Champlain, une découverte... Dans le but dʼinventer

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Champlain, une découverte... Dans le but dʼinventer
Champlain, une découverte...
Dans le but dʼinventer des paysages nouveaux et une histoire inédite de la ville de
Québec, jʼai associé des images de haute technologie réalisées avec des appareils de
photographie numérique montés sur satellites de photodétection Landsat et Radarsat,
à des gravures produites à partir des dessins originaux de Samuel de Champlain, des
photographies aériennes qui datent de ma prime jeunesse, soit de 1948 à 1955, ainsi
quʼavec mes propres photographies aériennes et des images de mes sculptures.
Cʼest après la lecture du texte suivant, tiré des cahiers de notes de Samuel de
Champlain que cette œuvre a été produite :
Ce lieu est le commencement du beau & du bon pays de la grande rivière, où il y a de
son entrée 120 lieues. Au bout de l'isle y a un torrent d'eau du costé du nort, que j'ay
nommé le sault de Montmorency, qui vient d'un lac qui est environ dix lieues dedans les
terres, & descend de dessus une coste qui a prés de 25 toises de haut, au-dessus de
laquelle la terre est unie & plaisante à voir, bien que dans le pays on voye de hautes
montagnes, qui paroissent de 15 à 20 lieues.
De l'isle d'Orléans jusques à Quebec y a une lieuë, & y arrivay le 3 Juillet, où estant, je
cherchay lieu propre pour nostre habitation: mais je n'en peus trouver de plus
commode, ny mieux scitué que la pointe de Quebec, ainsi appelé des Sauvages,
laquelle estoit remplie de noyers & de vignes. Aussitôt j’employay une partie de nos
ouvriers à les abattre pour y faire nostre habitation, l’autre à scier des aix, l’autre à
touiller la cave...1
Ce texte mʼa beaucoup touché car il raconte lʼarrivée de lʼexplorateur en ce lieu que
jʼhabite actuellement, mentionne lʼîle dʼOrléans et la chute Montmorency que jʼai sous
les yeux chaque jour. Il fait état de lʼinstallation de Samuel de Champlain et de ses
associés en Amérique ; il renseigne sur lʼorganisation civile et militaire de Québec au
tout début du dix-septième siècle.
À partir de ce texte et des événements décrits dans les Relations des Jésuites qui sont
devenus légendes, comme le négoce fait à lʼembouchure de la rivière Kabir Kouba
entre français et hurons, lʼarrivée du navire de Champlain escorté de dizaines de
canoës dʼautochtones et la sépulture du premier gouverneur des Amériques qui nʼa
jamais été découverte et pose problème aux historiens et archéologues, jʼai réalisé
six images où sont écrites les six lettres qui forment le mot QUÉBEC (Originalement,
Kébec est un mot algonquin signifiant là où la rivière se resserre).
Les images composites, formant lʼensemble de lʼœuvre Champlain, une découverte me
permettant de supposer quʼil écrivait Québec avec un Q, ont été réalisées en gardant à
lʼidée lʼesprit du texte tiré des notes de Samuel De Champlain, mais aussi en songeant
aux légendes et aux divers changements géographiques du territoire après quatre
cents ans de colonisation. Pour ces raisons, jʼai décidé de travailler sur les images par
accumulation, comme les sédiments qui se déposent au fond dʼune rivière. Les six
photographies numériques sont le résultat de superpositions constituant ainsi des
installations photographiques au cœur de ''lʼinfra mince''.2
Description des images.
Lʼarrivée du prince.
Sur une grande surface texturée de vagues vert doré, se découpe un cargo. Il pénètre
majestueusement dans le passage formé par les deux rives du fleuve Saint-Laurent, la
pointe ouest de lʼîle dʼOrléans et la décharge de la rivière Montmorency ; nous
percevons lʼimmensité et la douceur du paysage. Au bas de lʼimage, des dessins de
Samuel De Champlain représentent des hommes, des européens sur une barque prête
à accoster ainsi que deux guerriers autochtones en costume dʼapparat ; un
représentant du roi de France prenant possession du territoire de la Nouvelle France et
des guerriers autochtones accueillant
des invités sur leur terre ; incompréhension, chacun laissant savoir à lʼautre que cette
terre est la sienne. Sur les dessins se superposent deux photographies, une photo
aérienne traditionnelle et une image Radarsat du même endroit.
La baie du négoce.
Vu du ciel, un vraquier couleur orange est accosté au quai de la rivière Saint Charles,
cours dʼeau qui rencontre la rivière Montmorency dans la baie de Beauport. La surface
de lʼeau turquoise est agitée par une risée. Cette fois les images superposées sont
issues dʼune prise de vue Landsat et dʼune photographie aérienne. Lʼimage Landsat,
par ses filtres ne laissant passer quʼune partie du spectre de lumière, rehausse de bleu
et de vert la photo argentique un peu terne. Lʼimage satellite nous fait voir un
déversement de pétrole qui par le dessin de sa forme sʼinscrit dans la structure des
dessins de Champlain superposés aux deux premières images. Ce déversement prend
la forme dʼune aigrette ; ironie. Au haut de la photographie, à un endroit qui
correspondrait normalement à la pointe de Beauport, un dessin de Champlain montre
des hurons faisant du négoce avec des européens tandis quʼau bas nous pouvons voir
des navires en rade et des barques faisant la navette. Nous avons là lʼintention première
de la venue de Champlain en Amérique, le négoce ; ainsi que le résultat de la cupidité,
le déversement de pétrole.
Le pied de la Saint Charles.
La rivière Saint Charles nommée par le peuple de la Huronnie, Kabir-kouba, prend sa
source dans le lac du même nom situé au nord- ouest de Québec. Cette région de
Loretteville et de lʼancienne Lorette est le territoire ancestral des hurons sur lequel est
située encore aujourdʼhui la maison longue (sorte de parlement pour les autochtones)
représentée sur lʼimage.
La course de la rivière sinueuse dessine un pied botté, image métaphorique de
lʼautorité du roi de France sur les autochtones et leurs territoires en ce dix-septième
siècle. Le procédé de superposition de photographies aériennes Landsat, ainsi que
lʼinsertion de dessins sont toujours utilisés.
La chasse galerie.
Cette légende québécoise du dix-neuvième siècle illustre une notion de liberté et de
rêve, avec un canot qui vole, dans la partie supérieure du tableau et des canards qui se
laissent approcher et prendre sans résister dans la partie inférieure. La partie haute
nous montre une pirogue indonésienne photographiée au Métropolitan Museum of New
York et la partie basse une chasse aux canards telle que dessinée par Samuel De
Champlain dans ses carnets de voyages. La section centrale est un montage de deux
photographies prises par satellite, lʼune par Landsat, lʼautre par Radarsat. Cette partie
de lʼœuvre représente les fortifications de Québec conçues par un architecte et
ingénieur français selon des systèmes de défenses nouveaux au dix-septième siècle.
Ce que montre cette image est lʼopposition entre la machine de guerre européenne
installée en Amérique et la vie simple des amérindiens.
Les gardiens du trécarré (trait carré).
La conquête anglaise de 1759 a donné lieu à la saisie et au partage, entre officiers
anglais, du territoire pris par les français aux autochtones au début du dix-septième
siècle. En terre autochtone avant lʼarrivée des européens, les territoires de chasse, de
pêche et de cueillette étaient connus et nommés par les amérindiens selon leurs utilités
et leurs particularités. À lʼarrivée des français, le territoire de la Nouvelle France a été
cadastré dans un but de colonisation, mais en respectant la géomorphologie du lieu,
les propriétés étant ordinairement bordées par des cours dʼeau ou autres barrières
naturelles. À la conquête de 1759 les anglais nʼont tenu compte ni de la
géomorphologie du lieu, ni des besoins de ses habitants; ils ont divisé le territoire de
manière arbitraire, orthogonalement, pour des impératifs de partage. Lʼimage montre un
fortin de forme hexagonale en bois rond, attaqué par des soldats anglais et défendu par
des colons français et des algonquins.
Le tombeau de Champlain.
Il existe une polémique concernant la situation exacte de lʼinhumation et du tombeau.
Certains archéologues spécialistes de cette époque le situent prés de lʼéglise Notre
Dame des Victoires, donc près de lʼancienne habitation officielle de Champlaindans la
basse ville de Québec; par contre un archéologue autodidacte du nom de René
Lévesque ayant passé plus de trente année à la recherche de la dépouille de Samuel
De Champlain affirme que son tombeau est situé sous la basilique actuelle située dans
la haute ville. Toutefois, personne, ni les éminents professeurs de lʼuniversité Laval, ni
lʼautodidacte nʼont pu à ce jour prouver leur affirmation.
Jʼai donc inventé un lieu dʼinhumation qui, je crois, satisfera tous les intéressés. La
photographie de la statue de Champlain qui se trouve au sommet du Cap Diamant a
été superposée à une image Radarsat de la grande région de Québec. La topographie
du lieu photographié par le satellite de télédétection se trouve modifiée par la
superposition de lʼimage de la sculpture ; les volumes du corps transparaissent comme
un palimpseste sous la photographie satellitale et se transforment en collines et en
vallées. En observant attentivement lʼassemblage, on peut apercevoir assez clairement
lʼeffigie du fondateur de Québec se découper sur lʼimage satellite du territoire ; ainsi
cʼest la région toute entière qui devient son tombeau. Le chemin dʼaccès au cœur de
lʼAmérique (le fleuve) est peint en rouge.
Les six images ont un format identique de 107 x 183 cm et sont imprimées en deux
séries, la première avec un procédé industriel à jets dʼencres sur des papiers plastique,
la seconde en giclée sur papier fin Hahnemüle. Elles ont été exposées en galerie à
plusieurs reprises et ont été commentées par le critique dʼart Guy Sioui-Durand dans le
catalogue de lʼévénement Trois fois trois paysages.3
1- De CHAMPLAIN Samuel, Œuvres, Montréal, Éditions du Jour, 1973, pp. 136-137.
2-Ainsi que dit par Marcel Duchamp, in CLAIR Jean, Duchamp et la Photographie, Paris,
Chêne, 1977, p. 62
3-SIOUI-DURAND Guy, « Reno Salvail, Champlain... » in Trois fois trois paysages,
Catalogue d’exposition, Québec, VU éditeur, 1999, p. 22."Des séries d’images ont été
acquises par le Musée du Québec, par le ministère des Affaires extérieures du Canada
ainsi que par le musée régional de Rimouski.

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