En IrlandE du nord, lEs murs parlEnt EncorE

Transcription

En IrlandE du nord, lEs murs parlEnt EncorE
En Irlande du
Nord, les murs
parlent encore
Pendant vingt ans,
protestants et
catholiques se sont
défiés à coups de
fresques partisanes.
Non sans talent.
P
as la peine de se
ruer dans les
musées d’histoire : à Belfast,
les épisodes de la guerre civile se
lisent sur les murs. Et les cicatrices
mal refermées des Troubles, ce
conflit politico-religieux qui secoua
l’Irlande du Nord de 1968 à 1998,
attirent désormais les touristes.
Chaque année, ils sont plus de trois
millions à participer à l’un des
nombreux «tours» consacrés à
cette guerre. Avec pour attraction
principale, ces «murals», fresques
partisanes recouvrant les façades
des maisons ou les murs qui séparent, encore aujourd’hui, protestants et catholiques.
Depuis les années 1970, quelque
2 000 œuvres de propagande ont
été peintes, pour encenser tantôt
les républicains et l’indépendance
irlandaise, tantôt les unionistes,
favorables à la couronne britannique. Dans les quartiers catholiques,
elles glorifiaient les engagements
des nationalistes de l’Irish Republican Army (IRA) ; dans les quar-
Anne van der STEGEN / Fedephoto
belfast
tiers protestants, elles encourageaient les activistes de l’Ulster
Volunteer Force (UVF). Un exemple parmi d’autres : ce soldat encagoulé qui monte la garde sur la
façade d’un pavillon de Sandy Row,
en banlieue sud. Pistolet-mitrailleur
au poing, il semble guetter l’ennemi… et les touristes. Depuis le
premier gouvernement d’union
élu en 1999, et le cessez-le-feu de
l’IRA en 2005, le tourisme est un
secteur en plein essor à Belfast. En
dix ans, le nombre de visiteurs est
passé de 1,5 million à plus de neuf
millions aujourd’hui. Et, parmi les
richesses et curiosités de la ville,
les fresques aimantent chaque
année un quart de ces visiteurs.
Les ex-militants veillent
sur ce musée en plein air
Chauffeur de taxi, Billy Scott a
connu Belfast dans les années
1970 : «A l’époque, le centre-ville
était sans intérêt. Et dangereux.» Il
emmène désormais les curieux ou
les amateurs au cœur des anciens
«points chauds» de la banlieue
ouest. Là, les quartiers sont encore
cloisonnés, regroupés autour des
bastions loyalistes et républicains.
Sur six kilomètres, entre Falls Road
la catholique, au sud, et Shankill
Road la protestante, au nord, un
mur continue de dresser vers le ciel
ses huit mètres froids de béton et
d’acier. Bâti en 1969, il faisait partie de la trentaine de «peace lines»
(«murs de la paix») érigées à Belfast, pour protéger, à titre temporaire, les résidents des jets de projectiles et des cocktails Molotov.
Sur Shankill Road,
au cœur du bastion
protestant, les
façades loyalistes
rendent hommage
à la couronne
britannique. Un peu
plus au sud, sur
Falls Road, les murs
sont, eux, à la gloire
des Républicains.
Les deux quartiers
sont devenus
des passages
obligés pour les
tour-opérateurs.
Quarante ans plus tard, ces lignes
sont encore présentes. Les habitants ont pris l’habitude d’y peindre
de chaque côté des messages pacifistes, ironiques ou parfois religieux. Les touristes les imitent, à
l’invitation des chauffeurs des taxi.
Au feutre, un message anonyme se
détache du magma coloré des graffitis : «Ne laissez pas de message
de paix sur ce mur. Diffusez-le plutôt chez vous.» Dont acte.
Ironie de l’histoire, beaucoup de
ceux qui se sont improvisés guides
sont, eux-mêmes, d’anciens activistes des Troubles. «La guerre a
eu au moins une conséquence
positive, explique William Smith,
ex-prisonnier politique. J’ai un job
et les touristes affluent. C’est sûr,
grâce à notre expérience du conflit,
nous apportons un témoignage
plus vivant que n’importe quel
musée.» Quant aux artistes qui peignirent ces fresques, ils travaillent
maintenant à les sauvegarder. «ça
permet déjà aux jeunes de ne pas
oublier leur passé», affirme le
muraliste Danny Devenny. Et de
devenir les gardiens d’un patrimoine partagé. L
Alicia Muñoz
À NE PAS MANQUER
Cimetière de Milletown.
Il accueille les tombes des
activistes de l’IRA. Parmi
elles, celle de Bobby Sands,
qui se laissa mourir de faim.
Peace Maze. Symbole
de la réconciliation des
deux partis, ce labyrinthe
végétal est le deuxième
plus grand du monde.
Musée de Freederry.
Pour tout savoir sur
le Bloody Sunday et
les Troubles (archives).
GEO