essai de caractérisation aromatique d`eaux-de-vie

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essai de caractérisation aromatique d`eaux-de-vie
ESSAI DE CARACTÉRISATION AROMATIQUE
D'EAUX-DE-VIE NOUVELLES DE COGNAC
CONTRIBUTION TO CHARACTERISATION
OF YOUNG COGNAC AROMA
Elise LECLAIRE, R. CANTAGREL, L. MAIGNIAL,
G. SNAKKERS et G.FERRARI*
Station Viticole du Bureau National Interprofessionnel du Cognac, 69, rue de Bellefonds,
B.P. 18, 16101 Cognac Cedex, France
Résumé : Ce travail expose nos premiers résultats de caractérisation aromatique d’eaux-de-vie nouvelles de Cognac
par couplage chromatographie en phase gazeuse – olfactométrie, parallèlement aux analyses chimiques et sensorielles.
Une série de dégustations a permis de retenir dix eaux-de-vie nouvelles représentatives. Un jury de professionnels de la région a sélectionné des descripteurs à partir d'une liste étendue de termes précis, habituellement reconnus dans les eaux-de-vie. Quatre échantillons ont été décrits à l’aide de dix descripteurs précis, par la méthode des
profils sensoriels.
L’analyse par couplage chromatographie en phase gazeuse - olfactométrie de ces quatre eaux-de-vie par des juges,
préalablement formés et évalués, montre l’impact olfactif de composés aromatiques majeurs, dont des descripteurs
déjà trouvés en analyse sensorielle.
Summary : This work relates our first result about the aroma description of new distilled Cognac spirits (without
the ageing step in oak barrels) in terms of matching the sensory assessment, gas chromatography (GC) chemical
analysis and GC-olfactometry. The wines were produced from vines growing in the Cognac allowed area (machine
harvested grapes) and the double distillation « charentaise » in pot stills. The cellar masters of major Cognac
companies selected ten spirits samples. The sensory panel proceeds to the overall aroma analysis in order to find
the relevant odors descriptors. Then four spirits samples were selected on their remarkable overall aroma and were
describe using the « top ten » descriptors. Afterwards GC and GC – olfactometry were use to estimate compound’s
contribution to perceived aroma of those spirits. So we have trained, selected and evaluated panel members for
olfactometry and we found some links between significant odors descriptors from either sensory analysis or olfactometry.
Mots clés : arôme, eau-de-vie, Cognac, profil sensoriel, olfactométrie
Key words : aroma, spirits, Cognac, sensory profile, olfactometry
INTRODUCTION
Les études sensorielles menées jusqu'à présent sur
les eaux-de-vie de Cognac et destinées à cerner les problèmes qualitatifs s’attachaient essentiellement à caractériser les descripteurs de défaut (CANTAGREL et
LAVERGNE, 1989). Or, les composés à impact odorant positif sont encore largement inconnus.
La complexité aromatique des eaux-de-vie de
Cognac est reconnue (HEIDE et al., 1983 ;
CAUMEIL, 1983 ; CANTAGREL et al., 1990 ;
LURTON et al., 1990). Une liste exhaustive des constituants volatils identifiés a été publiée par le T.N.O.
(MAARSE et al., 1989).
Dans de récents travaux menés sur les vins, de nombreux auteurs ont recherché les composés d’impact
olfactif par une approche sensorielle et instrumentale
(MOIO et al.., 1993 ; SCHLICH et MOIO, 1994 ;
MOIO et al., 1994 ; ARREHENIUS et al., 1996 ;
CUTZACH et al., 1998 ; LE FUR et ETIEVANT,
1998). Nous nous sommes inspirés de ces travaux pour
mettre au point une méthodologie adaptée aux eauxde-vie nouvelles de Cognac.
La dégustation de ces eaux-de-vie fait appel à la fois
à des notes olfactives génériques (floral, fruité) et à des
termes correspondant à un ensemble de sensations spécifiques (montante, grasse, finesse ; CANTAGREL,
1989), mais peu de descripteurs précis de la qualité sont
utilisés et leurs marqueurs analytiques ne sont pas tous
identifiés.
1 : correspondance : [email protected]
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J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°3, 133-141
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
Elise LECLAIRE et al.
Cette approche basée à la fois sur l’analyse sensorielle descriptive, associée à la méthode des profils sensoriels, l’analyse olfactométrique et chromatographique
a été envisagée pour progresser dans la connaissance
des composés positifs de la qualité des eaux-de-vie nouvelles de Cognac.
- la connaissance approfondie de ces produits très
spécifiques,
- l’entraînement, car ces personnes dégustent régulièrement des eaux-de-vie,
- la motivation basée sur la participation active à la
connaissance des produits,
MATÉRIEL ET MÉTHODES
- la sensibilisation forte à la qualité recherchée pour
ces eaux-de-vie.
I - ANALYSE SENSORIELLE
Pour chaque séance, nous avons disposé d’au moins
14 jurés.
La démarche d’analyse sensorielle a pour but de
sélectionner des eaux-de-vie caractéristiques et de les
décrire, préalablement à l’étude, par olfactométrie.
b) Les épreuves : elles se sont déroulées dans la salle
de dégustation du B.N.I.C. équipée de postes individuels. Les échantillons sont présentés de façon anonyme et dans un ordre aléatoire, différent à chaque
dégustateur. Les jurés se prononcent d’abord sur les
eaux-de-vie à 70 p. cent vol. d’alcool, puis procèdent
à une réduction à l’eau pour noter leur deuxième impression.
1) Sélection des eaux-de-vie
Vingt eaux-de-vie nouvelles de 1996 provenant de
différentes maisons de Cognac ont été sélectionnées
pour cette étude par des dégustateurs professionnels.
Ensuite, dix d'entre elles, représentatives de la diversité régionale, ont été retenues après une dégustation à
l’aveugle.
Trois analyses descriptives successives ont permis
de caractériser les échantillons retenus et de valider les
descripteurs sensoriels correspondants. Le tableau I
résume la méthodologie de sélection des eaux-de-vie
et des descripteurs.
2) Évaluation sensorielle
a) Les jurés : le jury de dégustation est composé de
professionnels expérimentés de la région de Cognac
choisis parmi les courtiers, les professionnels des
Maisons de négoce et les dégustateurs de la Station
Viticole. Ce jury varié maîtrise parfaitement la connaissance du produit qui est difficile à déguster
(70 p. cent vol.), bien qu’évalué uniquement par la voie
nasale.
Les dix échantillons sélectionnés ont été dans un
premier temps dégustés par 27 professionnels. Une analyse descriptive des échantillons leur était demandée
en s’aidant d’une liste d’une centaine de descripteurs
aromatiques, précis, pertinents et non redondants utilisés habituellement pour les eaux-de-vie nouvelles de
Cognac. Ces descripteurs étaient présentés en 9 familles
aromatiques et par ordre croissant de précision.
Les avantages de ce choix sont les suivants :
TABLEAU I
Déroulement de l’analyse sensorielle
Table I - Pathway of sensory analysis
Composition
Nombre
Nombre
Étape
Critères
But
du jury
d’eaux-de-vie de descripteurs
Présélection
Échantillonnage
Négociants
20
111 en 9 familles Bonne qualité
régionale
représentatif
Absence
Validation
Techniciens
Sélection
10
de défauts
des échantillons
Négociants, Courtiers,
Analyse
Fréquence
Réduction
7
27
Techniciens
descriptive
de citation
du vocabulaire
Analyse
Fréquence Validation du vocabuN., C., T.
7
14
descriptive
de citation
laire, sélection EDV
Décrire
N., C., T.
Profils sensoriels
4
10
les eaux-de-vie
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Caractérisation aromatique des eaux-de-vie
Sept de ces échantillons ont ensuite été jugés, en
deux temps, par 16, puis par 20 dégustateurs.
therme de 15’, de façon à réaliser une acquisition en
20 minutes, ce qui constitue un maximum pour les
olfacteurs. Le débit d’air (20 ml/mn) de l’humidificateur est vérifié lors de chaque acquisition.
La dernière évaluation par 14 dégustateurs portait
sur les quatre échantillons retenus.
Nous avons cumulé certaines acquisitions sur
colonne polaire et apolaire (méthyl silicone 100 p. cent).
Le système chromatographique est tel qu’il est possible de « sniffer » alternativement sur l’une ou l’autre
colonne. Une vanne Valco (Vici) oriente l’effluent chromatographique soit vers la colonne polaire soit vers la
colonne apolaire, et dans les deux cas, vers le détecteur FID.
II - ANALYSES STATISTIQUES
Pour chacune des séances, les occurrences des descripteurs utilisés sont comptées.
Les colonnes des différents tableaux correspondent
aux descripteurs sélectionnés, les lignes aux différents
échantillons. Les analyses factorielles des correspondances des tableaux sont faites à l’aide du logiciel
SPSS®.
Les données olfactométriques sont enregistrées
grâce à un bouton poussoir relié à un électromètre et à
une carte d’acquisition. Un logiciel permet de traiter
les données.
Le premier plan factoriel permet d'obtenir à chaque
étape de l'étude, la tendance aromatique des eaux-devie analysées.
Les indices de rétention des composés odorants
sont calculés à partir d’une série d’alcanes de C7 à C26.
III - ANALYSES DES COMPOSÉS VOLATILS
Les échantillons ont été préparés par extraction
directe au pentane (4 ml) à partir de 25 ml d’eau-devie (+ 2.5 g NaCl, + 0.5 ml NaHCO3 en solution saturée) et agitation au vortex de 3’. Le solvant est concentré
jusqu’à 1 ml sous courant d’azote ; 1 µl est injecté.
Deux étalons inodores sont ajoutés pour le contrôle de
l’extraction (tridécanoate, 100 µl) et de l’injection
(hénéicosane, 200 µl). Un chromatogramme (détection F.I.D.) est obtenu parallèlement à chaque olfaction, ce qui permet de vérifier la constance du système
chromatographique.
Le dosage des composés volatils des eaux-de-vie
nouvelles est réalisé à la fois en injection directe et après
extraction à l’isooctane par chromatographie en phase
gazeuse avec un détecteur à ionisation de flamme
(BERTRAND, 1994). L’analyse quantitative est réalisée par étalonnage interne (Methyl 4 Pentanol 2)
sur un chromatographe Hewlett Packard de type GC
5890 avec un injecteur automatique 7673 A (H.P.) en
mode « split » avec la division réglée à 1/60. La colonne
capillaire est de type polaire Chrompack, CPwax 52
CB, 50 m x 0.25 mm, 0.2 µm d’épaisseur de phase.
Les conditions opératoires sont celles des méthodes
officielles du recueil de l’O.I.V. (BERTRAND, 1994).
L’acquisition des données et leur traitement sont réalisés à l’aide du logiciel « Alice » de Hewlett Packard.
2) Acquisitions
Des olfacteurs ont été préalablement entraînés avec
des eaux-de-vie nouvelles et une solution standard
d’odeurs connues à 3 niveaux de dilution : 1, 6 et 60 ;
(butyrate d’éthyle, acétate d’isoamyle, isopentanols,
hexanoate d’éthyle, cis 3 hexenol, acétate de phényléthyle, phényl 2 éthanol). Les paramètres de leurs
réponses ont été caractérisés (voir résultats III -1).
IV - OLFACTOMÉTRIE
1) Appareillage
Les acquisitions olfactométriques sont faites sur un
chromatographe en phase gazeuse HP 5890 série II
Plus, équipé d’une colonne capillaire en silice fondue
de phase stationnaire greffée (CP Wax 52 CB, 50 m,
0,53 mm de diamètre intérieur), et d’une précolonne
de 1 m (0,2 µm d’épaisseur de film). L’injecteur est de
type « on column ». L’effluent de la colonne est séparé
par un « Y » en verre de type « universal quick seal » ;
une partie est analysée par le détecteur, l’autre est dirigée vers le système olfactométrique ODO-1 de SGE
(Scientific Glass Engineering). La programmation
de température du four est de 1 mn à 35°C, 10°C/mn
jusqu’à 180°C, puis de 30°C/mn jusqu’à 220°C et iso-
Chaque olfacteur précise les descripteurs odorants
des composés détectés lors de chacune des acquisitions, tout en appuyant sur le bouton pendant la durée
de perception de l’odeur.
Un même extrait est soumis deux fois à un olfacteur pour augmenter la fiabilité, soit huit acquisitions
par eau-de-vie. Toutes les acquisitions olfactométriques
ont été réalisées sur deux semaines pour éviter des
déviations.
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Les 27 descripteurs détaillés les plus fréquemment
utilisés ont été retenus de la liste initiale de 111 descripteurs, puis 14 termes sont conservés. Trois échantillons caractérisés par des descripteurs dépréciatifs
pour les eaux-de-vie ont dû être éliminés. Donc, 7 eauxde-vie sont retenues pour l’étape suivante.
Le cumul des signaux élémentaires de chacune des
acquisitions permet d’obtenir les olfactogrammes des
eaux-de-vie, la hauteur des pics correspondant à la fréquence de détection d’une odeur. Si la hauteur d’un pic
est maximale, tous les olfacteurs la détectent. La concentration de la molécule odorante est alors supérieure
pour tous au seuil de détection. Si un pic a une hauteur
minimale (une personne seulement la détecte), la
concentration du composé est alors en dessous du seuil
de détection.
Deux dégustations ont ensuite été organisées à
l'identique (les codes d'anonymat des échantillons ont
été changé et les descripteurs « amande » et « anis »
ont été supprimés de la liste pour la deuxième évaluation) pour caractériser les tendances des eaux-devie par des descripteurs précis. Le tableau III donne les
fréquences de citations des descripteurs retenus pour
les sept eaux-de-vie. Malgré la forte sélection opérée,
les fréquences des descripteurs les plus employés restent proches.
RÉSULTATS ET DISCUSSION
I - ANALYSE SENSORIELLE
La première séance permet de retenir les descripteurs les plus cités pour ces eaux-de-vie. Nous présentons les résultats par famille aromatique de
descripteurs (tableau II).
Les représentations graphiques schématisées des
résultats des analyses factorielles des correspondances
(AFC) portant sur les eaux-de-vie permettent de synthétiser les différences obtenues en analyse sensorielle
(figures 2 et 3).
L'analyse factorielle des correspondances (figure 1)
résultant du tableau II de contingence montre les orientations sensorielles des échantillons par famille de descripteur.
Les eaux-de-vie et les familles de descripteurs
sont indépendantes statistiquement : ces échantillons
ont des profils proches (résultats d'un Chi 2 après élimination des familles terreux, animal, boisé). Il apparaît une bonne dispersion des échantillons.
Les échantillons 1,3,6 sont marqués par les descripteurs alimentaire et fruité, les échantillons 4 et 5
ont un caractère floral et végétal ; les échantillons 10 et
8 relèvent de familles sensorielles dépréciatives et sont
éliminés.
Fig. 1 - Analyse factorielle du tableau II
Fig. 1 - Correspondence analysis of table II
TABLEAU II
Fréquence de citation des familles de descripteurs par eau-de-vie
Table II - Frequency table of descriptor families by spirit
E.D.V.
Famille
végétal
alimentaire
fruité
chimique
épicé
floral
terreux
animal
boisé
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
Total
21
15
24
9
8
6
2
2
2
20
15
15
22
12
10
2
3
2
23
28
16
15
10
7
3
3
2
25
18
14
6
13
15
3
1
4
22
15
18
8
16
10
1
4
5
19
21
20
11
10
10
3
2
1
23
16
14
13
15
9
4
4
2
11
16
13
15
16
3
8
6
1
16
22
17
11
11
10
5
4
2
18
17
14
16
12
5
6
7
3
198
183
165
126
123
85
37
36
24
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Caractérisation aromatique des eaux-de-vie
TABLEAU III
Fréquence de citation des descripteurs par eau-de-vie
Table III - Contingency table : frequency of descriptor citation by spirit
Dégustation 1
E.D.V.
Descripteurs
herbe
poivre
beurre
bouillon
foin
buis
rose
tilleul
poire
raisin sec
pomme
violette
vanille
yaourt
Dégustation 2
1
2
3
4
6
7
9
7
3
3
3
4
3
5
5
5
2
3
4
3
0
6
6
4
2
3
5
6
3
5
2
5
4
2
1
5
4
6
6
0
4
6
3
3
3
3
3
2
3
4
4
4
6
9
6
4
3
2
8
1
4
6
1
6
5
9
5
2
4
2
3
5
4
6
6
3
4
10
10
2
2
7
4
4
5
2
4
1
0
2
3
7
7
8
4
6
6
2
5
5
2
3
0
0
4
Total
1
45
39
36
28
31
32
29
27
27
25
22
21
18
16
1
2
3
4
6
7
9
9
4
3
1
8
5
6
8
9
5
3
4
1
2
10
5
2
5
5
7
1
8
7
3
4
5
5
1
4
4
4
5
8
1
6
6
9
3
2
4
3
7
7
6
5
4
5
3
3
4
7
5
1
3
9
0
8
7
10
8
5
6
1
8
5
5
4
6
0
8
8
7
9
5
9
3
2
8
6
1
2
2
2
7
5
6
8
7
3
5
3
6
5
5
4
2
2
6
Total
2
51
39
41
35
43
30
22
48
48
27
20
26
22
31
Fig. 2 - Analyse factorielle du tableau III, dégustation 1
Fig. 3 - Analyse factorielle du tableau III, dégustation 2
Fig. 2 - Correspondence analysis of table III, tasting n°1
Fig. 3 - Correspondence analysis of table III, tasting n°2
Le premier plan de l’analyse factorielle des correspondances (dégustation 1) permet d'expliquer
64.3 p. cent de la dépendance des descripteurs et des
eaux-de-vie.
Le premier plan de l'AFC du tableau de contingence
III (dégustation 2) permet d'expliquer 65,5 p. cent de
la dépendance des descripteurs et des eaux-de-vie.
Même si 20 dégustateurs ont participé à cette dégustation, les fréquences obtenues (au maximum 10 pour
1 descripteur) ne sont pas suffisantes pour conclure à
une description sensorielle inhérente aux produits ou
au hasard. Les faibles fréquences obtenues à chacune
des dégustations sont telles qu'une variation d'une ou
deux personnes entraîne le changement du profil.
Selon l'axe 1, deux groupes d'eaux-de-vie peuvent
être repérés : une première région comprenant les eauxde-vie 3, 6, 9, proches des termes de « pomme »,
« poire », « beurre », et une deuxième région opposée:
7 et 4, proches de « foin ».
Selon l'axe 2, le groupe d'eaux-de-vie 9 et 7 s'oppose au groupe 1-2-3-4-6.
Cependant, certaines tendances peuvent être observées :
Cette schématisation montre que des descripteurs
sont peu déterminants : « tilleul » et « buis », à l’inverse
de « bouillon » et « poivre ».
L’axe 1 oppose l'eau-de-vie 4 (descripteur
« vanille ») à la 6 (« beurre » et « yaourt ») et la 9
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Ces résultats sont corroborés par une analyse de
variance qui laisse apparaître les mêmes tendances pour
la signification des descripteurs (hormis pour « foin »
et « yaourt ») que nous éviterons (tableau V).
(« bouillon ») ; l’axe 2 révèle l’opposition entre 1 et 3
(« foin » et « rose ») et la 2 (« buis »).
Le descripteur « herbe » reste le plus utilisé au cours
des deux dégustations, mais est distribué différemment
suivant les eaux-de-vie.
Le profil aromatique de ces eaux-de-vie peut être
décrit par 3 notes : « bouillon », « poire », et, dans une
moindre mesure, « poivre » . Hormis les eaux-de-vie
1 et 9, les échantillons ne peuvent être clairement différenciés les uns des autres. L’eau-de-vie 9 se démarque
par son caractère « bouillon ». À partir de ces résultats,
les profils sensoriels sont construits et présentés dans
la figure 4.
D’après les AFC présentées, les dégustateurs assimilent la sensation de « violette » à celle de « rose ».
La tendance « beurre », « yaourt », « bouillon » se
retrouve pour les échantillons 3, 6 et 9, mais « pomme »
n’est plus associée à « poire ». Les eaux-de-vie 6 et 9
sont, dans les deux cas, opposées à 1 et 4, mais 2, 3 et
7 n’ont plus les mêmes tendances.
II - ANALYSE DES COMPOSÉS VOLATILS
Finalement, nous avons retenu les eaux-de-vie 1,
3, 7 et 9 comme étant les plus caractéristiques. L’eaude-vie 1 est très opposée à la 9 ; 7 est opposée aux eauxde-vie 3 et 9.
Le tableau VI présente la composition des quatre
eaux-de-vie sélectionnées.
L’eau-de-vie 9 présente la plus forte teneur en esters
d’éthyle qui donnent des notes fruitées. La teneur en
Les dix descripteurs aromatiques les plus fréquemment utilisés lors des deux séances de dégustations précédentes pour ces eaux-de-vie sont : herbe,
foin, tilleul, poire, poivre, beurre, rose, bouillon, yaourt,
buis.
Moyenne des intensités
6
5
4
Nous avons alors procédé à la dernière étape, l’établissement des profils sensoriels de ces quatre eauxde-vie avec les dix descripteurs pertinents.
3
2
1
Le classement des eaux-de-vie entre elles pour chacun des dix descripteurs sur une échelle d’intensité permet de réaliser un test de Friedman sur les rangs dont
les résultats sont présentés dans le tableau IV.
0
edv 1
edv 3
Poire
Poivre
edv 7
edv 9
Beurre
Bouillon
Fig. 4 - Profil aromatique des eaux-de-vie sélectionnées
Seuls 5 descripteurs sont significatifs : « bouillon »,
puis « poire », « poivre », « beurre » et « yaourt ».
Fig. 4 - Sensory profiles of selected spirits
TABLEAU IV
Résultats d’un test de Friedman sur les eaux-de-vie 1, 3, 7 et 9
Table IV - Results of Friedman test on spirits 1, 3, 7 and 9
Herbe
EDV 1
2.32
EDV 3
2.43
EDV 7
2.71
EDV 9
2.54
Signification asymptotique 0.833
poire
3.04
2.54
2.25
2.18
0.230
yaourt
2.00
2.50
2.71
2.79
0.250
rose
2.89
2.39
2.50
2.21
0.428
buis
2.25
2.46
2.71
2.57
0.757
poivre
2.46
2.89
2.61
2.04
0.224
foin
2.29
2.25
2.79
2.68
0.460
beurre
1.96
2.61
2.57
2.86
0.213
tilleul bouillon
2.21
1.64
2.68
2.61
2.71
2.82
2.39
2.93
0.613 0.004
TABLEAU V
Résultats de l’analyse de variance
Table V - Results of variance analysis
Descripteurs
Variance
herbe
0.647
poire
0.090
yaourt
0.605
rose
0.458
- 138 -
buis
0.749
poivre
0.190
foin
0.236
beurre
0.181
tilleul bouillon
0.564 0.002
Caractérisation aromatique des eaux-de-vie
TABLEAU VI
Composition
des eaux-de-vie en composés volatils majeurs
éthanal (note « pomme ») des quatre eaux-de-vie est
comparable et reste en dessous du seuil de perception
du défaut « éthéré ». Concernant les teneurs en composés pouvant conférer des odeurs herbacées (hexanol
et hexénol), l’eau-de-vie 7 est la plus riche
(total = 17.13 mg/l), sans atteindre les teneurs critiques ;
l’eau-de-vie 9 a les valeurs les plus faibles (total =
10.9 mg/l). L'eau-de-vie 9 a les teneurs les plus faibles
en isopentanols (1 767 mg/l), qui, à dose élevée, renforcent la note herbacée.
Tableau VI - Spirit main volatile compounds
Composés mg/l
caproate d'éthyle
caprylate d'éthyle
caprate d'éthyle
laurate d'éthyle
myristate d'éthyle
palmitate d'éthyle
stéarate d'éthyle
total esters
Ethanal
Hexanol
cis 3 hexenol
méthyl 2 butanol 1
méthyl 3 butanol 1
EDV1 EDV 3 EDV 7 EDV 9
4.6
3.9
3.6
5
10.6 11.7 10.7 14.9
12
26.7 24.4 32.3
7.11 15.66 14.31 20.8
2.81 2.84 2.93 3.43
6.5
5.8 5.18 5.16
0.55 0.63 0.59 0.43
44.17 67.23 61.71 82.02
8.5 14.8 11.1 11.2
9.72 11.41 14.68 9.28
1.69 2.03 2.45 1.6
359 382 447 329
1 514 1 712 1 845 1 438
Ces différences apparaissent peu importantes et
insuffisantes pour expliquer les tendances aromatiques
observées en analyse sensorielle.
III - OLFACTOMÉTRIE
1) Évaluation des réponses olfactives
Après une période de formation des olfacteurs, nous
avons cherché à caractériser leurs réponses.
- Pour cela, nous avons soumis à l’analyse par olfaction en sortie de colonne, une solution modèle de composés aromatiques connus, présents dans les
eaux-de-vie. Nous avons évalué la fiabilité de détection des odeurs et leur identification pour chaque olfacteur. La figure 5 présente une partie de ces résultats.
Pour la suite de l’étude, nous avons fait appel aux quatre
olfacteurs les plus performants.
%
100
80
60
40
20
0
1
2
3
Dilution 1
4
5
Dilution x 6
6
7
8
Olfacteurs
Dilution x 60
Fig. 5 - Pourcentage d’odeurs étalon détectées
à 3 niveaux de dilution
Tous les olfacteurs détectent les odeurs étalon quelle
que soit la dilution, dont, 4 quatre d’entre eux, avec
plus de 80 p. cent de réussite sur deux dilutions. L’identification des odeurs est de l’ordre de 60 p. cent pour
ceux-ci.
- Nous avons ensuite vérifié la répétabilité des olfacteurs sur une des eaux-de-vie sélectionnée. L’extrait
a été analysé par 7 olfacteurs (dil. 1/10) avec 3 répétitions. Nous avons obtenu plus de 80 p. cent en moyenne
Fig. 5 - Percent of reference odours detected
at 3 dilution levels
TABLEAU VII
Répétabilité des acquisitions olfactives sur 3 répétitions de la même eau-de-vie
Table VII - Repeatability of olfactory responses on 3 duplications of the same spirit.
Répétitions
1 et 2
2 et 3
1 et 3
Nombre total d’odeurs perçues
31 – 38
38 – 46
31 – 46
Somme des différences entre olfacteurs
90
114
118
Nombre maximum de pics possible
69
84
77
Somme des différences (%)
483 (18.6)
588 (19.4)
539 (21.9)
Somme des superpositions (%)
81.4
80.6
78.1
Nombre total de pics communs
16
21
18
Nombre de pics majeurs communs
8
8
4
% de superposition des pics communs
93.2
92.8
91.3
- 139 -
Moyenne
38.3
20
80
92.4
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°3, 133-141
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
Elise LECLAIRE et al.
TABLEAU VIII
Carte aromatique
10
Table VIII - Aromatic map
0
E7
E1
-10
500
1000
1500
2000
2500
Indice de rétention
Fig. 6 - Olfactogrammes comparés des eaux-de-vie 1 et 7
Fig. 6 - Comparison of spirit n°1 and n°7 aromagrams
de superposition des olfactogrammes. Le tableau VII
détaille ces résultats. Ils confirment ceux obtenus avec
la solution modèle.
2) Acquisitions olfactométriques
Les huit acquisitions obtenues pour chaque eau-devie ont été additionnées par logiciel pour former un
olfactogramme, dont un exemple est présenté sur la
figure 6.
*triméthyl-1,1,6 dihydro-1,2 naphtalène
On constate globalement peu de différences entre
ces deux profils, bien que des fréquences soient différentes, et deux pics de l’eau-de-vie 1 sont absents de
la 7.
D’après une base de données réunissant les indices
de rétention sur des colonnes de phase différente, il est
possible de chercher à identifier une molécule.
Cependant dans notre cas, aucune molécule correspondant à ces deux indices de rétention n’avait de descripteur « bouillon ».
A chaque acquisition d’un olfacteur, les perceptions
sont décrites par un descripteur odorant et sont répertoriées en fonction de l’indice de rétention. Le
tableau VIII présente la synthèse de ces acquisitions.
D’autre part, les analyses en chromatographie phase
gazeuse – spectrométrie de masse ne permettent pas
d’obtenir de pic à l’indice de rétention pour lequel cette
odeur est détectée.
3) Mise en évidence d’une odeur « bouillon »
La carte aromatique ci-dessus met en évidence un
pic odorant à l’indice de rétention de 1 671 décrit
comme « bouillon » par trois olfacteurs sur quatre. Le
quatrième olfacteur le décrit comme gras et sucré, ce
qui est relativement proche. Or, les résultats d’analyse
sensorielle ont montré que le descripteur « bouillon »
différenciait ces eaux-de-vie.
Une recherche plus approfondie serait à ce stade
nécessaire pour tenter d’identifier cette molécule.
CONCLUSION
Cette première partie montre la lourdeur et les
limites d’une telle étude olfactométrique qui ne peut
donc être applicable dans l’état à un grand nombre
d’échantillons. Nous avons aussi montré la nécessité
de disposer de jurés formés et entraînés pour obtenir
des résultats exploitables.
4) Tentative d’identification de l’odeur « bouillon »
Les acquisitions olfactométriques réalisées sur
colonne apolaire confirment effectivement la présence
d’un pic à odeur de « bouillon ».
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°3, 133-141
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
Indice de
Proposition
Descripteur
rétention
d’identification
850
Solvant
910
Alcool
958
Beurre, yaourt
Butanedione ?
968
Fraise
998
Vert
1 018
Fruité, géranium
Cassis, rose,
Butyrate d’éthyle ?
1 032
géranium
1 047 Rose, cassis, vert,
1 098
Banane
Acétate d’isoamyle
Cacao, putride
Isopentanols
1 169
1 221
Fruité
Hexanoate d’éthyle
1 356 Fleur, sucré, gâteau
Cosmétique
1 420
Fleur citronnier
Linalol ?
1 518
Bouillon
1 671
1 790
Gazole, floral
TDN*
1829
Rose
Acétate de phényl éthyle
Géranium
1870
Rose
Phényl 2 éthanol
1918
- 140 -
Caractérisation aromatique des eaux-de-vie
Grâce à une approche sensorielle méthodique, nous
avons sélectionné des eaux-de-vie et des descripteurs
pertinents pour les décrire. A partir de ces échantillons,
une première étude olfactométrique a pu être conduite,
à l’aide de jurés préalablement formés. Elle a permis
de confirmer l’importance de certaines zones olfactives pour caractériser ces eaux-de-vie et de mettre
en évidence un descripteur inconnu, à l’odeur de
« bouillon », qui n’a pas pu encore être identifié.
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démarche analytique. Rev. Œnol., 88, 13-16.
Nous poursuivons cette étude sur les eaux-de-vie
du millésime 97 pour vérifier ces premiers résultats.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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Reçu le 2 juillet 1999
accepté pour publication le 1er septembre 99
- 141 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°3, 133-141
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)

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