Lire la revue - Editions Mimesis

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jeudi 7 janvier 2016 LE FIGARO
6
Un demi-siècle de poésie en poche
ON EN
parle
HISTOIRE
littéraire
UNE ÎLE,
UNE FORTERESSE
D’Hélène Gaudy,
Inculte,
275 p., 17,90 €.
EN MARS PROCHAIN, LA COLLECTION
DE POCHE « POÉSIE/GALLIMARD »
FÊTERA SES CINQUANTE ANS
ET SES 500 TITRES.
Anniversaire
Créée en 1966 par Robert
Carlier et Alain Jouffroy (qui
vient de nous quitter), la collection de poche « Poésie/Gallimard » fêtera en mars son demi-siècle. Elle est dirigée par
André Velter depuis 1998. À
cette occasion, plusieurs lectures et rencontres seront organisées. Parmi elles, une soiréeévénement le 8 mars à la
Comédie-Française. Neuf nouveautés en janvier et février. Il
s’agit de Zéno Bianu, Jacques
Darras, Anise Koltz (Somnam-
bule du jour), une Luxembourgeoise à découvrir, Abdellatif
Laâbi, James Sacré, Olivier Barbarant - qui devient le nouveau
benjamin de la collection –, Emmanuel Hocquard, Jean-Pierre
Lemaire et Vénus Khoury-Ghata avec un recueil de poèmes
choisis (Les Mots étaient les
loups). Pour rappel, le tout premier titre paru était Capitale de
la douleur d’Éluard. Suivront
García Lorca, Mallarmé, Apollinaire, Claudel, Valéry, Aragon…
La collection compte à ce jour
plus de 500 titres. ■
T. C.
Un modèle pour le Reich
ENQUÊTE Dans un récit personnel, Hélène Gaudy revient sur l’histoire du camp tchèque de Terezin.
THIERRY CLERMONT
[email protected]
L
E GHETTO sera l’antichambre, la vitrine,
le champ d’expérimentation d’un système bien plus vaste
dont il deviendra à la fois le laboratoire et le satellite. » Dans sa passionnante enquête sous forme de récit à
la fois historique et personnel, Hélène Gaudy dresse le portrait du camp
et de la ville fortifiée de Terezin,
situés dans ce qu’on appelait alors
la Bohême-Moravie, dont le Reichsprotektor était le sinistre Reinhard
Heydrich.
«
Dans nos mémoires, ce camp reste associé à la volonté de Hitler de
montrer au monde un lieu d’internement moderne, un « territoire juif
autonome » au cœur de l’Europe,
ainsi qu’à deux noms d’illustres déportés : ceux du musicien tchèque
Hans Krasa, auteur de l’opéra Brundibar, et du poète surréaliste Robert
Desnos, qui y mourut.
Pour mener à bien son entreprise,
Gaudy a consulté de nombreux documents et archives, recueilli des
témoignages de survivants, retrouvé des échos dans l’œuvre de
W. G. Sebald ou de Josef Bor (Le Requiem de Terezin) et dans les conversations qu’elle a eues avec l’écrivain
et traducteur Georges-Arthur
Goldschmidt, dont le père avait été
déporté à Terezin. Par ailleurs, elle a
revu attentivement les films documentaires de Claude Lanzmann,
principalement Un vivant qui passe.
Le dernier poème de Desnos
Deux événements majeurs ont marqué l’histoire du camp de cette ville
située sur la frontière des Sudètes,
entre le monde germanique et le
monde tchèque, et bâtie sur le modèle des fortifications de Vauban, à la
toute fin du XVIIIe siècle. Il s’agit tout
d’abord de la visite de la délégation
du Comité international de la CroixRouge le 23 juin 1944. Les jours pré-
cédents, on a repeint les façades, on a
installé des pelouses, on a construit
des manèges et un kiosque à musique, on a installé des balançoires, on
a planté des fleurs… L’organisation
n’y a vu que du feu, comme le montrent les extraits du rapport cité par
Hélène Gaudy. Autre événement : le
film de propagande qui y a été tourné
dans la foulée, connu sous le nom de
Hitler offre une ville aux Juifs. Au total, 140 000 Juifs y ont été internés,
88 000 déportés ailleurs, et plus de
33 000 mourront sur place, de mauvais traitement, de faim et de maladie. L’auteur revient longuement sur
Robert Desnos et la légende de son
dernier poème, censé avoir été écrit
à Terezin : « J’ai rêvé tellement fort de
toi,/ J’ai tellement marché, tellement
parlé,/ Tellement aimé ton ombre,/
Qu’il ne me reste plus rien de toi,/ Il me
reste d’être l’ombre parmi les ombres ». En fait, il s’agit de la retraduction à partir du tchèque d’un poème
écrit près de vingt ans plus tôt…
Membre actif du réseau de résistance
Agir, le poète avait été arrêté par la
Gestapo en février 1944. Il aura
connu successivement les camps de
Compiègne, d’Auschwitz, de Buchenwald, de Flossenburg, de Flöha.
Au terme d’une terrible marche forcée, il arrive à Terezin, où il meurt du
typhus quelques jours plus tard, le
8 juin 1945. ■
La basilique papale
San Paolo Fuori
Le Mura, Rome,
par Pannini (1750).
À partir du Concile
de Trente, l’art
est sollicité pour donner
une image rayonnante
de la nouvelle
Église conciliaire.
Les fêtes de la
Ville éternelle
BRIDGEMAN IMAGES/RDA
ESSAI Un passionnant voyage
au cœur des chefs-d’œuvre musicaux
et artistiques de la Rome baroque.
JEAN-MARC BASTIÈRE
L
A ROME des papes fut
aussi la Rome de la fête.
Ainsi brilla, dans sa période baroque, aux XVIIe
et XVIIIe siècles, la Ville
éternelle. Hissée au rang de grande
capitale musicale, elle connut alors
un sommet artistique.
Avec un modèle architectural, la
basilique Saint-Pierre, qu’Urbain VIII Barberini consacra en
1626 et qui devint le phare de toutes les églises de la chrétienté. À
partir du concile de Trente, l’art
est sollicité pour donner une image
rayonnante de la nouvelle Église
conciliaire. La musique doit séduire et attirer davantage les fidèles.
C’est dans un parcours empli
d’illuminations et de notes musicales que nous convie avec sûreté et
élégance Patrick Barbier, historien
amoureux de l’Italie, auteur d’une
Histoire des castrats, de Naples en
fête et de La Venise de Vivaldi.
Son voyage commence avec la
Rome des Barberini, avec les premiers opéras baroques, et s’achève
avec le séjour en terre pontificale
de Haendel, jeune Saxon luthérien
arrivé en 1707. Le monde musical
romain savait accueillir ceux qui le
méritaient.
Rome compte alors au moins
cent cinquante jours de fête par
an. C’est une débauche de cortèges, de joutes, de féeries, d’oriflammes, de processions et de
carnavals. La fête, populaire et
princière, qui succède à la pénitence comme le jour à la nuit, envahit tout, la rue, les palais et les
églises. Foisonnent défilés, offices religieux, bals et opéras. Tout
est prétexte : entrée solennelle
d’un pape, canonisation d’un
saint ou commémoration d’une
victoire sur les infidèles.
La fête incarne le triomphe de
l’éphémère. Rien n’est plus beau ni
plus réussi, pense-t-on, que ce qui
a été conçu pour s’évanouir aussitôt déployé.
Sacraliser l’espace
Saint-Pierre ou Saint-Jean-deLatran sont le théâtre de cérémonies somptueuses. Tout doit
contribuer à sacraliser l’espace et à
couper le souffle de l’auditeur. La
basilique Saint-Pierre engageait
jusqu’à vingt groupes de musiciens
lors de cérémonies monumentales.
Les concerts et opéras se donnaient aussi dans les théâtres, chez
les cardinaux ou dans les grandes
familles – et chez les reines Christine de Suède et Marie-Casimire de
Pologne.
VOYAGE
DANS LA ROME
BAROQUE
De Patrick Barbier,
Grasset, 283 p., 19 €.
À Rome, l’ambiance est unique.
La soutane est partout. Un artisan,
un commerçant ou un père de famille portent la robe pour se fondre dans le milieu et faciliter leurs
affaires. Ce qui fait dire à Montesquieu : « Ce qu’il y a de singulier à
Rome, c’est de voir une ville où les
femmes ne donnent pas le ton, elles
qui le donnent partout ailleurs. Ici,
ce sont les prêtres. »
Ce qui frappe les visiteurs,
c’est l’apparence de liberté qui
règne dans la ville. Les relations
humaines sont familières. On ne
trouve pas de morgue chez les
grands, ni de jalousie chez les
plus humbles. Selon Casanova,
« il n’y a point de ville chrétienne
catholique au monde où l’homme
soit moins gêné en matière de religion qu’à Rome ».
Rome est alors un fabuleux terrain d’expérimentation pour la
création musicale. Allegri écrivit
son célèbre Miserere pour la Chapelle pontificale et les premiers
oratorios voyaient le jour à la
Chiesa Nuova (l’oratoire de la
congrégation de Philippe Neri).
Corelli conférait ses lettres de noblesse au concerto instrumental.
C’est aussi l’âge d’or des castrats, ces enfants chéris de la liturgie vaticane. La passion de plusieurs papes successifs, de Sixte V à
Paul V, pour ces voix de sopranistes va légitimer l’usage de la castration « pour la plus grande gloire
de Dieu ». On veut y retrouver la
tessiture des voix féminines tout
comme la pureté angélique des
voix d’enfant. La jeunesse des sopranistes dont certains accèdent à
un mode de vie quasi princier suscite à partir de la fin du XVIIe siècle
un relâchement des mœurs. Ce qui
déchaîne les satires anonymes,
souvent féroces.
Les castrats, en tout cas, donnèrent un son et un style particulier à
la Chapelle pontificale. Ils incarnèrent jusqu’à l’incandescence cette
tension des contraires propre à cet
art qu’on ne qualifiera de baroque
qu’au XIXe siècle. ■
MARQUE-PAGES
Modernité de Machiavel
La radicalisation ordinaire ?
Il ne sert à rien de « faire penser de nouveau »
les adeptes de l’extrémisme, car leur réflexion
ne s’est jamais interrompue.
Gérald Bronner
Actuellement en librairie
A
[ puf.com ]
MACHIAVEL :
LE POUVOIR
ET LE PEUPLE
De Yves Charles Zarka
et Cristina Ion,
Mimésis, 195 p., 18 €.
Relire Machiavel. En ces temps
de grande incertitude, où, après
trente ans d’illusions gestionnaires,
le politique, dans ce qu’il a de plus
tragique, revient sur le devant
de la scène, il n’est pas inutile
de retrouver l’auteur qui fut
le premier et le plus grand
théoricien de la politique pure.
Ce petit livre collectif, Machiavel :
le pouvoir et le peuple, est très
accessible dans sa lecture. Il permet
de très bien faire le point
sur la portée contemporaine
de l’œuvre de Machiavel.
La grande leçon du Prince,
rappelle le philosophe Yves
Charles Zarka, c’est de libérer
le politique du théologique ;
d’affirmer que l’essence
nue du politique est
fondamentalement distincte
de la morale et de la théologie.
C’est le passage célèbre
du chapitre XV du Prince
où Machiavel écrit :
« Car un homme qui veut en tous
les domaines faire profession
de bonté, il faut qu’il s’écroule
au milieu des gens qui ne sont pas
bons. Aussi est-il nécessaire
à un prince, s’il veut se maintenir,
d’apprendre à pouvoir ne pas être
bon, et à en user et à n’en pas user
selon la nécessité. » Il ajoute dans
ses Discorsi : « Là où il est tout à fait
question de décider du salut
de la patrie, il ne doit y avoir aucune
considération de ce qui est juste
ou injuste, compatissant ou cruel,
louable ou ignominieux » (III, 41).
Cet ouvrage collectif réunit les
communications de spécialistes
qui, tous, rappellent que Machiavel
ne fut pas le cynique que la vulgate
s’imagine mais un républicain très
attaché au salut de la République.
Mais il savait que ce salut passait
parfois par le lien complexe d’un
pouvoir se nourrissant du peuple
tout en cherchant à le contenir.
JACQUES DE SAINT VICTOR