La tempête proche d`une accalmie ? (novembre)

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La tempête proche d`une accalmie ? (novembre)
LE MONDE SELON BILL STERLING
W ILLIAM S TERLING
La tempête proche d’une accalmie?
L’économiste à l’imagination fertile de Wall Street, Ed Hyman, a
élaboré un scénario assez effrayant pour l’économie mondiale, juste
à temps pour la période d’instabilité typique des mois de septembre
octobre sur les marchés. Son scénario de
tempête, « The Perfect Storm », emprunte son
nom à un roman et un film populaires qui racontent l’histoire d’un naufrage effroyable survenu lors
d’une tempête extraordinaire provoquée par l’effet
conjugué de modèles climatiques inhabituels en
octobre 1991 sur les côtes de la NouvelleAngleterre.
L’équivalent économique de Hyman de cette
tempête ce sont trois forces puissantes qui s’exercent simultanément : des taux d’intérêt élevés, la
flambée des prix du pétrole et un ralentissement
général des dépenses en technologie. Chacune de
ces forces ne suffirait sans doute pas à déclencher
une récession mondiale, mais Hyman et d’autres se
sont demandés si leur effet combiné pouvait
produire le même résultat. Or, selon lui, les
probabilités d’une récession pour l’an prochain
seraient de 40 %. Cette perspective a d’ailleurs
certainement influencé de nombreux investisseurs,
RALENTISSEMENT DE LA CROISSANCE
VARIATION EN POURCENTAGE SUR 12 MOIS
RALENTISSEMENT DE LA CROISSANCE
INDICATEURS ÉCONOMIQUES PRÉCURSEURS DE L’OCDE
10
8
Hyman étant l’économiste le plus en vue de Wall
Street depuis de nombreuses années.
À l’opposé de ces analystes sensibles aux humeurs
de Wall Street, il y a aussi ces deux éminents
analystes du cycle économique, James Stock et
Mark Watson, rattachés au National Bureau of
Economic Research. Ces universitaires ont mené
pendant plusieurs années des recherches statistiques minutieuses sur des centaines de séries de
données économiques dans l’espoir de concevoir
un indicateur précurseur des récessions reposant
sur des concepts scientifiques. Leur travail, qui
représente l’évolution la plus récente en matière
de prévisions économiques, établit actuellement
les probabilités d’une récession aux États-Unis
à seulement 4 %. On peut d’ailleurs obtenir les
résultats de leurs travaux en ligne à l’adresse
http://ksghome.harvard.edu/~.JStock.Academic.Ksg/.
Malheureusement, les progrès les plus récents en
matière de prévisions économiques se comparent à
peu près à l’état actuel des connaissances en
matière de prévisions du temps. Or, si les économistes ont prédit neuf des quatre dernières récessions, les indicateurs précurseurs évolués de Stock
et Watson sont complètement passés à côté de la
récession de 1990. Même lorsque le météorologue
annonce un dégagement, par temps gris la plupart
d’entre nous ne partons pas sans notre parapluie.
6
Veille météorologique
4
2
0
É.-U.
JAPON
EUROPE
-2
-4
-6
1993
1994
1995
1996
1997
1998
1999
2000
PÉRIODE
Source : WEFA
Graphique 1. Les indicateurs précurseurs des principaux pays industrialisés
pointent vers un ralentissement de la croissance au cours des six à douze
prochains mois.
PA G E 4
S TRATÈGE M ONDIAL
PERSPECTIVE DE NOVEMBRE AU 31 OCTOBRE 2000
À L’ I N T E N T I O N D E S C O U R T I E R S
Donc, l’un des prévisionnistes les plus influents
de Wall Street affirme que les probabilités d’une
récession sont de 40 %, tandis que les scientifiques
les plus rigoureux établissent cette prévision à
4 %. Que peut faire le citoyen moyen dans ces
circonstances?
« Ne pas en tenir compte et aller directement aux
pages sportives », pensez-vous. Et c’est effectivement une assez bonne réponse. Certains des
meilleurs investisseurs à long terme (ceux qui
LE MONDE SELON BILL STERLING
La tempête proche d’une accalmie?(suite)
savent combien les prévisions peuvent rater la cible
parfois) conseillent souvent de faire fi complètement des prévisions économiques au moment de
prendre une décision de placement. On dénigre les
prévisions des économistes – et dans ce secteur c’est
même de bon ton de le faire – comme on s’amuse
des prévisions du temps. Reste toutefois cette question ennuyeuse de savoir s’il faut ou non prendre
son parapluie. Aussi, à cette fin, voici ce que nous
entrevoyons.
D’abord : apportez votre parapluie! Nous n’avons
peut-être pas la parfaite boule de cristal, mais
nous pouvons dire quand le temps est nuageux
à l’extérieur. Les forces que Ed Hyman a décrites
– restrictions monétaires, prix du pétrole
et émergence d’un ralentissement du secteur
technologique – peuvent toutes contribuer à
limiter les bénéfices au cours de la prochaine
année, même sans une récession.
Comme nous l’avons mentionné, l’économie
américaine a démontré une vigueur remarquable
au quatrième trimestre de l’an dernier et au premier trimestre de cette année. La Réserve fédérale
ayant orchestré un ralentissement de l’économie
en relevant les taux d’intérêt à six reprises, les
comparaisons des bénéfices sur 12 mois pour
le trimestre courant et le prochain trimestre
s’annoncent particulièrement difficiles.
Dans le passé, les périodes de ralentissement de la
croissance des bénéfices ont duré en moyenne sept
trimestres et nous n’en sommes encore qu’au
CONTRATS À TERME SUR LES FONDS FÉDÉRAUX
CONTRATS DE FÉVRIER ET MAI
7,45
FÉVRIER
MAI
POURCENTAGE
7,25
7,05
6,85
6,65
6,45
6,25
5/1
5/15 5/29 6/12 6/26 7/10 7/24
8/7
8/21
9/4
9/18 10/2 10/16 10/30
PÉRIODE
Source : Quantitative Analytics
Graphique 2. Les marchés des contrats à terme reflètent actuellement une
forte probabilité d’assouplissement du crédit par la Fed d’ici le mois de mai.
premier (voir le graphique 1). Étant donné que les
prévisions de bénéfices sont toujours plutôt élevées
– en particulier les prévisions à long terme – il faut
s’attendre à d’autres mises en garde par les sociétés
et donc à beaucoup de turbulence encore.
Deuxièmement : n’essayez pas de jouer au plus fin
avec la Fed. Le prochain changement important
dans les perspectives devrait se produire au
moment où la Fed amorcera un nouveau cycle
d’assouplissement monétaire. Compte tenu des
derniers signes de ralentissement de l’économie,
un grand nombre de participants au marché commencent à prédire un assouplissement par la Fed
dès le début de l’an prochain (voir le graphique 2).
Nous n’excluons pas cette possibilité, mais nous
pensons que les banques centrales vont se faire un
peu tirer l’oreille. Historiquement, la Fed a toujours attendu qu’une quelconque forme de crise
bancaire se manifeste avant de commander des
baisses de taux. Or, mis à part l’instabilité des
marchés, rien jusqu’ici ne saurait justifier pareille
mesure avant un certain temps. Il est vrai que le
marché boursier a fait l’objet d’une liquidation,
mais les dirigeants de la Fed ne devraient pas trop
s’en étonner ni trop s’en préoccuper. Ils s’inquiètent bien davantage du faible taux de chômage,
conscients que la croissance ne pourra se poursuivre sans une inflation des salaires. Par
conséquent, on hésitera à réduire les taux tant que
les pressions qui s’exercent sur le marché de
l’emploi ne se seront pas atténuées.
Comme beaucoup d’investisseurs, les dirigeants de
la Fed ont probablement hâte de connaître les
résultats de l’élection présidentielle et surtout de
savoir ce que le nouveau gouvernement entend
vraiment faire au chapitre des réductions d’impôt,
des dépenses, etc. Si la Fed pense que les politiques gouvernementales risquent de provoquer
une surchauffe de l’économie l’an prochain, elle
hésitera à réduire les taux d’intérêt. Cependant, ce
n’est pas avant tard l’an prochain qu’elle pourra se
faire une idée des nouvelles politiques. Par conséquent, à moins d’une quelconque crise des
marchés financiers, il ne faut pas s’attendre à ce
qu’on ouvre le robinet avant un bon moment.
Troisièmement : le pétrole continue de préoccuper. Depuis quelques années, les économistes en
vogue prétendent que la nouvelle économie est
relativement à l’abri des fluctuations des cours
pétroliers. Il y a une bonne part de vérité dans leur
affirmation si l’on considère que l’économie utilise
aujourd’hui beaucoup moins de pétrole par unité
produite qu’il y a 20 ans. Et il est probablement
PERSPECTIVE DE NOVEMBRE AU 31 OCTOBRE 2000
À L’ I N T E N T I O N D E S C O U R T I E R S
PA G E 5
La tempête proche d’une accalmie? (suite)
LE MONDE SELON BILL STERLING
juste de dire que l’augmentation des prix du pétrole
du simple au triple au cours des 18 derniers mois
ne peut à elle seule pousser l’économie américaine
ou mondiale en récession. Mais Ed Hyman tient
un point : combiné à une politique monétaire
restrictive et à un éventuel ralentissement des
dépenses en capital associé à la liquidation des
valeurs technologiques, l’effet d’une hausse des prix
du pétrole devient plus inquiétant.
Les conditions climatiques cet hiver constituent la
principale inconnue. L’Amérique du Nord a connu
plusieurs hivers exceptionnellement doux.
Toutefois, personne ne s’étonnerait d’un hiver
relativement normal, c’est-à-dire froid. Comme les
stocks de pétrole sont toujours bas, on pourrait assister à une hausse sensible des prix du pétrole qui
aurait des répercussions sur les marchés (voir le
graphique 3). Et malgré les efforts de l’Arabie
Saoudite pour modérer les prix, le monde du
pétrole compte encore dans ses rangs des personnages colorés comme Hugo Chavez, au Venezuela,
ou Saddam Hussein, en Iraq, qui pourraient avoir
des idées beaucoup moins modérées.
La plupart des analystes pétroliers semblent
convenir qu’une fois l’hiver passé, les stocks de
pétrole pourraient augmenter à des niveaux qui
permettraient de ramener les prix aux environs de
20 à 25 $ le baril, ou même moins. Or, c’est probablement un scénario très raisonnable pour le
milieu de 2001 et par la suite.
STOCKS D’ESSENCE HEBDOMADAIRES AUX ÉTATS-UNIS
360
MILLIONS DE BARILS
2000
MOYENNE de
1991 à 1999
330
Mais entretemps, la question du pétrole demeure
préoccupante. Malgré que la Fed soit satisfaite de ce
qu’elle appelle l’« inflation de base », qui demeure
relativement sous contrôle, le taux d’inflation global, qui inclut l’effet du pétrole, avoisine les 4 % cette
année. Aussi, les prix élevés du pétrole sont un autre
argument pour inciter la Fed à reporter les réductions de taux d’intérêt, malgré les signes de ralentissement économique. Enfin, en Europe, où la
hausse des prix du pétrole est davantage susceptible
de relancer les demandes de rattrapage salarial par
les puissants syndicats de travailleurs, toute nouvelle
pression sur les cours pétroliers pourrait inciter la
Banque centrale européenne à donner un autre
tour de vis aux taux.
Pas d’apocalypse
Malgré la tendance apparente des marchés mondiaux ces dernières années à se ressaisir de manière
convaincante après des mois d’octobre turbulents,
nous demeurons prudents quant aux perspectives à
court terme. Toutefois nous pensons que vers le
milieu de 2001, les marchés se seront résignés à
une croissance plus faible des bénéfices et pourraient profiter d’une baisse des taux d’intérêt et
d’une réduction des cours pétroliers.
En conséquence, nous pensons que la probabilité
d’une récession est relativement faible, soit de
l’ordre d’environ 10 à 20 %. Le scénario qui est
beaucoup plus probable selon nous, c’est que
l’économie américaine entre l’an prochain dans sa
11e année d’expansion ininterrompue et que le
reste de l’économie mondiale continue également
de profiter d’une saine expansion. Cela signifie
également que les forces positives à long terme que
nous avons décrites dans « Boomernomics » –
démographie, mondialisation et révolution technologique – vont finir par s’imposer pour créer une
conjoncture où les investisseurs pourront continuer de profiter de rendements favorables.
Si nous avons raison, il n’y aura pas de tempête
dans les pages financières l’an prochain; restera
toujours la vidéocassette ou le roman…
300
Déc. 00
Nov. 00
Oct. 00
Sept. 00
Août 00
Juil. 00
Juin 00
Mai 00
Avril 00
Mars 00
Fév. 00
Janv. 00
270
PÉRIODE
Source : Salomon Smith Barney
Graphique 3. Les stocks de pétrole demeurent très bas comparativement
aux niveaux observés au cours de la dernière décennie, ce qui laisse
présager de nouvelles pressions à la hausse sur les prix cet hiver.
PA G E 6
PERSPECTIVE DE NOVEMBRE AU 31 OCTOBRE 2000
À L’ I N T E N T I O N D E S C O U R T I E R S
William Sterling
Stratège mondial,
CI Global Advisors LLP