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positions sur la valeur de l’art ICH-STRATEGIEN L’AUTOPORTRAIT LA SUISSE – UN PARADIS POUR LES COLLECTIONNEURS ? Kuno Fischer En 1671, à Bâle, le cabinet d’art de la famille bourgeoise Amerbach, dont l’inventaire était constitué pour l’essentiel d’une collection de monnaies, de peintures de Holbein et des œuvres posthumes d’Erasme de Rotterdam, devint une collection accessible au public.1 Au cours des 300 ans qui ont suivi, une activité de collectionneurs vaste et intense s’est développée en Suisse, marquée par la passion de l’expression artistique et par un fort engagement pour l’art et pour les artistes. Cette activité était portée par des personnalités hors du commun qui recherchaient souvent le contact direct avec l’artiste et son œuvre, prenaient des risques, collectionnaient avec sagacité et endurance, et qui rendaient généralement (tôt ou tard) leur collection accessible au public. C’est avant tout à ces collectionneurs, à leurs personnalités et à leur engagement que la Suisse doit de disposer aujourd’hui d’autant de collections d’art connues – privées ou publiques. En second lieu, il y a bien sûr des conditions-cadre favorables: par exemple un marché de l’art actif, ouvert sur l’international, une multiplicité de musées attrayants, une législation relativement libérale dans divers domaines, un niveau de vie dépassant la moyenne; il y a la place financière internationale, le multilinguisme et les réseaux culturels qu’il tisse, la stabilité politique et la sécurité juridique. Dans une tradition démocratique, quelques collectionneurs ont mis leur intelligence et leur sens des responsabilités au service de ces bonnes conditions-cadre, en sachant qu’elles allaient elles-mêmes favoriser les arts et leur transmission et susciter pour les arts l’intérêt et l’enthousiasme d’autres gens. Personnalités de collectionneurs suisses et collections d’entreprises En jetant un regard à la liste des principaux collectionneurs d’art suisses du XXème siècle, on voit que derrière la plupart des collections, il y a une personnalité marquante.2 Les collectionneurs suisses du XIXème siècle étaient surtout des commerçants, des fabricants, des juristes ou des médecins, donc des membres d’une bourgeoisie aisée et cultivée, et non pas comme dans le reste de l’Europe des maisons de la noblesse, dépositaires d’un art de cour rassemblé au fil des générations. Ils disposaient de vastes connaissances culturelles et puisaient dans différentes catégories d’objets ce qu’ils considéraient comme digne d’être exposé. Le type du collectionneur moderne, par contre, s’est développé à partir de 1910 environ, parallèlement au commerce moderne de l’art.3 A cette époque, l’intérêt des collectionneurs, principalement de ceux de Winterthour, se porte surtout sur des œuvres de l’avant-garde française, notamment des impressionnistes français. C’est d’alors que datent les collections d’art et les groupes célèbres d’Arthur et Hedy Hahnloser, de Richard Bühler, Sidney Brown, Georg et Oskar Reinhart, Josef Müller, Rudolf Staechelin, Jakob Briner, d’Emil Bührle, Oscar Miller, Karl et Jürg Im Obersteg, Othmar Huber, de René et Madeleine Junod, d’Hermann Rupf, Raoul La Roche, Hélène de Mandrot, Arthur Stoll, Eduard Sturzenegger, Robert von Hirsch, Ernst KoflerTruniger, Martin Bodmer et du baron Hans Heinrich Thyssen. Au centre de l’Europe et entourée de puissances adverses, la Suisse neutre sera dans une large mesure épargnée par la Seconde Guerre mondiale. Etant donné la sécurité relative qui y règne, elle sert de terre d’asile aussi bien politique que fiscal à des collectionneurs de toute l’Europe, et plus particulièrement d’Allemagne. La discrétion observée par les galeristes, les négociants d’art et les organisateurs de ventes aux enchères, de même que le secret bancaire, bloquent de surcroît l’accès illégitime aux biens des personnes en fuite. La Suisse devient l’un des refuges possibles pour d’importantes collections d’art, ce qui contribuera à préserver les objets eux-mêmes de la destruction. Les musées suisses, par exemple, offrent aux collectionneurs la possibilité de transférer les objets d’art au moyen d’un passavant, en tant qu’objets prêtés au musée. Cela permet alors d’éviter non seulement les droits de douanes à l’importation, mais aussi les redevances d’émigrants et d’autres taxes. On connaît même des cas où des cantons ont renoncé à plus de 90 % de l’impôt sur la fortune pour décharger financièrement les collectionneurs en fuite. Parfois, les collectionneurs vendent leurs collection de gré à gré ou aux enchères; dans la Suisse neutre, contrairement à l’Allemagne, c’est sans doute par la voie des enchères que l’on obtenait les prix les plus proches des prix du marché. Il n’est pas rare que le commissaire-priseur suisse accorde aux vendeurs en fuite des avances sur la vente aux enchères ainsi qu’un entreposage gratuit des objets, et qu’il négocie avec l’Office suisse de compensation pour que le produit de la vente puisse être payé en devises libres et ne parte pas pour l’Allemagne nazie par voie de clearing.4 Pour la période de l’après-guerre et jusqu’à nos jours, on peut citer les collectionneurs suivants: Editha et Fritz Kamm, Georges Bloch, Angela Rosengart, Ernst Beyeler, Richard et Ulla Dreyfus-Best, Werner et Gabrielle Merzbacher, Esther Grether, Jean Bonna, Peter Herzog, Gerhard Saner, Theo Hotz, Christoph Blocher, Uli Sigg, Bruno Bischofberger, Jean Krugier, Alexander Schmidheiny, Friedrich Christian Flick, Peter Bosshard, Eberhard W. Kornfeld, Michael Ringier et Donald Hess. Souvent, ces collections sont concentrées sur l’art de l’après-guerre et l’art contemporain. Même si une collection privée passe par la suite dans celle d’un musée public, l’histoire d’un objet reste directement liée au collectionneur et aux circonstances par lesquelles il est parvenu dans sa collection. Dans les collections d’entreprises également, on discerne très bien, dans de nombreux cas, qui a été la personne déterminante pour le choix des œuvres. Les entreprises mécènes donnent pour principal motif de leurs activités culturelles la responsabilité sociale: naturellement, ces activités doivent indirectement profiter à l’entreprise au sens d’un avantage concurrentiel, sous forme d’image positive et emblématique de sa bienveillance sociale. Selon un sondage, il est frappant que le motif de l’amour de l’art soit nettement plus souvent évoqué en Suisse qu’en Allemagne et qu’en Autriche.5 Les musées En comparaison internationale, la Suisse est en tête en ce qui concerne la densité de ses musées: il en existe environ 1000. Trait caractéristique par rapport aux pays voisins, la Suisse n’a pas de centre proprement dit absorbant une partie importante des visites de musées. La répartition géographique des visiteurs montre un éclatement qui s’explique, entre autres, par la politique fédéraliste en matière de musées. Les musées suisses sont également en tête en ce qui concerne le nombre de visites par habitant.6 Il est frappant de constater qu’en Suisse, les personnes qui s’intéressent à la culture se rendent quatre fois plus au musée qu’en France, par exemple.7 Tout cela explique sans doute en partie pourquoi de nombreuses personnes en Suisse adoptent une attitude active vis-à-vis de l’art et essaient d’en faire des collections. La Suisse, place du marché de l’art international Pendant des années, la place suisse du commerce de l’art s’est classée au cinquième rang par son volume de transactions, derrière les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Cette situation a changé dans un passé récent: la principale nation émergente en matière d’art est la Chine, qui en 2006 a délogé la Suisse de la cinquième place et qui détient une part de marché de 5 % sur le marché international de l’art. Mais la Russie et l’Inde également se sont fortement développées ces dernières années.8 Cette position internationale forte de la Suisse est essentiellement due à sa situation géographique centrale, à son multilinguisme, à sa neutralité, à sa stabilité politique, à son cadre politique et réglementaire, à sa sécurité juridique9 ainsi qu’à l’engagement de ses galeries, de ses négociants d’art, de ses maisons de ventes aux enchères d’art et de ses organisateurs d’expositions. La manifestation «Art Basel», en particulier, tête de liste des expositions d’art moderne et contemporain dans le monde, attire chaque année en juin plus de 60 000 amateurs d’art à Bâle.10 Outre cet aspect commercial, les acteurs du marché tout comme les collectionneurs privés fournissent certainement la contribution la plus élevée à la promotion de la culture dans le domaine des arts plastiques. Une caractéristique de cette promotion culturelle est qu’elle provient de l’économie privée et des entreprises, de manière décentralisée et non monopolistique, sans argent des impôts et aux propres risques des intervenants. Il s’y ajoute la discrétion que la Suisse privilégie non seulement sur ses marchés financiers, mais aussi sur son marché de l’art, au titre de protection de la sphère privée du client. Les collections d’art font particulièrement partie de la sphère privée; souvent, elles reflètent le client avec ses intérêts et ses souhaits les plus intimes, raison pour laquelle une protection bien comprise de la sphère privée reste légitime aujourd’hui comme hier et doit être respectée.11 Il s’y ajoute l’intérêt économique du professionnel présent sur le marché à éviter de divulguer les noms et les domaines de collection de ses clients. Conditions-cadre juridiques Sur le plan national comme international, la démocratie semidirecte, l’Etat de droit ainsi que les droits fondamentaux (notamment la liberté économique et la liberté de la propriété)12 qui règnent en Suisse sont considérés comme très développés et bien appliqués dans la pratique. Joints à un degré élevé de stabilité politique et de sécurité juridique,13 ils ont été et restent très importants pour les acteurs du marché de l’art et pour les collectionneurs d’art. En outre, la Suisse dispose de conditions-cadre relativement libérales. Nous allons en évoquer certains aspects. Absence de droit de suite Dans le domaine des arts plastiques modernes et contemporains, la Directive européenne relative au droit de suite mentionne un droit «à percevoir un pourcentage sur le prix obtenu pour toute revente [de l’œuvre] après la première cession opérée par l’auteur».14 Seules sont ici concernées les reventes dans lesquelles intervient «un professionnel du marché de l’art». Le droit visé est à la charge du vendeur. L’éventualité d’une perte du vendeur est sans effet, car le prix de vente est la seule base pertinente pour calculer le droit. Le bénéficiaire du droit est l’auteur lui-même, ou après sa mort ses ayants cause, c’est-à-dire ses héritiers. Le droit de suite n’est jamais qu’un droit patrimonial (frugifère). Il est défini comme un droit inaliénable, auquel l’auteur ne peut pas renoncer, même de façon anticipée. Cette réglementation du droit de suite a pour but de garantir aux auteurs d’œuvres d’art plastique une participation économique au succès de leurs œuvres. Des études montrent nettement (a) que le droit de suite ne sert pas les intérêts des auteurs d’œuvres d’art plastique, et (b) qu’il est peu efficace.15 Selon une opinion très répandue, le droit de suite rapporte surtout aux organismes d’exploitation et à leurs collaborateurs.16 Même si, à première vue, le droit de suite n’apporte que des avantages (financiers) aux auteurs, on comprend pourquoi de nombreux artistes de renommée internationale, comme Georg Baselitz, Jörg Immendorf, Gotthard Graubner, Markus Lüpertz et David Hockney se sont exprimés contre l’introduction du droit de suite dans le cadre des efforts d’harmonisation avec l’UE.17 De même, à l’occasion de la première révision de la Loi sur le droit d’auteur en Suisse, des artistes de renom tels que Jean Tinguely, Bernhard Luginbühl ou Niki de Saint-Phalle se sont opposés au droit de suite.18 L’introduction du droit de suite en Suisse avait déjà échoué en 1992, quand une révision totale de la Loi sur le droit d’auteur a été entreprise. C’est notamment à cause des déclarations très claires des artistes ainsi que des bases statistiques – surtout celles concernant l’introduction du droit de suite en Grande-Bretagne19 – qu’en 2007 la Suisse s’est de nouveau prononcée contre le droit de suite et reste (avec, entre autres, les Etats-Unis) une «zone libre» à cet égard. Législation en matière blanchiment d’argent de Comme tout un chacun, les intervenants du marché de l’art et les collectionneurs d’art sont soumis à l’art. 305bis du Code pénal suisse (CP). Cet article réprime les actes propres à entraver l’identification de l’origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales lorsqu’ils sont commis par une personne qui savait ou devait présumer qu’elles provenaient d’un crime (art. 305bis, al. 1 CP). Cet article s’applique aussi lorsque l’infraction principale a été commise à l’étranger et qu’elle est également punissable à l’endroit où elle a été commise (art. 305bis, al. 3 CP). La Suisse possède donc une disposition efficace contre le blanchiment d’argent. Les experts de la pratique confirment que l’on ne connaît pas de cas de blanchiment d’argent via le marché de l’art; cela n’est pas dû à une insuffisance dans le dispositif de répression et dans son application, mais au fait que le marché de l’art présente des caractéristiques qui se prêtent mal à ce genre de manipulations.20 Transfert culturels international de biens La Suisse a ratifié la Convention de 1970 de l’UNESCO21 et l’a transposée en droit suisse dans le cadre de la Loi sur le transfert de biens culturels.22 Des restrictions étrangères en matière d’importations sont donc respectées selon le droit suisse lorsqu’il s’agit d’un «bien culturel d’une importance significative pour le patrimoine culturel de l’Etat concerné» et que ce patrimoine est mentionné dans un traité bilatéral correspondant.23 Cela permet, au prix de quelques formalités, des échanges culturels internationaux bénéfiques et cela aide la Suisse à mettre en pratique son ouverture sur le monde.24 Ce système érigé selon le modèle américain va toutefois clairement à l’encontre de dispositions d’exportation trop protectionnistes et donc abusives d’autres Etats (dispositions qui souvent ne sont pas fondées sur des motifs de politique culturelle). La Suisse dispose ainsi d’une loi communautaire moderne également en ce qui concerne les devoirs de diligence des commerçants et des organisateurs de ventes aux enchères; cette loi implique certes des complications administratives pour les professionnels du marché, mais tient largement compte des revendications internationales d’une «norme minimale» dans le domaine de la protection des biens culturels. Impôts et redevances En comparaison internationale, les taux des impôts suisses sont bas, en raison notamment de notre démocratie semidirecte et du fédéralisme. Souvent, le citoyen contribuable a le dernier mot en matière d’impôts et de dépenses financières ; cela garantit une imposition mesurée. Lors de l’importation d’objets d’art, il n’y a pas de droits de douane à payer, mais uniquement la taxe sur la valeur ajoutée, qui est actuellement de 7,6 %.25 Il en va différemment lorsque l’objet est directement importé dans un dépôt suisse «franc sous douane»26: comme pour d’autres biens, l’importateur bénéficie alors du fait que l’objet peut être directement entreposé et protégé dans un dépôt franc d’impôts, bien que sur un territoire d’Etat suisse, et ne sera imposé qu’au moment de la mise en circulation dans le pays, donc de l’exportation officielle en Suisse, au sens technique douanier, depuis le dépôt franc sous douane.27 Il en va de même quand un objet est transporté depuis la libre pratique intérieure dans un dépôt franc sous douane et est alors placé sous le régime de l’exportation au sens de la Loi sur les douanes. Les ventes d’objets d’art dans le dépôt franc lui-même sont exonérées de la TVA. Les collectionneurs et les commerçants utilisent particulièrement le dépôt franc sous douane pour les objets coûteux, en attendant que leur lieu de destination définitive soit clair. Le bénéfice de la vente privée d’objets d’art est en principe un bénéfice en capital exonéré d’impôts.28 A mon avis, il faut aussi considérer comme privée la «collection dynamique», c’est-à-dire l’optimisation constante d’une collection par des ventes pour acquérir du capital pour de nouveaux achats. Considérer cela autrement reviendrait à ne pas respecter la tendance du collectionneur, au fil des années, à affiner son sens de la qualité et à modifier peut-être son orientation. Les choses sont différentes lorsque le collectionneur est véritablement un « négociant », c’est-à-dire qu’il exerce le commerce en tant qu’activité lucrative indépendante.29 Dans ce cas, il peut cependant déduire ses pertes de ses impôts. En revanche, il devra payer à l’Etat la TVA s’il réalise plus de 100'000 francs suisses de chiffre d’affaires dans son activité indépendante. La fortune nette d’un collectionneur d’art est soumise à l’impôt sur la fortune. Si toutefois les objets d’art peuvent être rattachés à son mobilier personnel, ils ne sont pas concernés par cet impôt. La pratique des cantons est très diverse à ce sujet. Les critères sont, par exemple: l’utilisation prévue à l’origine, l’utilisation effective, le rapport entre la valeur des objets d’art et la fortune totale, le type d’assurance.30 L’impôt sur les successions varie fortement selon le canton où le défunt a été domicilié en dernier. Certains cantons ne prélèvent aucun impôt sur les successions, d’autres n’en exonèrent que les descendants directs, alors enfin que certains cantons prélèvent des taxes successorales sans tenir compte du degré de parenté.31 Les donations à des personnes morales exonérées d’impôts en Suisse peuvent être déduites, dans certaines limites, du revenu ou du bénéfice net soumis à l’impôt. Ceci est valable non seulement pour les dons en espèces, mais aussi pour les dons en nature, donc les dons d’objets d’art, par exemple à une fondation de droit suisse exonérée d’impôts qui exploite un musée. Pour l’impôt fédéral direct, le montant de la déduction est limité à 20 % du revenu net ou du bénéfice net.32 Législation en matière de fondations Pour constituer une fondation, il faut consacrer un bien à un but déterminé. Le droit suisse offre une grande marge de manœuvre à ce sujet.33 A certaines conditions, la fondation peut être exonérée d’impôts. Sur le plan fédéral, c’est possible lorsque les conditions suivantes sont remplies: service public ou utilité publique, exclusivité de l’affectation des fonds et irrévocabilité de l’affectation aux seules utilisations prévues.34 Les très nombreux musées, collections d’art, les galeries, les négociants d’art et les organisateurs de ventes aux enchères ainsi qu’«Art Basel» forment un environnement qui inspire et attire d’autres collectionneurs d’art. Ce fait, joint à la situation géographique centrale, à la stabilité politique et à la sécurité juridique du pays ainsi qu’à ses conditions-cadre juridiques relativement libérales, font de la Suisse, dans le contexte international, l’une des places les plus attrayantes pour les collectionneurs d’art. Ces éléments se sont développés pendant de longues années, et il est de la responsabilité des citoyens, des milieux politiques, des acteurs du marché et enfin des collectionneurs, de les préserver et de les améliorer. La situation des collectionneurs d’art en Suisse étant le résultat d’une série de décisions raisonnées prises au fil de l’histoire, on ne peut pas parler d’un «paradis» hérité naturellement des dieux. Kuno Fischer, docteur en droit et avocat, est copropriétaire, administrateur, commissaire-priseur et directeur du département d’art moderne et contemporain de la société Galerie Fischer Auktionen AG à Lucerne. Il est président du Verband Schweizer Auktionatoren von Kunst- und Kulturgut (Association des vendeurs aux enchères de biens artistiques et culturels), membre du comité de l’association Schweizer Antiquare und Kunsthändler (livres anciens et négociants d’art), membre de l’Association du commerce d’art de la Suisse ainsi que de la Confédération internationale des Négociants en Œuvres d’Art (CINOA). Abstract: It is thanks to collectors’ personalities and their commitment to art that Switzerland is an international market place for art and the country with the highest concentration of museums. This strong international position can largely be traced back to the country’s regulatory-political structure, multilingual character, and its central geographic location, as well as its being an international center of finance. The author addresses the country’s legal structures and tax laws in particular. He explains in detail why there is good reason that the introduction of the “droit de suite” has repeatedly failed in Switzerland. 1 Jürg Albrecht, «Die Kunst zu sammeln» – Streiflichter und Schlagschatten, in: Institut suisse pour l’étude de l’art (éd.), Die Kunst zu sammeln, Schweizer Kunstsammlungen seit 1848, Zurich 1998, p. 30 sv. 2 Pour un récapitulatif, voir Institut suisse pour l’étude de l’art (éd.), «Die Kunst zu sammeln», Zurich 1998. 3 Werner J. Schweiger, «Das Kunstinteresse zu heben und auf bessere Wege zu leiten», Vom modernen Kunsthandel in Zürich 1910-1938, ibidem p. 57 4 Esther Tisa Francini, Anja Heuss, Georg Kreis: «Fluchtgut – Raubgut» (Biens spoliés, biens pillés), Commission Indépendante d’Experts Suisse – Seconde Guerre Mondiale, vol. 1, Zurich 2001, p. 25, 59, 156 sv., 165 à 167. 5 Heusser Hans-Jörg / Wittig Martin / Stahl Barbara, in: Institut suisse pour l’étude de l’art / Roland Berger Strategy Consultant (éd.), «Kulturengagement von Unternehmen – integrierter Teil der Strategie ?», Munich 2004, p. 8 sv., 24. 6 Kilian T. Elsasser, «Vielfältige, gut besuchte Schweizer Museumslandschaft», in: Neue Zürcher Zeitung N° 110 du 14 mai 2008, p. 17 (avec une référence aux statistiques établies par l’Association des musées suisses). 7 Swissinfo du 12 mars 2004, avec référence à l’étude d’Arlette Mottaz Baran, directrice de l’Institut d’anthropologie et de sociologie de l’Université de Lausanne; à consulter sous www.swissinfo.ch/ger/kultur/index/Publikum_ zollt_Schweizer_Museen_grosses_Lob.html?ci d=3812802. 8 The European Fine Art Foundation (éd.), The International Art Market, Helvoirt 2008, p. 15, 50. 9 Sébastien Guex, «Le marché suisse de l’art: un survol chiffré», in: Traverse, Revue d’histoire, vol. 1, 2002, p. 45. 10 Cf. communiqué de presse d’Art Basel de juin 2009. 11 A la différence du secret bancaire (cf. art. 47 de la Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne [Loi sur les banques, LB], RS 952.0), la discrétion sur le marché de l’art n’a pas de base légale spécifique. Il s’agit plutôt du droit de la personnalité du client, ainsi que d’un éventuel devoir de discrétion qui découle de la relation contractuelle entre le professionnel du marché et le client. La Loi fédérale sur la protection des données (LPD) du 19 juin 1992 (RS 235.1) est en outre applicable à titre général; elle ne l’est pas en revanche pour les procédures pendantes civiles, pénales, d’entraide judiciaire internationale ainsi que de droit public et de droit administratif, à l’exception des procédures de première instance (art. 2, al. 2 let. c LPD). 12 Ces droits fondamentaux sont d’une importance essentielle pour le collectionneur d’art. En Union soviétique, par exemple, la possession privée d’œuvres d’art tout comme le commerce d’objets d’art ont été interdits par décret tout de suite après la Révolution d’octobre. Il n’était pas rare que des collectionneurs soient «menacés d’attaques de la milice ou des services secrets» (Waltraud Bayer, «Gerettete Kultur. Private Kunstsammler in der Sovjetunion 1917-1991», Vienne 2006, p. 15. 13 Cf. Markus T. Schweizer / Dominik Nuergy, in: Ernst & Young Ltd. (éd.), Switzerland 2009, Switzerland and Europe in the eyes of international managers, Zurich 2009, p. 19. 14 Directive 2001/84/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative au droit de suite au profit de l’auteur d’une œuvre originale (Directive sur le droit de suite), JO 2001 L 272/32. 15 Cf. Kuno Fischer, «Schweiz ohne Folgerecht (droit de suite), Korreferat aus der Praxis», in KUR N° 3/4, 2008, p. 69 sv. (avec renvois); Dieter Schmidtchen / Roland Kirstein, «Die EU Richtlinie zum Folgerecht, Eine ökonomische Gesetzesfolgeanalyse», 2001, consultable sous www.unisaarland.de/fak1/fr12/csle/publications/200105_folge.PDF; Antiques Trade Gazette du 14 mars 2008, consultable sous www.antiquestradegazette.com/news/6591.aspx. 16 Cf. Arnulf Rainer, «Allgemeine Stellungnahme zum Folgerecht für bildende Künstler», v. également Alexander Jolles, «Der Kunstmarkt im Wettbewerb mit der EU», in: Neue Zürcher Zeitung N° 191, 19/20 août 2006, p. 17. 17 Dans la déclaration «Künstler gegen Folgerecht», les artistes suivants ont manifesté leur refus du droit de suite: Eduard Angeli, Christian Ludwig Attersee, Franz Blaas, Hans Bischoffshausen / succession, Eva Bodnar, Erwin Bohatsch, Arik Brauer, Günter Brus, Gunter Damisch, Georg Eisler / succession, Adolf Frohner, Julie Hayward, Herbert Hinteregger, Hans Hollein, Alfred Hrdlicka, Friedensreich Hundertwasser, Gudrun Kampl, Franco Kappl, Herwid Kempinger, Peter Kogler, Hans Kupelwieser, Elke Krystufek, Maria Lassnig, Markus Muntean, Ines Lombardi, Jürgen Messensee, Rudi Molacek, Nicolaus Moser, Walter Oberholzer, Gustav Peichl, Walter Pichler, Markus Prachensky, Arnulf Rainer, Thomas Reinhold, Franz Ringel, Gerwald Rockenschaub, Franz Rosei, Adi Rosenblum, Hubert Scheibl, Alfons Schilling, Eva Schlegel, Rudolf Schönwald, Peter Sengl, Michaela Spiegel, Rudi Stanzel, Hans Staudacher, Johann Julian Taupe, Peter Weibel, Rainer Wölzl, Johannes Zechner, Robert Zeppel-Sperl, Heimo Zoberling, Karel Appel, Georg Baselitz, Jan Dibbets, Gotthard Graubner, Jörg Immendorff, Per Kirkeby, Markus Lüpertz, Sigmar Polke, Madeleine Strobel, Jos van Vreeswijk, Craigie Aitchison, Susannah Fiennes, Anthony Green RA, Phillip King, Emma Sergeant, William Tillyer, Marc Vaux, Glynn Williams, Anthony Caro, Paola Piva, Martin Praska, Sebastian Weissenbacher, David Hockney. 18 L’Association du commerce d’art de la Suisse a reçu des déclarations des artistes suivants concernant le refus du droit de suite: Georg Baselitz, Jean Tinguely, Bernhard Luginbühl, Guliano Pedretti, Hansjürg Brunner, Samuel Buri, Peter Stein, Jean-Pierre Stauffer, Jeanne Chinet, Pascal Besson, Germaine Hermenjat, Gérald Goy, Charles Monnier, Manuel Müller, Guy-François Taverney, Franca Varlin Guggenheim, Georg Peter Luck, Josef Ebnöther, Carl Liner, Hans Weidmann, Lenz Klotz, YOKI, Serge Brignoni, Sam Francis, Per Kirkeby. Markus Lüpertz, A. R. Penck. 19 Cf. Antiques Trade Gazette du 14 mars 2008, consultable sous www.antiquestradegazette.com/news/6591.aspx. 20 Le volume et la fréquence des transactions (liquidité) du marché de l’art sont trop faibles. La transparence dans les ventes d’art aux enchères est trop grande. Dans presque tous les pays, il existe des dispositions douanières particulières pour l’art: l’œuvre d’art est enregistrée, tout comme les coordonnées de l’expéditeur et du destinataire. En vertu de la LTBC et de la LTVA, les commerçants ont l’obligation d’enregistrer le vendeur et l’acheteur (et de conserver pendant respectivement dix et trente ans les documents justificatifs). Le calcul de la TVA est contrôlé par des réviseurs de l’Administration; ceux-ci signalent les indices de blanchiment à l’autorité de poursuite pénale. L’art lui-même doit être transporté, entreposé et assuré dans les règles. Toutes ces raisons et d’autres encore sont peu favorables à un blanchiment d’argent dans le commerce d’art. 21 Convention du 14 novembre 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites de biens culturels (RS 0.444.1). Cette convention a été ratifiée par le Conseil fédéral le 3 octobre 2003. 22 Loi fédérale sur le transfert international des biens culturels (Loi sur le transfert des biens culturels, LTBC) du 20 juin 2003 (RS 444.1) 23 Art. 9 en combinaison avec l’art. 7 LTBC. La lecture des accords bilatéraux déjà entrés en vigueur montre toutefois clairement que la notion de «bien culturel d’importance significative» a été interprétée par les autorités suisses d’une manière beaucoup trop large, qui va à l’encontre des principes de la Loi sur le transfert des biens culturels. 24 Il est reconnu en particulier que l’échange de biens culturels entre nations à des fins scientifiques, culturelles et éducatives approfondit la connaissances de la civilisation humaine, enrichit la vie culturelle de tous les peuples et fait naître le respect et l’estime mutuels entre les nations (considérants introductifs, Convention UNESCO de 1970). 25 En comparaison internationale, le taux de la TVA suisse est bas, malgré le fait que de nombreux pays d’Europe prévoient des taux de TVA spéciaux pour les arts. Si l’artiste importe lui-même ses objets, il n’a aucune TVA à payer sur les importations. On peut décrire la situation dans l’UE ainsi en ce qui concerne le traitement de la TVA: «Ce qui était censé devenir une région de libre-échange pour certaines des nations les plus prospères du monde est aujourd’hui considéré par nombre de commerçants d’art et d’antiquité comme une bureaucratie restrictive, bornée, qui multiplie les procédures compliquées et les réglementations fiscales opaques, et fait du parcours aboutissant à la vente un cauchemar» (The European Fine Art Foundation (éd.), «VAT and the European Art Market, A Study», Helvoirt 2003, p. 9) (traduction libre). 26 Art. 23, al. 2 ch. 3 LTVA. Cette exception existe également lorsqu’il s’agit d’objets qui ont déjà été exportés, si un objet est entreposé depuis l’intérieur du pays dans un dépôt franc sous douane. 27 Art. 1, al. 2 let. c LTVA. 28 Alexander Jolles / Madeleine Simonek / Patrick Waldburger, «Kunst und Steuern», in: Axa Art Versicherungen AG (éd.), Kunst & Recht, Zurich/Bâle 2007, p. 80. 29 «Il y a activité lucrative indépendante lorsqu’une personne participe à la vie économique en investissant du travail et du capital dans une organisation librement choisie, à ses propres risques, de manière durable, planifiée et manifestement destinée à réaliser un gain.» (ibid., traduction libre) 30 Ibid., p. 77. 31 Cf. Paolo Bernasconi / Alexander Jolles, «Switzerland», in: The Art Newspaper N° 172 de septembre 2006, p. 18 32 Art. 33a de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD), RS 642.11 33 Voir art. 80 ss CC; cf. Andreas Müller / Franz-Josef Sladeczek, «Die Kunstsammlung in der Nachlassplanung – eine Herausforderung an den Treuhänder», in: TREX Der Treuhandexperte, 2/2005, p. 107. 34 Art. 56 let. g de la Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD), RS 642.11.