Physiopathologie de l`obésité de l`enfant
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Physiopathologie de l`obésité de l`enfant
PHYSIOPATHOLOGIE DE L’OBESITE DE L’ENFANT Jean Pierre SALLES 1,2, Béatrice JOURET1, Gwenaelle DIENE1, Isabelle OLIVER1, Thomas EDOUARD1,2, Françoise CONTE-AURIOL1,2, Fabienne BRIAND-Mésange1, Catherine PIENKOSWKI1, Maïté TAUBER 1,2 1 Unité d’Endocrinologie, Maladies Osseuses, Génétique et Gynécologie Médicale, Hôpital des Enfants et 2INSERM Unité 563, Hôpital Purpan, CHU de Toulouse PLAN 1) Histoire naturelle de l’obésité chez l’enfant 2) Facteurs de développement des adipocytes 3) Les caractéristiques du tissu adipeux de l’enfant face au déséquilibre énergétique 4) L’adipocyte fonctionnel : prévention de l’insulino-résistance 5) L’adipocyte « pathologique » : l’insulinorésistance aussi en pédiatrie 1) Histoire naturelle de l’obésité chez l’enfant L’histoire naturelle de l’obésité permet d’insister sur les caractéristiques de l’obésité constituée durant l’enfance. L’obésité évolue en deux phases : une phase dynamique, au cours de laquelle l’obésité s’installe, traduit un bilan énergétique positif et une phase dite statique, où le sujet devenu obèse maintient son poids en plateau tant qu’il ne réduit pas ses apports énergétiques. Lors de cette phase où le poids se stabilise à un niveau excessif, le bilan d’énergie est de nouveau équilibré. Il faut insister chez l’enfant et surtout l’adolescent sur la phase dynamique, souvent accélérée. La durée de cette phase est variable d’un sujet à l’autre, de quelques mois à plusieurs années. La prévention de la reprise de poids et des fluctuations pondérales récidivantes sera un objectif important. Cette phase dynamique est expliquée par la plasticité du tissu adipeux qui connaît d’importants phénomènes d’ajustement chez l’enfant. Ils se traduisent par les modifications physiologiques de l’index de masse corporelle, et de manière symptomatique par la survenue du rebond d’adiposité. Chez l’enfant, l’IMC augmente normalement pendant la première année de vie puis diminue spontanément jusqu’à l’âge de 6 ans avant d’augmenter à nouveau : c’est le rebond d’adiposité. Sa précocité, de même que le croisement des courbes d’IMC marque un risque d’évolution ultérieure vers l’obésité. En revanche, le poids avant 3 ans a une faible valeur prédictive du poids adulte sauf en cas d’obésité d’un ou des deux parents. L’obésité commune de l’enfant qui découle du déséquilibre énergétique représente 95 % des obésités, ce qui ne dispense pas la recherche de causes hormonales qui représentent environ 3 % ou de causes syndromiques ou génétiques (environ 2 % des obésités). 2) Facteurs de développement des adipocytes Lors des phases d’ajustement de l’IMC en fonction de l’âge, il faut concevoir une régulation de la masse adipeuse ayant pour effet d’adapter les capacités de stockage énergétique en fonction de la physiologie. L’évolution du nombre et de la taille des cellules adipeuses va dépendre de l’équilibre entre les apports et les dépenses d’énergie, dont le déséquilibre aboutit à une inflation des réserves adipeuses. Le contrôle central de l’apport énergétique (appétit) est multifactoriel mais dépend beaucoup de plusieurs systèmes neuro-hormonaux identifiés (figure 1). Le contrôle du point de consigne de la masse adipeuse est en grande partie sous l’influence de la leptine qui joue le rôle d’organisateur entre les sites périphériques où elle est sécrétée par les adipocytes et ses cibles centrales. La leptine favorise les voies anorexigènes au détriment des voies orexigènes : elle stimule la Pro-OpioMelanoCortine (POMC) précurseur de l’α-MSH (α-Mélanocyte-Stimulating Hormone), qui elle-même active un des récepteurs mélanocytaires, le MC4-R (Mélanocortine-4 Receptor) récepteur anorexigène. Elle diminue neuropeptide NP-Y orexigène dans le noyau arqué de l’hypothalamus et diminue l’expression du gène Agrp/ART à l’origine de la protéine Agouti, antagoniste du MC4-R. La dysrégulation de ces systèmes dans des syndromes génétiques par mutation du gène de la leptine, de son récepteur, ou du récepteur MC4R est à l’origine d’obésités génétiques très sévères mais rares ou exceptionnelles. D’autres neuropeptides ou hormones tels que le GLP1 (Glucagon-Like Peptide 1), la MCH (Melanin-Concentrating Hormone), le CRF (Corticotropin Releasing Factor) les orexines l’adiponectine ainsi que la ghreline, substance orexigène majeure découverte en 1999, interviennent dans le contrôle de la prise alimentaire mais leur rôle en physiopathologie reste imprécis chez l’enfant. Hypothalamus NPV AVP OCT CRH TRH APF/AHL - ORXs MCH + + IIIe VENT + + - - NPY AgRP GABA - α-MSH CART NOYAU ARQUE + Ghreline PYY3-36 - + Leptine, Insuline Contrôle humoral Figure 1 : contrôle central et périphérique de la prise alimentaire. Au niveau du noyau arqué hypothalamique certains médiateurs stimulent (neuropeptide Y, Agouti-related peptide) ou inhibent (a-melanocyte stimulating hormone (MSH) cocaine- and amphetamine-related transcript (CART)) l’appétit. Les neurones responsables sont sous contrôle de régulateurs périphériques orexigènes (ghreline) ou anorexigènes (leptine, PYY). Les deux types de neurones interagissent aussi entre eux. D’autres structures hypothalamiques sont également impliquées: noyau paraventriculaire (NPV), aire hypothalamique latérale (AHL) et l’aire périfornicale (APF), à l’origine d’autres substances anorexigènes (cortico- ou thyro-libérine, CRH, TRH, ocytocyne (OCT), arginine vasopressine (AVP), ou orexigènes (melanin concentrating hormone (MCH), orexines (ORXs). Les voies orexigènes sont sur fond gris, les voies anorexigènes sur fond blanc. 3) Les caractéristiques du tissu adipeux de l’enfant face au déséquilibre énergétique D’une manière générale, le système régulant les réserves d’énergie décrit ci-dessus est beaucoup mieux adapté à la correction des déficits (privation) qu’à celle des excès d’apports énergétiques. Cette aptitude à accumuler des réserves est un avantage pour la survie en période de disette mais devient un inconvénient en période d’abondance, ce que l’on constate fréquemment dans les populations transplantées confrontées à l’excès calorique. Cette sensibilité se rencontre particulièrement chez l’enfant dans le contexte de ce que l’on a appelé le phénotype de privation (thrifty phenotype). Les enfants soumis à un régime de privation in utero développent une adaptation épigénétique avec l’expression sélective de certains isoformes de gènes adaptés à la privation. L’exemple le plus connu est celui d’isoforme Pro12Ala du régulateur adipocytaire PPARγ. Ce conditionnement initial va rendre compte de la sensibilité excessive du tissu adipeux à l’hyperplasie ou à l’hypertrophie lors d’excès energétique ultérieur. Les enfants nés avec un retard de croissance intra-utérin (RCIU) vont faire l’objet d’un rattrapage statural et pondéral rapide les deux premières années de vie. Le rattrapage (catch up) excessif observé chez certains d’entres eux expose à l’excès de poids et à l’obésité. Il est démontré sur de larges cohortes que de tels enfants sont exposés à l’âge adulte à un risque vasculaire augmenté, probablement soustendu par des mécanismes similaires. Le mécanisme du catch up et ses déviations implique également la dynamique des systèmes hormonaux régulant la croissance staturale (surtout axe somatotrope : GH/IGF1) et la puberté, qui est une phase cruciale d’adaptation du pondérostat. Une résistance à GH ou à l’IGF1, de même qu’à la leptine ou à l’insuline a été observée de manière variable dans ces conditions. Les modifications sécrétoires touchant notamment la leptine sont fondamentales dans les phases d’accélération de la croissance, de positivation de la masse osseuse, et d’adaptation de l’IMC. Ces éléments impliquant la dynamique du tissu adipeux, les phases du développement staturopondéral doivent être gardés en mémoire dans la prise en charge de l’obésité en pédiatrie. 4) L’adipocyte fonctionnel : prévention de l’insulino-résistance A première vue de manière paradoxale, le tissu adipeux sain a un rôle fondamental pour prévenir la toxicité des acides gras et l’insulo-résistance. Nous prendrons pour exemple le cas d’une enfant présentant une lipoatrophie quasi complète généralisée due à une mutation du gène codant pour la LPA-acyl-transférase du tissu adipeux. L’absence d’incorporation des acides gras pour la synthèse des triglycérides est responsable de lipotoxicité majeure due aux acides gras libres, conduisant à une stéatose et à une insulino-résistance sévères. L’absence de leptine est responsable d’une hyperphagie importante. L’ensemble des signes est réversible sous régime de restriction calorique. La rapidité de l’évolution dans les deux sens souligne à quel point l’enfant est sensible aux modifcations de l’apport calorique, à fortiori dans un contexte pathologique. 5) L’adipocyte « pathologique » : l’insulinorésistance aussi en pédiatrie Face à l’excès calorique, le développement d’une adipogénèse accrue conduit en fait schématiquement à l’accumulation de deux populations distincte d’adipocytes. La multiplication d’adipocytes (hyperplasie) encore fonctionnels au niveau des tissus périphériques (graisse sous cutanée) traduit la possibilité de gestion de l’excès calorique (stockage des triglycérides) qui va se poursuivre jusqu’à l’hypertrophie adipocytaire. Au-delà, l’accumulation d’adipocytes devenus hypertrophiques, « post-fonctionnels », en particulier au niveau des sites viscéraux traduit le dépassement des capacités de stockage adéquat face à l’afflux d’acides gras libres en période post prandiale, qui constitue un potentiel pour l’insulino-résistance. Le déterminisme du développement des deux types de tissu adipeux n’est pas connu mais le déficit en GH est en particulier un des facteurs de la redistribution des graisses au niveau viscéral. L’enfant et l’adolescent ne sont donc pas exempts des complications majeures liées à l’obésité (figure 2). Des études récentes montrent que l’accumulation de graisse viscérale est tout à fait liée à l’apparition d’insulino-résistance périphérique avec accumulation de lipides intramyocytaires chez l’adolescent obèse. L’excès de tissu durant la période pédiatrique reste liée à l’apparition ultérieure de complications vasculaires, ceci même si l’obésité régresse. L’enfant ayant des antécédents de RCIU reste particulièrement exposé dans ce contexte. La prévalence d’autres complications telles que la stéatose hépatique (syndrome de NASH (non-alcoolic steatohepatitis) reste à préciser chez l’enfant et l’adolescent. La physiopathologie met donc fortement en exergue la rapidité d’installation des syndromes conséquences de l’excès de tissu adipeux chez l’enfant et l’adolescent et l’importance de la période pédiatrique pour la prise en charge initiale et la prévention des complications liées à l’obésité. Obesité Graisse viscérale Puberté (transitoire) Résistance à l’insuline Inactivité physique Décennies (adultes) Ethnie Facteurs génétiques Cellule béta saine Cellule béta altérée Compensation Compensation insuffisante Glucose normal Insuline élevée Diabète type 2 Années (adolescentss) Histoire naturelle du diabète de type 2 adulte vs adolescent Figure 2 : histoire naturelle du diabète de type 2 liée à l’obésité. L’apparition de l’insulinorésistance peut être accélérée chez l’enfant et l’adolescent, en années, comparée à une évolution plus lente chez l’adulte REFERENCES Berlan M and Lafontan M Do regional differences in adipocyte biology provide new oathophysiological insights ? Tr. Pharmacol. Sci. 2003, 24: 276-283 Weiss R et al: Obesity and the metabolic syndrome in children and adolescents New Engl J Med 2004 350 : 2362-74 Jaquet D et al: Low birth weight: effect of insulin sensitivity and lipid metabolism, Horm res 2003, 59: 1-6 Ozanne S and Hales N: Early programming of glucose-insulin metabolism Tr. Endocr. Metab. 2002 13: 368-373