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DOSSIER
Entreprises
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Les surdoués de l’entreprise
Ilsonttrenteansouàpeine
plusetcartonnentàlatête
d’entreprisescommeDelta
Plus,RaphaëlMichel,Spartoo,
EasyflirtouMND…Cesjeunes
patronsontcréédesstart-up,
réalisédescroissances
spectaculaires,reprisdans
l’urgenceunrelaisfamilial,
redresséavecbriodes
situationscritiques.Ils
témoignent.
uillaume Ryckwaert avait
G
22 ans, il était encore élève à
l’ESC Grenoble quand il a créé sa
première entreprise d’export en
vins. “À l’école on m’avait donné un
bureau et j’avais des horaires amé­
nagés”, se souvient­il. Taraudé par
l’envie de créer, il vole très vite de
ses propres ailes. Né dans une
famille viticole, il fonce, crée et
développe Raphaël Michel, société
de négoce en vins basée à Piolenc
en Vaucluse qui pèse aujourd’hui
70 millions d’euros de chiffre d’af­
faires, emploie 30 personnes et
affiche des taux de croissance os­
cillant depuis cinq ans entre 25 et
50 % par an. “À 26 ans, j’étais le
plus jeune patron coté en bourse !”
Sa recette ? “Privilégier une bonne
formation, s’associer avec des
gens qui ont plus d’expérience. En
France on ne fait pas confiance aux
jeunes, alors savoir bien s’entourer
ça rassure. Bien sûr, l’entreprise
c’est plein d’embûches, il y a des
moments de doute. L’essentiel est
de construire une stratégie qui te
ressemble !” Guillaume, qui a
aujourd’hui 34 ans, a eu la chance
de rencontrer un mentor, Jacques
Benoît, fondateur de la société ba­
sée à Apt, Delta Plus. “Il a été un
exemple pour moi”, dit­il. “C’était
un homme qui aimait transmettre”,
témoigne Jérôme Benoît, son fils,
aujourd’hui à la tête de Delta Plus.
“J’ai moi­même beaucoup appris
avec lui”.
“Certains ont eu un mentor,
d’autres se sont construits seuls.
Mais s’il est un point commun aux
jeunes créateurs qui réussissent,
c’est l’envie de faire”, témoigne
Jean­Claude Lemoine, directeur de
l’Institut de l’entrepreneuriat au
“J’ai redressé l’entreprise
de mon grand-père”
Julie Gnuva a repris à 23 ans
la société de décolletage de
son grand-père qui était en
difficulté, à Scionzier. Onze
ans après, le groupe Tonic
réalise 7 millions d’euros de
chiffres d’affaires pour 45
salariés et a retrouvé la rentabilité.
À 34 ans, Julie Gnuva fait figure
d’exception. Elle est une fem­ Julie Gnuva : “J’ai osé, j’y ai cru !”
DR
me, jeune, à la tête d’une entre­
prise industrielle, et préside la
CGPME 74. “À ma sortie de Sup de Co, je me suis retrouvée à
travailler chez mon grand­père, et les choses se sont enchaînées. Il a
eu un pépin de santé, j’ai osé, j’y ai cru”, dit­elle. “L’entreprise perdait
de l’argent, elle souffrait d’une absence de suivi, de gestion, de
stratégie. Ce n’était pas simple, et la concurrence est rude ! Il a fallu
tout réinventer, rassembler les sites de production, donner une
logique, informatiser car je n’avais aucune donnée, je ne comprenais
rien.” Sauvetage réussi. À partir de 2006, la société se redresse, puis
c’est la crise de 2009, elle perd la moitié de son chiffre d’affaires.
“On s’est redéployé, on a rebondi, et en 2011 on a retrouvé notre
chiffre d’affaires d’avant la crise. Mais là, de nouveau, on replonge !”
Les montagnes russes, dont souffrent la plupart des entreprises
sous­traitantes, n’ont pas empêché le groupe Tonic de grandir.
Récemment, l’une de ses sociétés, Dgin a créé une filiale : Fizz. Une
appellation qui colle à sa génération et détonne dans l’univers
industriel du décolletage. “Là encore, j’ai osé !”, conclut Julie.
“Easyflirt a été rentable
dès le premier mois”
Guillaume Ryckwaert, 34 ans, a créé Raphaël Michel à Piolenc, une société de négoce en vins et d’assemblage, dont le taux de croissance annuel oscille
entre 25 et 50 % depuis cinq ans. Photo C.i.
sein de GEM, Grenoble école de
management. “Au départ, ce sont
des jeunes actifs et déterminés,
des gens qui osent.” Comme Boris
Saragaglia, 30 ans, PDG de Spar­
too.com. C’est en surfant sur des
sites internet américains qu’il a, à
23 ans, l’idée de créer un site de
vente de chaussures en ligne,
après avoir convaincu deux copains
de classe.
À 30 ANS, IL A DÉJÀ LEVÉ
45 MILLIONS D’EUROS
En six ans, ses effectifs passent de
5 à 180 salariés et son chiffre
d’affaires de 5 à 100 millions
d’euros en quatre ans ! Les inves­
tisseurs lui font confiance. Malgré
la jeunesse de l’équipe, il lève en
trois tours de table près de 45 mil­
lions d’euros pour renforcer sa pré­
sence dans le monde. Cette successstory repose sur une ambition :
dès le départ, le jeune PDG visait le
leadership européen avec une stra­
tégie fondée sur la largeur de l’offre
et la qualité du service. S’il est un
domaine où les jeunes entrepre­
neurs cartonnent, c’est la sphère
numérique. “La génération Y a
grandi avec le web, dans un univers
décloisonné”, note Jean­Claude
Lemoine. Particulièrement préco­
ce, Thibaut Grangier, patron de
PhpNet, hébergeur de sites internet
grenoblois, a démarré à 12 ans en
hébergeant gratuitement des cen­
taines de sites. À 27 ans, avec
700 000 euros de chiffre d’affai­
res, il se place aujourd’hui parmi
les leaders sur le marché français
de l’hébergement mutualisé.
“J’AI ÉTÉ
DANS LE BAIN TOUT DE SUITE”
Il est aussi des cas où le jeune
patron plonge dans le grand bain
par la force des choses et doit
apprendre à nager très vite. “Ça
vous forge un caractère, vous obli­
ge à vous adapter à la réalité. Les
créateurs doués sont rarement des
bêtes à concours. Un joli business
plan ne suffit pas. La vie est beau­
coup plus compliquée qu’un busi­
ness plan”, commente Jean­
Claude Lemoine. Stéphane Moi­
son est de ceux qui ont dû relever
ce type de défi. Il a 27 ans lorsqu’il
prend la tête de Safi, société créée
par son père en 1963, qui fabrique
des robinets en plastique pour l’in­
dustrie à Taulignan, dans la Drôme.
L’entreprise n’est pas en bonne for­
me, elle perd de l’argent. Son père
décède quelques mois après la
reprise. “J’ai été dans le bain tout
de suite !”, souligne le président,
âgé aujourd’hui de 35 ans. Diplô­
mé de l’école Centrale, il s’appuie
sur ses compétences. “J’ai fait mon
début de carrière dans de grands
groupes où j’ai géré des projets
industriels”. Il développe à l’inter­
national, ouvre des filiales, s’atta­
che à recruter des gens compé­
tents et à communiquer sa straté­
gie à ses 130 salariés. Il dirige
“comme un chef d’orchestre”, at­
teint la rentabilité en deux ans, et
fait passer le chiffre d’affaires de
9 millions fin 2004 à 14 millions
d’euros en 2012. Un cas parmi
d’autres, ceux de Julie Gnuva pa­
tronne de Dgin en Haute­Savoie et
de Xavier Gallot­Lavallée patron de
Montagne & neige développement
en Savoie (lire ci­contre) par exem­
ple, où les aléas de la vie jouent les
accélérateurs de talent, et révèlent
le potentiel en sommeil dans l’ADN
de l’entrepreneur.
Carina ISTREet Caroline CHALOIN
Julien Lavanchy, PDG et
fondateur d’Easyflirt,
spécialisée dans les sites
internet de rencontres à
Metz-Tessy (Haute-Savoie).
“À 18 ans, j’avais déjà créé
une première boîte. En
deuxième année d’études, à
25 ans, j’ai travaillé sur un
nouveau projet, un site de
rencontres. Il a fallu un an
Sa société enregistre 22 millions pour le lancer. J’ai démarré
d’euros de chiffre d’affaires pour 50 avec 2 000 francs à l’épo­
salariés. DR
que. Dès le premier mois,
l’entreprise a été rentable.
Son modèle économique repose sur un produit porteur, le site de
rencontres, et sur un moyen de distribution rentable : je reverse 50 %
de notre chiffre d’affaires aux sites internet généralistes, comme
TF1.fr, qui proposent une rubrique rencontre Easyflirt. Le concept de
marque blanche permet de fondre notre site dans leur interface.
Mon entreprise n’est pas le fruit du hasard mais, pour la mettre au
point, de nuits blanches et d’insomnies. J’emploie une cinquantaine
de salariés. Nous avons plus de 35 millions d’inscrits, 15 000
nouveaux par jour. J’ai rencontré des difficultés pour manager les
équipes car j’étais jeune et j’avais travaillé nulle part. C’est toujours
difficile au quotidien, même au bout de dix ans !”
Des contacts utiles
n1 Le CJD (Centre des jeunes dirigeants) regroupe des entre­
preneurs de moins de 45 ans, soucieux de se former, de se
construire un réseau, dans l’optique d’une entreprise humanis­
te. www.cjd­vaucluse.fr ou [email protected]
n2 Wizbii, réseau social professionnel dédié aux étudiants et
jeunes diplômés, créé par trois anciens élèves de GEM, a pour
but d’aider les jeunes à réaliser leurs projets. benjamin.du­
[email protected]
“À 18 ans, j’ai dû reprendre
l’entreprise de mon père”
n EN CHIFFRES
n
600
C’est à peu près le nombre
d’entreprises qui ont été
créées par les diplômés de
GEM, l’école de management
de Grenoble depuis 1984,
date de création de l’école.
n
C’est le pourcentage de
jeunes souhaitant créer leur
entreprise, alors que 1 %
seulement des diplômés des
grandes écoles françaises
passent à l’acte. (Étude
Didaxis 2012).
Il a 31 ans et son entreprise devrait enregistrer 45 millions d’euros de
chiffre d’affaires en 2012 avec 200 salariés. MND
Xavier Gallot-Lavallée, PDG du groupe Montagne & neige développement (MND), spécialiste de la sécurisation des stations de
ski à Sainte-Hélène-du-Lac (Savoie).
“J’ai repris à 18 ans l’entreprise créée par mon père, décédé brutale­
ment.Elledémarraitjuste,avecunsalariéenCDDet300 000eurosde
chiffred’affaires.Lesecteurdelasécuritéenmontagnemeplaisait.Une
de mes forces a été de connaître mes limites. J’ai recruté des équipes
avec des compétences que je n’avais pas, j’ai fait appel à des experts,
avocats. Mon entreprise a la chance d’être sur un marché mondial lié à
l’activité touristique. J’ai défini trois axes de développement : l’interna­
tional qui représente 75 % de notre chiffre d’affaires, l’innovation et la
création d’un pôle de services et d’activités complémentaires grâce à la
croissance externe. En 2012, nous avons effectué deux reprises d’en­
treprises européennes et créé six filiales de distribution à l’étranger. Une
vingtainedepersonnesontétéembauchéesprincipalementenSavoie.
Nous employons environ 200 salariés pour en prévision un chiffre
d’affaires consolidé de 45 millions d’euros en 2012.”
48
n
50
C’est la proportion de jeunes
porteurs de projets reçus
dans les CCI qui placent en
priorité l’accompagnement et
le conseil (étude CCI
“Entreprendre en France”).
n
45
En pourcentage, c’est la
proportion de jeunes
porteurs de projets (18­30
ans) qui estiment décisive
l’attribution d’un prêt pour
pouvoir créer leur entreprise
(étude CCI).
“J’ai accéléré la croissance
à l’international”
n
58
C’est la proportion des chefs
d’entreprise mondialement
représentatifs ayant effectué
une première expérience en
salariat avant de créer leur
entreprise, et dans 33 % des
cas, cette expérience est
citée comme facteur de
réussite. (Étude “L’ADN de
l’entrepreneur”, Ernst and
Young).
Jérôme Benoît a accéléré un virage stratégique à l’international pour
échapper à la crise européenne. C.I.
Jérôme Benoît est devenu à 28 ans PDG de Delta Plus Group
spécialiste des équipements professionnels de sécurité basé à
Apt (160 millions d’euros de chiffre d’affaires, 1 400 salariés),
après le décès de son père.
“L’entreprise a 35 ans, j’ai grandi avec”, confie Jérôme Benoît. Ce jeune
homme formé à HEC a tout juste 30 ans. “Avec mon père, fondateur de
DeltaPlus,ons’étaitmisd’accordpourquejerejoignel’entreprise.À25
ans, j’ai commencé mon parcours d’apprentissage, je suis passé par la
finance, l’export, j’ai dirigé la filiale chinoise. Je suis revenu à Apt plus tôt
que prévu, mon père étant malade.” Quand Jacques Benoît décède, en
2010, son fils devient PDG d’un groupe performant, en pleine croissan­
ce, mais qui doit prendre un virage stratégique pour échapper à la crise.
“Mon père avait amorcé la stratégie internationale, je l’ai accélérée,
sans modifier notre ADN fondée sur une stratégie de milieu de gamme,
d’équipement complet de la personne, et de service”, résume le jeune
patron. “Nous avons racheté une usine en Argentine l’an dernier, et la
Chine est devenue la deuxième filiale du groupe. Le marché européen
subit la crise, nous faisons notre croissance dans les pays émergents.”
Virage réussi. Delta Plus affiche une croissance de 7,5 % au troisième
trimestre, et table sur environ +5 % sur l’ensemble de 2012.
n
45
C’est le pourcentage des
entrepreneurs (étude Ernst
and Young) ayant créé leur
première entreprise entre 20
et 29 ans.
SUR
LE SITE :
www.ledauphine.com/
entreprises/
LE CLASSEMENT
DES PME QUI ONT
PASSÉ LA CRISE
AVEC SUCCÈS
SE4-8