A propos d`une bande dessinée : La Bourgogne, quelle histoire !
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A propos d`une bande dessinée : La Bourgogne, quelle histoire !
A propos d'une bande dessinée : La Bourgogne, quelle histoire ! Un nouveau coup bas contre Romain Rolland par Roger Drouin S oixante ans après sa mort, on pouvait penser que toutes les campagnes de calomnies qui accompagnèrent Romain Rolland durant son existence avaient cessées ? Il n'en est rien, comme cette bande dessinée parue fin 2004, aux Editions de Bourgogne, nous le montre. Certes, on sait que la Bande Dessinée obéit à des contraintes, elle ne peut pas tout dire ; raison de plus pour ne pas dire n'importe quoi. De Romain Rolland contre la France d'Henri Massis à M. Rolland, initiateur du défaitisme d'Isabelle Debran, on ne compte plus les libelles de ces « rossignols des massacres » pour reprendre l'expression de Romain Rolland à propos de Barrès. Quatrevingt-dix ans plus tard, il est pour le moins étrange que le ou les (jeunes ?) auteurs réagissent de la même manière. Nos amis à la lecture de la reproduction des trois vignettes consacrées à Romain Rolland constateront qu'il est difficile de faire mieux dans la désinformation ! A l'évidence, les auteurs n'ont pas lu une ligne de Romain Rolland. Il n'est pas utile de procéder à une analyse détaillée des images et du texte. Seulement quelques points. Très subtile la mise en page ! La première vignette, nous montre le maire d'Auxerre en uniforme qui s'est engagé à 77 ans (On imagine le brave homme baïonnette au canon, montant à l'attaque aux cris de « A Berlin, mort aux Boches ! ») La vignette suivante : il s'agit d'un intellectuel palichon perdu dans ses pensées fumeuses, on reconnaît le profil improbable de Romain Rolland avec une petite mèche rebelle du plus bel effet (Par chance on a échappé au catogan !). La dernière vignette, c'est l'exécution. Un ouvrier en casquette, aux cris de : « traître, planqué », lance un pavé dans la vitrine d'un libraire qui avait l'audace d'apposer une affichette annonçant la parution d'Au-dessus de la mêlée. Tout est dit ou presque. En fait beaucoup plus que l'annonce du Prix Nobel de Littérature, ce sont les premiers articles parus dans la presse suisse qui déclenchent la colère des « rossignols des massacres ». Evidemment, l'honnêteté intellectuelle a empêché l'auteur de signaler que Romain Rolland partaga son prix entre la Croix Rouge Suisse où il travaillait bénévolement et les oeuvres sociales de Clamecy. De Colas Breugnon, personnage bourguignon truculent, du Voyage intérieur, des Mémoires où Romain Rolland chante, dans de belles pages son pays natal et la Bourgogne, on ne saura rien. Reconnaissons que Claude Tillier et son Oncle Benjamin ont eu plus de chance, puisque l'on en parle pas du tout. Meilleur moyen de ne pas en dire de bêtises. En résumé, il n'est pas sûr que cet album soit très positif pour la promotion de la Bourgogne et en tout cas, c'est une très mauvaise action contre la mémoire de Romain Rolland. L'écrivain italien Guidi Piovene préfaçant la traduction italienne des œuvres de Romain Rolland écrivait : « Romain Rolland fait partie de cette sorte d'Hommes qui semblent être nés pour exaspérer les médiocres. » Ecrites il y a 50 ans, étonnant, comme ces lignes ont gardé toute leur fraîcheur… Pour retrouver un peu d'air frais et pur, voici, ci-après, trois extraits d'écrivains - qui eux sous les obus, dans les tranchées, réagissent à la lecture d'Au-dessus de la Mêlée. Roger Martin du Gard « … Un ami vient de m'envoyer la brochure de Massis, Romain Rolland contre la France. Je ne savais rien ou presque de cette affaire (…). Je parcours l'article de Massis, je cours au vôtre… Ah quelle bouffée d'air respirable, enfin, enfin ! J'en suis tout transformé, rajeuni, plus que jamais avide de vivre l'Avenir (…) La première bouffée d'air pur, je puis dire la seule depuis un an (…) me sera, encore une fois, venue de vous. » Lettre du 25 août 1915 adressée à Romain Rolland (Journal des années de guerre. p.104) Alain « … J'ai souvenir aussi comme d'un long silence de l'esprit occidental avant que les forces se missent en convulsion. Sans savoir comment, avec des millions d'autres, je me trouvai séparé de tout l'humain, l'esprit occupé à servir, sans aucune nouvelle réelle du monde. Si ce n'est pourtant qu'un rude canonnier revint les yeux mouillés de larmes un jour qu'il avait vu a loisir des prisonniers ; il leur avait donné son tabac, tout ce qu'il pouvait donner. Ce sont des hommes comme nous me dit-il. Ce message précéda celui de Jean-Christophe ; ils sont liés dans ma mémoire. Le lendemain même, il me semble, nous pûmes lire des parties de cet appel aux peuples assassinés, qui devait faire quelque bruit dans le monde. Citations à dessin mutilées, mêlées d'injures perfides. Or tous sans exception, tous aussitôt, nous reconnûmes le cri de l'homme. Le capitaine lui-même, un homme dur me dit le soir en posant le doigt sur ces lignes : « enfin, voici que l'homme parle ». 0n sait que ce fut ainsi, tout le long du fossé sanglant… » Liber Amicorum, p.11 Léon Werth C'était à Seicheprey en Woevre, au commencement de 1915. Un sergent m'apporta un texte dactylographié, qui était la copie d'un article de Romain Rolland paru dans le Journal de Genève. Quelques-uns parmi nous avaient compris le néant de la guerre. La boue, la mort, c'était beaucoup. C'était peu : car nous désespérions des hommes. Quelques-uns étaient là qui ne cédaient point à la lâcheté d'accepter, qui ne répétaient pas les credo des gouvernements et des journaux. Ils se croyaient seuls sous la bêtise et sous la mort. Et les plus clairvoyants sentaient mourir l'Europe civilisée. C'est à la lueur d'une mèche plantée dans une boite de graisse que le sergent et moi lûmes ces lignes de Romain Rolland. Il y eut quelque chose de plus fort que la guerre. Nous ne désespérions plus… Et il nous sembla que tout n'était pas perdu. Liber Amicorum, p.380 La Bourgogne. Quelle Histoire ! de Bernard Lecomte et Jean-Louis Thouard. Editions de Bourgogne sept.2004 Cahiers de Brèves n° 16 - septembre 2005 33