Assurance Sur La Mort Billy Wilder

Transcription

Assurance Sur La Mort Billy Wilder
Décembre
2010
192
Billy Wilder
Une descente aux enfers
Fiche d’analyse de film
Barbara Stanwyck
Fred MacMurray
Edward G. Robinson
Porter Hall
Jean Heather
Tom Powers
Assurance Sur La Mort
• 1944 •Noir et Blanc • 1h46
Etats Unis
Scénario Billy Wilder, Raymond Chandler
d’après le roman Double indemnity de James M. Cain
Image John F. Seitz
Musique Miklós RÓzsa, César Franck,
Montage Doane Harrison
L’histoire
Histoire
Tard la nuit, une voiture traverse la ville de
Los Angeles et s’arrête devant un immeuble.
Walter Neff pénètre dans les locaux de la
compagnie d’assurances « Pacifique Tous
Risques ». Dans les bureaux déserts, il s’installe
devant un magnétophone et allume une
cigarette. Ainsi commence un long monologue
où Neff confesse ses crimes à son collègue et
ami, Barton Keys.
Car il s’agit d’une confession, une descente
vers l’enfer … qui commence avec une
première rencontre avec la belle Phyllis, une
femme envoûtante. Neff, agent d’assurance
chevronné, fait le tour de ses clients fidèles.
Son but ? Décrocher de nouveaux contrats.
Chez les Dietrichson, il est accueilli par la
maîtresse de la maison. Neff se lance dans son
baratin habituel, tout en jetant des œillades à la
belle Phyllis. Celle-ci profite de l’occasion pour
se renseigner sur les assurances vie pour son
mari. Le jeu de séduction se complique, tourne
vérité. Pourtant le scénario est si bien organisé
que, pendant quelques semaines, Keys est
complètement bluffé jusqu’au jour où Phyllis
vient s’informer du montant de l’assurance,
ses suspicions sont éveillées. L’attente va peser
sur les amants et, au fur et à mesure que les
tensions montent, leur relation s’effiloche.
Walter apprend de Lola Dietrichson, la fille de
la victime, que Phyllis avait déjà tué sa mère et
qu’elle aurait été impliquée dans la mort de son
père. Lorsque l’enquête policière commence
à s’intéresser à Nino, le petit ami de Lola
et apparemment aussi l’amant de Phyllis, il
comprend qu’il a été pris pour un pantin.
Convaincu qu’il a échappé à la vigilance de
Keys, Walter se rend à la maison de Phyllis pour
l’ultime confrontation. Phyllis tire sur lui, le
blessant à l’épaule. Elle essaie de l’amadouer en
avouant son amour pour lui. Est-elle sincère?
Peu importe, la fin est inévitable : comme le
dit Keys, ils sont dans le même galère qui les
emmène droit au cimetière : ni l’un ni l’autre ne
va survivre à cette nuit profonde dans laquelle
ils se sont engouffrés.
Pistes de réflexion
Pistes de réflexion
le fifilm
noir
• Wilder
Wilder et
et le
lm noir
autour du mari devenu encombrant, et termine
dans une exquise joute de sous-entendus qui
ne laisse personne dupe quant à l’évolution de
cette relation.
Les rendez-vous avec Phyllis, avec et sans
son mari, permettent aux amants de mettre
en place leur plan pour profiter de l’assurance
« double indemnité » (où la bénéficiaire reçoit
une somme plus conséquente si le mari meurt
par accident). Touche par touche, ils préparent
les moindres détails : M. Dietrichson partira
en voyage d’affaires, sa femme l’emmènera à
la gare mais Neff, planqué dans la voiture, le
tuera et montera dans le train aux vues de tout
le monde. Puis, il feindra un accident qui laissera
croire que la victime s’est suicidée en se jetant
sur les rails. Phyllis et Walter reprendront
ensuite leur vie respective en attendant le
paiement des primes.
Walter sait que l’obstacle principal à ce
plan sera Barton Keys, l’assesseur principal
et la seule personne capable de découvrir la
Aujourd’hui le film noir est reconnu comme
un genre à part entière, mais au moment où
Wilder se met à tourner Assurance pour la Mort
il n’est pas un produit rentable pour les grands
studios. Pourquoi ? Le cinéma hollywoodien est
censé offrir du bonheur aux spectateurs, leur
permettre d’oublier leurs soucis quotidiens avec
des sagas romantiques, des histoires épiques ou
des comédies musicales. Les films de série B
montrent des personnages peu fréquentables
aux allures louches et aux mœurs douteuses.
Ils sont tournés à la va-vite, avec les moyens
du bord, des acteurs – et des actrices – peu
connus qui servent de « bouche-trous » pour
des cinémas de banlieue.
Leur fond de commerce est le roman noir,
un genre littéraire populaire qui apparaît dans
la période entre-deux-guerres. Ces romans à
deux sous racontent l’envers du décor si lisse
de la société américaine, décrivant la vie dans
les rues des bas-fonds peuplées de criminels
durs à cuire, de femmes fatales, et de policiers
plus ou moins honnêtes, le tout se déroulant
dans la nuit la plus profonde. Les auteurs qui
permettent au roman noir de s’élever vers ses
lettres de noblesse sont souvent des journalistes
(Raymond Chandler et James M. Cain) ou des
détectives privés (Dashiell Hammett). Avec
leurs connaissances du terrain, leur écriture
est imbue d’une dureté et d’une vraisemblance
qui assure leur succès. Toujours à la recherche
de sujets populaires, les studios commencent
à s’intéresser à cette nouvelle manne.
En échangeant des acteurs inconnus avec
des valeurs sûres (notam
-ment Humphrey Bogart,
Edward G. Robinson ou
James Cagney), ces films
s’élèvent rapidement au
niveau des « grands films»
et se trouvent parmi les
meilleurs titres de ces
artistes.
Pourtant, il faudra dix
à quinze ans avant que ces
films policiers commencent
à gagner leurs galons.
Assurance pour la Mort
est d’ailleurs un des premiers et souffre de la
méconnaissance générale de son potentiel.
Personne ne veut écrire le scénario avec Billy
Wilder et les grands acteurs se méfient. Enfin,
Raymond Chandler accepte de travailler en
tandem avec Wilder ; ensemble, ils réussissent
un subtil mélange de dialogues incisifs, d’images
d’une noirceur profonde, et un jeu d’acteurs
finement dirigés.
Quels sont les éléments principaux ? Une
femme fatale, un anti-héro sans illusion, une
atmosphère sombre et troublante, le meurtre
« parfait »…
comme protagoniste
• LeLenarrateur
narrateur comme protagoniste
Pourquoi Wilder et Hammett ont-ils décidé
de mettre le protagoniste en premier plan
comme narrateur ? Et de nous dévoiler son
rôle dans l’intrigue dès les premières scènes ?
Cette prise de position permet d’emblée aux
spectateurs de s’identifier avec le personnage
d’autant plus qu’il est incarné par un acteur
(Fred McMurray) plus connu pour ses rôles de
« nice guy » (homme sympathique).
Il arrive sur l’écran blessé, fatigué mais
déterminé à raconter son histoire. Il admet
librement être le meurtrier d’un homme tout
en racontant les événements qui l’ont amené
au crime. Ainsi, tout est vu de sa perspective,
selon son analyse des motivations des différents
personnages, ce qui lui permet de défendre son
propre rôle. Spectateurs, nous compatissons :
quel homme aurait pu résister à une femme
aussi belle et séduisante, quelle femme n’aurait
pas aimé avoir autant de pouvoir sur un
homme ?
Walter Neff n’a rien d’un innocent entraîné
contre son gré dans une histoire loufoque.
Non, il sait sciemment ce qu’il fait lorsqu’il se
met à séduire Mme Dietrichson et accepte de
proposer une assurance vie à double prime à
M. Dietrichson. La visite clandestine de Phyllis à
son appartement lui donne l’occasion de mettre
en place leur plan et nous
montre qu’il a bien réfléchi,
peut-être avant même de
rencontrer Phyllis.
Sans doute pour garder
notre sympathie envers
Walter, Wilder prend soin de
ne pas le montrer en train de
tuer sa première victime. Cet
acte, forcément physique car
Walter étrangle Dietrichson
dans la voiture conduite par
Phyllis, se passe hors champ.
Avec notre regard fixé sur le visage de Phyllis,
nous nous permettons d’ignorer les mains sales
de Walter.
Nous sommes complices de Walter,
tremblant avec lui chaque fois qu’un indice,
un témoin met en danger son secret. Et, au
moment où notre sympathie risque de flancher,
nous découvrons avec lui que Phyllis n’en est
pas à son premier meurtre, et qu’elle a un autre
amant. Il devient la « victime » d’une femme
dévoreuse d’hommes, ce qui nous permet de
lui accorder notre pardon pour son deuxième
crime, la mort de Phyllis. Walter assume
pleinement son rôle dans ce drame, « je l’ai
fait pour l’argent, je l’ai fait pour une femme, je
n’ai pas eu l’argent, je n’ai pas eu la femme ».
Malgré l’amitié qui le lie à Keys, cette amitié
forte et pure d’hommes qui s’apprécient, il se
laisse entraîner dans un monde où les rêves ne
se réalisent pas. La dernière cigarette partagée
par Keys et Walter est celle d’un homme
condamné : mais sommes-nous prêts à clamer
sa mort à la potence ?
leurre fatale
• LaLafemme,
femme, leurre fatale
Dès sa première scène, Phyllis Dietrichson
apparaît telle une Vénus sortie des vagues –
drapée d’une simple serviette de bain, elle invite
Walter à la lui arracher. Deux minutes plus tard,
la caméra fixe un petit bracelet autour d’une
cheville qui descend nonchalamment l’escalier,
puis des doigts fins qui tripotent les boutons
d’une chemise. Tout homme normalement
constitué est conquis.
Phyllis est narcissiste, égotiste, opportuniste.
Elle n’a qu’une seule idée, profiter de tout et de
tout le monde, et tant pis pour les remords.
Elle est au centre d’un triangle amoureux, voire
de plusieurs triangles : Neff/Phyllis/Dietrichson,
Dietrichson/Phyllis/Lola,Lola/Phyllis/Nino,
Nino/Phyllis/Walter. Et cette situation, qu’elle
a créée, la réjouit. Bien plus que Walter, elle a
tout planifié dès leur première rencontre. Voilà
l’opportunité pour se débarrasser de son mari,
tout en raflant une grosse somme d’argent,
avec l’aide d’un pantin futé mais pas trop. Son
premier choix, le jeune Nino ne ferait pas
l’affaire, pas assez mûr, mais en Walter, elle a
l’homme qu’il lui faut.
Phyllis sait qu’elle est belle et qu’elle peut
se servir de cette beauté pour atteindre ses
objectifs. Toute sa vie, elle va profiter des
occasions qui se présentent. Elle n’a aucun sens
de la culpabilité, ce qui permet de commettre
le pire des crimes sans arrière-pensée. Les yeux
fixés sur la caméra, immobile, un léger sourire
aux lèvres, elle écoute les gémissements de
son mari. Cette froideur souligne l’absence de
sentiments pour les personnes autour d’elle qui
ne représentent que des outils ou des obstacles
à ses désirs éphémères. Telle une sirène, ses
baisers passionnés emmènent les hommes à
leur perte.
troublante
• Une
Uneatmosphere
atmosphère troublante
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Les films noirs offrent avant tout un aperçu
d’un monde que le spectateur ne côtoie pas :
ces lieux sombres dans lesquels des hommes
sans aucune valeur commettent meurtres,
coups bas et rapts. C’est le monde de l’autre
côté du miroir, les bas-fonds de la cité, les
arrières salles où on joue au poker et où se
trament des deals douteux ; celui des villas de
luxe où le champagne coule parmi les hauts
fonctionnaires qui côtoient les chefs de gangs
et les prostitués. Le jeu des lumières et des
ombres accentue le côté glauque de l’histoire
et révèle les protagonistes sous leurs aspects
les plus noirs.
Mais dans Assurance pour la Mort, nous
nous trouvons dans le milieu dit « normal »
de la bourgeoisie californienne : une belle
maison dans un beau quartier avec tout ce qui
est nécessaire pour une vie de rêve, une vie
tranquille mais peut-être un peu trop. Phyllis
a réussi à se marier avec un homme riche
mais elle s’ennuie. L’arrivée de Walter pique
sa curiosité : va-t-elle arriver à le séduire ?
Ses charmes physiques sont-ils toujours aussi
efficaces ? Walter ne demande pas mieux et
décide d’entrer dans son jeu pour s’amuser.
Mais le ver vit dans la pomme dorée. Afin
de nous le faire comprendre, Wilder se sert
des codes cinématographiques du film de
série B pour renforcer cette atmosphère de
fausseté et de superficialité. Notons surtout
l’utilisation des jalousies pour tamiser la lumière
de l’extérieur, les lignes tranchantes dessinant
sur les personnages comme les barreaux d’une
prison. Ou le positionnement de la caméra :
gros plan fixe sur le visage de Phyllis lors du
meurtre, contre-plongée et angle en diagonale
dans les escaliers créant une légère angoisse
pour le spectateur, plans serrés sur Neff pour
créer un huis clos éclairé par une petite lampe
pendant les séquences d’aveu …
En même temps, les dialogues imprégnés
d’amertume renforcent cette atmosphère.
Dès les premières répliques, on reconnaît
la plume de Dashiell Hammett. Cette chute
libre d’un homme plutôt honnête mais prêt
à profiter d’une opportunité est décrite avec
une économie de mots, des mots durs et sans
complaisance. Neff cherche à expliquer son
acte et non pas à se déculpabiliser car il sait que
le côté sombre de son être l’a tenté et lui a fait
perdre son âme.
Caroline Mackenzie
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