaux à :
Madame Carla PELLANDRA de l’Université de Bologne, Madame Marina
MELAN-CORTESI de l’Université de Milan, Monsieur Giovanni HOEPLI de la
maison HOEPLI, Monsieur Guido PEDROJETTA de l’Université de Fribourg,
pour m’avoir aidée dans mes recherches.

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