Les sept paradoxes des écoles de gestion

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Les sept paradoxes des écoles de gestion
4REPÈRES ET TENDANCES
4CONJONCTURES
4DOSSIER
4LIVRES ET IDÉES
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
olivier Basso * philippe-pierre Dornier
Jean-paul mounier ***
**
Les sept paradoxes
des écoles de gestion
Malgré tout le prestige dont elles jouissent, nos
grandes écoles de gestion sont mal adaptées aux
exigences de la compétition mondiale. Les signes :
ce ne sont pas elles qui forment les patrons des
grandes entreprises françaises, et elles sont quasiment absentes (à l’exception de l’INSEAD) des classements internationaux. Les causes : des cursus
pédagogiques atypiques par rapport aux standards
anglo-saxons, la faible mobilisation des anciens
élèves et des entreprises, pourtant bénéficiaires du
système, des structures de gouvernance souvent
lourdes et administratives. Faut-il pour autant
jeter le modèle français aux orties pour se calquer
sur les business-schools américaines ? Ou plutôt
s’appuyer sur les points forts de nos écoles pour
promouvoir un modèle européen spécifique ?
L
es grandes business-schools nordaméricaines dominent le marché des
formations académiques au management, en Europe comme dans le reste
du monde. Elles attirent dans leurs MBA
(Master of Business Administration) les plus
* Professeur associé en Entrepreneurship, ESCP-EAP.
** Professeur de Logistique, ESSEC.
*** Professeur, HEC.
talentueux de ceux souhaitant accéder
au métier de dirigeant. Elles dominent la
recherche académique. Elles ont développé des programmes de formation
continue s’adressant aux dirigeants et
aux entreprises à l’échelle de la planète.
Les trois écoles leaders en Europe –
INSEAD, London Business School et
IMD Lausanne – s’inspirent de leurs
modèles, et sont les seules capables de
rivaliser avec elles, tant en matière de
programme MBA, de recherche que de
formation continue. Elles sont largement
soutenues – financièrement notamment
– par les entreprises globales et par
leurs anciens élèves.
Confrontées à cette déferlante, arrimées
au marché captif et national des élèves
des classes préparatoires, les grandes
écoles de gestion françaises n’ont jamais
été aussi innovantes sur la scène internationale : l’ESCP-EAP, après sa fusion
réussie, est maintenant bien implantée
à Londres, Berlin et Paris. L’ESSEC a
entamé un rapprochement avec l’Université de Mannheim. HEC a lancé un
Executive MBA en collaboration avec la
London School of Economics et New
York University, qui est reconnu comme
un grand programme global ; l’ancien
ISA est devenu un MBA international
accueillant dans ses promotions 80 %
d’étudiants non français. Audencia
(Nantes), EM Lyon, Edhec (Lille) ne manquent également pas d’initiatives. Mais
cet effort est-il suffisant et vient-il en
temps voulu ? Les grandes écoles de gestion françaises éviteront-elles la marginalisation et arriveront-elles à transformer
les efforts consentis en réussissant à
adapter leur modèle aux exigences de la
compétition mondiale ?
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Notre propos est d’éclairer la problématique à laquelle sont confrontées aujourd’hui les grandes écoles de gestion, en
les mettant en regard de leurs homologues américaines. Plus précisément, nous
chercherons à monter comment les
grandes écoles de gestion françaises
sont porteuses de quelques grands paradoxes, qui conditionnent leur stratégie,
leur mode de fonctionnement et leur
organisation. Nous en avons dénombré
sept, de poids et de nature différents, qui
expliquent en partie la complexité de la
situation à laquelle elles sont confrontées aujourd’hui et les difficultés rencontrées dans l’affirmation d’une stratégie.
l’âge se situe entre 20 et 21 ans, et qui
munauté. Certes, le dirigeant, s’il incarne
sont totalement dépourvus d’expérience
une figure emblématique, n’en est pas
professionnelle. Peut-on enseigner à ces
moins entouré de responsables de haut
étudiants le management des entrepriniveau. Mais, l’amour-propre de nos instises, c’est-à-dire la théorie d’une pratique
tutions devrait-il en souffrir, l’analyse des
qu’ils n’ont jamais vécue ? Autrement dit,
positions de pouvoir dans le monde des
peut-on enseigner la nage à
entreprises montre que si les
quelqu’un qui ne s’est jamais
diplômés des grandes écoles
Cela reste
plongé dans l’eau ? Vraisemde gestion en France assublablement oui, puisque le
rent des responsabilités de
une exception
système
s’est mis en place et
gestion importantes, ils ne
française
a prospéré ainsi en France.
sont pas majoritairement des
– ou latine –
dirigeants de premier rang.
Mais la confrontation avec
que d’enseigner
le
système anglo-saxon semAinsi, la formation initiale des
le management
ble en révéler les limites
patrons accrédite, dans l’inà des jeunes
(brève expérience profesconscient collectif français,
sionnelle
des étudiants, prise
l’idée
que
se
former
à
la
gesétudiants
de
1. le paraDoxe De
de
recul
souvent
insuffisante,
tion
et
au
management
n’est
20 ans.
l’origine Des Dirigeants
motivation
réduite,
surtout
pas
une
nécessité
pour
dirifrançais.
en première année, après
ger une entreprise. D’où
otre élite managériale, dans sa
l’admission dans la grande école).
cette question : si nos dirigeants ne sont
grande majorité, n’est pas formée
majoritairement pas formés par les écoau management par nos grandes écoles
Cela reste une exception française – ou
les spécialisées traditionnelles en manade commerce. Six dirigeants
latine – que d’enseigner le management
gement, quelle est la finalité
seulement d’entreprises
à des jeunes étudiants de 20 ans. Les
de ces institutions ?
Six dirigeants
composant le CAC 40 sont
MBA ne rencontrent pas ces difficultés,
passés par une école de
car ils recrutent très majoritairement
Alors même qu’elles ne
seulement
commerce (tous d’HEC),
des étudiants disposant déjà d’une presemblent pas contribuer, de
d’entreprises
dont l’un conjointement
mière expérience professionnelle assez
manière prépondérante, à
composant
avec l’INSEAD, un autre
longue. Après une première formation
l’éducation des hauts manaavec l’ENA, un troisième
(dite undergraduate), les étudiants ont
gers de l’économie natiole CAC 40 sont
étant titulaire d’un DEA à
souvent vécu quatre à cinq ans (en
nale,
comment
nos
grandes
passés par
Dauphine.
moyenne) en entreprise et ont acquis
écoles françaises de formaune école de
l’expérience suffisante pour que l’évocation au management pourCe constat fait écho aux tration de cas concrets constitue une réelle
raient-elles avoir une chance
commerce.
vaux de Michel Bauer et
source de réflexion qui consolide un
de participer au concert
Bénédicte Bertin-Mourot :
premier apprentissage sur le terrain. Ils
des institutions préparant
« Les bottes de l’Ecole Polytechnique et de
veulent passer d’une position d’experts
l’élite économique de demain dans un
l’ENA, qui peuvent difficilement être qualià celle de managers, voire de dirigeants.
contexte aujourd’hui international ?
fiées de « business schools », produisent la
Ils ont payé, pour la plupart de leur
moitié des dirigeants des grandes banques
poche, une formation généraliste au
2. le paraDoxe
françaises, plus de 40 % des patrons des 50
management qui complétera leur formaDe la péDagogie
plus grandes entreprises industrielles de
tion initiale. Ils ont été sélectionnés
es grandes écoles de commerce
notre pays et les deux tiers parmi les plus
notamment sur leur potentiel à accéder
prônent une pédagogie de l’action
grandes. »
à des postes de direction.
pour des élèves majoritairement sans
expérience pratique, alors que leurs
Les X « autodidactes » (ceux qui ne sont
En réaction à ce constat, les grandes
homologues anglo-saxonnes estiment
pas sortis « dans la botte »), les énarques
écoles de commerce en France ont
nécessaire une expérience de quelques
« ordinaires », mais aussi les centraliens
choisi de modifier leurs flux d’entrants
années pour une formation « professionou les mineurs, participent majoritaireet d’insérer des séquences de vécu dans
nelle » au métier de dirigeant. Le système
ment à la direction de nos entreprises,
le cursus, pour limiter, à pédagogie quasifrançais des grandes écoles de gestion
ment inchangée, les effets de jeunesse et
par rapport aux anciens diplômés des
repose historiquement sur un recrutede manque de passé professionnel de
grandes écoles de commerce.
ment à l’issue des classes préparatoires,
leurs étudiants. Tout d’abord, l’admission
qui en a fait le succès. Il sélectionne donc
sur titres en seconde année a permis
Certes, la réussite d’une entreprise n’est
en entrée d’école des étudiants dont
d’attirer des étudiants qui sont certes,
pas celle d’un homme, mais d’une com-
N
L
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LES SEPT PARADOXES DES ÉCOLES DE GESTION
pour la plupart, dépourvus d’expérience
professionnelle (hormis quelques mois
de stage), mais légèrement plus âgés
puisque titulaires d’un premier diplôme,
d’ingénieur par exemple. Ils entrent
donc en seconde année à l’âge de 23 ou
24 ans. De plus, l’introduction de la pratique de l’alternance dans les grandes
écoles sous ses formes multiples (une
année en entreprise entre deux années,
une alternance de semaine ou de trimestre) permet aux étudiants de se
constituer, en parallèle du cursus, un premier référentiel concret en entreprise.
Cependant, habillé sous les couleurs de
la liberté de choix de son cursus ou sous
celles du brassage des profils pour l’enrichissement de la pédagogie, ce recours à
la pratique des mélanges (profil, âge)
représente-t-il une voie sûre et durable
ou tout cela ne tient-il pas plutôt de la
solution d’évolution à la marge, par incapacité de refondre le modèle en profondeur, rendant l’ensemble de moins en
moins lisible ?
3. le paraDoxe
Des classements
L
es classements français d’évaluation
des grandes écoles en gestion sont
construits en oubliant le leader national
de la formation au management,
l’INSEAD. A l’inverse, les enquêtes internationales ne prennent pas en compte
dans leurs critères les caractéristiques
du programme « Grande école » des
écoles françaises, mais seulement celles
du standard international, le MBA. Des
classements des institutions de formation sont effectués chaque année par de
grands journaux internationaux en prenant en compte différents critères
(internationalisation des corps professo-
raux et des étudiants, salaires de sortie,
qualité de l’enseignement, de la recherche…). Le plus réputé d’entre eux, en
Europe, est celui du Financial Times. Il
porte sur les programmes MBA. Il existe
également un classement des institutions
de formation permanente (Executive
Education) ou des doctorats (Ph.D.).
L’institution perçue comme la première
école française de management dans les
classements mondiaux est l’INSEAD
(Institut européen d’administration des
affaires). Dans le classement 2004 du
Financial Times, le MBA de l’INSEAD
était classé au quatrième rang. Dans ces
mêmes classements, l’ESCP-EAP (98e),
l’ESSEC (non classée) et HEC (53e)
tentent, non sans difficulté eu égard
aux critères retenus dans la méthodologie, de s’intégrer ou de progresser, et
reconnaissent ainsi l’INSEAD comme
concurrent. Mais, paradoxalement, cette
institution n’apparaît jamais dans les
classements français, ce qui marque bien
que l’évaluation des grandes écoles de
gestion, en France, se fonde sur le classement d’entrée à l’issue des classes
préparatoires. L’INSEAD est alors
considérée comme à part.
Rappelons pourtant que l’INSEAD a été
créé il y a quarante ans environ par la
Chambre de commerce et d’industrie
de Paris, pour développer des formations au management à l’échelle européenne, s’inspirant du modèle de la
Harvard Business School. Son défi était
alors de réussir à s’imposer, sans disposer d’un diplôme d’Etat, sans marché
captif (les classes préparatoires), et sans
subventions publiques…
Cet état de fait consolide la césure qui
existe entre les programmes MBA et
QUELS CLASSEMENTS ?
L es classements français (Challenges, Le Nouvel Economiste, Le Point…) s’adressent
à un lectorat pratiquement exclusivement français. Ils portent sur l’exception
française : la grande école, dont le modèle n’existe pas hors de notre Hexagone.
Les classements internationaux (Financial Times, Business Week, Wall Street Journal)
s’intéressent quant à eux au seul standard global en matière de formation initiale
au management : le MBA. Et la diffusion de ces journaux est internationale.
les programmes « Grandes écoles ».
L’INSEAD, à l’instar de ses pairs anglosaxons, ne dispense pas de formation initiale (undergraduate). Son programme
MBA se positionne précisément sur la
phase « professionnalisation » de la chaîne de valeur de la formation au management, comme ses programmes de
formation continue (executive education).
Parmi les grandes écoles de gestion,
l’ESCP-EAP, l’ESSEC et HEC présentent
une double facette dans leur positionnement, qui est source d’interrogations
identitaires, de dilemmes stratégiques
et d’ambiguïtés de communication :
elles proposent à la fois le cursus
« Grande école » et le programme
MBA, mais souffrent encore, face à leur
« clientèle », désormais internationale
(étudiants, entreprises, organismes évaluateurs), d’un manque de lisibilité. Elles
veulent à la fois se déclarer « graduate »
(donc « professionnalisantes ») mais ne
veulent pas, avec raison, sacrifier leur
filière « Grande école », sachant que le
recrutement de ce cursus, selon les critères du système de référence américain, le cantonne de facto dans l’univers
des formations undergraduate : elles
accueillent des étudiants dont l’expérience antécédente ne répond pas au
critère des trois ans minimum exigés
par le label MBA.
Etonnamment, les grandes écoles de gestion et la communauté nationale de ceux
qui participent à leur évaluation fondent
cette mise à l’écart de l’INSEAD sur la
différence des populations candidates
(étudiants sans expérience versus jeunes
cadres), alors même que, d’une part, toutes ces institutions revendiquent vouloir
préparer aux mêmes types de responsabilités à la sortie, et que, d’autre part, les
classements internationaux, dans lesquels
apparaissent l’ESCP-EAP, l’ESSEC et
HEC, positionnent l’INSEAD comme l’un
des leaders…
4. le paraDoxe
De la relation aux
anciens élèves.
L
es anciens élèves (alumni), au cœur
de l’action dans les entreprises, sont
en France les gardiens de la belle époque
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des grandes écoles et commencent tout
système qui a conduit l’étudiant MBA à
juste à amorcer un nouveau type de
consentir un tel investissement. Sa
relations avec leurs institutions d’orireconnaissance se maintiendra tout au
gine, alors qu’ailleurs ils
long de sa carrière et se traconstituent le moteur de la
duira par une solidarité sans
dynamique de développefaille, notamment financière,
Le diplômé
ment de leur alma mater.
vis-à-vis de l’institution qui l’a
d’une école de
Organisés en groupes d’informé, l’environnement fiscal
commerce
fluence indépendants, les
américain facilitant cette solianciens des écoles françaises
darité.
française, entré
participent au contrôle de
sur concours,
l’école et de son image :
L’étudiant du programme
éprouve souvent
instances dirigeantes, clubs
Grande école, en France,
professionnels, colloques,
doit acquitter une quoteplus de
revues… Ils n’en financent
part de l’ordre du tiers
reconnaissance
que peu le développement,
du coût de ses études
envers ses
hors l’allocation de la taxe
(20 000 euros environ pour
d’apprentissage, impôt que
trois années à l’ESCP-EAP,
professeurs de
chacun est plus ou moins
l’ESSEC ou HEC), le plus
classe
libre de faire affecter par son
souvent prise en charge par
préparatoire
entreprise à telle ou telle
ses parents ou via un
institution académique (écoemprunt bancaire. La valeur
qu’envers son
les, universités…).
de la marque lui paraît
institution
essentielle, et c’est le clasd’accueil.
A l’inverse, les réseaux d’ansement au concours qui lui
ciens des business schools
semble être, en la matière,
anglo-saxonnes sont gérés
primordial. Son attachedirectement par leur propre école et
ment au réseau existe et il se débrouille
apportent un soutien financier essentiel à
pour garder un lien au travers de son
leur développement. Les associations
adhésion à l’association des anciens,
d’anciens (alumni) sont alors parties presans trop en savoir l’utilité. Toutefois,
nantes à la dynamique générale et ne
quand la marque, qui lui semble être
constituent pas un bloc séparé.
une partie de sa rente professionnelle,
est remise en cause, l’association des
La relation à son ancienne école entre un
anciens est susceptible de se manifester
diplômé des écoles traditionnelles francomme une des parties prenantes avec
çaises et celui d’une business school amélaquelle il faut compter.
ricaine est significativement différente. Le
diplômé d’une école de commerce fran5. le paraDoxe De la
çaise, entré sur concours, éprouve sourelation aux
vent plus de reconnaissance envers ses
entreprises
professeurs de classe préparatoire qu’enes entreprises sont demeurées glovers son institution d’accueil. Il traduit
balement à distance des projets
ainsi le fait que la sélection la plus forte à
pédagogiques et investissent peu dans
l’entrée des grandes écoles de gestion
les écoles françaises, alors même qu’elles
s’est opérée au cours des années de
bénéficient d’un retour exceptionnel en
lycée et de classes préparatoires. Un étumatière de recrutement.
diant d’Harvard ou de la London
Business School investit entre 100 000 et
Les directions des Ressources humaines
150 000 euros pour effectuer ses deux
de la plupart des grandes entreprises
années de MBA. Ses exigences vis-à-vis
françaises développent depuis de nomde ses professeurs, de l’administration,
breuses années des relations privilégiées
des services fournis par l’école, et
avec les principaux viviers de talents
notamment sa relation au réseau des
accessibles : écoles françaises bien sûr, et
anciens, sont directement liées à ce coût.
depuis quelques années business schools
Elles sont généralement satisfaites, car
c’est l’observation du fonctionnement du
L
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d’Europe, d’Amérique du Nord et maintenant d’Asie.
Leur collaboration avec les trois grandes
écoles parisiennes de commerce se traduit, au moins partiellement, par les
actions suivantes :
– participation à certains enseignements,
en allouant du temps de cadres dirigeants, l’accès à des informations permettant la réalisation de cas, voire pour
certaines le montage d’outils pédagogiques (jeux d’entreprises…), partie intégrante des programmes.
– participation à la vie du Bureau des
élèves et des associations, via le sponsoring de leurs activités, du gala aux compétitions sportives en passant par des
colloques ou des actions caritatives.
– contribution au financement de l’école
par l’allocation d’une part substantielle
de la taxe d’apprentissage (impôt obligatoire), ou par des dons à une éventuelle
Fondation (HEC) servant à soutenir tel
ou tel investissement comme le financement de chaires.
En contrepartie, les entreprises ont un
accès totalement libre aux étudiants et
recrutent auprès d’une population très
largement ciblée. Des présentations sont
organisées pour les étudiants des différents programmes (grande école, masters, MBA) auxquelles participent
souvent des dirigeants. Enfin, les entreprises achètent un stand installé sur l’un des
forums qu’organisent les écoles. Ces véritables foires au recrutement ont vu leur
utilité s’affirmer au cours des années.
Le budget par école, hors le temps
consacré par les « campus managers » et
leurs équipes, et par les cadres qui
contribuent à l’enseignement, hors chaires (qui sont l’exception) et hors taxe
d’apprentissage, se situe dans une fourchette de 15 000 à 50 000 euros par an
pour les grands groupes.
Les entreprises travaillant avec des écoles anglo-saxonnes y investissent souvent lourdement, pour un retour plus
modeste. Ainsi Harvard Business School
et Wharton ont-elles lancé des campa-
LES SEPT PARADOXES DES ÉCOLES DE GESTION
gnes de collecte de fonds, organisées sur
trois ans, qui devraient apporter à chacune 500 millions de dollars. L’INSEAD a
menée récemment une campagne échelonnée sur cinq ans, et qui ramené dans
ses caisses 120 millions d’euros.
par l’excellence reconnue de leurs
recherches et la qualité de leur pédagogie. Ils favorisent les échanges entre écoles et entreprises, permettent d’attirer
des chercheurs prometteurs, de lever
des fonds sur leur nom, d’attirer les
meilleurs étudiants dans les programmes
qu’ils animent.
Certaines entreprises françaises ont
entrepris de se rapprocher d’écoles
étrangères depuis plusieurs années.
Ils sont également la force de diffusion
Elles recherchent ainsi une coopération
des savoirs. Ils portent l’image de leur
en relation avec une compétence spéciinstitution, non seulement auprès des
fique (L’Oréal avec Kellogg
étudiants, mais également
Business School dans le
vis-à-vis de son environneL’analyse de
domaine du marketing,
ment – presse, entreprises,
Michelin en Chine…). Plupouvoir publics, monde acala pyramide
sieurs d’entre elles particidémique.
des âges
pent
également
au
des professeurs
financement de l’INSEAD, les
Or, selon une étude récente
montants alloués étant bien
de l’OCDE, les cinq ou sept
des trois écoles
supérieurs à ceux destinés
années qui viennent verront
de management
aux trois « viviers » parisiens,
le départ à la retraite de la
parisiennes
qui constituent pourtant soumoitié des professeurs de
vent leurs principaux fournisl’enseignement supérieur en
et de l’INSEAD
seurs de talents.
activité en Europe continenmontre que
tale. Pour valider la pertila moitié d’entre
Deux lectures s’imposent
nence de cette prévision, il
alors : d’une part, il est logisuffit d’analyser la pyramide
eux partira
que que les entreprises qui
des âges des professeurs des
à bref délai
recrutent n’investissent pas
trois écoles de management
(cinq ans).
dans les grandes écoles franparisiennes et de l’INSEAD.
çaises, puisque l’accès aux
La moitié d’entre eux partira
talents leur est de toute façon acquis.
à bref délai (cinq ans). Ce phénomène a
D’autre part, un tel désengagement
d’ailleurs commencé depuis deux ou trois
consacre l’inaptitude des écoles parians. Les enseignants seniors sur le point
siennes à jouer dans la cour des grands,
de partir à la retraite sont, pour la plufaute de moyens conséquents et… de
part, de grands professeurs. C’est grâce à
demandes en ce sens de la part des
eux que, dans les années 1970, les granrecruteurs.
des écoles de gestion françaises ont pu
jouer un rôle croissant dans la professionnalisation des cadres. A cette époque,
6. le paraDoxe
ils ont souvent bénéficié de l’aide de la
Des enseignants
FNEGE (Fondation nationale pour l’enes enseignants qui ont porté le
seignement de la gestion) pour obtenir
développement des grandes écoles
leur doctorat (Ph.D.) aux Etats-Unis.
de gestion françaises et ceux qui les ont
Lorsqu’ils en sont revenus, entre 1971 et
rejointes, en étant aussi motivés par leur
1975, ils ont constitué les premiers éléparticipation au management éducatif, se
ments d’un corps professoral permanent
sentent aujourd’hui dans une situation
ayant rang de professeur de management.
différente, considérés comme des
ouvriers du savoir dans des institutions
Le métier de professeur de gestion en
de grande taille. Les dirigeants d’écoles
France est insuffisamment considéré
répètent à l’envi que c’est la qualité des
selon eux, peu attractif, mal rémunéré eu
professeurs qui fait la valeur d’une instiégard aux standards internationaux. De
tution d’enseignement. Principales forces
plus, l’accès au métier est difficile et
de production, les professeurs représennécessite une préparation exigeante. En
tent des facteurs d’attraction puissants
termes de stratégie industrielle, les
L
« barrières à l’entrée » sont élevées. En
effet, pour devenir professeur dans une
grande école de commerce, en finance,
marketing ou ressources humaines,
il faut désormais répondre à plusieurs
critères :
posséder une dimension internationale,
ce qui signifie souvent avoir déjà enseigné, vécu à l’étranger ou plus radicalement ne pas être seulement de culture
française, et avoir de réelles dispositions
multiculturelles ;
– présenter un curriculum vitae académique de bon niveau : être docteur ou titulaire d’un Ph.D. d’une université
renommée, démontrer une réelle capacité pédagogique et avoir publié suffisamment d’articles dans des revues
raisonnablement estimées par le monde
académique ;
– être coopté par ses pairs. C’est une
règle des grandes institutions que les
nominations académiques reçoivent l’agrément de la faculté ;
– enfin, accepter une rémunération qui,
eu égard aux moyens de nos écoles, se
situe sur la fourchette basse du marché
européen, et 50 % en dessous de celles
proposées soit par les institutions leaders
(INSEAD, London Business School...),
soit par des universités recherchant une
notoriété et ayant anticipé l’évolution d
u marché.
Les chances pour les grandes écoles
françaises, hors INSEAD, de porter haut
les couleurs de l’excellence de l’enseignement français de gestion paraissent
fortement handicapées par les contraintes pesant sur le recrutement de leurs
professeurs ; on voit mal comment les
Chambres de commerce et d’industrie,
principaux bailleurs de fonds, et qui
cherchent elles-mêmes aujourd’hui leur
voie, pourraient les en libérer.
7. le paraDoxe De
la gouvernance
L
es grandes écoles françaises de gestion dépendent d’organes de pilotage et de décision, principalement les
Chambres de commerce et d’industrie,
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dont la rationalité et la logique sont plus
administratives qu’entrepreneuriales, et
plus locales que globales, malgré la qualité de chefs d’entreprises de leurs élus.
règles de gestion voisins de ceux d’une
administration publique traditionnelle.
De ce point de vue, le cas de l’ESCP-EAP
et d’HEC est intéressant. Ces deux écoLes écoles de commerce,
les n’ont pas de personnaquant à elles, ont pour
lité juridique, et leur statut
mission de former des
est celui de départements
Le management de ces
managers, mais leur prode la Chambre de comécoles est influencé
pre
fonctionnement
merce et d’industrie de
demeure, sauf exception,
Paris (CCIP). De ce fait,
par leur appartenance
éloigné des principes d’efleur management s’inscrit,
au monde des CCI, qui
ficacité qu’elles enseimalgré les efforts de
sont, rappelons-le, des
gnent. Elles ont une
certains, dans le cadre
histoire largement dépend’une administration traétablissements publics,
dante de celle des
ditionnelle, notamment
disposant d’un statut
Chambres de commerce
pour les ressources
du personnel et de
qui les ont portées sur
humaines (très faible flexiles fonds baptismaux.
bilité en matière de rémurègles de gestion
Pourvoyeuses de fonds,
nération et d’effectifs,…),
voisins de ceux
celles-ci en assurent le
la gestion financière
d’une administration
gouvernement (corporate
(annualisation des budgouvernance). Elles sont à
gets,
investissements
publique traditionnelle.
l’origine de leur réussite
inscrits au budget de foncremarquable dans notre
tionnement…), et plus
cadre national.
généralement dans le domaine du management, l’idée d’entreprendre, d’investir
Ces institutions, dans leur ensemble, sont
se heurtant au poids des procédures,
en pleine interrogation sur leur devenir,
des réglementations, et parfois, malheuleur finalité et leur rôle. Certaines, de par
reusement, d’une culture conservatrice.
leur taille, ont été appelées à jouer des
rôles prépondérants. Tel est le cas de la
La CCIP en est bien consciente. Elle a
CCI de Paris, qui possède une capacité
lancé, depuis deux ans déjà, un procesd’intervention hors du commun par rapsus visant à autonomiser (privatiser ?) le
port aux autres CCI.
groupe HEC.
Toutefois, ces Chambres possèdent une
organisation bicéphale : des élus issus du
monde des responsables d’entreprise,
bénévoles, et des salariés permanents qui
conduisent les opérations au quotidien
sous la responsabilité des élus. La grande
diversité des missions assurées par les
CCI (gestion du fichier des entreprises,
appui aux entreprises, développement
international, conception et gestion
d’infrastructures, représentation, formation…) ne donne pas toujours la possibilité de consacrer les investissements
nécessaires aux grandes écoles qui sont
principalement placées sur leur responsabilité. Le management de ces écoles est
également influencé par leur appartenance au monde des CCI, qui sont, rappelons-le, des établissements publics,
disposant d’un statut du personnel et de
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Les institutions anglo-saxonnes, même
celles qui sont liées à une administration
publique, ont de leur côté modernisé
leur management : organisation de structures de marketing (y compris gestion de
la marque et des classements) et de
vente très flexibles, et rémunérées pour
partie au résultat, services de relations
avec les entreprises parcourant le monde
à la recherche d’endowments, développement de l’esprit d’entreprise, flexibilité
dans le domaine des ressources humaines, etc. Elles ont pris conscience que
l’efficacité managériale est une condition
de leur succès dans un contexte hautement compétitif.
l’avenir n’est pas
Dans l’imitation
Q
uelles pistes de développement
recommander après ces quelques
constats ? Il nous semble suicidaire d’entrer dans une logique mimétique et de
calquer uniformément le fonctionnement des grandes écoles de gestion
françaises sur les pratiques des business
schools anglo-saxonnes.
La position stratégique actuelle des écoles françaises et leur contexte spécifique
d’activité rend illusoire l’idée de jouer
avec des règles du jeu définies par leurs
consœurs américaines pour les tourner
un jour à leur avantage. La force des classements, et leurs critères d’évaluation
construits sur le modèle américain,
appellent la mise en œuvre de stratégies
de rupture. Pour les joueurs français, se
battre sur le même terrain les conduira
inéluctablement à renoncer à leur identité et à adopter une position de copie.
L’art stratégique enseigne que la seule
façon, pour de nouveaux entrants, sur un
marché déjà structuré, de se faire une
place, c’est d’altérer les règles du jeu en
se développant sur une stratégie de
forte différenciation.
La bataille identitaire, loin de se réduire à
un combat d’arrière-garde sur la spécificité linguistique française, nous semble
renvoyer à la nécessaire prise en compte
du projet politique majeur du XXIe siècle,
la construction européenne. Il y a là une
formidable opportunité pour déployer
de nouvelles énergies, bénéficier de
financements majeurs et participer, de
manière active, à l’édification d’un projet
commun, encore en démarrage et qui se
cherche. Au lieu de se désespérer de
pouvoir un jour rencontrer le futur
« manager européen », figure aujourd’hui
introuvable, pour en analyser les caractéristiques, les écoles porteuses d’un esprit
nouveau pourraient se donner comme
finalité d’éduquer ces futurs dirigeants.
Enfin, l’un des principaux vecteurs de
changement entrepreneurial, à savoir le
corps professoral des écoles, est aujourd’hui en voie de renouvellement massif.
Une telle opportunité pour changer les
cultures et les paradigmes d’action ne se

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