Assises du livre numérique Conférence d`introduction à la lecture
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Assises du livre numérique Conférence d`introduction à la lecture
Assises du livre numérique 12 novembre 2014 – 9h30-17h00 Amphithéâtre Novotel Tour Eiffel Conférence d’introduction à la lecture sociale Bob Stein, Director of the Institute for the Futur of the Book Les potentialités offertes par les nouveaux médias intéressent au premier chef l’industrie du livre. En 1992, lors de l’apparition du livre électronique (une édition de Jurassic Park pour le premier PowerBook d’Apple), l’industrie de l’édition a refusé de développer cette technologie au motif que la plupart des gens ne voudraient pas lire sur un écran et n’imaginaient même pas le faire. Pour les lecteurs, ce nouveau support présentait malgré tout un intérêt – même s’il s’exprimait davantage en termes d’expérience (pouvoir lire dans le noir ou sans avoir besoin d’avoir les deux mains libres, par exemple) que de contenu. Le champ était libre pour les distributeurs et 15 ans plus tard, Amazon a sorti le Kindle et changé la face de l’édition partout dans le monde. Aujourd’hui, il est primordial que les éditeurs se saisissent des nouveaux outils et usages de lecture – notamment la lecture sociale – pour évoluer avec eux et conserver un rôle central dans l’industrie du livre. P ratiques de lecture sociale Toutes les expérimentations de lecture sociale témoignent de l’intérêt de ce mode d’échanges directs et spontanés entre les lecteurs et les auteurs, mais aussi les enseignants et leurs étudiants. Une expérience a, par exemple, consisté à faire lire et commenter en ligne The Golden Notebook de Doris Lessing simultanément par deux générations de lectrices. L’intensité des conversations qui en ont découlé a démontré la force du potentiel d’une conversation synchrone au sein d’un livre. Avec des textes plus complexes, comme Le syndrome indigo de Clements J. Set, la lecture sociale permet au lecteur qui peine à avancer dans l’ouvrage de s’appuyer sur les commentaires des autres lecteurs, mais aussi à l’auteur de repenser sa façon d’écrire s’il le souhaite. Les commentaires deviennent une partie intrinsèque du livre. Certains auteurs imaginent même que leurs lecteurs iront jusqu’à rédiger les notes de bas de page. Dans le cadre d’une lecture sociale de Don Quichotte expérimentée par un professeur de littérature espagnole et ses élèves, plus de 2 500 commentaires ont été publiés. Une conversation de haut vol a ainsi été nourrie sur la place de ce livre dans l’histoire littéraire, sa valeur culturelle, sa résonance historique… Un élève est même allé jusqu’à créer un glossaire des mots de l’époque qui ne sont plus utilisés aujourd’hui. A l’université, les professeurs qui l’ont expérimentée observent que la lecture sociale modifie également l’expérience au sein même de la classe. En effet, les étudiants ont déjà lu et discuté le texte au programme lorsqu’ils arrivent en cours. Et pour cause, s’ils ne l’ont pas lu et commenté, les autres le savent : la pression est réelle ! Syndicat national de l’édition 12 novembre 2014 1 Dans tous les cas, chaque fois qu’un lecteur commence à expérimenter la lecture sociale et à exprimer des commentaires, il se prend très vite au jeu. L’essor de la lecture sociale, véritable opportunité pour l’industrie du livre Le livre n’est pas un produit manufacturé comme les autres. Sa particularité vient du fait qu’il est essentiel à la culture. Il y a quelques années, la communauté des éditeurs aurait pu investir pour créer ce qui est devenu le Kindle. Malheureusement, ce tournant a été pris par un distributeur, Amazon. Aujourd’hui, la lecture sociale procure au monde de l’édition l’occasion de prendre les devants, de jouer pleinement son rôle et de redevenir leader dans le secteur du livre. « There is absolutely no inevitabilty as long as there is a willingness to contemplate what is happening », observait Marshal McCohen. Le monde de l’édition est encore appelé à changer. Les éditeurs doivent l’accepter et se saisir de cette opportunité qui leur est donnée pour mobiliser l’expertise et les savoirs qu’ils ont développés. Vers un écosystèm e servant à la fois le lecteur, l’auteur, l’éditeur et le distributeur Avec le Kindle, Amazon a donné naissance à un nouvel écosystème dans lequel le lecteur accepte de passer du papier à l’écran. Pour autant, force est de constater que cet écosystème ne diffère pas significativement de celui du livre imprimé : le livre numérique reste un objet vendu à une personne et sa lecture reste tributaire des silos techniques qui existent encore (sans lien possible entre un Kobo et un Kindle, par exemple). L’heure est donc venue de créer un écosystème totalement nouveau, sous la forme d’une plateforme universelle. Enfin, concernant la prescription par les sites de vente de livres en ligne, il ne s’agit pas tant d’améliorer les algorithmes de recommandation que, là encore, de favoriser la mise en place d’un écosystème auteurs/lecteurs en constituant un catalogue ouvert et agrégé dans lequel tout un chacun pourrait devenir libraire, organiser sa propre librairie et s’entourer d’un groupe de lecteurs qui lui ferait confiance. Et pour cause, la capacité de recommandation d’un être humain est significativement plus puissante que celle d’un algorithme. Syndicat national de l’édition 12 novembre 2014 2 La lecture sociale, une valeur ajoutée par la lecture numérique ? Table ronde animée par Laure Darcos, Directrice des relations institutionnelles du groupe Hachette Livre, avec : Camille Mofidi, European Manager chez Kobo Writing Life Guillaume Teisseire, Co-fondateur de Babelio Retour d’expérience sur la lecture sociale chez Kobo Si la lecture sociale existait déjà à l’ère du papier, avec notamment les clubs de lecture, le numérique lui permet de revêtir des formes diverses et de pénétrer des cercles variés. Camille Mofidi présente plusieurs expérimentations de partage de lecture sur l’e-book ou sur des plateformes. K obo R eading Life Cette fonctionnalité permet au lecteur sur Kobo qui le souhaite de partager des données sur ses activités de lecture : nombre de livres lus, nombre d’heures de lecture, pourcentage de la bibliothèque déjà lue, pourcentage du temps estimé de lecture des livres en cours, progression dans le livre en cours, nombre de pages lues par minute, etc. Ce tableau de bord est complété par des récompenses (« j’aime ma bibliothèque », « lecteur nocturne ») participant du caractère ludique de la lecture numérique. En outre, le lecteur peut choisir de partager ses lectures en cours sur les réseaux sociaux, mais également ses annotations et commentaires. Et ce, soit avec son entourage, soit au sein de la communauté Kobo Reading Life. En l’occurrence, les lecteurs Kobo sont davantage enclins à partager sur la fiction, et plus encore la littérature de genre. S’agissant des livres à thèses, ils partagent plutôt au sein de leur cercle premier que sur des réseaux ouverts à tous. Pour le moment, cet outil est principalement utilisé dans le monde anglo-saxon. W hat P ad Cette communauté en ligne d’auteurs et de lecteurs compte plus de 20 millions de membres à travers le monde. Les auteurs choisissent de partager leur manuscrit soit dans son intégralité, soit chapitre par chapitre. Ils peuvent voir combien de personnes l’ont lu, commenté et discuté, mais également répondre aux commentaires ou aux éventuelles questions des lecteurs. Initialement, cette communauté était principalement constituée d’une population adolescente. Mais de plus en plus d’auteurs confirmés la rejoignent, pour s’aventurer vers de nouveaux types d’écrits par exemple. Des pages dédiées ont été créées sur le site Kobo, pour favoriser les synergies et mettre le travail effectué sur What Pad à disposition des lecteurs. Certains des manuscrits passés par What Pad aboutissent à un objet livre, publié soit par un auteur indépendant sur Kobo Writing Life, soit par un éditeur. Retour d’expérience d’un réseau de lecture sociale Au sein de Babelio, qui est en croissance constante, deux communautés se distinguent : - les 170 000 abonnés, qui sont de très grands lecteurs ; - les visiteurs, qui profitent des informations produites par les abonnés, hiérarchisées et mises en forme. Syndicat national de l’édition 12 novembre 2014 3 Les contributions sociales Guillaume Teisseire observe que la contribution sociale qui intéresse le plus les éditeurs est la critique de livres. Par ailleurs, plus on s’éloigne de la fiction, plus les contributions s’amenuisent. Concernant les ouvrages les plus pointus, elles perdent leur forme de conversation et seuls les « experts » se prononcent. Chaque membre Babelio est invité à cataloguer sa bibliothèque afin que Babelio dispose d’une carte d’identité extrêmement précise de ses lecteurs. Cela permet de confier, dans le cadre de partenariats avec les éditeurs, le bon livre au bon lecteur, qui s’engage en échange à rédiger une chronique. La typologie des contributions sociales et des méthodes est très variée. Il est ainsi possible de distinguer : - les contributions autour du livre, avec des critiques, des citations, des notes, des mots-clés ; - les contributions au sein du livre, avec annotations, des discussions sur une phrase ou un paragraphe, des traces passives de lecture (arrêt, saut de page, temps de lecture) ou des surlignages d’extrait. Certaines ont une grammaire très structurée, avec des notes, du surlignage et traces de lecture. Il est alors aisé de les agréger, mais l’information qu’elles portent est extrêmement pauvre. D’autres contributions ont une grammaire ouverte, avec des critiques et des annotations. Il est difficile de les agréger, mais l’information ainsi produite est plus riche. Il convient également de distinguer les contributions à usage personnel, dont la valeur vient de l’agrégation, des contributions à usage d’expression avec une valeur davantage unitaire. Pour Babelio, le défi du traitement des contributions autour du livre consiste à créer, à partir d’informations personnelles, une valeur collective pour les autres lecteurs. Il requiert un important travail de restructuration, d’association des synonymes en un seul et même motclé, mais aussi de catégorisation. Les notes, par exemple, n’ont de véritable valeur ajoutée que lorsqu’elles sont accolées à une critique. Au total, l’objectif est de re-fabriquer une information utile sur le livre. La prescription La prescription constitue l’enjeu central de la promesse faite au lecteur : lui faire découvrir sa prochaine lecture. Il s’agit donc de mieux s’appuyer sur les communautés d’experts au sein du site et de les mettre en relation avec les lecteurs. Il s’agit, par exemple, d’interroger les 300 plus grands lecteurs de littérature espagnole. Aujourd’hui, ces initiatives naissent le plus souvent spontanément. A terme, Babelio entend mettre des outils formalisés à disposition de ses membres. Dans le cas précis de ses liens étroits avec les bibliothèques municipales, Babelio vise à susciter des critiques sur de très nombreux livres plutôt que de mettre en avant les 10 livres les plus lus. Au total, les nouveaux acteurs du numérique sont là pour travailler avec ceux de la chaîne du livre, pour aller plus loin encore dans les manières d’interagir avec le lecteur. Syndicat national de l’édition 12 novembre 2014 4