L`image du paysan Le discours tenu dans la littérature médiévale

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L`image du paysan Le discours tenu dans la littérature médiévale
L’image du paysan
Le discours tenu dans la littérature médiévale concernant les paysans reflète les images
stéréotypées véhiculées par l’Eglise et combine racisme de classe et racisme culturel. Aussi
bien dans la littérature courtoise (ex. Yvain, le chevalier au lion ou plus tard, le Merlin de
Robert de Boron) que dans le théâtre (ex. Aucassin et Nicolette), le paysan est dépeint sous
des traits péjoratifs qui l’affublent de vices et de défauts : laid, méchant, inculte et barbare.
Certains fabliaux cependant – Le vilain qui conquit le paradis par plaid – en donnent une
image plus nuancée et respectueuse. De même, dans Les Très Riches Heures du duc de Berry,
coexistent deux représentations du paysan, celle, positive, des frères de Limbourg dans les
miniatures de février, mars, juin, juillet, septembre et octobre, et celle, conforme aux préjugés
séculaires, de Jean Colombe pour le mois de novembre.
L’univers du paysan médiéval s’inscrit dans un milieu naturel hostile. En cela, il
appartient au domaine sauvage de la nature par opposition au domaine cultivé et policé du
château et de la ville. Si domaine sauvage, non domestiqué, soumis aux caprices de la nature,
alors manières sauvages et primitives. D’ailleurs, le vocabulaire en garde la trace : « Rustre »,
vient du latin ruris, la campagne, et son sens s’oppose à « urbanité » et « civilisation » qui
viennent respectivement de deux mots latins qui signifient « ville » et « cité », urbis et
civitatis.
C’est surtout le villageois qui vit près de la forêt et qui la fréquente qui incarne le sauvage en
personne. Là encore, l’étymologie en témoigne : silva (la forêt) < silvaticus (homme de la
forêt) < salvaticus < « sauvage ». Et c’est bien le porcher qui mène ses bêtes dans la forêt qui
est représenté sous des traits difformes et caricaturaux sur la miniature de novembre. Au
Moyen âge en effet, l’opposition nature / culture s’exprime à travers l’opposition entre ce qui
domestiqué, bâti et habité – ville, château et village autour du château – et ce qui est
proprement sauvage, la forêt et l’océan. Aussi les hommes vivant au contact de la forêt
appartiennent, aux yeux des clercs et des personnes habitant la ville ou le château, à une soushumanité, à mi-chemin entre l’homme et la bête.
L’infériorité, la bêtise et la grossièreté attribuées au paysan sont dues également à des
préjugés linguistiques. La langue vernaculaire, en l’occurrence le français roman, ainsi que les
langues régionales, ont été dévalorisées par les clercs, tout au long du Moyen Age. La seule
langue noble et « civilisée » était la langue écrite qui fut pendant longtemps le latin,
instrument de savoir et de pouvoir réservé à une élite. Même lorsque la littérature en langue
romane s’imposera, les préjugés, solidement ancrés, demeureront. Dans une société où la
maîtrise de la langue écrite est aussi discriminatoire, on comprend pourquoi l’abrutissement le
plus total et l’ignorance la plus ténébreuse sont dévolus aux paysans.
La troisième caractéristique du paysan dans les représentations littéraires et picturales,
c’est sa noirceur. Les mots latins aussi bien que les termes français portent la trace de ce
préjugé. Les valeurs attachées au mot candidus, blanc, ont une connotation positive de beauté,
d’éclat lumineux et de pureté ; la couleur noire, ater ou niger, sont connotés négativement :
sombre, funèbre, funeste donc laid et mauvais. Aussi, les paysans ont-ils le visage
systématiquement noirâtre dans les représentations, même s’ils ne sont pas halés par les
intempéries. Cette couleur fait ressortir leur laideur physique et morale. Ce qui est frappant,
lorsque l’on compare la représentation du Sarrasin avec celle du paysan, ce sont leurs points
communs : même visage grimaçant, mêmes traits grossiers, mêmes cheveux hirsutes, mêmes
lèvres épaisses et même noirceur.
Activité proposée aux élèves : découvrir les images du paysan au Moyen Age et aborder la
notion de subjectivité
Support : Textes (extrait d’Aucassin et Nicolette / extrait d’Yvain / fabliau intégral : Le vilain
qui conquit le paradis par plaid). Les deux textes extraits d’Aucassin et d’Yvain permettent en
outre
1. d’aborder différents points liés au portrait (composition, thème, procédés)
2. d’aborder l’étude de l’adjectif qualificatif et de ses degrés (comparatif / superlatif)
à travers la lecture, le dessin et l’écriture.
Images (miniatures du calendrier des Très Riches Heures du duc de Berry : au
choix, février ou mars ou juin ou juillet ou septembre ou octobre / à comparer avec novembre)
Les textes complémentaires 1 et 2 proposent une image négative du paysan, bien moins
réaliste que merveilleuse. On y retrouve toutes les caractéristiques évoquées dans la fiche
intitulée « l’image du paysan ». Dans le texte 2, la monstruosité du paysan résulte du mélange
d’ espèces animales différentes.
Le fabliau propose une image bien plus nuancée mais ce sont les caractéristiques
psychologiques qui sont mises en valeur. Le vilain a du bon sens, maîtrise la parole, sait être
convainquant. Il est honnête et bon chrétien. Il n’y a pas de portrait physique.
Les miniatures peintes par les frères de Limbourg nous donnent une image positive du paysan,
physiquement aussi bien que moralement car le calendrier fait l’éloge des travaux des champs
dans une nature domestiquée et ordonnée, protégée par la puissance d’un seigneur.
La miniature de novembre, exécutée par Jean Colombe nous offre une vision assez négative
du paysan. Il possède presque toutes les caractéristiques traditionnelles véhiculées par les
préjugés de la classe dominante; Il évolue dans un décor fantastique, composé de différents
éléments imaginaires, et se trouve dans une forêt, lieu sauvage par excellence [voir fiche
« l’image du paysan »] .