créer, dans l`immobilier, le livret a de la caisse d`epargne

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créer, dans l`immobilier, le livret a de la caisse d`epargne
dossier investissement
MARK INCH ET ROBERT WATERLAND, PRÉSIDENT ET DIRECTEUR GÉNÉRAL
[SOCIÉTÉ DE LA TOUR EIFFEL]
« CRÉER, DANS L’IMMOBILIER, LE LIVRET A
DE LA CAISSE D’EPARGNE »
Pour l’instant, le statut Siic n’a pas entraîné, c’est le moins que l’on puisse dire, l’introduction
d’une multitude de nouvelles foncières au sein du compartiment immobilier de la Bourse
de Paris. Seuls Mark Inch et Robert Waterland semblent, jusqu’ici, avoir su utiliser la récente
législation pour bâtir une nouvelle foncière particulièrement active.
En reprenant la Société de la Tour Eiffel, quel est
votre objectif ?
E
n reprenant en 2003 la Société de la Tour Eiffel et en adoptant le
statut Siic début 2004, ils donnent un nouveau départ à la firme
fondée en 1889 par Gustave Eiffel, qui sommeillait tranquillement depuis quelques dizaines d’années. Ils peuvent faire valoir,
pour l’exercice 2004, un bénéfice de 4,2 millions d’euros et un
résultat consolidé de 3 millions, avec des recettes locatives de
14,7 millions pour un patrimoine de 266 millions. Résultat qui
leur permet le versement d’un dividende dont le montant
dépasse l’obligation fiscale résultant du statut Siic ! Et le patrimoine a franchi, le 31 mars dernier, la barre des 300 millions
d’euros. Il faut, vraisemblablement, voir là la conséquence non
seulement de la longue expérience des deux associés fondateurs, mais aussi celle d’une politique d’investissement originale
et particulièrement efficace dans un marché où les opportunités
se font, pourtant, nettement plus rares…
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Mark Inch : Il faut, d’abord, préciser que Robert Waterland et
moi-même sommes issus du secteur immobilier. Robert, avec
une expérience de conseil, une connaissance des marchés et une
pratique de la gestion d’équipes et moi, avec une expérience
d’investisseur. C’est un facteur nouveau que la création d’une
foncière par des professionnels de l’immobilier. En réunissant nos
expériences dans la Société de la Tour Eiffel, nous avons voulu
créer un produit d’épargne en nous appuyant sur la législation
Siic. Cette dernière donne les moyens de créer, en France, un
produit d’épargne dans lequel l’objectif principal est la sécurité
du revenu, permettant de générer la distribution d’un dividende
régulier. Ce qui nécessite certains ingrédients, notamment une
grande discipline en matière d’investissement (c’est ici
qu’intervient, en particulier, le savoir-faire de Robert) ; une
transparence totale des comptes et de la composition du patrimoine, afin de démythifier l’immobilier et des connaissances
financières, juridiques et fiscales (c’est ici que mes compétences
sont les bienvenues). Il s’agit, ensuite, de combiner ces ingrédients pour faire un produit d’épargne coté. Bien sûr, il en faut
un autre : des actionnaires. Soros Real Estate Investors et un certain nombre de professionnels chevronnés nous ont permis de
démarrer et de passer, en 18 mois, de 5 millions à 150 millions
de capital. Cette première phase étant réussie, Soros, dans la
logique de son investissement, a procédé à un reclassement
privé de ses titres, toujours chez les professionnels de
l’investissement immobilier. Sur le plan de notre stratégie, les
actifs avec lesquels nous souhaitons composer le capital doivent
nous permettre de devenir, à terme, « le livret A de la Caisse
d’Epargne dans l’immobilier ». Nous voulons proposer un produit qui, dans 18 mois à deux ans, s’adressera aux particuliers et
aura toute sa place dans les PEA. Un produit d’épargne totalement efficace et sécurisant. Cette perspective nous oblige à
constituer un patrimoine dont la taille devrait tendre d’ici fin
2006 vers le milliard d’euros et la capitalisation vers les 400
millions, afin d’avoir la liquidité et la réputation qu’exigent le
marché des petits porteurs. Bref, nous avons créé la Société de la
Tour Eiffel avec des actionnaires professionnels qui nous accompagnent dans cette stratégie qui vise à en faire, ensuite, un produit plus largement accessible et particulièrement adapté, par
exemple, à la préparation des retraites…
s
Exemples d’actifs du patrimoine de la Société de la Tour Eiffel, à Champigny sur Marne,
9 500 m2 de bureaux loués au groupe Air Liquide.
2 immeubles de 2 500 m2 chacun ont été mis en construction.
Quels sont ces actionnaires professionnels de
l’immobilier ?
Mark Inch : Parmi eux figurent AVI (Asset Value Investors, Mark
Townsend) ; le new yorkais ING Clarion ; le gestionnaire de fonds
SG Cowen ; Henderson ; Fortis ; ABP et nous-mêmes…
Pouvez-vous préciser les grandes lignes de
votre politique d’investissement ?
Dans un marché de l’investissement aussi
encombré que celui d’aujourd’hui, comment faites-vous pour trouver les actifs qui répondent à
votre stratégie ?
Robert Waterland : D’abord, nous acquérons généralement des
actifs loués, au minimum, à 80 %. Qu’il s’agisse de bureaux, de
locaux d’activités ou d’entrepôts. En sachant que lorsque nous parlons d’entrepôts, nous ne faisons pas référence à de la logistique,
secteur que nous considérons comme trop encombré et trop cher.
Nous pensons plutôt au type d’actifs que nous avons acquis
auprès de La Poste, c’est-à-dire des entrepôts et 7 000 à 8 000 m2,
situés dans des zones urbaines. Plus généralement, nous tentons
de créer notre propre créneau d’investissement en essayant
d’intervenir dans des secteurs que des investisseurs tels que les
fonds allemands, par exemple, ne regardent pas, comme les parcs
d’activités, qui offrent de nombreux avantages : ils ont souvent été
tertiarisés au fil du temps, alors même que les loyers sont restés
ceux de l’activité. Du coup, leurs occupants sont moins enclins à
les quitter pour d’autres locaux meilleur marché. Par ailleurs, les
entreprises tentées par l’externalisation le font souvent pour des
locaux d’activités et sont prêtes, ensuite, à signer des baux longs,
sachant que dans ce créneau, les rendements demeurent très raisonnables. Enfin, ce secteur des locaux d’activités est loin de la
saturation qui existe dans le tertiaire. Bref, les locaux d’activités
constituent un secteur moins concurrentiel que les autres, tout en
offrant des rendements sécurisés et satisfaisants. Bien sûr, nous
espérons que l’amendement Marini va permettre de multiplier
les opportunités d’investissement, en particulier dans ce créneau…
Robert Waterland : Nous faisons jouer à plein nos réseaux de
connaissances et nous sommes devenus des spécialistes des opérations complexes, des rachats de sociétés… Il est vrai que nous
n’acquérons pas souvent les dossiers « blanc bleu » que nous présentent les conseils. Par ailleurs, nous sommes attentifs à l’éthique. Un exemple : une société devait nous vendre un actif. Une
fois les études réalisées et les conditions fixées, elle est revenu sur
sa décision juste avant la signature. Nous avons, néanmoins,
conservé de bonnes relations avec elle, moyennant quoi elle nous
a, par la suite, céder deux autres actifs. Notre technique est donc
basée sur l’expérience, les relations que nous avons cultivé depuis
de nombreuses années et le « fair play ». Au final, nous avons
d’ores et déjà atteint notre objectif de 300 millions d’euros
d’actifs. Il n’empêche que nous osons espérer que le marché ne
va pas être toujours aussi compliqué qu’il l’est aujourd’hui.
Mark Inch : Compte tenu du fait que nous provilégions les opérations complexes, notre profil d’investisseur est également
complexe. D’autant plus qu’il faut maîtriser ces opérations afin
de les rendre, ensuite, transparentes. En effet, notre travail
consiste non seulement à trouver ces opérations mais, ensuite, à
les simplifier de telle sorte qu’un actionnaire puisse, à tout
moment, avoir connaissance de la composition du patrimoine,
de sa situation locative, de la structure de financement, du résultat et, donc, du dividende. Ceci est fondamental.
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A Sochaux,
27 500 m2 de bureaux, messagerie,
logistique, construits « clé en main »
pour Gefco, dans la commune d'Etupes,
en périphérie de Sochaux.
dédiées, qu’il s’agisse d’habitation, d’immobilier commercial,
hôtelier ou autre. Il est, également, intéressant d’observer que
cette législation profite, pour l’instant, en particulier aux étrangers, Espagnols en tête, qui savent l’utiliser. En acquérant la SFL
ou Gecina, les Espagnols transfèrent des profits réalisés dans la
construction, dans des investissements patrimoniaux totalement
fiscalement efficaces, qui n’existent pas chez eux. Ils utilisent les
Siic comme un instrument d’épargne et c’est ainsi que l’on
devrait voir, d’ici peu, des titres SFL ou Gecina se retrouver dans
les portefeuilles de petits porteurs espagnols…
Au Plessis-Robinson,
16 000 m2 de bureaux et locaux d'activité loués sur la base
d’un bail de 9 ans ferme à CS Communications & Systèmes.
Néanmoins, la pression sur les rendements est
réelle. Comment faites-vous pour acquérir en
répondant à vos objectifs en ce domaine ?
Mark Inch : Nous avons, désormais, l’avantage du statut Siic et
nous l’utilisons comme une arme, une méthode de négociation.
L’application du fameux amendement Marini va favoriser les
rapprochements entre les Siic et des entreprises qui détiennent
un patrimoine immobilier rentable et qui craignent, en le cédant,
d’avoir à régler une lourde fiscalité. En apportant leur patrimoine à une Siic, ces sociétés verront la fiscalité sur cette vente
réduite de moitié. Le corollaire est l’obligation pour la Siic de
conserver le patrimoine cinq ans, faute de quoi l’opération sera
requalifiée. Même si de nombreuses entreprises demeurent attachées à leur patrimoine, il est certain que des opportunités vont
naître. Par ailleurs, il existe de nombreux propriétaires professionnels et opportunistes, tels que des fonds anglo-saxons par
exemple, qui ont bien acheté au cours de la crise du milieu des
années 1990 et se retrouvent, aujourd’hui, avec des plus-values
considérables bloquées dans des sociétés propriétaires
d’immeubles. En effet, avant la baisse des droits de mutation,
pour diminuer ces derniers, les sociétés logeaient les immeubles
dans des sociétés ad-hoc. Le rapprochement avec une Siic permettra d’atténuer la fiscalité sur ces plus-values latentes. Voici
deux exemples qui permettent d’illustrer la manière d’acquérir à
des rendements raisonnables en faisant jouer à plein notre atout
fiscal. Ce qui était, d’ailleurs, l’un des buts de cette législation sur
les Siic afin de débloquer les patrimoines…
A ce sujet, peu de nouvelles Siic ont été créées.
Quelles réflexions cela vous inspire-t-il ?
Mark Inch : Nous sommes les seuls, aujourd’hui, à avoir créer un
tel véhicule. Toutes les foncières existantes ont utilisé la législation pour réaliser un ménage fiscal dans leurs comptes. Pourtant,
il existe, à n’en pas douter, une demande pour des foncières
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Pour revenir à votre politique d’investissement,
en particulier dans les locaux d’activités et
entrepôts, certains font valoir que ce type
d’actifs ne procure que de maigres perspectives
de plus-value. Que leur répondez-vous ?
Robert Waterland : De manière générale, nous estimons que
nous achetons sur de bonnes bases. Nous acquérons souvent
des bureaux au prix où d’autres acquièrent des entrepôts. Et
lorsque l’on investit sur la base de 8 à 9 % de rendement, on ne
doit pas s’attendre à une plus-value extraordinaire. Aujourd’hui,
on peut estimer que les meilleurs bureaux sur les Champs
Elysées peuvent trouver acquéreurs à 10 000 euros du mètre
carré. Combien valaient-ils en 1990 ? Pas loin du double, voire
plus pour les Hôtels des Maréchaux... A l’inverse, aujourd’hui, un
immeuble de bureaux à Saint Denis peut être cédé sur la base de
3 000 euros du mètre. Combien valait-il (s’il valait quelque
chose !) en 1990 ? Cela pour dire qu’il faut faire attention aux
généralités du type rien ne vaut le « Triangle d’Or »...
Nous ne cherchons pas prioritairement la plus-value. Le loyer
moyen de notre patrimoine actuel ressort entre 130 et 150 euros
par mètre carré. Sur cette base, les utilisateurs quittent rarement
leurs locaux pour d’autres, meilleur marché. Par ailleurs, un loyer
de 150 euros indexé à 5 % ne génère pas la même augmentation
qu’un loyer à 600 euros. C’est une évidence que certains oublient
trop souvent. Bref, nous estimons que nous ne sommes pas dans
une zone de loyer à risque. Et, parallèlement, la plupart de nos
baux sont fermes, de 6, 9 voire 12 ans. C’est ainsi que nous avons
une visibilité sur 80 % de notre patrimoine jusqu’en 2012. Et, pendant ce temps, nous amortissons nos immeubles. Sans compter la
possible seconde vie de la plupart des actifs. Un exemple : Alstom
nous loue, actuellement, 40 000 m2, sur un terrain de 80 000 m2,
à Massy, sur la base d’un bail ferme de 9 ans. Une opération qui
procure un rendement de 10,5 %. Combien vaudront le terrain et
les droits à construire à l’échéance du bail ? Autant de raisons qui
nous ont conduit à investir dans des sites pas chers, mais de qualité tels que Saint Denis, Saint Ouen, Puteaux ou encore Versailles.
Votre expérience vous permet de conduire cette
politique d’investissement. Mais, question que
tout bon actionnaire doit se poser, pendant combien de temps allez-vous encore tenir les rênes ?
Mark Inch & Robert Waterland : Pour l’instant, nous formons nos
équipes. Et, dans tous les cas, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
! Propos recueillis par Thierry Mouthiez