Le renseignement, de la sécurité de notre pays

Transcription

Le renseignement, de la sécurité de notre pays
dossier
Le renseignement dans tous ses états
Le renseignement,
composante essentielle
de la
sécurité de notre pays
A
Par Jean-Yves Le Drian
Ministre de la Défense
Le renseignement
permet d’acquérir puis
d’analyser et exploiter des
informations essentielles
pour éclairer la décision
et l’action. Il constitue
un atout majeur, dans
le monde où nous
vivons, pour celui qui
le détient. Essentiel à
la sécurité intérieure et
extérieure de notre pays,
il participe directement
à la préservation de
notre indépendance
et à la protection de
nos intérêts vitaux.
4
/ juin 2014 / n°442
ux termes du premier article qui ouvre
le Code de la défense (L.1111-1), « la
stratégie de sécurité nationale a pour objet
d’identifier l’ensemble des menaces et des
risques susceptibles d’affecter la vie de la
Nation, notamment en ce qui concerne la
protection de la population, l’intégrité du
territoire et la permanence des institutions
de la République, et de déterminer les
réponses que les pouvoirs publics doivent
y apporter ».
Dans ce cadre, le renseignement joue un rôle
crucial : il permet d’acquérir puis d’analyser
et exploiter des informations essentielles
pour éclairer la décision et l’action ; il rend
intelligible les situations complexes ou
nouvelles et doit favoriser l’anticipation né­
ces­saire à la conduite de l’action publique.
Dès lors, le renseignement constitue un atout
majeur, dans le monde où nous vivons, pour
celui qui le détient. Essentiel à la sécurité
intérieure et extérieure de notre pays, il
participe directement à la préservation de
notre indépendance et à la protection de
nos intérêts vitaux.
La variété des risques et menaces qui
pèsent sur la France et ses intérêts justifie
l’existence d’un appareil de renseignement
de haut niveau et pérenne. Il est en outre l’un
des instruments premiers du dialogue entre
puissances dans les relations internationales.
L’État est donc conduit à accorder des
moyens significatifs aux services et aux
forces armées dans ce domaine, tout en
encadrant leur action de manière stricte
pour se préserver d’éventuels excès. La
communauté du renseignement doit faire
vivre en permanence cet équilibre délicat
entre souci de la sécurité collective et respect
des libertés individuelles. C’est la condition
pour relever les défis techniques et humains
qui l’attendent.
La France a besoin d’une
capacité de renseignement
du plus haut niveau, pour
garantir la sécurité de tous
et pour conserver son rang
sur la scène mondiale.
Dans le cadre de la sécurité nationale,
le renseignement est d’abord une pièce
centrale de notre dispositif de lutte contre
le terrorisme. Il est à bien des égards
notre première ligne de défense contre les
risques qui guettent, de ce point de vue,
nos concitoyens. Sur le territoire national
comme à l’étranger, les services doivent
détecter les menaces, identifier les réseaux
ou les individus et les entraver avant qu’ils
ne passent à l’action. Tâche redoutable dans
un monde caractérisé aussi par une inflation
débridée des échanges et des flux liés à la
criminalité et susceptibles de déstabiliser
nos sociétés : prolifération d’armes de
destruction massive, trafics d’armes, de
drogue, d’organes, d’êtres humains, im­
migration clandestine. La connaissance de
ces flux permet de mieux les contrôler et,
lorsque nécessaire, d’agir à leur encontre.
Le renseignement est aussi un élément
indispensable à notre défense militaire. En
tant que membre permanent du Conseil
de sécurité des Nations Unies et présente
sur les cinq continents, la France est
appelée à s’engager dans des opérations
militaires de coercition ou de gestion de
crise, en coalition ou de manière autonome.
À ce titre, qu’il s’agisse d’anticipation
stratégique ou d’appui aux opérations, elle
doit pouvoir à tout instant bénéficier d’un
renseignement d’intérêt militaire actualisé.
De même, le renseignement permet
d’adapter le dimensionnement de notre
force nucléaire aux défis nouveaux de la
dissuasion et de dimensionner au plus
dossier
juste nos forces armées, en les adaptant
aux évolutions opérationnelles, doctrinales
et technologiques de nos adversaires
potentiels.
Notre sécurité repose encore sur notre
maîtrise d’un système économique mon­
dialisé, dérégulé et concurrentiel. Dans ce
contexte, le renseignement contribue à la
protection de notre patrimoine industriel,
scientifique et technologique contre l’action
d’États, organisations ou entreprises peu
scrupuleuses, capables de se livrer au pillage
technologique. Il a aussi vocation à favoriser
l’évaluation des marchés susceptibles de
s’ouvrir à nos entreprises.
Enfin la cyber-défense offre un champ
en­tiè­rement nouveau à notre effort de ren­
seignement, à fins de protection, d’entrave
ou d’action contre la menace immatérielle,
pernicieuse et souvent anonyme que
constituent l’espionnage, la malveillance
ou la capacité de destruction recherchés
dans l’espace cyber. Il est donc désormais
indispensable que les services veillent cet
espace, le protègent et soient en capacité
d’y agir.
En France, l’État se donne les
moyens techniques et humains
de l’anticipation, prélude
à l’action.
Près de 13 000 agents opèrent au sein de
six services répartis dans trois ministères1.
Plus de 800 M€ sont consacrés chaque
année à l’équipement des services. La
coordination s’opère à la présidence de la
République, où est placé le Coordonnateur
national du renseignement (CNR), dont
l’action est soutenue par les services du
Premier ministre au secrétariat général de la
Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN).
L’Académie du renseignement, organisme à
compétence interministérielle, contribue à
forger l’identité de cette communauté, riche
d’une grande diversité de profils. Ramassée
et cohérente, la communauté nationale du
renseignement s’enrichit de compétences
plus larges, réparties dans différents
ministères, et qui concourent directement
à son efficacité (gendarmerie nationale,
forces armées, police nationale…).
Pour remplir au mieux leurs missions,
les services développent des capacités
techniques et humaines, ouvertes, intrusives
ou clandestines, de veille, de surveillance,
d’identification et d’entrave, sur le territoire
national comme à l’étranger. La communauté
française du renseignement se nourrit
d’échanges très denses et souvent cruciaux
avec un réseau international marqué par
l’importance des relations bilatérales entre
services et par une présence affirmée au
sein des organisations internationales (Otan,
UE). Encore faut-il être en mesure de peser
au bon niveau dans ces échanges.
À l’occasion du vote de la récente loi de
pro­grammation militaire2, en contrepartie
d’une relance importante de l’investisse­
ment humain, matériel et technologique
accordé aux services, l’État s’engage à
davantage encadrer leur action et à renforcer
leur contrôle démocratique. Le contrôle
parlementaire de l’activité gouvernementale
en matière de renseignement est accru par
un élargissement des prérogatives de la
Délégation parlementaire au renseignement
(DPR), qui intègre désormais en son sein
la Commission de vérification des fonds
spéciaux. Une inspection du renseignement,
fonction rattachée au Premier ministre et
adossé au Coordonnateur national pour le
renseignement est instituée. Les prérogatives
de la Commission nationale de contrôle des
interceptions de sécurité sont étendues au
recueil des données de connexion et aux
mesures de géolocalisation actionnées par
les services de renseignement.
Le renseignement restera la clé
de notre sécurité et de notre
liberté s’il sait relever trois défis
majeurs.
Le premier défi est celui de la modernisa­
tion permanente de nos capacités dans un
contexte budgétaire que l’on sait extrême­
ment contraint. Il s’agira d’abord d’améliorer
notre dispositif de recueil technique, qu’il
s’agisse d’interceptions électromagnétiques
ou d’imagerie. La loi de programmation
mi­litaire prévoit le développement de
pro­grammes satellitaires nécessaires à
l’identification des menaces balistiques, à la
localisation et à la discrimination des risques
et des menaces. Notre composante aérienne
dédiée au renseignement s’enrichira d’une
flotte de drones stratégiques et d’avions
légers tandis que les flottes existantes seront
dotées de nouveaux capteurs. Nous devrons,
bien sûr, adapter nos capacités d’analyse
à cette nouvelle donne technologique, en
particulier dans les domaines du traitement
de masse de l’information et de la traduction
automatique. En effet, nul ne sert de recueil­
lir davantage d’informations, si nous ne
sommes pas en capacité technique et hu­
maine de les exploiter.
C’est pourquoi le second défi à relever sera
celui de la ressource humaine. Les services
de renseignement verront leurs effectifs au­
gmenter sur la période 2014-2019, avec
800 nouveaux recrutements. Nos capacités
d’analyses seront étoffées. En effet, la qualité
de la production de nos services repose
avant tout sur l’intelligence humaine qui
transforme une masse d’informations de
volume inconnu jusque-là en un rensei­
gnement utile à la prise de décision et à
l’action. Nous devrons aussi accompagner
la modernisation de nos sources techniques
par le recrutement de spécialistes, linguistes
ou interprétateurs d’images. Enfin dans une
logique anticipatrice, nous devrons nous
préparer aux prochaines grandes ruptures
technologiques, et notamment disposer
d’ingénieurs et de spécialistes du cyber
espace.
Le troisième défi est celui de la mutua­
lisation des ressources rares au sein de la
communauté nationale du renseignement.
Les capacités dont nous avons collective­ment
besoin coûtent trop cher en investissement,
en maintien en condition et en savoir-faire
pour pouvoir être dupliquées. Depuis près
de quinze ans, des capacités de recueil ont
été développées et sont désormais opérées
en commun. Cet effort, qui n’est pas anodin
dans un univers habitué au cloisonnement,
sera amplifié pour les programmes majeurs
en cours de développement. Pour autant,
chaque service conservera son indépendance
d’analyse et sa spécificité, afin de permettre
à l’autorité politique ou militaire de décider
et d’agir en conscience.
Car si le renseignement est le déterminant de
l’action, l’action demeure son ultime finalité.
C’est bien le sens de la démarche engagée
par la loi de programmation militaire : per­
mettre à notre pays d’agir librement. ■
1 - Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), direction du renseignement
militaire (DRM), direction de la protection et de la sécurité défense (DPSD) au
ministère de la défense ; direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) au
ministère de l’intérieur, direction nationale du renseignement et des enquêtes
douanières (DNRED), traitement du renseignement et action contre les circuits
financiers (Tracfin) au ministère de l’Économie et des Finances.
2 - Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire
pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la
défense et la sécurité nationale.
/ juin 2014 / n°442
5