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Ses robots-chirurgiens vont sauver nos
cerveaux
Source : Management
06/02/2013 à 05:00 / Mis à jour le 06/02/2013 à 05:00
© DR
Bertin Nahum, président et fondateur de Medtech, conçoit des machines
ultraprécises destinées aux opérations chirurgicales délicates. Après les galères et
l’expatriation, ce Français d’origine béninoise décolle enfin.
Bertin Nahum a reculé le rendez-vous d’une heure : 8 h 30, «trop matinal» pour
lui. Costume et cravate sombres, il s’installe dans un fauteuil de Starbucks, rue de
Rivoli, à Paris. Pas de café, une bouteille d’eau. «Vous savez, je ne suis pas un gros
bosseur», se justifie, d’une voix grave, l’entrepreneur de 43 ans. En cette fin
novembre, il est pourtant venu de Montpellier pour trois jours de congrès de
neurochirurgie, au cours desquels il enchaîne rendez-vous professionnels et
conférences. Mais, après tout, c’est effectivement Rosa qui fait tout le boulot. Rosa,
c’est le robot de Bertin. Pas loin de 75  kilos de câbles et de moteurs, un coffre à
roulettes avec un écran tactile, et un grand bras articulé. L’engin guide une aiguille,
un scalpel ou un laser avec une précision plus fine que le millimètre. Grâce à quoi il
peut jouer les assistants au bloc pour les opérations sensibles – ablation de tumeur
au cerveau, intervention sur une colonne vertébrale ou sur un nourrisson –, des
gestes chirurgicaux encore inimaginables il y a peu.
Vingt milliards au Nasdaq. Il a fallu trois ans à Bertin Nahum pour mettre Rosa au
point. La veille, au premier jour du congrès, les commentaires des médecins à la
tribune ont été dithyrambiques : «C’est comme si vous aviez un troisième bras»,
«Un véritable GPS du cerveau»… «La précision est bluffante, on a vraiment passé
un cap», a conclu Stephan Chabardès, un grand nom de la neurochirurgie, pionnier
dans le traitement assisté de la maladie de Parkinson. Assis dans un coin, Bertin
Nahum savourait son succès en silence.
Depuis que Medtech, sa société, a commercialisé Rosa, en 2009, une quinzaine
d’hôpitaux dans le monde ont déjà acquis sa machine, 400 000  euros au tarif
catalogue. Et le fonds d’investissement Newfund, qui détient 30% du capital, compte
bien faire grimper le chiffre d’affaires (2  millions d’euros en 2012). Au premier abord,
Bertin Nahum semble détaché de tous ces chiffres. Sauf quand il parle de concurrencer les mastodontes américains : «Prenez Intuitive Surgical, le leader,
spécialisé dans la prostate. Après cinq ans d’existence, il avait vendu moins derobots
que nous. Aujourd’hui, il pèse 20 milliards de dollars au Nasdaq.» Derrière Steve
Jobs et Mark Zuckerberg. Coïncidence, la réussite professionnelle de Bertin
Nahum arrive en même temps que sa révélation au grand public. Fin octobre, une
obscure maison d’édition parascolaire canadienne l’a classé «quatrième
entrepreneur high-tech le plus révolutionnaire au monde» dans l’un de ses manuels.
Quatrième derrière Steve Jobs, Mark Zuckerberg et James Cameron, rien que ça.
Coup de bol, ce palmarès pas vraiment scientifique a été repris en boucle par les
médias. Bertin Nahum n’y accorde pas beaucoup d’importance. Mais il avoue en être
tout de même «plutôt fier».
Il faut dire qu’il récolte enfin les fruits d’une aventure de vingt ans. Champion de
France junior de boxe française, il avait heureusement du souffle et du punch à
revendre. «Bertin était un garçon qui en voulait, ça se voyait», assure Gérard
Grange, le directeur du département de génie électrique de l’Insa Lyon, où le jeune
homme a fait ses études d’ingénieur après un master en robotique à l’université de
Coventry, en Angleterre. C’est probablement là qu’il a attrapé le virus de la chirurgie
assistée par ordinateur.
Diplôme en poche, il a aussitôt travaillé dans une start-up grenobloise du secteur,
puis dans de grosses structures américaines. En 2002, il atterrit dans une PME
aéronautique toulousaine qui veut s’attaquer à la robotique médicale. Il démissionne
au bout de quatre mois. «Je gagnais très correctement ma vie, mais leurs moyens
n’étaient pas à la hauteur de leurs ambitions, et je suis du genre fougueux», lâche
Nahum dans un grand sourire. C’est alors qu’il lance Medtech. Les débuts sont durs.
Les banques rechignent à le suivre, seuls quelques organismes publics et régionaux
le soutiennent. «Le plus compliqué, c’est de gérer l’incertitude financière, juge-t-il
aujourd’hui. Pendant longtemps, nous n’avons pas pu nous projeter à plus de trois
mois.» Il marque une pause. «Ce qui empêche d’avancer, c’est la peur. Moi, la
possibilité de l’échec, je l’ai tout de suite intégrée.»
Brigit, la grande sœur de Rosa. Eric Tassel, le directeur du service clients, croisé
lors d’un stage et engagé dans l’entreprise depuis les débuts, ne se souvient pas de
l’avoir vu douter une seule fois : «Bertin est un combatif, ça rassure énormément.»
Un premier robot finit par sortir des cartons. C’est Brigit. Déjà un prénom féminin.
Apparemment, cela rend la machine plus sympathique. Brigit aide à poser des
prothèses des genoux, et Bertin Nahum en gère le développement avec le
professeur Gérard Saillant, le chirurgien de Michael Schumacher et Ronaldo.
L’engin n’est pas encore commercialisé que le leader mondial de la chirurgie
orthopédique, l’américain Zimmer, frappe à sa porte, en 2006. «Comment ont-ils eu
vent de notre activité depuis l’Indiana ? Mystère.» La surprise est réciproque : les
Américains ne pensaient pas tomber sur une PME de quatre personnes… La vente
des brevets de Brigit à Zimmer change la donne. Bertin Nahum réinjecte 2 millions
d’euros (sur les trois engrangés) dans un nouveau robot, Rosa. La prise de risque
séduit Newfund, qui investit dans Medtech fin 2009. «Nous ne sommes pas
spécialisés dans la médecine, mais son énergie et son courage nous ont épatés»,
explique Charles-Antoine Morand, le directeur chargé de la participation. Dans la
foulée, Bertin Nahum s’expatrie avec sa femme et ses deux enfants à Montréal puis
à New York, histoire de défricher le marché nord-américain, qui semble plus réceptif
que la France. Il y décroche vite ses premiers contrats.
Séquelles multiples. Ces trois dernières années ont été intenses. Et les coups durs
n’ont pas manqué. Encore cette année, le CHU de Nice, associé au développement
de Rosa, a fini par choisir un robot concurrent. Une machine britannique, plus
ancienne. L’établissement, contacté, refuse de s’expliquer sur son choix. Chez
Medtech, la trahison a laissé des traces. «Des rumeurs ont circulé sur de prétendues
mauvaises performances de notre robot, explique Bertin Nahum. C’est un petit
milieu.» Microscopique, même : ce modèle rival, il avait travaillé dessus, dans les
années 1990. «C’est dans les moments douloureux qu’on se révèle vraiment»,
philosophe l’entrepreneur.
Il sait de quoi il parle. Né au Sénégal, Bertin Nahum est arrivé dans la banlieue
lyonnaise à l’âge d’un an dans les bras de ses parents béninois. Orphelin à huit ans,
il a été élevé dans un foyer de la Ddass jusqu’à sa majorité. Séquelles ? «Je n’aime
pas trop me retourner sur le passé», coupe le patron. Il veut bien raconter, en
revanche, qu’il a hérité son côté commerçant de sa famille. «Mon père tenait une
petite épicerie. Pendant dix ans, j’ai été propriétaire d’un café-concert à Lyon, mais
c’était plus pour la fête.» A Montpellier, il est propriétaire d’un restaurant, le Moa.
C’est son épouse qui tient l’affaire. «Moi, je ne m’occupe que des emmerdes.» Pour
gérer celles de Medtech, Bertin Nahum a fait venir Fernand Badano, un ex-collègue
de l’un de ses premiers jobs, comme directeur général. Les deux hommes se
complètent. «Je suis le feu, il est la glace, sa tempérance modère ma folie», rigole le
boss.
Coach en niveau d’énergie. «C’est grâce à l’enthousiasme de Bertin qu’on a
maintenu notre équipe soudée, y compris lorsqu’on est passés de quatre à vingt
salariés», tient à souligner le DG. La grande inquiétude de Nahum, justement, c’est
de voir s’étioler cet esprit familial si la croissance explose. Il dit s’y être préparé
lorsqu’il était à New York, avec l’aide d’un coach en management qui l’a fait travailler
sur les «niveaux d’énergie des individus». Soit. Et à quoi carbure-t-il lui-même ? Au
«sentiment d’utilité», répond-il. «J’ai assisté à de nombreuses opérations de
chirurgie, pour comprendre. Un métier qui contribue à sauver la vie d’un enfant de 5
ans, je peux vous assurer que ça n’a pas de prix.»
Bio Express
1992 : Diplômé de l’IUT de Grenoble, d’un master à l’université de Coventry et de
l’Insa Lyon, il travaille dans plusieurs start-up de robotique médicale.
2002 : Fonde Medtech. Quatre ans plus tard, il revend son premier robot à un groupe
américain.
2009 : Lance Rosa, pour les opérations du cerveau. Il en vend quinze modèles.
2013 : Nouveau robot, spécialisé dans les interventions sur la colonne vertébrale.
Vianney Aubert