Internet passe à travers les mailles du filet

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Internet passe à travers les mailles du filet
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Mars 2004
Internet passe à travers les mailles du filet
Dans la machine chinoise bien huilée du contrôle de
Internet : un outil
supplémentaire de la l’information, un bogue a pris de l’ampleur depuis quelques années :
Internet. Le Web est devenu la bête noire des autorités. Et en 2004, les
contestation…
anniversaires des événements de Tian An Men (le quinzième) et de
l’interdiction de la secte Falungong (le cinquième) ne sont pas prêts de
calmer leurs craintes.
En outre, 2003 aura été plus qu’une toute autre année, celle de la
… que Pékin entend
prise de conscience, aussi bien de la part du gouvernement que des
bien mettre au pas
internautes, de la brèche ouverte par Internet dans le champ de la liberté
en 2004…
d’expression. Le flottement politique lié au passage de témoin au
sommet du Parti Communiste Chinois et de l’Etat explique sans doute le
léger relâchement de Pékin en matière de « cyber-surveillance ». Mais
2004 a sonné l’heure de la reprise en main.
Tout a commencé avec le SRAS. Dès février 2003, on trouvait
… après les
critiques en 2003 de sur les newsgroups des messages évoquant l’épidémie, deux mois donc
la gestion du SRAS avant que les autorités ne reconnaissent publiquement son existence. Les
par le gouvernement internautes ne s’étaient alors pas privés de commenter le manque de
transparence des autorités qui avaient interdit aux journaux le moindre
commentaire sur l’épidémie naissante.
Le cas Liu Yong ensuite. La peine de mort qu’encourait ce
… ou la remise en
parrain du crime organisé avait été annulée à l’automne par une Cour de
question de
Justice provinciale. Devant la vague de protestations déclenchée sur la
décisions de
Toile par cette décision, la Cour Suprême a rendu un verdict deux mois
justice…
plus tard déclarant nul le jugement précédent et confirmant ainsi la peine
de mort.
L’affaire de la BMW pour finir. C’est elle qui aura été, sans nul
… et surtout de
l’affaire de la BMW doute, l’élément déclencheur des récentes mesures prises par le
gouvernement visant à contrôler davantage la circulation de
l’information sur Internet. En réalité, l’affaire aurait pu passer inaperçue
si elle n’avait symbolisé le fossé grandissant entre d’un côté, les Chinois
qui profitent à plein du boom économique et, de l’autre, les 900 millions
de paysans qui n’ont pas encore bénéficié des fruits de la croissance.
Le 16 octobre dernier, dans les rues de Harbin, capitale du
Heilongjiang (province du nord de la Chine), Liu Zhongxia
endommageait par mégarde une BMW. Furieuse, la conductrice aurait
alors lancé son véhicule sur la paysanne, la tuant et blessant douze autres
personnes. Ce fait divers n’aurait pas fait grand bruit si la conductrice
avait été condamnée à une peine lourde et… si elle n’avait pas conduit
une BMW, symbole de richesse pour les plus pauvres (Rappelons que
jusqu’à une date récente, les Chinois grandissaient dans une société
« sans classe »). Mais épouse d’un homme d’affaires local aux relations
puissantes, elle n’a été condamnée en décembre qu’à deux ans de prison
avec sursis. Cette décision a déclenché un tollé sur Internet tel que le
Parti Communiste Chinois, alerté par l’ampleur des protestations, a
décidé de rouvrir le dossier un mois plus tard.
Internet se
« démocratise »…
La Chine a véritablement découvert Internet en 1994. A la fin
2003, elle comptait déjà près de 80 millions d’internautes, contre 59,1
millions à la fin 2002, soit une hausse de 35%. 40% d’entre eux sont
âgés de moins de 24 ans selon le Centre d’information sur le réseau
Internet chinois (CIRIC). A la fin des années 90, la très grande majorité
des utilisateurs chinois avait un diplôme d’études secondaires ou
supérieures. Quatre ans plus tard, le CIRIC estime que 68,3% des
internautes ont un niveau d’instruction inférieur. Internet s’est
« démocratisé »… Cette frange de la population, plus ou moins bien
éduquée, constitue selon Pékin une menace pour la sacro-sainte stabilité
sociale et la sécurité nationale sans lesquelles le développement
économique de la Chine serait impossible. Car désormais, l’élite urbaine
laisse la place aux citoyens issus des provinces du centre qui peuvent se
connecter à des forums de discussions moyennant 12 centimes de
l’heure.
Etant donné le contrôle strict exercé par Pékin sur les media
traditionnels, Internet remplit jusqu’à présent le rôle que ces derniers
jouent habituellement dans une société ouverte. L’affaire de la BMW a
donc été l’occasion rêvée pour les internautes de dénoncer les inégalités
sociales, la corruption et le népotisme, thèmes qui sont justement le
nouveau cheval de bataille de Hu Jintao et Wen Jiabao. Cette
dénonciation a même été reprise dans les journaux officiels et a abouti à
la révision du jugement qui avait été prononcé initialement.
… mais la
« cyberpolice »
veille…
Mais ces incursions dans ce que le Parti Communiste Chinois
considère comme son monopole d’action n’a pas du tout été du goût du
Ministère de la Sécurité Publique qui a ordonné le 23 février la fermeture
d’un grand nombre de forums de discussions jugés subversifs et
l’intensification du filtrage des mails envoyés sur Internet.
Le gouvernement chinois n’en est pas à son premier coup
d’essai. En novembre 2002, il avait décidé la fermeture de tous les
cybercafés de la capitale et le blocage de l’accès aux moteurs de
recherche Altavista et Google. Trois mois plus tôt, 300 portails Internet
s’étaient engagés à respecter la censure instaurée par Pékin. Yahoo ! était
même allé plus loin en acceptant d’empêcher l’accès à certains sites de
son annuaire ou la recherche de certains mots.
Comme les autorités ne sont jamais à court d’idées pour limiter
l’accès à Internet, elles ont réussi jusqu’à présent à limiter la vitesse de
connexion. Pourtant, les infrastructures fournies par Alcatel, Ericsson ou
Nortel devraient normalement permettre une vitesse de connexion de 10
gigabytes par seconde. Elle est, dans les faits, très inférieure.
… et utilise pour ce
faire les toutes
dernières
technologies en
matière de filtrage
de l’information
Pékin peut aussi désormais compter sur les services de Verisign,
une société américaine qui gère les noms de domaine, et qui va lui
fournir la technique pour rendre inaccessible les sites « subversifs ».
Déjà, la « cyberpolice » qui compterait au bas mot 30 000 fonctionnaires,
utilise les technologies vendues par Cisco System, Intel ou Motorola.
Cisco System, par exemple, a vendu un firewall (mécanisme
(logiciel ou matériel) permettant de protéger un ordinateur de tentatives
d'intrusion) conçu pour répondre aux exigences spécifiques du
Département de la Sécurité Publique et qui est en mesure de bloquer
l’accès aux pages interdites. Le transfert de technologies nécessaire à
l’opération, habituellement interdit par les autorités américaines, a été
autorisé au nom du « ré-équilibrage des échanges entre les deux
nations ». D’autres groupes tels que Websense, Nortel Network, ou Sun
Microsystems, participent également à ce type de prestations de services
aux autorités chinoises.
Parallèlement, le Congrès américain a décidé depuis 2001 de
financer pour le compte de la CIA un projet qui devait permettre aux
internautes chinois de contourner la censure ! La société Safeweb a donc
créé un système pour éviter les barrières élaborées par la cyberpolice
chinoise.
Les grands groupes américains évoqués précédemment ne sont
pas les seuls à avoir parfaitement assimilé le discours politique des
autorités chinoises. Il en est d’autres, qui ont préféré miser sur le
potentiel économique d’Internet.
Car le deuxième marché au monde en nombre d’abonnés a
généré en 2003 un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars. On peut
supposer que l’augmentation du nombre d’internautes continuera au
même rythme dans les prochaines années, et ce, malgré tous les remparts
concoctés par les fonctionnaires du Ministère de la Sécurité Publique et
du Ministère de l’Industrie de l’Information. Le chiffre d’affaires
pourrait ainsi doubler dès 2006 à 200 millions de dollars.
Mais Google par exemple aura fort à faire pour damer le pion à
… convoité par les
Américains mais où 3721.com (racheté par Yahoo ! en novembre 2003), Zhongshou.com et
les prises de position Baidu.com (site recommandé par Pékin bien que son éditeur possède des
capitaux américains). Quant à Yahoo !, il lui faudra tenir compte de
des Chinois sont
concurrents chinois qui bénéficient d’une très bonne image : Sina.com,
déjà très fortes
Sohu.com, NetEase et Chinadotcom. AOL a préféré former une jointventure avec Legend (désormais rebaptisé Lenovo) en juin 2002 pour
aborder le marché des fournisseurs d’accès en plein bouleversement et
profiter de son portail FM365.
Internet : un vaste
marché potentiel à
moyen terme…
La popularité d’Internet ne devrait pas se démentir dans les
années à venir malgré tous les obstacles que Pékin essaye de lever. Les
firmes étrangères l’ont bien compris. Le Parti Communiste aussi qui ne
souhaite pas voir sa conduite dictée par la population.
L.B
Des internautes, des internautes…
Nombre d’utilisateurs (en millions)
90
80
80
68
70
59
60
50
40
30
16,9
20
10
0
2,1
4
22,5
26,5
33,7
8,9
janv. juil. janv. juil. janv. juil.
99
99
00
00
01
01
jan. dec. juil.
02
02
03
dec.
03
Source : EIU, China Daily
Les NTIC chinoises : une rente pour les équipementiers étrangers
Revenu tiré des activités Chine (2000)
Alcatel
Ericsson
Motorola
Nokia
Nortel
Siemens
Cisco
Source : EIU
Milliards d’euros
% du revenu total
2.0
8
3.2
15
5.0
12
3.1
10
1.7 – 1.3
5–7
3.0
15
1.27
5