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Lettre d’inf ormation et d’analyse sur l’actualité bioéthiq u e
n°166 : Juin 2014
“ Troubles de la conscience suite à une lésion
cérébrale acquise : état de la science ”2.
Interview du Pr Steven Laureys1
Le Conseil d’Etat écoute aujourd’hui vendredi 20 juin les conclusions du rapporteur et les plaidoiries des avocats au sujet de Vincent
Lambert. Les contributions de l’Académie nationale de médecine, du Conseil national de l’Ordre des médecins, du Comité consultatif national d’éthique et de Jean Leonetti ont été remises aux magistrats. Chacun dans leur registre et dans leur champ d’expertise, ces prescripteurs
prudents rappellent que Vincent Lambert est « hors d’état de s’exprimer [mais] n’est pas en fin de vie » (CCNE) et que « l’arrêt de vie, en
réponse à une demande volontaire à mourir alors que la vie elle-même n’est ni irrémédiablement parvenue à son terme ni immédiatement
menacée ne peut être assimilée à un acte médical » (ANM) parce que « le maintien de la vie reste l’objectif fondamental de la médecine »
(Jean Leonetti). Le Conseil d’Etat va donc se prononcer de façon imminente. D’ici là, Gènéthique approfondit le sujet de l’accompagnement
des patients en état pauci-relationnel avec l’interview du Pr Steven Laureys, neurologue belge, co-auteur d’une récente étude passionnante2.
Gènéthique : En tant que neurologue, spécialiste des états post-traumatiques, quels
patients rencontrez-vous chaque jour ?
Pr Steven Laureys : A la suite d’un trauma
certains patients tombent dans le coma.
Ils ne sont plus « réveillable », même si on
les stimule. Deux scénarii principaux se
présentent : ou bien la situation va très vite
très bien, le patient récupère, avec plus ou
moins de séquelles et grâce à une prise en
charge adaptée, il va plus ou moins récupérer ; ou bien la situation va très vite très mal,
c’est l’évolution vers la mort cérébrale.
G. : Focalisons-nous sur le premier scénario, pouvez-vous décrire ces patients qui
recouvrent une conscience mais sont parfois terriblement qualifiés de « légumes » ?
Pr S. L. : Certains patients vont récupérer
et évoluer vers un état végétatif. On parle
maintenant d’un éveil non répondant. Ce
sont des patients qui ouvrent les yeux, se
réveillent, bougent, respirent spontanément mais tous les mouvements sont réflexes. Certains vont ensuite évoluer vers
ce que l’on appelle l’état de conscience
minimale. Il faut différencier l’état de
conscience minimale moins et plus. Dans
le premier cas le patient va par exemple
sourire à sa maman ou va suivre du regard.
L’étape suivante, l’état de conscience minimale plus, le patient répond à la commande. Vous lui demandez « serrez-moi
la main » il va le faire mais sans pouvoir
établir une communication. Certains vont
récupérer une communication fonctionnelle ce qui leur permet de gagner considérablement en autonomie. L’état végétatif non répondant, ou l’état de conscience
minimale, peut être chronique, peut durer
des mois, des années, voir des décennies.
G. : Dans cette phase où la communication
est rompue, comment apporter un diagnostic subtil et limité quand les décisions des
proches et des médecins peuvent être irréversibles, comme c’est le cas chez vous en
Belgique ?
Pr S. L. : Aucune décision ne peut être juste,
éthiquement et médicalement correcte, si
elle est construite sur du sable. Il faut bien
documenter le diagnostic et le pronostic,
éduquer les gens sur ces états et les réalités qu’ils représentent. Au-delà du droit à
la vie et du droit à mourir, la réalité est plus
nuancée et doit se focaliser sur le droit à une
qualité de vie. Il a été démontré, grâce à la
neuro-imagerie fonctionnelle, et nous avons
été les premiers à le faire, que les patients
en état de conscience minimale, ou comme
vous dites en France, en état pauci-relationnel, perçoivent des émotions, y compris des
émotions négatives, comme la douleur. Il
faut les traiter, donner des analgésiques,
développer les soins palliatifs et innover.
G. : Justement, quels espoirs fondez-vous
dans les « interfaces cerveau-ordinateur » ?
Pr S. L. : Il existe par exemple un électro
encéphalogramme qui permet de communiquer via la dilatation pupillaire, l’électromyographie qui se base sur des petits mouvements musculaires qui sont invisibles à
l’œil. Mais cela donnera une « voix » à une
minorité de patients. L’enjeu est de parvenir à savoir si l’état de conscience minimale
est une souffrance ou si les émotions et les
moments de plaisir demeurent prévalant.
Et cela peut être surprenant. Par exemple,
avec notre étude sur le Locked in Syndrome
(les patients se réveillent du coma complètement paralysés mais complètement
conscients avec une lésion dans le tronc
cérébral) on a interrogé des patients qui ne
peuvent pas être plus handicapés moteurs
mais la majorité disait qu’ils étaient heureux. Une minorité, qu’il serait insupportable d’ignorer, souhaite en finir.
G. : Dans votre étude vous déplorez la prise
en charge de ces patients, n’est-ce pas un
facteur aggravant ?
Pr S. L. : Le premier enjeu est de réduire
les erreurs de diagnostic : 30 % à 40 %
des personnes diagnostiquées en état
végétatif conservent en réalité une perception consciente2. Les conséquences sont
majeures : 70 % des décès rapportés dans
six centres canadiens de traumatisme de niveau I pouvaient être attribués au retrait de
la thérapie de maintien en vie2. Le second
point est de donner des chances de rééducation. Chez vous en France il y a des régions
où il est difficile de trouver un centre de rééducation, les patients et les familles vivent
des drames.
G. : Etes vous parfois étonné de la capacité
du corps à se remettre de traumatismes violents où est-ce que dans l’ensemble vous
pouvez prédire qu’un patient ne progressera pas ?
Pr S. L. : A l’exception de l’arrêt cardiaque où
la situation est d’office critique, il est difficile de prévoir l’évolution post traumatisme.
Dans tous les cas, la phase de réveil ne
se passe pas comme dans les films d’Hol-
1 - Directeur du Coma Science Group au Centre de recherches du cyclotron à l’Université de Liège et professeur en neurologie au Centre hospitalier universitaire de Liège.
2 - Giacino, J.T. et al, Nat. Rev. Neurol., advance online publication 28 January 2014 – retrouvez l’étude en français sur Gènéthique.org
lywood. Les patients ont des troubles de la
mémoire, de l’attention, du langage, mais
aussi de la personnalité. Le mot clef est la
patience de tous les acteurs impliqués.
G. : Qu’en est-il d’éventuelles thérapies ?
Pr S. L. : Grâce à la médecine moderne, on
peut remplacer le fonctionnement de chaque
organe, de votre cœur, de vos poumons.
Pour le cerveau on n’a pas encore beaucoup
de moyens. Il faut avant tout mettre le corps
dans les meilleurs conditions pour que le
cerveau puisse récupérer : on sait maintenant que cette plasticité, cette capacité du
cerveau à récupérer, peut agir des années
après l’accident. Il faut mieux comprendre ce
processus pour proposer des traitements : le
seul médicament qui a fait ses preuves, c’est
l’amantadine. Malheureusement pour les
nouveaux médicaments l’industrie pharmaceutique n’investit pas beaucoup parce que
les recherches sont chères, pour le moment
portées par les universités. La problématique est trop importante pour être ignorée.
Du côté non pharmacologique, nous avons
récemment publié dans le jounal Neurologic un processus de stimulation du cerveau
de manière électrique : les électrodes sont
placées sur la tête et on installe un courant
continu. Résultat : la moitié des patients
en état de conscience minimale, 40 à 50%,
marquent une certaine amélioration. C’est
une piste intéressante, il faut des moyens
pour creuser.
G. : Est-ce que vous vous sentez seul ou estce que vous observez une émulation sur le
sujet ?
Pr S. L. : Je me sens moins seul que dans
les années 90. La médiatisation de certains
cas a joué. Il faut poursuivre les efforts pour
traduire ces connaissances du laboratoire
vers les hôpitaux, vers l’application clinique
en gardant à l’esprit qu’il est impossible
de simplifier à l’extrême : le cerveau est
complexe, les situations de ces patients
le sont aussi. L’identification de l’état de
conscience minimale a permis d’établir des
diagnostics et des pronostics documentés
et d’identifier les possibilités thérapeu-
tiques. Les nouvelles technologies vont
certainement réduire le champ d’incertitude
qui entoure les capacités de récupération
des patients qui survivent à leur coma.
G. : Michael Schumacher s’est réveillé de
son coma, il rentre chez lui.
Pr S. L. : Oui, c’est le seul point positif de
ce genre de drame, c’est que les médias
s’intéressent à ces patients VIP. Mais il y a
des centaines de Schumacher et on en parle
très peu.
G. : Et la situation de Vincent Lambert, le
Conseil d’Etat français rend son avis dans
les jours à venir.
Pr S. L. : Je connais très bien le dossier
mais je trouve que ce n’est pas sur la
scène publique qu’il faut en discuter.
Ce sont des drames où les deux parties
agissent par amour. Je constate que leur
point de vue n’est pas toujours si loin l’un
de l’autre : ce qui est au centre c’est le
bien être de leur proche. Je m’emploie à le
rendre le meilleur possible.
Un manuel sur l’euthanasie
Dans le cadre d’une collection de manuels
destinés aux jeunes, la Fondation Jérôme
Lejeune vient de publier, en partenariat avec
Gènéthique, un nouvel ouvrage, sur le thème
de l’euthanasie. Cette initiative est née du
besoin d’avoir des points de repères pour
comprendre cet enjeu complexe et douloureux. Par une approche scientifique et médicale, comme celle des précédents manuels,
il prend le contre-pied des irruptions de cas
particuliers médiatiques, qui encombrent
la discussion sur le fond. Plutôt que l’émotivité, il amorce une réflexion raisonnée et
pragmatique.
assortis de citations, de témoignages et
illustrés par des dessins.
Cette réflexion est primordiale au moment
où le Gouvernement annonce son intention de soumettre un projet de loi sur la
fin de vie d’ici la fin de l’année. Ce document
comprend donc des précisions sémantiques,
des repères historiques (notion d’acharnement thérapeutique, émergence du mouvement des soins palliatifs), des points de
repères cliniques (distinctions entre sédation contrôlée et sédation terminale, alimentation artificielle…) ainsi que la présentation
de terminologies juridiques utiles pour comprendre. Ces éléments pédagogiques sont
2. Ethique. Définie comme la recherche du
vrai bien des malades, l’éthique fonde sur le
plan anthropologique les questions liées à
la dignité de l’homme en fin de vie.
Ce manuel est structuré autour de cinq
parties :
1. Définitions. Elle apporte des précisions
bienvenues sur les évolutions sémantiques
et les formes d’euthanasies qui existent,
expliquant les distinctions à faire entre des
termes aux réalités apparemment proches
(ex. distinction entre « euthanasie par omission » et « refus de l’acharnement thérapeutique »).
3. Médecine. Cette partie approfondit le
rôle de la médecine et la responsabilité du
médecin, notamment lorsqu’il fait face à des
demandes d’euthanasie.
Humbert et Vincent Lambert. Elle décrypte
aussi la loi Léonetti qui fait l’objet d’une
controverse récente.
5. Solutions. Les soins palliatifs sont le
choix de l’accompagnement « quand il n’y
a plus rien à faire ». Il s’agit ici de développer la philosophie qui sous-tend les soins
palliatifs et de donner des conseils concrets
comme la possibilité pour les familles de demander des soins palliatifs à domicile pour
leur proche en fin de vie.
Informations pratiques :
Pour commander le Manuel
▸Euthanasie
:
[email protected]
Dans la même collection :
▸Manuel
Bioéthique des jeunes,
Théorie du genre et SVT.
4. Droit. Quelle pourrait être la légitimité
de légiférer sur la mort ? Cette partie revient
sur l’actualité, comparant les cas de Vincent
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
Contact : [email protected] - Tél. : 01 44 49 73 39 - Site : www.genethique.org - Siège social : 31 rue Galande 75005 Paris
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Guenièvre Mouchet - Imprimerie : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498