positions sur la valeur de l`art ICH

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positions sur la valeur de l`art ICH
positions sur la valeur de l’art
ICH-STRATEGIEN
L’AUTOPORTRAIT
LA SUISSE – UN PARADIS POUR LES COLLECTIONNEURS ?
Kuno Fischer
En 1671, à Bâle, le cabinet d’art de la
famille bourgeoise Amerbach, dont
l’inventaire était constitué pour
l’essentiel d’une collection de
monnaies, de peintures de Holbein et
des œuvres posthumes d’Erasme de
Rotterdam, devint une collection
accessible au public.1 Au cours des
300 ans qui ont suivi, une activité de
collectionneurs vaste et intense s’est
développée en Suisse, marquée par la
passion de l’expression artistique et
par un fort engagement pour l’art et
pour les artistes. Cette activité était
portée par des personnalités hors du
commun qui recherchaient souvent
le contact direct avec l’artiste et son
œuvre, prenaient des risques,
collectionnaient avec sagacité et
endurance,
et
qui
rendaient
généralement (tôt ou tard) leur
collection accessible au public.
C’est avant tout à ces collectionneurs, à
leurs personnalités
et à leur
engagement que la Suisse doit de
disposer aujourd’hui d’autant de
collections d’art connues – privées ou
publiques. En second lieu, il y a bien
sûr des conditions-cadre favorables:
par exemple un marché de l’art actif,
ouvert
sur
l’international,
une
multiplicité de musées attrayants, une
législation relativement libérale dans
divers domaines, un niveau de vie
dépassant la moyenne; il y a la place
financière internationale, le multilinguisme et les réseaux culturels qu’il
tisse, la stabilité politique et la sécurité
juridique.
Dans
une
tradition
démocratique, quelques collectionneurs
ont mis leur intelligence et leur sens
des responsabilités au service de ces
bonnes conditions-cadre, en sachant
qu’elles allaient elles-mêmes favoriser
les arts et leur transmission et susciter
pour les arts l’intérêt et l’enthousiasme
d’autres gens.
Personnalités de collectionneurs
suisses et collections d’entreprises
En jetant un regard à la liste des
principaux collectionneurs d’art suisses
du XXème siècle, on voit que derrière la
plupart des collections, il y a une
personnalité marquante.2
Les collectionneurs suisses du
XIXème siècle étaient surtout des
commerçants, des fabricants, des
juristes ou des médecins, donc des
membres d’une bourgeoisie aisée et
cultivée, et non pas comme dans le
reste de l’Europe des maisons de la
noblesse, dépositaires d’un art de cour
rassemblé au fil des générations. Ils
disposaient de vastes connaissances
culturelles et puisaient dans différentes
catégories
d’objets
ce
qu’ils
considéraient comme digne d’être
exposé.
Le type du collectionneur moderne,
par contre, s’est développé à partir de
1910 environ, parallèlement au
commerce moderne de l’art.3 A cette
époque, l’intérêt des collectionneurs,
principalement
de
ceux
de
Winterthour, se porte surtout sur des
œuvres de l’avant-garde française,
notamment
des
impressionnistes
français. C’est d’alors que datent les
collections d’art et les groupes célèbres
d’Arthur et Hedy Hahnloser, de
Richard Bühler, Sidney Brown, Georg
et Oskar Reinhart, Josef Müller, Rudolf
Staechelin, Jakob Briner, d’Emil
Bührle, Oscar Miller, Karl et Jürg Im
Obersteg, Othmar Huber, de René et
Madeleine Junod, d’Hermann Rupf,
Raoul La Roche, Hélène de Mandrot,
Arthur Stoll, Eduard Sturzenegger,
Robert von Hirsch, Ernst KoflerTruniger, Martin Bodmer et du baron
Hans Heinrich Thyssen.
Au centre de l’Europe et entourée
de puissances adverses, la Suisse
neutre sera dans une large mesure
épargnée par la Seconde Guerre
mondiale. Etant donné la sécurité
relative qui y règne, elle sert de terre
d’asile aussi bien politique que fiscal à
des collectionneurs de toute l’Europe,
et plus particulièrement d’Allemagne.
La discrétion observée par les
galeristes, les négociants d’art et les
organisateurs de ventes aux enchères,
de même que le secret bancaire,
bloquent de surcroît l’accès illégitime
aux biens des personnes en fuite. La
Suisse devient l’un des refuges
possibles
pour
d’importantes
collections d’art, ce qui contribuera à
préserver les objets eux-mêmes de la
destruction. Les musées suisses, par
exemple, offrent aux collectionneurs la
possibilité de transférer les objets d’art
au moyen d’un passavant, en tant
qu’objets prêtés au musée. Cela permet
alors d’éviter non seulement les droits
de douanes à l’importation, mais aussi
les redevances d’émigrants et d’autres
taxes. On connaît même des cas où des
cantons ont renoncé à plus de 90 % de
l’impôt sur la fortune pour décharger
financièrement les collectionneurs en
fuite. Parfois, les collectionneurs
vendent leurs collection de gré à gré ou
aux enchères; dans la Suisse neutre,
contrairement à l’Allemagne, c’est sans
doute par la voie des enchères que l’on
obtenait les prix les plus proches des
prix du marché. Il n’est pas rare que le
commissaire-priseur suisse accorde aux
vendeurs en fuite des avances sur la
vente aux enchères ainsi qu’un
entreposage gratuit des objets, et qu’il
négocie avec l’Office suisse de
compensation pour que le produit de la
vente puisse être payé en devises libres
et ne parte pas pour l’Allemagne nazie
par voie de clearing.4
Pour la période de l’après-guerre et
jusqu’à nos jours, on peut citer les
collectionneurs suivants: Editha et Fritz
Kamm, Georges Bloch, Angela
Rosengart, Ernst Beyeler, Richard et
Ulla Dreyfus-Best, Werner et Gabrielle
Merzbacher, Esther Grether, Jean
Bonna, Peter Herzog, Gerhard Saner,
Theo Hotz, Christoph Blocher, Uli
Sigg, Bruno Bischofberger, Jean
Krugier, Alexander Schmidheiny,
Friedrich Christian Flick, Peter
Bosshard, Eberhard W. Kornfeld,
Michael Ringier et Donald Hess.
Souvent,
ces
collections
sont
concentrées sur l’art de l’après-guerre
et l’art contemporain.
Même si une collection privée passe
par la suite dans celle d’un musée
public, l’histoire d’un objet reste
directement liée au collectionneur et
aux circonstances par lesquelles il est
parvenu dans sa collection. Dans les
collections d’entreprises également, on
discerne très bien, dans de nombreux
cas, qui a été la personne déterminante
pour le choix des œuvres. Les
entreprises mécènes donnent pour
principal motif de leurs activités
culturelles la responsabilité sociale:
naturellement, ces activités doivent
indirectement profiter à l’entreprise au
sens d’un avantage concurrentiel, sous
forme d’image positive et emblématique de sa bienveillance sociale.
Selon un sondage, il est frappant que le
motif de l’amour de l’art soit nettement
plus souvent évoqué en Suisse qu’en
Allemagne et qu’en Autriche.5
Les musées
En comparaison internationale, la
Suisse est en tête en ce qui concerne la
densité de ses musées: il en existe
environ 1000. Trait caractéristique par
rapport aux pays voisins, la Suisse n’a
pas de centre proprement dit absorbant
une partie importante des visites de
musées. La répartition géographique
des visiteurs montre un éclatement qui
s’explique, entre autres, par la politique
fédéraliste en matière de musées. Les
musées suisses sont également en tête
en ce qui concerne le nombre de visites
par habitant.6 Il est frappant de
constater qu’en Suisse, les personnes
qui s’intéressent à la culture se rendent
quatre fois plus au musée qu’en
France, par exemple.7 Tout cela
explique sans doute en partie pourquoi
de nombreuses personnes en Suisse
adoptent une attitude active vis-à-vis
de l’art et essaient d’en faire des
collections.
La Suisse, place du marché de l’art
international
Pendant des années, la place suisse du
commerce de l’art s’est classée au
cinquième rang par son volume de
transactions, derrière les Etats-Unis, la
Grande-Bretagne,
la
France
et
l’Allemagne. Cette situation a changé
dans un passé récent: la principale
nation émergente en matière d’art est la
Chine, qui en 2006 a délogé la Suisse
de la cinquième place et qui détient une
part de marché de 5 % sur le marché
international de l’art. Mais la Russie et
l’Inde également se sont fortement
développées ces dernières années.8
Cette position internationale forte
de la Suisse est essentiellement due à
sa situation géographique centrale, à
son multilinguisme, à sa neutralité, à sa
stabilité politique, à son cadre politique
et réglementaire, à sa sécurité
juridique9 ainsi qu’à l’engagement de
ses galeries, de ses négociants d’art, de
ses maisons de ventes aux enchères
d’art et de ses organisateurs
d’expositions. La manifestation «Art
Basel», en particulier, tête de liste des
expositions
d’art
moderne
et
contemporain dans le monde, attire
chaque année en juin plus de 60 000
amateurs d’art à Bâle.10 Outre cet
aspect commercial, les acteurs du
marché tout comme les collectionneurs
privés fournissent certainement la
contribution la plus élevée à la
promotion de la culture dans le
domaine des arts plastiques. Une
caractéristique de cette promotion
culturelle est qu’elle provient de
l’économie privée et des entreprises, de
manière décentralisée et non monopolistique, sans argent des impôts et aux
propres risques des intervenants.
Il s’y ajoute la discrétion que la
Suisse privilégie non seulement sur ses
marchés financiers, mais aussi sur son
marché de l’art, au titre de protection
de la sphère privée du client. Les
collections d’art font particulièrement
partie de la sphère privée; souvent,
elles reflètent le client avec ses intérêts
et ses souhaits les plus intimes, raison
pour laquelle une protection bien
comprise de la sphère privée reste
légitime aujourd’hui comme hier et
doit être respectée.11 Il s’y ajoute
l’intérêt économique du professionnel
présent sur le marché à éviter de
divulguer les noms et les domaines de
collection de ses clients.
Conditions-cadre juridiques
Sur le plan national comme
international, la démocratie semidirecte, l’Etat de droit ainsi que les
droits fondamentaux (notamment la
liberté économique et la liberté de la
propriété)12 qui règnent en Suisse sont
considérés comme très développés et
bien appliqués dans la pratique. Joints
à un degré élevé de stabilité politique
et de sécurité juridique,13 ils ont été et
restent très importants pour les acteurs
du marché de l’art et pour les
collectionneurs d’art. En outre, la
Suisse dispose de conditions-cadre
relativement libérales. Nous allons en
évoquer certains aspects.
Absence de droit de suite
Dans le domaine des arts plastiques
modernes et contemporains, la
Directive européenne relative au droit
de suite mentionne un droit «à
percevoir un pourcentage sur le prix
obtenu pour toute revente [de l’œuvre]
après la première cession opérée par
l’auteur».14 Seules sont ici concernées
les reventes dans lesquelles intervient
«un professionnel du marché de l’art».
Le droit visé est à la charge du
vendeur. L’éventualité d’une perte du
vendeur est sans effet, car le prix de
vente est la seule base pertinente pour
calculer le droit. Le bénéficiaire du
droit est l’auteur lui-même, ou après sa
mort ses ayants cause, c’est-à-dire ses
héritiers. Le droit de suite n’est jamais
qu’un droit patrimonial (frugifère). Il
est défini comme un droit inaliénable,
auquel l’auteur ne peut pas renoncer,
même de façon anticipée. Cette
réglementation du droit de suite a pour
but de garantir aux auteurs d’œuvres
d’art plastique une participation
économique au succès de leurs œuvres.
Des études montrent nettement (a)
que le droit de suite ne sert pas les
intérêts des auteurs d’œuvres d’art
plastique, et (b) qu’il est peu efficace.15
Selon une opinion très répandue, le
droit de suite rapporte surtout aux
organismes d’exploitation et à leurs
collaborateurs.16 Même si, à première
vue, le droit de suite n’apporte que des
avantages (financiers) aux auteurs, on
comprend pourquoi de nombreux
artistes de renommée internationale,
comme
Georg
Baselitz,
Jörg
Immendorf,
Gotthard
Graubner,
Markus Lüpertz et David Hockney se
sont exprimés contre l’introduction du
droit de suite dans le cadre des efforts
d’harmonisation avec l’UE.17 De
même, à l’occasion de la première
révision de la Loi sur le droit d’auteur
en Suisse, des artistes de renom tels
que
Jean
Tinguely,
Bernhard
Luginbühl ou Niki de Saint-Phalle se
sont opposés au droit de suite.18
L’introduction du droit de suite en
Suisse avait déjà échoué en 1992,
quand une révision totale de la Loi sur
le droit d’auteur a été entreprise. C’est
notamment à cause des déclarations
très claires des artistes ainsi que des
bases statistiques – surtout celles
concernant l’introduction du droit de
suite en Grande-Bretagne19 – qu’en
2007 la Suisse s’est de nouveau
prononcée contre le droit de suite et
reste (avec, entre autres, les Etats-Unis)
une «zone libre» à cet égard.
Législation
en
matière
blanchiment d’argent
de
Comme
tout
un
chacun,
les
intervenants du marché de l’art et les
collectionneurs d’art sont soumis à
l’art. 305bis du Code pénal suisse (CP).
Cet article réprime les actes propres à
entraver l’identification de l’origine, la
découverte ou la confiscation de
valeurs patrimoniales lorsqu’ils sont
commis par une personne qui savait ou
devait présumer qu’elles provenaient
d’un crime (art. 305bis, al. 1 CP). Cet
article s’applique aussi lorsque
l’infraction principale a été commise à
l’étranger et qu’elle est également
punissable à l’endroit où elle a été
commise (art. 305bis, al. 3 CP). La
Suisse possède donc une disposition
efficace contre le blanchiment d’argent.
Les experts de la pratique
confirment que l’on ne connaît pas de
cas de blanchiment d’argent via le
marché de l’art; cela n’est pas dû à une
insuffisance dans le dispositif de
répression et dans son application, mais
au fait que le marché de l’art présente
des caractéristiques qui se prêtent mal à
ce genre de manipulations.20
Transfert
culturels
international
de
biens
La Suisse a ratifié la Convention de
1970 de l’UNESCO21 et l’a transposée
en droit suisse dans le cadre de la Loi
sur le transfert de biens culturels.22 Des
restrictions étrangères en matière
d’importations sont donc respectées
selon le droit suisse lorsqu’il s’agit
d’un «bien culturel d’une importance
significative pour le patrimoine culturel
de l’Etat concerné» et que ce
patrimoine est mentionné dans un traité
bilatéral correspondant.23 Cela permet,
au prix de quelques formalités, des
échanges
culturels
internationaux
bénéfiques et cela aide la Suisse à
mettre en pratique son ouverture sur le
monde.24 Ce système érigé selon le
modèle
américain
va
toutefois
clairement à l’encontre de dispositions
d’exportation trop protectionnistes et
donc
abusives
d’autres
Etats
(dispositions qui souvent ne sont pas
fondées sur des motifs de politique
culturelle). La Suisse dispose ainsi
d’une loi communautaire moderne
également en ce qui concerne les
devoirs de diligence des commerçants
et des organisateurs de ventes aux
enchères; cette loi implique certes des
complications administratives pour les
professionnels du marché, mais tient
largement compte des revendications
internationales
d’une
«norme
minimale» dans le domaine de la
protection des biens culturels.
Impôts et redevances
En comparaison internationale, les taux
des impôts suisses sont bas, en raison
notamment de notre démocratie semidirecte et du fédéralisme. Souvent, le
citoyen contribuable a le dernier mot en
matière d’impôts et de dépenses
financières ;
cela
garantit
une
imposition mesurée.
Lors de l’importation d’objets d’art,
il n’y a pas de droits de douane à payer,
mais uniquement la taxe sur la valeur
ajoutée, qui est actuellement de
7,6 %.25 Il en va différemment lorsque
l’objet est directement importé dans un
dépôt suisse «franc sous douane»26:
comme
pour
d’autres
biens,
l’importateur bénéficie alors du fait que
l’objet peut être directement entreposé
et protégé dans un dépôt franc
d’impôts, bien que sur un territoire
d’Etat suisse, et ne sera imposé qu’au
moment de la mise en circulation dans
le pays, donc de l’exportation officielle
en Suisse, au sens technique douanier,
depuis le dépôt franc sous douane.27 Il
en va de même quand un objet est
transporté depuis la libre pratique
intérieure dans un dépôt franc sous
douane et est alors placé sous le régime
de l’exportation au sens de la Loi sur
les douanes. Les ventes d’objets d’art
dans le dépôt franc lui-même sont
exonérées de la TVA. Les collectionneurs et les commerçants utilisent
particulièrement le dépôt franc sous
douane pour les objets coûteux, en
attendant que leur lieu de destination
définitive soit clair.
Le bénéfice de la vente privée
d’objets d’art est en principe un
bénéfice en capital exonéré d’impôts.28
A mon avis, il faut aussi considérer
comme
privée
la
«collection
dynamique», c’est-à-dire l’optimisation
constante d’une collection par des
ventes pour acquérir du capital pour de
nouveaux achats. Considérer cela
autrement reviendrait à ne pas respecter
la tendance du collectionneur, au fil des
années, à affiner son sens de la qualité
et à modifier peut-être son orientation.
Les choses sont différentes lorsque le
collectionneur est véritablement un
« négociant », c’est-à-dire qu’il exerce
le commerce en tant qu’activité
lucrative indépendante.29 Dans ce cas,
il peut cependant déduire ses pertes de
ses impôts. En revanche, il devra payer
à l’Etat la TVA s’il réalise plus de
100'000 francs suisses de chiffre
d’affaires
dans
son
activité
indépendante.
La fortune nette d’un collectionneur
d’art est soumise à l’impôt sur la
fortune. Si toutefois les objets d’art
peuvent être rattachés à son mobilier
personnel, ils ne sont pas concernés par
cet impôt. La pratique des cantons est
très diverse à ce sujet. Les critères sont,
par exemple: l’utilisation prévue à
l’origine, l’utilisation effective, le
rapport entre la valeur des objets d’art
et la fortune totale, le type
d’assurance.30
L’impôt sur les successions varie
fortement selon le canton où le défunt a
été domicilié en dernier. Certains
cantons ne prélèvent aucun impôt sur
les
successions,
d’autres
n’en
exonèrent que les descendants directs,
alors enfin que certains cantons
prélèvent des taxes successorales sans
tenir compte du degré de parenté.31
Les donations à des personnes
morales exonérées d’impôts en Suisse
peuvent être déduites, dans certaines
limites, du revenu ou du bénéfice net
soumis à l’impôt. Ceci est valable non
seulement pour les dons en espèces,
mais aussi pour les dons en nature,
donc les dons d’objets d’art, par
exemple à une fondation de droit suisse
exonérée d’impôts qui exploite un
musée. Pour l’impôt fédéral direct, le
montant de la déduction est limité à
20 % du revenu net ou du bénéfice
net.32
Législation en matière de fondations
Pour constituer une fondation, il faut
consacrer un bien à un but déterminé.
Le droit suisse offre une grande marge
de manœuvre à ce sujet.33 A certaines
conditions, la fondation peut être
exonérée d’impôts. Sur le plan fédéral,
c’est possible lorsque les conditions
suivantes sont remplies: service public
ou utilité publique, exclusivité de
l’affectation des fonds et irrévocabilité
de l’affectation aux seules utilisations
prévues.34
Les très nombreux musées, collections
d’art, les galeries, les négociants d’art
et les organisateurs de ventes aux
enchères ainsi qu’«Art Basel» forment
un environnement qui inspire et attire
d’autres collectionneurs d’art. Ce fait,
joint à la situation géographique
centrale, à la stabilité politique et à la
sécurité juridique du pays ainsi qu’à ses
conditions-cadre juridiques relativement libérales, font de la Suisse, dans
le contexte international, l’une des
places les plus attrayantes pour les
collectionneurs d’art. Ces éléments se
sont développés pendant de longues
années, et il est de la responsabilité des
citoyens, des milieux politiques, des
acteurs du marché et enfin des
collectionneurs, de les préserver et de
les améliorer. La situation des
collectionneurs d’art en Suisse étant le
résultat d’une série de décisions
raisonnées prises au fil de l’histoire, on
ne peut pas parler d’un «paradis» hérité
naturellement des dieux.
Kuno Fischer, docteur en droit
et avocat,
est
copropriétaire,
administrateur, commissaire-priseur et
directeur du département d’art moderne
et contemporain de la société Galerie
Fischer Auktionen AG à Lucerne. Il est
président du Verband Schweizer
Auktionatoren von Kunst- und
Kulturgut (Association des vendeurs
aux enchères de biens artistiques et
culturels), membre du comité de
l’association Schweizer Antiquare und
Kunsthändler (livres anciens et
négociants
d’art),
membre
de
l’Association du commerce d’art de la
Suisse ainsi que de la Confédération
internationale des Négociants en
Œuvres d’Art (CINOA).
Abstract: It is thanks to collectors’
personalities and their commitment to
art that Switzerland is an international
market place for art and the country
with the highest concentration of
museums. This strong international
position can largely be traced back to
the
country’s
regulatory-political
structure, multilingual character, and
its central geographic location, as well
as its being an international center of
finance. The author addresses the
country’s legal structures and tax laws
in particular. He explains in detail why
there is good reason that the
introduction of the “droit de suite” has
repeatedly failed in Switzerland.
1
Jürg Albrecht, «Die Kunst zu sammeln» –
Streiflichter und Schlagschatten, in: Institut
suisse pour l’étude de l’art (éd.), Die Kunst zu
sammeln, Schweizer Kunstsammlungen seit
1848, Zurich 1998, p. 30 sv.
2
Pour un récapitulatif, voir Institut suisse pour
l’étude de l’art (éd.), «Die Kunst zu sammeln»,
Zurich 1998.
3
Werner J. Schweiger, «Das Kunstinteresse zu
heben und auf bessere Wege zu leiten», Vom
modernen Kunsthandel in Zürich 1910-1938,
ibidem p. 57
4
Esther Tisa Francini, Anja Heuss, Georg
Kreis: «Fluchtgut – Raubgut» (Biens spoliés,
biens pillés), Commission Indépendante
d’Experts Suisse – Seconde Guerre Mondiale,
vol. 1, Zurich 2001, p. 25, 59, 156 sv., 165 à
167.
5
Heusser Hans-Jörg / Wittig Martin / Stahl
Barbara, in: Institut suisse pour l’étude de l’art
/ Roland Berger Strategy Consultant (éd.),
«Kulturengagement von Unternehmen –
integrierter Teil der Strategie ?», Munich 2004,
p. 8 sv., 24.
6
Kilian T. Elsasser, «Vielfältige, gut besuchte
Schweizer Museumslandschaft», in: Neue
Zürcher Zeitung N° 110 du 14 mai 2008, p. 17
(avec une référence aux statistiques établies par
l’Association des musées suisses).
7
Swissinfo du 12 mars 2004, avec référence à
l’étude d’Arlette Mottaz Baran, directrice de
l’Institut d’anthropologie et de sociologie de
l’Université de Lausanne; à consulter sous
www.swissinfo.ch/ger/kultur/index/Publikum_
zollt_Schweizer_Museen_grosses_Lob.html?ci
d=3812802.
8
The European Fine Art Foundation (éd.), The
International Art Market, Helvoirt 2008, p. 15,
50.
9
Sébastien Guex, «Le marché suisse de l’art:
un survol chiffré», in: Traverse, Revue
d’histoire, vol. 1, 2002, p. 45.
10
Cf. communiqué de presse d’Art Basel de
juin 2009.
11
A la différence du secret bancaire (cf. art. 47
de la Loi fédérale sur les banques et les caisses
d’épargne [Loi sur les banques, LB], RS
952.0), la discrétion sur le marché de l’art n’a
pas de base légale spécifique. Il s’agit plutôt du
droit de la personnalité du client, ainsi que
d’un éventuel devoir de discrétion qui découle
de la relation contractuelle entre le
professionnel du marché et le client. La Loi
fédérale sur la protection des données (LPD)
du 19 juin 1992 (RS 235.1) est en outre
applicable à titre général; elle ne l’est pas en
revanche pour les procédures pendantes civiles,
pénales, d’entraide judiciaire internationale
ainsi que de droit public et de droit administratif, à l’exception des procédures de première
instance (art. 2, al. 2 let. c LPD).
12
Ces droits fondamentaux sont d’une
importance essentielle pour le collectionneur
d’art. En Union soviétique, par exemple, la
possession privée d’œuvres d’art tout comme
le commerce d’objets d’art ont été interdits par
décret tout de suite après la Révolution
d’octobre. Il n’était pas rare que des
collectionneurs soient «menacés d’attaques de
la milice ou des services secrets» (Waltraud
Bayer, «Gerettete Kultur. Private
Kunstsammler in der Sovjetunion 1917-1991»,
Vienne 2006, p. 15.
13
Cf. Markus T. Schweizer / Dominik Nuergy,
in: Ernst & Young Ltd. (éd.), Switzerland
2009, Switzerland and Europe in the eyes of
international managers, Zurich 2009, p. 19.
14
Directive 2001/84/CE du Parlement
européen et du Conseil, du 27 septembre 2001,
relative au droit de suite au profit de l’auteur
d’une œuvre originale (Directive sur le droit de
suite), JO 2001 L 272/32.
15
Cf. Kuno Fischer, «Schweiz ohne Folgerecht
(droit de suite), Korreferat aus der Praxis», in
KUR N° 3/4, 2008, p. 69 sv. (avec renvois);
Dieter Schmidtchen / Roland Kirstein, «Die
EU Richtlinie zum Folgerecht, Eine
ökonomische Gesetzesfolgeanalyse», 2001,
consultable sous www.unisaarland.de/fak1/fr12/csle/publications/200105_folge.PDF; Antiques Trade Gazette du 14
mars 2008, consultable sous
www.antiquestradegazette.com/news/6591.aspx.
16
Cf. Arnulf Rainer, «Allgemeine
Stellungnahme zum Folgerecht für bildende
Künstler», v. également Alexander Jolles, «Der
Kunstmarkt im Wettbewerb mit der EU», in:
Neue Zürcher Zeitung N° 191, 19/20 août
2006, p. 17.
17
Dans la déclaration «Künstler gegen
Folgerecht», les artistes suivants ont manifesté
leur refus du droit de suite: Eduard Angeli,
Christian Ludwig Attersee, Franz Blaas, Hans
Bischoffshausen / succession, Eva Bodnar,
Erwin Bohatsch, Arik Brauer, Günter Brus,
Gunter Damisch, Georg Eisler / succession,
Adolf Frohner, Julie Hayward, Herbert
Hinteregger, Hans Hollein, Alfred Hrdlicka,
Friedensreich Hundertwasser, Gudrun Kampl,
Franco Kappl, Herwid Kempinger, Peter
Kogler, Hans Kupelwieser, Elke Krystufek,
Maria Lassnig, Markus Muntean, Ines
Lombardi, Jürgen Messensee, Rudi Molacek,
Nicolaus Moser, Walter Oberholzer, Gustav
Peichl, Walter Pichler, Markus Prachensky,
Arnulf Rainer, Thomas Reinhold, Franz
Ringel, Gerwald Rockenschaub, Franz Rosei,
Adi Rosenblum, Hubert Scheibl, Alfons
Schilling, Eva Schlegel, Rudolf Schönwald,
Peter Sengl, Michaela Spiegel, Rudi Stanzel,
Hans Staudacher, Johann Julian Taupe, Peter
Weibel, Rainer Wölzl, Johannes Zechner,
Robert Zeppel-Sperl, Heimo Zoberling, Karel
Appel, Georg Baselitz, Jan Dibbets, Gotthard
Graubner, Jörg Immendorff, Per Kirkeby,
Markus Lüpertz, Sigmar Polke, Madeleine
Strobel, Jos van Vreeswijk, Craigie Aitchison,
Susannah Fiennes, Anthony Green RA, Phillip
King, Emma Sergeant, William Tillyer, Marc
Vaux, Glynn Williams, Anthony Caro, Paola
Piva, Martin Praska, Sebastian Weissenbacher,
David Hockney.
18
L’Association du commerce d’art de la
Suisse a reçu des déclarations des artistes
suivants concernant le refus du droit de suite:
Georg Baselitz, Jean Tinguely, Bernhard
Luginbühl, Guliano Pedretti, Hansjürg
Brunner, Samuel Buri, Peter Stein, Jean-Pierre
Stauffer, Jeanne Chinet, Pascal Besson,
Germaine Hermenjat, Gérald Goy, Charles
Monnier, Manuel Müller, Guy-François
Taverney, Franca Varlin Guggenheim, Georg
Peter Luck, Josef Ebnöther, Carl Liner, Hans
Weidmann, Lenz Klotz, YOKI, Serge
Brignoni, Sam Francis, Per Kirkeby. Markus
Lüpertz, A. R. Penck.
19
Cf. Antiques Trade Gazette du 14 mars
2008, consultable sous
www.antiquestradegazette.com/news/6591.aspx.
20
Le volume et la fréquence des transactions
(liquidité) du marché de l’art sont trop faibles.
La transparence dans les ventes d’art aux
enchères est trop grande. Dans presque tous les
pays, il existe des dispositions douanières
particulières pour l’art: l’œuvre d’art est
enregistrée, tout comme les coordonnées de
l’expéditeur et du destinataire. En vertu de la
LTBC et de la LTVA, les commerçants ont
l’obligation d’enregistrer le vendeur et
l’acheteur (et de conserver pendant
respectivement dix et trente ans les documents
justificatifs). Le calcul de la TVA est contrôlé
par des réviseurs de l’Administration; ceux-ci
signalent les indices de blanchiment à l’autorité
de poursuite pénale. L’art lui-même doit être
transporté, entreposé et assuré dans les règles.
Toutes ces raisons et d’autres encore sont peu
favorables à un blanchiment d’argent dans le
commerce d’art.
21
Convention du 14 novembre 1970
concernant les mesures à prendre pour interdire
et empêcher l’importation, l’exportation et le
transfert de propriété illicites de biens culturels
(RS 0.444.1). Cette convention a été ratifiée
par le Conseil fédéral le 3 octobre 2003.
22
Loi fédérale sur le transfert international des
biens culturels (Loi sur le transfert des biens
culturels, LTBC) du 20 juin 2003 (RS 444.1)
23
Art. 9 en combinaison avec l’art. 7 LTBC.
La lecture des accords bilatéraux déjà entrés en
vigueur montre toutefois clairement que la
notion de «bien culturel d’importance
significative» a été interprétée par les autorités
suisses d’une manière beaucoup trop large, qui
va à l’encontre des principes de la Loi sur le
transfert des biens culturels.
24
Il est reconnu en particulier que l’échange de
biens culturels entre nations à des fins
scientifiques, culturelles et éducatives
approfondit la connaissances de la civilisation
humaine, enrichit la vie culturelle de tous les
peuples et fait naître le respect et l’estime
mutuels entre les nations (considérants
introductifs, Convention UNESCO de 1970).
25
En comparaison internationale, le taux de la
TVA suisse est bas, malgré le fait que de
nombreux pays d’Europe prévoient des taux de
TVA spéciaux pour les arts. Si l’artiste importe
lui-même ses objets, il n’a aucune TVA à
payer sur les importations. On peut décrire la
situation dans l’UE ainsi en ce qui concerne le
traitement de la TVA: «Ce qui était censé
devenir une région de libre-échange pour
certaines des nations les plus prospères du
monde est aujourd’hui considéré par nombre
de commerçants d’art et d’antiquité comme
une bureaucratie restrictive, bornée, qui
multiplie les procédures compliquées et les
réglementations fiscales opaques, et fait du
parcours aboutissant à la vente un cauchemar»
(The European Fine Art Foundation (éd.),
«VAT and the European Art Market, A
Study», Helvoirt 2003, p. 9) (traduction libre).
26
Art. 23, al. 2 ch. 3 LTVA. Cette exception
existe également lorsqu’il s’agit d’objets qui
ont déjà été exportés, si un objet est entreposé
depuis l’intérieur du pays dans un dépôt franc
sous douane.
27
Art. 1, al. 2 let. c LTVA.
28
Alexander Jolles / Madeleine Simonek /
Patrick Waldburger, «Kunst und Steuern», in:
Axa Art Versicherungen AG (éd.), Kunst &
Recht, Zurich/Bâle 2007, p. 80.
29
«Il y a activité lucrative indépendante
lorsqu’une personne participe à la vie
économique en investissant du travail et du
capital dans une organisation librement choisie,
à ses propres risques, de manière durable,
planifiée et manifestement destinée à réaliser
un gain.» (ibid., traduction libre)
30
Ibid., p. 77.
31
Cf. Paolo Bernasconi / Alexander Jolles,
«Switzerland», in: The Art Newspaper N° 172
de septembre 2006, p. 18
32
Art. 33a de la Loi fédérale sur l’impôt
fédéral direct (LIFD), RS 642.11
33
Voir art. 80 ss CC; cf. Andreas Müller /
Franz-Josef Sladeczek, «Die Kunstsammlung
in der Nachlassplanung – eine
Herausforderung an den Treuhänder», in:
TREX Der Treuhandexperte, 2/2005, p. 107.
34
Art. 56 let. g de la Loi fédérale sur l’impôt
fédéral direct (LIFD), RS 642.11.

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