Internet contrôle - Blogs

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Internet contrôle - Blogs
vendredi 22 janvier 2010 LE FIGARO
2
recto
VERSO
Le blog
d’Arnaud de La Grange
HTTP://BLOG.LEFIGARO.FR/CHINE/
Un policier sur une
page Web invitant
l’internaute à se
conformer à la loi.
Avec comme
« bras armé »
un département
de la propagande
du Parti
et un bureau
d’information
du Conseil d’État,
la Chine surveille
de près la Toile.
Et, les réseaux
sociaux tels que
Facebook, Twitter,
ou celui de partage
de vidéos,
YouTube, y sont
interdits.
A. BRADSHAW/EPA
Comment la Chine
contrôle
Internet
À
l’évidence, les cercles les plus
conservateurs du pouvoir pékinois
rêveraient de transformer l’Internet
chinois en gigantesque Intranet
pour 1,3 milliard d’habitants, un réseau interne ne puisant aux sources
du Web mondial que le juste nécessaire. En tout cas, étanche à ses contenus nuisibles
moralement… et politiquement.
À l’automne dernier, le puissant ministre de la Sécurité publique, Meng Jianzhu, a clairement affirmé
que le développement rapide d’Internet en Chine posait des « défis sans précédent » en matière « de
contrôle social et de maintien de la stabilité ». Et évoqué
la nécessité de « mettre sur pied un vaste système de
sécurité, qui couvre l’Internet et le monde réel ». Après
avoir vu dans Internet une utile soupape pour la marmite sociale, les autorités ont fini par s’inquiéter de ce
vecteur de propagation horizontale de conflits locaux
à travers tout le pays. Une expression s’est d’ailleurs
forgée, les « incidents de masse sur Internet ».
Le système de censure chinoise s’organise en trois
cercles. La police de l’Internet, qui serait forte de
40 000 personnes. Puis tous les opérateurs privés des
sites et forums, avec une forme de censure habilement sous-traitée, dont les soldats efficaces ne sont
pas comptabilisés. Enfin, et ce n’est pas le moindre
des leviers, l’autocensure des internautes, des modérateurs ou des hébergeurs, savamment entretenue.
Au niveau national, la responsabilité de la censure
incombe comme souvent à deux structures, l’une dépendant du Parti et l’autre du gouvernement. Le département de la propagande du Parti d’un côté, et le
bureau d’information du Conseil d’État de l’autre. À
l’occasion de l’affaire Google, le patron de cette
deuxième entité, Wang Chen, vient de réaffirmer la
nécessité de contrôler Internet pour « guider l’opinion
publique ». Ensuite, cette double chaîne se décline à
tous les échelons régionaux et administratifs. Avec
une cascade de niveaux de responsabilité qui secrète
la confusion. « Il y a tellement d’acteurs pour la censure que les critères ne peuvent être unifiés, raconte Hu
Xingdou, professeur à l’Institut de technologie de Pékin, ce qui est illégal aux yeux de certains est autorisé
par d’autres. »
Cet économiste réputé, écouté par le pouvoir qu’il
ne ménage pourtant pas, a eu la malheureuse surprise
de voir son blog bloqué au printemps dernier. Et curieusement, alors qu’il est pékinois, par le bureau de
surveillance de la police de Suzhou, dans la province
du Jiangsu. L’homme ne s’est pas démonté et a lancé
ses avocats à l’attaque. En s’en prenant habilement à
son hébergeur pour violation de contrat plutôt qu’à la
censure étatique. Et il a gagné. « C’était la première
victoire de ce genre, estime-t-il, mais je pense que cela
ne serait plus possible aujourd’hui. En quelques mois, la
liberté sur Internet a considérablement reculé. »
C
Barrage vert et barrage bleu
La boîte à outils de censure, elle, ne cesse de se remplir. En juin dernier, Pékin avait suscité un tollé international et l’ire de ses internautes en imposant que
tout ordinateur vendu en Chine soit équipé d’un logiciel filtrant les contenus pornographiques, Green
Dam, le « barrage vert d’escorte de la jeunesse ».
Avec le risque d’inclure dans les listes de sites bloqués pour obscénité des contenus sensibles politiquement. Depuis, plus de 700 sites ont été fermés.
Dans ce sillage, ont perdu leur licence une rafale de
portails très populaires hébergeant des blogs et permettant de partager photos, vidéos, musique ou
autres contenus. Deux mois plus tard, une initiative,
bien plus efficace, est passée plus inaperçue. Le Blue
Dam (« barrage bleu »), impose un filtre, en amont,
aux fournisseurs d’accès. Conséquence immédiate de
cette mesure prise en septembre, avant la date sensible du 60e anniversaire de la République populaire,
nombre de proxys et de VPN utilisés par les internautes pour contourner la censure sont devenus inopérants. Bien sûr, les plus expérimentés d’entre eux ont
trouvé des parades, mais d’autres se sont découragés.
Voilà pour la partie défensive. Mais la censure se fait
aussi sur l’avant du front, à l’offensive, par l’intrusion
dans les sites et messageries suspectes notamment.
L’affaire Google, où des mails de dissidents auraient été
visés, pourrait relever de cette stratégie. Pour cela, Pékin peut puiser dans un deuxième cercle de « cyberguerriers », celui des hackers, ces « hacktivistes »,
produit d’un mélange de hacking et d’activisme. Le
« hacking patriotique » chinois est apparu dès la fin
des années 1990, avec des associations comme la Red
Hacker’s Alliance ou la China Eagle Union - regroupant des milliers de membres. Ils ont notamment fait
leurs armes en 1999, après le bombardement « par erreur » par les États-Unis de l’ambassade de Chine à
Belgrade, en attaquant des réseaux américains. La
même année, des systèmes taïwanais ont été ciblés lors
de l’investiture du président indépendantiste à Taïpei.
Visiteur rouge et visiteur noir
Ce vivier de jeunes loups baignant dans la culture Internet est estimé entre 250 000 et 300 000 personnes. Dans un journal de Hongkong, un hacker chinois
confiait récemment que l’Institut de recherche du
ministère de la Sécurité publique postait régulièrement des offres d’emploi sur les forums de la mouvance. La NSA américaine, et bien d’autres services
dans le monde, font bien sûr de même. Dans un article paru il y a trois jours dans le South China Morning
Post, un dénommé « Lyon » raconte être membre du
noyau dirigeant de la Honker Union of China. Le mot
honker est la traduction de « visiteur rouge » (hong
ke), un jeu de mot nationaliste sur la translation du
mot hacker, « visiteur noir » (hei ke).
Le groupe, né à la faveur d’attaques contre des réseaux américains, à la suite de la collision entre un
avion espion américain et un appareil chinois audessus de la mer de Chine en 2001, revendique 12 000
membres. Lyon nie que ses troupes puissent être derrière les attaques contre Google, en parlant d’indépendance et d’éthique du hacking. Il reconnaît en revanche que certains de ses membres ont participé à
l’offensive de rétorsion contre des sites iraniens,
après les attaques de hackers iraniens contre le moteur de recherches Baidu. Et qu’ils aident parfois des
sites officiels chinois à améliorer leur sécurité. Avec
le temps, certains de ces groupes de hackers se sont
transformés en sociétés de sécurité Internet, parfois
utilisées par l’Armée populaire de libération.
«
Le système de censure
chinois s’organise en trois
cercles qui tentent
de réduire le plus possible
l’espace de liberté
de millions d’internautes.
Pékin procède aussi
au «hacking patriotique»
et, selon les experts,
la Chine serait à l’origine
de près d’un tiers
des «programmes
malveillants»
de la planète.
PAR ARNAUD DE LA GRANGE
CORRESPONDANT À PÉKIN
Internet pose des « défis sans précédent »
en matière « de contrôle social
●●● et de maintien de la stabilité »
»
MENG JIANZHU, MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE RIA NOVOSTI
En juin 2009, un « top 5 » des pays producteurs « de
menaces cybercriminelles par tentatives d’infections via
Internet » établi par le spécialiste des solutions de sécurité informatique Kapersky Lab, mettait la Chine sur
la première marche du podium avec 56,41 % des attaques. Très loin devant la Russie (5,92 %), les ÉtatsUnis (4,86 %) et l’Inde (3,34 %). Même contestables,
ces statistiques recouvrent d’autres études et montrent clairement la montée en puissance chinoise sur le
versant gris d’Internet. Selon Threat Expert, la Chine
serait à l’origine de près d’un tiers des « programmes
malveillants » (malwares) de la planète.
« Les lavés du cerveau »
L’autre grande évolution est ce que certains appellent
la « Censure 2.0 », soit une adaptation au Web 2.0.
Outre sa masse d’internautes en progression fulgurante - 384 millions selon les derniers chiffres -, la Chine a
la particularité de compter un taux de blogueurs extrêmement élevé. Ils seraient près de 160 millions. On
parle depuis longtemps du « Parti des 5 maos » (le mao
est une subdivision du yuan), pour désigner ces milliers d’internautes payés pour poster des commentaires « positifs » et orienter les débats. Leurs héritiers
interviennent de manière de plus en plus sophistiquée
sur les forums et réseaux sociaux – notamment les
versions chinoises de Facebook, YouTube ou Twitter,
dont les originaux sont bloqués depuis l’été dernier et
les événements du Xinjiang. « On les reconnaît facilement, s’amuse un étudiant de Tsinghua, on les traite de
wu mao ou de nao can, (“lavés du cerveau”, NDLR). »
Accompagnant les tendances technologiques, la
dernière offensive des censeurs vise la téléphonie
mobile. La Chine compte plus de 720 millions d’utilisateurs de téléphones portables et l’usage d’Internet
sur les mobiles explose. Toujours par le biais de la répression de la pornographie, les autorités viennent de
s’attaquer aux SMS en interdisant les « textos coquins ». En cas d’audace textuelle, l’opérateur bloque
la fonction.
Sur les forums chinois, de nombreux internautes
s’insurgent contre cette nouvelle contrainte, en se
demandant quel espace de leur vie privée va rester
un tant soit peu à l’écart des caméras ou logiciels espions. « Qu’ils bloquent des sites pornographiques,
pourquoi pas, mais là ce sont nos échanges privés qu’ils
scrutent, c’est inadmissible », s’indigne une jeune
femme ingénieur. Pour Jerely Goldkorn, éditeur du
site Danwei.org sur les médias et l’Internet chinois,
« cela ressemble à un vrai programme de prise de
contrôle totale de toutes les nouvelles formes de médias, l’une après l’autre ».
La censure a ses effets boomerang. Un autre étudiant raconte que depuis septembre, avec la mise hors
service des proxys habituels, il s’est comme bien
d’autres tourné vers des logiciels de contournement
plus sophistiqués. Et notamment ceux fournis par le
Global Internet Freedom Consortium, un organisme
basé aux États-Unis… et proche du mouvement Falun
Gong, bête noire de Pékin. « Les autorités offrent une
visibilité et une sympathie inespérée au Falun Gong »,
constate un observateur. Comme d’autres organismes
américains, le consortium se veut être l’équivalent
moderne de Voice of America. En développant des
technologies offrant à tous l’accès au bruit du monde,
non plus par les ondes, mais par les câbles d’Internet. ■