Une tumeur médiastinale rare : le ganglioneurome
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Une tumeur médiastinale rare : le ganglioneurome
Une tumeur médiastinale rare : le ganglioneurome Mohamed Caidi*, Fahd Ouchen, Damessane Lamboni, Abdellatif Benosman RÉSUMÉ Nous rapportons l’observation clinique d’un volumineux ganglioneurome médiastinal découvert fortuitement chez une jeune femme de 33 ans. Les 2 diagnostics plausibles évoqués avant l’intervention étaient une poche pleurale enkystée et un kyste hydatique pulmonaire. La thoracotomie a permis de redresser le diagnostic par l’étude anatomopathologique de la pièce de résection. Mots clés : médiastin, tumeur, chirurgie. ABSTRACT A rare mediastinal tumor: the ganglioneuroma We report a case of asymptomatic mediastinal ganglioneuroma in a 33-year-old woman. Before surgery, two diagnoses were suspected: a pulmonary hydatid cyst and encysted pleural empyema. Surgical exploration and histologic examination revealed a ganglioneuroma. Keywords: mediastinum, tumor, surgery. 1. OBSERVATION CLINIQUE Il s’agit d’une patiente de 33 ans, sans antécédent pathologique notable, habitant la campagne, admise dans notre service pour prise en charge d’une masse kystique thoracique gauche, découverte fortuitement lors d’un examen radiologique systématique. L’examen physique à son admission était strictement normal en dehors d’un syndrome d’épanchement liquidien de l’hémichamp pulmonaire gauche. La radiographie thoracique de face a montré une opacité ronde de l’hémichamp pulmonaire supérieur gauche, de tonalité hydrique, de contours réguliers, à limite inférieure concave vers le bas et à limite interne noyée dans le médiastin, avec déviation controlatérale de la masse cardiaque et de l’axe trachéobronchique [figure 1]. Le scanner thoracique fenêtre médiastinale réalisé en coupes axiales jointives de 10 mm a montré une volumineuse masse de l’hémithorax supérieur gauche, hétérogène, délimitée par une paroi assez fine surtout du côté médiastinal, ne se rehaussant pas après injection du produit de contraste, sans signes d’envahissement locorégionaux. Devant ce tableau radioclinique, l’évocation de kyste hydatique pulmonaire est légitime compte tenu de l’aspect radiographique sus-décrit et du contexte épidémiologique de notre pays où l’hydatidose sévit de façon endémique. Cependant, en tomodensitométrie, le kyste hydatique a plutôt une densité liquidienne homogène avec une paroi assez épaisse retrouvée sur toute sa circonférence, ce qui n’est pas le cas chez notre patiente. Ceci rend cette hypothèse diagnostique peu probable d’autant plus que la sérologie hydatique est négative. Une pleurésie enkystée d’origine tuberculeuse ou à germes banaux ne peut être écartée définitivement, même en l’absence de stigmates cliniques ou biologiques d’infection évolutive. L’éventualité d’une tumeur médiastinale bénigne paraît aussi plausible, compte tenu du caractère asymptomatique de la lésion et l’aspect scannographique réalisé. L’indication opératoire est alors retenue dans un but diagnostique et thérapeutique. Par thoracotomie postérolatérale dans le 5e espace intercostal gauche, on avait découvert une énorme masse médiastinale, Service de chirurgie thoracique, hôpital Ibn Sina, CHU Rabat-Salé, Maroc. * Auteur correspondant : [email protected] Conflit d’intérêt : aucun. / Conflict of interest statement: none declared. 238 Chirurgie Thoracique et Cardio-Vasculaire 2014 ; 18(4) : 238-239 Figure 1. Radiographie thoracique de face montrant une volumineuse opacité ronde de l’hémichamp pulmonaire supérieur gauche, de tonalité hydrique, de contours réguliers, à limite inférieure concave vers le bas et à limite interne noyée dans le médiastin, avec déviation controlatérale de la masse cardiaque et de l’axe trachéo-bronchique. occupant les 2 tiers supérieurs de la cavité thoracique, comprise entre l’orifice supérieur du thorax en haut et la face scissurale du lobe inférieur en bas, la paroi thoracique en arrière et le lobe supérieur en avant qui est collabé et plaqué contre la paroi thoracique antérieure. Cette masse médiastinale, ayant comme point de départ sympathique thoracique à hauteur du 2e espace intercostal, était d’aspect blanchâtre, de consistance ferme, n’envahissant aucune structure adjacente. Sa résection était complète. À la coupe, la tranche de section est d’aspect blanchâtre avec une coque fibreuse. Le diagnostic évoqué était vraisemblablement celui d’une tumeur nerveuse du médiastin postérieur. L’examen histopathologique de la pièce de résection avait confirmé le diagnostic ; il s’agissait d’un ganglioneurome médiastinal sans aucun contingent malin. Les suites opératoires étaient simples avec notamment une absence de signes neurologiques déficitaires. Nous avons jugé prudent de réaliser une IRM du rachis dorsal postopératoire qui n’avait montré aucun signe d’extension médullaire. cas clinique Figure. 2. TDM thoracique coupe axiale en fenêtre médiastinale montrant une volumineuse masse médiastinale, de densité hétérogène, ne se rehaussant pas après injection du produit de contraste, siégeant au niveau de l’hémithorax supérieur gauche avec rapports pariétomédiastinaux, sans signes d’envahissements locorégionaux. 2. COMMENTAIRE Le ganglioneurome est une tumeur ganglionnaire bénigne rare du système nerveux autonome développé aux dépens des cellules nerveuses des ganglions et des glandes adrénergiques, plus fréquent chez le grand enfant et l’adulte jeune [1]. La localisation médiastinale est très rare, son siège de prédilection est plutôt rétropéritonéal [2]. Macroscopiquement, le ganglioneurome se présente comme une tumeur homogène, d’aspect blanchâtre fibreux, encapsulée, surmontée d’une coque fibreuse, siégeant dans la grande majorité des cas au niveau du médiastin postérieur ; pouvant avoir une extension intrarachidienne. D’après la définition du POG, le ganglioneurome est constitué de cellules de Schwann associées à des gangliocytes et un stroma matures, sans neuroblastes, ni cellules intermédiaires, ni images de mitose [3]. Cliniquement, le ganglioneurome est souvent asymptomatique. Dans certains cas rares de prolongement intrarachidien de la tumeur, il peut être responsable d’un déficit neuromusculaire. Si le volume tumoral est important, il peut entraîner une déformation rachidienne ou entraîner une sécrétion ectopique de la vasoactive intestinal peptide à l’origine d’une diarrhée motrice [4]. À la radiographie, le ganglioneurome se présente sous forme d’une masse paravertébrale de grande taille, ronde ou ovale. En tomodensitométrie, il se présente sous forme d’une masse tissulaire le plus souvent bien limitée parfois multilobulée, siégeant au niveau de la gouttière paravertébrale, pouvant présenter une extension intrarachidienne, se rehaussant de façon variable après injection du produit de contraste [5]. En IRM, cette tumeur présente un signal intermédiaire homogène en pondération T1 et un hypersignal hétérogène en séquence pondérée T2 [6]. Une sécrétion de catécholamines (VMA ou HVA) est retrouvée dans 37 % des cas sans pour autant avoir une signification péjorative [7]. Compte tenu d’une éventuelle paraplégie postopératoire irréversible par blessure de l’artère d’Adamkiewicz, l’artériographie médullaire sélective des artères intercostales est indispensable dans le bilan préopératoire des tumeurs du médiastin postérieur quelle que soit leur localisation [8]. Le diagnostic de certitude est anatomopathologique. Une biopsie transpariétale, de préférence sous contrôle tomodensitométrique peut être préconisée. Pour augmenter le pourcentage de positivité, il vaut mieux utiliser des aiguilles de calibre 18-19 Gauge qui sont des aiguilles coupantes à déclenchement automatique ou semi-automatique, permettant d’avoir de bons fragments histo- logiques. Si la biopsie transpariétale n’est pas concluante et si la tumeur est résecable et le malade est opérable, comme le cas de notre patiente, on aura recours à la chirurgie, qui constitue par ailleurs le seul traitement du ganglioneurome, et qui apportera en plus un diagnostic définitif par l’étude anatomopathologique de la pièce opératoire [9]. La voie d’abord utilisée est une thoracotomie postérolatérale. En cas de tumeur en sablier avec prolongement intrarachidien, une laminectomie première permet de libérer la portion intrarachidienne de la tumeur [10]. Dans un 2e temps, en utilisant la même incision paravertébrale ou par une petite thoracotomie postérieure complémentaire avec résection de l’arc postérieur de la côte, on enlèvera la portion médiastinale de la tumeur. La chirurgie vidéo-assistée peut être utilisée pour ce type de tumeurs ; c’est une technique moins délabrante mais délicate qui nécessite une infrastructure adéquate et des opérateurs entraînés [11]. Le résultat de la chirurgie des ganglioneuromes chez l’adulte dépend de la taille de la tumeur, de l’existence ou non d’un prolongement médullaire, de ses rapports vasculonerveux et de la qualité de la résection. Le pronostic est généralement bon. Les récidives sont exceptionnelles [11], ce qui ne dispense pas d’une surveillance radioclinique prolongée. 3. CONCLUSION Devant toute masse hémithoracique et avant toute décision de sanction chirurgicale, il faut exiger un bilan lésionnel préopératoire pertinent et complet afin d’éviter les surprises peropératoires et qui nous mettrait à l’abri de toute complication postopératoire inhérente à cette chirurgie. RÉFÉRENCES 1. Mordant P, Le Pimpec-Barthes F, Riquet M. Tumeurs nerveuses du médiastin de l’adulte. Rev Pneumol Clin 2010;66:81-94. 2. Pelletier F, Manzoni P, Heyd B et al. Ganglioneurome rétropéritonéal révélé par une colique néphrétique compliquée. La Revue de médecine interne 2006;27:409-13. 3. 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