L`emploi atypique, une forme d`emploi à valoriser
Transcription
L`emploi atypique, une forme d`emploi à valoriser
ENQUÊTE QUEL EMPLOI TOURISTIQUE DEMAIN ? L’EMPLOI ATYPIQUE UNE FORME D’EMPLOI À VALORISER ? INTERVIEW DE CHANTAL PRINA [[email protected]] Chargée de mission, Aravis (Agence Rhône-Alpes pour la valorisation de l’innovation sociale et l’amélioration des conditions de travail) Emploi saisonnier, temps partiel, contrats à durée déterminée, auto-entreprenariat… Les formes atypiques d’emploi et de travail sont très présentes dans le tourisme. On peut penser que, dans vingt ans, l’emploi que l’on juge aujourd’hui “atypique” sera la norme. Les travailleurs atypiques ne bénéficient que de peu de soutien social avec, souvent, des missions courtes et des périodes d’intermission non rémunérées ; ils n’ont pas d’accompagnement dans un projet professionnel… La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences territoriale peut alors permettre de créer localement des emplois pérennes, de qualité, au service de la performance des entreprises et de l’attractivité du territoire. Emploi atypique doit pouvoir rimer avec emploi de qualité ! 10 E S PA C E S 3 2 4 • M A I - J U I N 2 0 1 5 CHANTAL PRINA es mutations économiques de ces dernières années ont eu des effets sur le contenu du travail, son organisation, sur les relations de travail et sur les modes de gestion de l’emploi et des ressources humaines. Les exigences de production et de services ont évolué et entraîné l’apparition et le développement de formes d’emploi telles que CDD, intérim, portage, multi-salariat. La multiplication et l’utilisation accrue de ces formes d’emploi et de travail dites atypiques tentent de répondre à différents enjeux : performance des entreprises, employabilité des salariés, gestion des mobilités… Pour venir en appui aux politiques publiques dans leur soutien aux entreprises et aux territoires en mutation, Aravis(1) a conduit, entre 2010 et 2014, un ensemble de travaux sur les formes d’emploi atypiques et leur impact en matière de conditions de travail, de parcours professionnels, de dialogue social et de performance globale des entreprises(2). Pour délimiter le champ des observations, nous avons retenu la définition officielle des emplois atypiques : tout ce qui n’est pas CDI, à temps plein, pour un seul employeur et dans ses locaux. En dehors de ce cadre, on parle de formes atypiques soit d’emploi, soit de travail, soit des deux (cf. encadré). FLEXIBILITÉ. L’uniformisation des formes d’emploi vers le contrat à durée indéterminée à temps plein comme norme d’emploi renvoie à un contexte économique bien particulier, celui de la période des Trente Glorieuses. Après les Trente Glorieuses, on constate une sortie progressive du contrat de travail classique pour répondre aux besoins de flexibilité des entreprises et aux besoins d’emploi des uns et des autres : la norme de l’emploi a évolué de façon implicite. Si l’on regarde l’emploi aujourd’hui, on constate qu’il y a toujours 75 % à 80 % d’emplois classiques en CDI. Plus précisément, la part de l’emploi salarié à durée indéterminée à temps plein en France représente 87 % de l’emploi salarié et environ 76 % de l’emploi total(3). Mais ce qui est vrai pour l’em- L ploi global ne l’est pas pour les embauches. À ce niveau-là, les chiffres sont inversés, avec 80 % de formes atypiques à l’embauche. Ce pourcentage est encore plus élevé dans certains secteurs, dans certaines branches dont le tourisme, l’hôtellerie-restauration, le BTP et les services à la personne… Depuis plusieurs décennies, on observe une certaine diversification de la structure de l’emploi, remettant en question le concept d’emploi unique. Sous l’effet de la montée d’un chômage de masse et de mutations économiques et technologiques sont apparues, aux côtés du contrat à durée indéterminée, des formes d’emploi moins stables, dites atypiques, faisant varier l’une ou l’autre des composantes de l’emploi classique. Depuis les années 1980, la flexibilité est devenue un enjeu majeur pour la compétitivité des entreprises. Celles-ci intensifient leur recours à des formes atypiques d’emploi, majoritairement les contrats à durée déterminée et l’intérim, mais également des formes moins connues, parfois à la frontière du salariat, comme le portage salarial. La recherche de souplesse s’observe également par le recours au temps partiel dans les contrats à durée indéterminée et à des modalités renouvelées d’organisation du travail (horaires atypiques ou flexibles, télétravail). Enfin, la crise de 2008 a montré la fragilité du travail temporaire. Les travailleurs intérimaires ont été et sont encore la variable d’ajustement des entreprises. C’est là que la crise a fait le plus de dégâts, et très vite. Du jour au lendemain, dans les entreprises qui faisaient largement appel à l’intérim, les permanents ont dû récupérer des tâches supplémentaires, et pas forcément les plus simples. Car c’est aux intérimaires que sont, le plus souvent, confiées les tâches les plus complexes, les moins intéressantes, quand ce ne sont pas les plus dangereuses. On imagine bien ce que cela peut produire dans une entreprise qui récupère tout cela avec moins de main-d’œuvre. En touchant de plein fouet les emplois intérimaires, la crise a bousculé l’ensemble de l’emploi. (1) Aravis (Agence RhôneAlpes pour la valorisation de l’innovation sociale et l’amélioration des conditions de travail) est une association paritaire, membre du réseau Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) au service des pouvoirs publics (État, région Rhône-Alpes) et des partenaires sociaux (employeurs et salariés). Elle est financée à 90 % sur fonds publics. (2) Les résultats de ces travaux sont disponibles sur le site internet d’Aravis [http://www.aravis.aract.fr/n os-domainesdexpertise/emploi-etcompetence/ressourcesateliers]. À la demande d'Aravis, Christophe Everaere, de l’université Jean Moulin de Lyon 3, a accompagné cette réflexion. (3) Source : CONSEIL D’ORIENTATION POUR L’EMPLOI, L’évolution des formes d’emploi, 8 avril 2014 [ http:// www.coe.gouv.fr/DetailPublication.html?id_article=1 175 ]. M A I - J U I N 2 0 1 5 • E S PA C E S 3 2 4 11 ENQUÊTE QUEL EMPLOI TOURISTIQUE DEMAIN ? Les formes atypiques d’emploi et de travail Travail à temps partiel // Auto-entrepreneuriat et indépendants // Télétravail // Travail saisonnier // Pluriactivité // CDD // Entrepreneuriat salarial // Travail à temps partagé // Portage salarial // Stages et apprentissage // Travail temporaire // Mise à disposition, prêt de personnel On compte aujourd’hui neuf millions de personnes concernées par les emplois atypiques. Parmi elles, 30 000 sont salariées dans les groupements d’employeurs, 40 000 dans des entreprises de portage et 6 500 dans les coopératives d’activités. GESTION AU COUP PAR COUP. Il n’y a pas d’estimation de l’impact économique de ces formes de travail et d’emploi. Les entreprises recherchent de la souplesse, de la réactivité pour gérer des urgences de production, pour se recentrer sur leur cœur de métier. On constate cependant une évolution. Désormais, les entreprises ont davantage recours au CDD, à l’intérim, au temps partiel, sans qu’une vision globale ne guide les choix. Mais, il est difficile de dénombrer ces différentes formes d’emploi parce que, bien souvent, elles se cumulent. Il y a des formes salariées, des formes qui poussent vers l’indépendance et des formes hybrides à michemin entre travail salarié et travail indépendant. Un auto-entrepreneur, par exemple, peut en même temps être salarié à mi-temps, avoir un CDI en temps partagé via un groupement d’employeurs… Du côté des entreprises, on observe souvent une gestion au coup par coup de la maind’œuvre : gestion selon les à-coups de l’activité, les opportunités territoriales ou sectorielles. Certaines de ces formes d’emploi atypiques permettent de mutualiser du personnel et d’embaucher “à plusieurs” soit en direct, soit via un tiers : détachement, mise à disposition, groupements d’employeurs, groupements de coopé- 12 E S PA C E S 3 2 4 • M A I - J U I N 2 0 1 5 ration sanitaire… D’autres permettent de créer de l’emploi à partir d’emplois à temps partiel, ce qui implique de mailler les besoins dans un territoire ou dans un secteur d’activité : contrats intermittents, temps partagé, groupements d’employeurs… Parfois, les entreprises utilisent les emplois atypiques pour externaliser les tâches pénibles ou déqualifiées, voire certains risques professionnels. Dans l’entreprise, l’impact des emplois atypiques est d’autant plus sensible que la proportion des salariés “atypiques” ou outsiders est élevée par rapport à celle des permanents ou insiders. Cela entraîne des difficultés d’intégration, de l’isolement, un affaiblissement des coopérations, une concurrence interne, une distanciation et un faible sentiment d’appartenance, une complexification de la position managériale, une diminution du rôle et des actions des représentants du personnel. En outre, l’externalisation de l’expertise peut entraîner la perte de la compétence et le risque d’affaiblissement de la capacité d’innovation. RELATIONS DE TRAVAIL. L’intervention d’un tiers employeur comme dans les cas de soustraitance, de travail en régie, de l’intérim et des groupements d’employeurs modifie les relations de travail. Se développent alors des modalités hybrides à mi-chemin entre salariat et indépendance, entre relation de travail et relations commerciales. Avec le portage salarial ou les coopératives d’activités qui embauchent des salariésentrepreneurs, la responsabilité de trouver des clients et de négocier les conditions d’activité revient à ces derniers qui sont de fait centrés sur un rapport individuel au travail. Le sentiment d’appartenance à une entreprise ou à un collectif s’émousse et tend même à disparaitre. De plus, ces salariés ne bénéficient d’aucune représentation et ne peuvent donc pas participer ni bénéficier aux modalités d’expression sur le travail, l’emploi. Ces travailleurs atypiques, sauf lorsqu’ils sont salariés d’une structure qui “joue le jeu” de l’accompagnement individuel (certaines sociétés de portage, des groupements d’employeurs CHANTAL PRINA ou des coopératives d’activités et d’emploi) bénéficient rarement d’un soutien social avec, selon les cas, des missions courtes et des périodes d’intermission non rémunérées ; ils n’ont pas d’accompagnement dans un projet professionnel, pas de parcours ni de formation en dehors des formations d’intégration indispensables (techniques, consignes de production…). Il leur est difficile, voire impossible, de s’insérer dans un collectif mouvant au gré des missions et dans lequel ils n’ont en général pas de relations d’égal à égal avec leurs collègues insiders, et ne peuvent pas participer au dialogue social. Avec des missions aléatoires, ils subissent une forme de précarité sociale avec peu ou pas de couverture sociale. De plus, il leur est difficile de construire des projets de vie personnelle. De leur côté, les managers de ces équipes mixtes sont en perte de repères. Se pose alors la question de la responsabilité (hiérarchique ou fonctionnelle), de la prescription du travail hors relation hiérarchique et de la gestion de statuts différents dans les équipes pour une même fonction. SÉCURISATION DES PARCOURS. Sécuriser les parcours et la mobilité des salariés, tout en permettant aux entreprises d’ajuster la maind’œuvre aux variations saisonnières (notamment dans le tourisme) et de fidéliser celle-ci afin d’offrir des prestations de qualité, est alors au cœur des enjeux. L’enjeu de sécurisation des parcours professionnels est au centre des débats actuels ; en témoigne l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 visant à sécuriser l’emploi et les parcours professionnels des salariés(4). Cette réflexion des partenaires sociaux s’inscrit dans une démarche de flexicurité, néologisme désignant le double objectif de conciliation de la flexibilité pour les entreprises et de la sécurité pour les individus. Aujourd’hui, alors que les individus sont peu mobiles – c’est un constat –, la sécurisation des parcours professionnels est une orientation majeure des politiques d’emploi. C’est ce qui explique la montée de la GPEC (gestion prévi- sionnelle de l’emploi et des compétences) dite “territoriale” (GPEC-T) comme moyen au service de la performance des entreprises et des territoires. Avec les formes atypiques, l’individu est, bien plus qu’il ne l’était auparavant, responsable de son parcours professionnel. Il n’a pas le choix, il faut qu’il soit autonome. Plus il est qualifié, plus il a des compétences d’agilité, plus c’est facile pour lui. Beaucoup de gens qui ne sont pas autonomes ou en capacité socialement de prendre cela en charge se retrouvent hors jeu. Cette question est un véritable enjeu au niveau des territoires. La région Rhône-Alpes est très sensible à la nécessité de sécuriser les parcours professionnels et la mobilité des salariés, tout en répondant aux besoins de flexibilité des entreprises de la région. Pour la sécurisation des parcours, la région a mis en place de nombreux dispositifs de soutien et apporte son soutien financier à de nombreuses structures d’aide et d’insertion. Car il n’est pas si facile de prendre en charge son parcours et de travailler seul à son employabilité. Et les formes d’emploi atypiques posent la question d’une manière encore plus aiguë. Dans les groupements d’employeurs, il y a des compétences compétences évidentes, recherchées, mais non reconnues, d’agilité : pour travailler chaque jour de la semaine dans un endroit différent, il faut être capable de maîtriser des méthodes et des outils différents, et aussi gérer des déplacements. Il faut que les salariés soient réactifs et agiles pour s’adapter à ces situations qui leur conviennent peut-être très bien, car elles leur permettent d’obtenir un travail équivalent temps plein en CDI, mais qui ne les accompagnent pas forcément très bien dans les périodes de transition. Lorsqu’une entreprise adhérente au groupement d’employeurs arrête sa mission, le salarié est bien pris en charge par le groupement. Mais ce dernier a lui aussi des objectifs de rentabilité et va faire en sorte de remplir rapidement la mission manquante, au détriment parfois de la formation et de l’accompagnement du projet du salarié. (4) [http://direccte.gouv.fr/IM G/pdf/ANI_securisation_de_l _emploi-2.pdf]. M A I - J U I N 2 0 1 5 • E S PA C E S 3 2 4 13 ENQUÊTE QUEL EMPLOI TOURISTIQUE DEMAIN ? Les groupements d’employeurs sont souvent des petites structures (sauf en Bretagne, où les structures sont de taille importante et ont les moyens d’assurer l’employabilité, la formation et l’intégration des salariés). En Rhône-Alpes, on compte une multitude de petites structures, créées il y a déjà quelques années. Aujourd’hui la question se pose de réorganiser ces groupements d’employeurs ou de les aider différemment : ne pas forcément faciliter leur naissance dans tous les sens mais essayer de construire des choses un peu plus solides. ÉCONOMIE DE PROXIMITÉ. Comme la maind’œuvre est peu mobile, il faut que le territoire mette les moyens pour que les gens y restent bien. Les acteurs du territoire en sont bien conscients. C’est ce qui motive la GPEC territoriale, d’autant que les entreprises de la région sont à plus de 80 % des PME et que les actions interentreprises expérimentées pour faciliter la mobilité des personnes et des compétences, dans un même secteur ou dans un même territoire, n’ont pas toujours abouti ou n’ont pas construit de démarche pérenne. L’enjeu de la GPEC territoriale est de sécuriser les parcours de salariés travaillant dans des entreprises différentes, voire dans des secteurs différents. L’objectif est de lutter contre le risque de développement d’emplois de faible qualité : les “bad jobs”. Le tourisme fait figure de précurseur en la matière : des structures proposent du travail en station de ski l’hiver et dans l’agriculture ou dans le bâtiment l’été. La GPEC territoriale est un moyen au service de la performance des entreprises, mais aussi au service de l’attractivité du territoire. L’objectif est que les gens puissent travailler et vivre sur le même territoire, que ce dernier ne perde pas de compétences indispensables. Le territoire a tout à gagner si les saisonniers y restent toute l’année : ils ne vont pas dépenser ailleurs l’argent qu’ils gagnent pendant la saison ; ils sont intégrés socialement. De leur côté, les entreprises y gagnent, car elles fidélisent des employés qui se forment au fil du temps, ce qui leur permet d’augmenter la qualité de leurs prestations. 14 E S PA C E S 3 2 4 • M A I - J U I N 2 0 1 5 Le développement de l’économie de proximité est au cœur de la GPEC territoriale en Rhône-Alpes. L’économie de proximité, c’est l’alliance de l’économie résidentielle, de l’économie touristique, de l’économie productive locale, et de l’économie sociale et solidaire : l’économie de proximité, c’est l’économie qui n’est pas délocalisable. C’est une partie de l’économie sociale et solidaire, mais ce n’est pas que cela. L’économie de proximité, ce sont tous les emplois, toutes les compétences qui permettent de produire localement des produits ou des services qui vont être consommés localement. L’économie de proximité, constituée par les TPE locales, l’artisanat, le commerce et l’économie sociale, regroupe en effet la majeure partie des entreprises d’un territoire. En RhôneAlpes, elle représente plus de 100 000 TPE, autant d’entreprises artisanales, plus de 87 000 commerces et 23 000 structures de l’économie sociale et solidaire. Elle est présente sur tous les territoires de la région, qu’ils soient urbains, périurbains ou ruraux, en plaine ou en montagne. Plusieurs secteurs d’activité en font partie : le bâtiment, les services à la personne, le tourisme, l’hôtellerie-restauration, l’alimentaire avec les métiers de bouche, l’artisanat, les secteurs du sanitaire et du juridique… On constate que, dans cette forme d’économie, il y a une majorité de formes atypiques du fait de la prédominance de petites structures (PME et surtout TPE), avec beaucoup de petits temps de travail, des temps partiels, des CDD, des horaires atypiques… L’économie de proximité est de plus en plus perçue comme un gisement d’emplois intéressant pour les territoires : d’une part, parce ces activités n’étant pas soumises au risque de délocalisation, elles exposent moins les territoires à des chocs brutaux de réduction d’emploi, d’autre part, parce que l’économie de proximité serait plus ouverte aux populations peu ou pas qualifiées. Le développement de l’économie de proximité est affirmé par le conseil régional RhôneAlpes dans le cadre de sa “stratégie régionale de CHANTAL PRINA développement économique et d’innovation” (SRDEI) 2011-2015, qui souhaite accroître la contribution de l’économie résidentielle au développement local et accompagner les territoires dans l’élaboration de leurs diagnostics, stratégies et plans d’action. QUALITÉ DE L’EMPLOI. La réflexion des territoires dans leurs stratégies de développement économique est tournée vers l’activité, le sousentendu étant que cette activité sera créatrice d’emploi. Mais cette réflexion n’intègre que peu la question de la qualité de l’emploi. Or l’attractivité et le dynamisme des territoires dépendent aussi de la qualité des emplois présents. Si les évolutions de l’économie de proximité sont associées à de la création d’emploi, les emplois sont également associés à des risques de précarité et d’insécurité pour les salariés, notamment en ce qui concerne leur employabilité, leur parcours professionnel, leurs conditions d’emploi et les avantages sociaux qui leur sont liés, ainsi que leurs conditions de travail. En effet, on l’a vu, les services à la personne, le BTP, le tourisme, l’hôtellerie-restauration sont les secteurs dominants dans l’économie de proximité. La majorité des emplois dans ces secteurs sont des emplois atypiques : temps partiels, CDD, travail en temps partagé, horaires atypiques... De plus, ils concernent essentiellement des publics fragilisés (femmes, jeunes, salariés peu qualifiés). Pendant des années, les acteurs institutionnels ont pensé que, du moment où l’on crée de l’activité, on crée de l’emploi. Et tous les chiffres de l’Insee prenaient en compte les aspects quantitatifs des créations d’emplois. Depuis quelques années maintenant, on se rend compte que création d’emplois n’est pas forcément synonyme de qualité d’emploi pour le travailleur (pérennité et stabilité sur un territoire, évolution des compétences, évolution salariale, articulation des temps de vie…). Désormais, les statistiques intègrent davantage de données comme les temps partiels, les CDD… Mais ce n’est pas encore assez précis et il est difficile de faire des constats complets sur un territoire. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des Création d’emplois n’est pas forcément synonyme de qualité d’emploi pour le travaileur (pérennité et stabilité sur un territoire, évolution des compétences, évolution salariale, articulation des temps de vie…) chiffres de turnover énormes dans certains métiers. Quand on voit que, sur une création de poste, il peut y avoir plusieurs personnes à l’année, on peut se dire que, certes, on a créé un poste, mais que rien n’est stabilisé. Et ce n’est bénéfique ni pour les salariés qui tournent sur le poste, ni pour le territoire qui ne peut que constater que des ressources sont produites sur le territoire, mais que l’argent n’est pas forcément dépensé sur le territoire. S’il est dépensé ailleurs, le territoire a tout perdu. Prenons l’exemple d’un département qui développe une offre touristique, convaincu que cela va créer de l’activité économique et de l’emploi. Souvent, il y a effectivement des emplois créés, mais relativement peu. Et les gens qui travaillent sur place pendant six mois, douze heures par jour, économisent : ils ne dépensent pas sur le territoire Au bout de six mois, une fois la saison terminée, ils s’en vont avec leurs économies. Car créer des emplois, c’est bien, mais encore faut-il qu’ils soient de qualité. Il y a d’autres secteurs, comme celui des services à la personne, qui créent effectivement beaucoup d’emplois, mais des petits bouts d’emploi avec des petites heures de travail, engendrant des situations très précaires pour les salariés, sans parcours sécurisé, sans formation, sans évolution possible. Emploi rime alors avec précarité et insécurité. C’est peut-être moins vrai dans le secteur tou- M A I - J U I N 2 0 1 5 • E S PA C E S 3 2 4 15 ENQUÊTE QUEL EMPLOI TOURISTIQUE DEMAIN ? (5) [http://www.queltravailda ns20ans.com/wpcontent/uploads/2011/02/V1 1-Formes-d-emploi-etcontrat-de-travail-D10.pdf]. risme, mais cela reste encore très vrai dans l’hôtellerie-restauration. Aujourd’hui, l’échelon territorial s’affirme comme lieu de réflexion et de coopération autour de la qualité de l’emploi. S’appuyer sur les proximités et la connaissance des spécificités locales pour permettre de sécuriser les trajectoires professionnelles est l’enjeu auquel peut répondre le niveau territorial. Il est un lieu de réflexion et de coopération entre les acteurs. Dans les territoires de la région Rhône-Alpes, il y a des maillages à faire, sur les aspects touristiques, entre territoires voisins et entre secteurs complémentaires. Pour réussir le pari d’une économie de proximité, la région devra se doter d’outils permettant d’établir des diagnostics qualitatifs de l’emploi. L’intégration, par les acteurs territoriaux, de la question de la qualité de l’emploi dans leurs plans d’action économiques et dans le déploiement éclairé de formes atypiques, tout en répondant aux besoins des entreprises, est un enjeu majeur. Aucune forme d’emploi atypique n’est intrinsèquement vertueuse, ni intrinsèquement pénible. DANS VINGT ANS. Pour marquer ses vingt ans d’existence, Aravis a engagé, en 2010, avec quatre-vingts acteurs de la région et le soutien méthodologique du cabinet Futuribles, une démarche prospective sur le thème “Quel travail dans vingt ans (5)?”. Ces travaux font apparaître six grandes tendances et tensions : – l’individualisation du travail, qui vient percuter la notion de collectif de travail ; – la perméabilité des frontières entre la sphère professionnelle et la sphère privée ; – l’évolution des modèles de contractualisation entre travail salarié et travail indépendant ; – la fracture sociale entre travailleurs, du fait de la diversité des statuts (CDI temps plein, CDD, temps partiels voire très partiels, intérimaires…) ; – le renouvellement et l’élargissement du cercle des acteurs de la régulation, qui complexifie le dialogue social ; – des intentions éthiques difficiles à mettre en œuvre en restant économiquement efficace. L’un des scénarios envisagés pour l’avenir est que le “contrat social” ne repose plus sur la seule entreprise, et qu’il soit régulé par un ensemble d’acteurs (les pouvoirs publics, les entreprises, les citoyens…). De nouveaux dispositifs (qui restent à inventer) permettraient à la fois de compenser les effets négatifs de la précarisation et de répondre aux aspirations individuelles en matière de mobilité et de parcours professionnel. n n n Les emplois atypiques sont-ils l’avenir ? Il est clair que l’on ne reviendra pas en arrière, que l’époque des Trente Glorieuses et du CDI roi est révolue. Ces grandes tendances modifient et interrogent en profondeur la sphère du travail et les termes de l’échange salarial, ainsi que l’entreprise dans sa gouvernance, son organisation. PROPOS RECUEILLIS PAR CLAUDINE DESVIGNES L’un des scénarios envisagés pour l’avenir est que le “contrat social” ne repose plus sur la seule entreprise, et qu’il soit régulé par un ensemble d’acteurs. Il faut inventer de nouvelles modalités de coopération territoriale pour compenser les effets négatifs de la précarisation et répondre aux aspirations individuelles en matière de mobilité et de parcours professionnels 16 E S PA C E S 3 2 4 • M A I - J U I N 2 0 1 5