Comment Shakespeare - La culture dans tous les sens

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Comment Shakespeare - La culture dans tous les sens
Comment Shakespeare
est-il devenu un mythe ?
Quelques repères académiques
Rares sont les hommes à avoir une aura aussi grande que Shakespeare dans
notre société. Proche en cela du statut que possédait Homère pour les grecs
anciens, il représente l’artiste éternel dans toute sa splendeur. Le mythe
Shakespeare a toutefois ceci de gênant qu’il nous cache à la fois l’artiste, sa vie
et le contexte historique dans lequel elle s’est déroulée, et son œuvre, prétexte
à admiration plus que véritable objet de spectacle. Qui lit aujourd’hui Roméo
et Juliette, mis à part les écoliers anglo-saxons pour qui la scène du balcon est
un passage tout aussi obligé que pour les nôtres la mort de Gavroche ? C’est
beaucoup plus par ses adaptations modernes que le plus illustre auteur de la
littérature mondiale est approché. Il semble dès lors utile de revenir au “vrai”
Shakespeare, tout en se demandant quelles sont les causes d’un tel fanatisme
à son propos.
La vie de Shakespeare, ou du moins la pauvreté des connaissances que l’on en
a, est la première cause du mythe Shakespeare. Les rares textes authentiques
nous présentent un homme baptisé le 26 avril 1564 à Stratford-upon-Avon
(né le 23 selon la tradition) d’une famille de petits propriétaires, avec quelques
titres de noblesse du côté de sa mère. Rien d’extraordinaire dans le début
de cette vie : un mariage à 18 ans avec Anne Hathaway, quelques enfants, puis
des années au cours desquelles on perd sa trace. On le retrouve à Londres
vers 1590, en tant que comédien membre de la principale compagnie de
théâtre londonienne. Là il devient célèbre, ce qui lui vaut son lot d’attaque
(Robert Greene le traite de “misérable scribouillard [qui] se met en scène dans
sa dramatique vanité”). Les pièces s’enchaînent, à raison de deux par an environ,
entre 1590 (Henry VI) et 1611 (La tempête). Il décide alors de prendre sa
retraite à Stratford, où il eut quelques difficultés judiciaires. Il meurt le 23 avril
1616. Ses œuvres ne sont publiées qu’en 1623.
Une fois établi qui était Shakespeare, rien n’est dit. La vie des artistes anglais
de l’époque est rarement mieux ou moins bien connue que la sienne. Son
œuvre était très considérée à l’époque, mais pas plus que celle de Marlowe,
en quelque sort l’inventeur du théâtre élisabéthain avec son Tamerlan (1587)
puis son Faust (1589). Car Shakespeare est loin d’être le seul dramaturge
sous le règne d’Elizabeth Ière, au cours duquel le développement de Londres
est allé de pair avec celui d’un spectacle réunissant les visées allégoriques
des “Moralités” avec les passions tragiques des pièces académiques héritières
de Sénèque. Utilisant le “vers blanc” (non rimé), ces pièces présentent avec
beaucoup de liberté des scènes qui poussent aussi loin les limites de l’horreur
(le sang qui n’en fini pas de couler dans Macbeth) que de la farce bouffonne
(les fossoyeurs saouls qui enterrent Ophélie dans Hamlet).
Mais Shakespeare excite l’imagination des commentateurs plus qu’aucun autre
écrivain. On s’est ainsi plu à chercher un autre nom à mettre sur la couverture
de ses livres, jugeant le “petit bourgeois” de Stratford trop inculte pour être à
la source d’une œuvre si riche en référence et d’une telle ampleur humaine.
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Comment Shakespeare
est-il devenu un mythe ?
La touche culture&sens
• Le philosophe Francis Bacon, le comte d’Oxford, le
dramaturge Thomas Middleton (dont les interpolations,
dans Macbeth notamment, sont pourtant bien pauvres !)
et bien d’autres de plus farfelus, ont été appelés à la
barre pour sauver la noblesse du génie. Mais peine
perdue ! En l’absence de preuves décisives, il faudra se
contenter des quelques indications biographiques que
nous avons.
• C’est dans l’œuvre elle-même, ses tragédies, comédies et poésies, que
nous trouverons la source de tant de fascination. Ce n’est d’ailleurs pas dans
ses qualités évidentes (la force de ses histoires, en réalité presque toujours
empruntées à d’autres, ou la beauté de ses métaphores : “La mort, qui a sucé le
miel de ton souffle”, Roméo et Juliette) que nous trouverons son importance
majeure, mais dans ce qu’on a longtemps considéré comme son défaut principal
: Shakespeare est trop grand, va trop loin, en bref il “exagère”. Lorsqu’il décide
d’écrire une tragédie sur la violence et la noirceur de l’âme humaine, il nous
plonge dans un cauchemar inouï peuplé de sorcières et de traîtres, où même
le personnage apparemment le plus sain se grime en tyran terrifiant (Malcolm
face à Macduff), et où la parole inaugurale (“fair is foul and foul is fair”) se trouve
déployée jusqu’à ses plus profondes conséquences : c’est Macbeth. Shakespeare
ne semble pas connaître de limite, même pas l’intelligibilité de son discours,
parfois très obscur, dans la forme comme sur le fond. Il y a chez lui comme
une jouissance sans entrave de l’écriture, qui ne se prive pas d’un jeu de mot
ou d’une image absurde lorsque le cœur lui en dit. Bref, Shakespeare manifeste
au plus haut point la liberté : celle du dramaturge, celle de ses personnages,
loin d’être aussi enchaînés que les héros des tragédies classiques (le magicien
Prospéro dans La Tempête, par exemple), celle du spectateur enfin qui peut,
des siècles après la mort du petit acteur de Stratford, interpréter ses œuvres
comme s’il était, ainsi que le disait Jan Kott en 1964, “notre contemporain”.
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Des idées de loisirs
A lire :
Il n’y a aucune porte d’entrée obligée. Mieux vaut se laisser
aller à ouvrir le texte dont le sujet semble intéresser le plus.
Par sa concision et sa puissance, Macbeth (traduction P-J.
Jouve, GF Flammarion) nous semble être la grande tragédie
qui perd le moins à se passer de mise en scène. Shakespeare,
notre contemporain, de J. Kott (Payot), une lecture, très personnelle et
inspirée par les tragédies du XXème siècle, des drames shakespeariens.
A visiter :
Théâtre du Globe à Londres, reconstruction à l’identique, Shakespeare en
était co-propriétaire et la plupart de ses œuvres y ont été créées.
A voir :
Les pièces données au théâtre, bien sûr. Mais aussi de nombreux films,
dont les plus originaux : Roméo + Juliette, de B. Luhrmann avec L. DiCaprio
(version très rythmée !) ou Le Roi lion, dessin animé du studio Disney
(inspiré, même si cela est surprenant, de Hamlet). Dans un autre registre :
Shakespeare in love, de J. Madden avec G. Paltrow.
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