Lire le texte d`Odile BARTHELEMY

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Ni….Ni …., mais pas charlatan
Eh bien non, cette question de la pratique de la psychanalyse par des non médecins n’est pas nouvelle, et
cela ne date ni d’aujourd’hui, ni d’hier. Les rapports de la médecine et de la psychanalyse ont fait
problème dès l’origine de la psychanalyse.
Dès le début, Freud était entouré à Vienne de médecins bien évidemment, mais aussi de non-médecins.
Ces derniers, bien que membres de la Société Psychanalytique de Vienne, n’exerçaient en général pas la
psychanalyse, entre autres Max Graf, le père du célèbre petit Hans, dont Freud nous a relaté la cure dans
les Cinq psychanalyses. Mais quand même avant la première guerre mondiale, Hermine Hug-Hellmuth à
Vienne et Oskar Pfister à Zurich pratiquaient la psychanalyse.
Hermine Hug-Hellmuth était docteur en philologie et entreprit des analyses pédagogiques, et
psychanalytiques avec les enfants. Oskar Pfister était pasteur et se limitait à des analyses avec les
adolescents, analyses qu’il a enrichi de conseil éthique et même d’exhortations religieuses. (Ernest Jones
- La vie et l’œuvre de Sigmund Freud, tome 3 p.330). Et puis il y a aussi Mélanie Klein qui à cette époque
seconde Férenczi dans sa Clinique à Budapest dans le traitement psychanalytique des enfants. Il
semblerait que la psychanalyse avec les enfants ait été plus facilement praticable par les non-médecins,
parce que peut-être plus acceptable à ce moment-là : les enfants au début du siècle dernier n’avaient pas
encore conquis toute la place et l’importance qu’ils ont acquis par la suite.
Dès 1919, et à plusieurs reprises il y eut des projets de constitution d’association de non-médecins
intéressés par la psychanalyse, mais aucune n’a vu le jour malgré le désir et l’appui de Freud. En effet il
souhaitait un collège spécial, où auraient été enseignés des rudiments d’anatomie, de physiologie, de
pathologie, de biologie, d’embryologie, une initiation aux tableaux cliniques de la psychiatrie, mais surtout
la psychologie des profondeurs et la science de la vie sexuelle, socle de ces études, et dans un tout autre
domaine, l’histoire des civilisations, la mythologie, la psychologie des religions, et la littérature classique.
Toutes ces matières lui semblaient indispensables pour exercer la psychanalyse, les seules études
médicales n’y suffisant pas. Néanmoins il s’est créé trois instituts, l’un à Berlin avec le docteur Max
Eitingon, le deuxième à Vienne avec l’Association psychanalytique de Vienne, et le troisième à Londres
avec le docteur Ernest Jones.
C’est alors que survint un événement. Au printemps 1926, Théodor Reik, non médecin, membre de la
Société psychanalytique de Vienne, est l’objet d’une plainte auprès du tribunal pour exercice illégal de la
médecine : « Un de ses patients lui intente un procès pour traitement nocif et invoqua la loi autrichienne
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sur le charlatanisme. Heureusement pour Reik, il fut prouvé que son patient était une personne
déséquilibrée dont le témoignage ne pouvait être pris en considération. Cette circonstance, ainsi que
l’intervention personnelle de Freud auprès d’une autorité haut placée, firent que Reik gagna le procès. »
(Ibid. p.332)
Vous voyez que déjà ce sont les mêmes injures qui sont employées : charlatanisme !
Charlatan est un mot provenant de l’italien qui désignait un vendeur de drogues sur les places publiques,
puis, le sens glissant, c’est devenu un médecin ignorant, et enfin un imposteur qui exploite la crédulité
publique.
Voici ce qu’en dit Freud : « Pour la loi, est charlatan celui qui soigne des malades sans pouvoir prouver
qu’il possède un diplôme médical d’Etat. Je préfèrerais une autre définition : est charlatan celui qui
entreprend un traitement sans posséder les connaissances et les capacités requises. » Et il poursuit :
« M’appuyant sur cette définition, je me risque à affirmer que – pas uniquement dans les pays d’Europe –
les médecins fournissent à l’analyse son plus gros contingent de charlatans. Très souvent ils pratiquent le
traitement analytique sans l’avoir appris et sans le comprendre. » Ce jugement très sévère est à replacer
dans son époque, c’est-à-dire à un moment où il se heurte au refus de ses élèves et collègues à accepter
que le non-médecin puisse être analyste. (S. Freud – La question de l’analyse profane, p. 106)
Mais cet événement pousse Freud à écrire rapidement ce qui fut d’abord appelé « Psychanalyse et
médecine », puis ensuite « Die Frage der Laienanalyse », ce qui a été traduit par : la question de l’analyse
profane, pour indiquer qu’il s’agissait de l’analyse pratiquée par les non-médecins. Pourquoi ce texte ?
Pour expliquer que la psychanalyse ne pouvait tirer sa légitimité, sa qualification que par la psychanalyse
elle-même.
Dans ce recueil, Freud s’applique à expliquer à un interlocuteur impartial ce qu’est la psychanalyse, ce qui
est sa spécificité et sa différence totale avec la médecine. Il affirme d’abord avec force que pour exercer la
psychanalyse, il faut commencer par faire soi-même une psychanalyse. Puis il aborde tous les grands
schèmes : le conscient et l’inconscient, le moi, le ça, le surmoi, le refoulement, l’interprétation, la
résistance, le transfert, ce qui permet l’abord et la possibilité d’atteindre au psychisme humain, et
comment avec ces concepts, le psychanalyste peut se repérer et permettre au névrosé de savoir y faire
avec son symptôme.
Mais, car il y a un mais. Si Freud se bat pour que les non-médecins puissent exercer la psychanalyse, il y
met deux exigences :
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1° « Je mets l’accent sur l’exigence selon laquelle personne ne doit pratiquer l’analyse sans en avoir acquis
le droit par une formation déterminée. Que cette personne soit ou non médecin me semble accessoire. »
(Ibid. p.112-113)
2° « Je concède, non j’exige, que dans chaque cas relevant de l’analyse il incombe d’abord au médecin de
poser le diagnostic. » Ceci pour éviter de passer à côté d’une pathologie, qui relève du médical et non du
psychologique. (Ibid. p.128)
Et il ajoute que c’est comme cela que l’on travaillait à Vienne.
Aujourd’hui nous retrouvons à peu près les mêmes questions que celles agitées à Vienne, mais pas
seulement à Vienne. Les législations, bien que différentes à Berlin, Zurich, à Budapest, et à New-York où
se trouvait déjà la plus grande opposition à l’analyse profane, posaient problème, et la deuxième guerre
mondiale aidant, légiférer sur le statut des psychanalystes cessa d’être une urgence, jusqu’à maintenant.
Alors il me semble que, fort de ce rappel, nous n’avons pas à craindre d’affirmer notre spécificité qui
provient de notre formation. Si dans les instituts de Berlin, Vienne et Londres, elle durait deux ans
environs, il est bien certain qu’à l’heure actuelle aucun d’entre nous n’a cette prétention, et que ce sont
de longues années d’analyse, de contrôle, de travail en cartel ou de groupe de travail entre collègues,
sans oublier l’apport indispensable de la clinique de chacun d’entre nous et celui que nous recevons dans
les Sections cliniques du Champ freudien, qui nous permettent d’exercer la psychanalyse. Ce sont des
outils d’une valeur inappréciable : alors faisons-le savoir.
Odile Barthélemy
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