savoir-agir » des professeurs des écoles

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savoir-agir » des professeurs des écoles
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
LES « SAVOIR-AGIR » DES PROFESSEURS DES ÉCOLES : DES « INSTRUMENTS » CONSTRUITS
PAR ET POUR L’ACTIVITÉ D’ENSEIGNEMENT
Carole CARRÉ
PIUFM, Docteur en sciences de l’éducation
Résumé : Cet article propose un point de vue sur la professionnalisation des enseignants débutants au
travers de la présentation d’une recherche effectuée sur les premiers pas dans l’activité d’enseignement de neufs professeurs des écoles. Ces professeurs novices ont été filmés, observés et confrontés
à leurs pratiques au cours de leur année de formation initiale en tant que professeurs stagiaires (PE2)
et au cours de leur première année en tant que titulaires. La recherche présentée a permis de mettre
au jour des « instruments professionnels » complexes que ces jeunes professeurs ont construits pendant les deux premières années au cours desquelles ils ont progressivement pris la responsabilité d’une
classe d’école primaire. Quelques propositions succinctes concernant les modalités de formation sont
également présentées.
Mots clés : enseignement primaire, développement professionnel, enseignant débutant, activité,
didactique professionnelle.
Introduction
écoles débutants. Au regard des résultats obtenus dans cette recherche, nous préciserons son
Comment permettre à des enseignants
intérêt pour les dispositifs d’analyse de pratiques
débutants de se « professionnaliser » ? Cette
fréquemment utilisés en formation initiale des
problématique qui préoccupe de nombreux for-
enseignants.
mateurs d’enseignants, est loin d’être résolue.
Elle est une nouvelle fois au cœur de la réforme
Un éclairage historique succinct
actuelle qui aboutira à la disparition des IUFM au
profit de la création des ESPE. L’objet de cet ar-
Depuis la fin du XXe siècle, en raison des
ticle est de présenter un point de vue concernant
bouleversements techniques et économiques,
cette question si complexe.
les travailleurs sont confrontés à une mutation
importante des identités professionnelles. Dans
Une présentation de la notion de « profes-
le monde enseignant, cette mutation prend no-
sionnalisation » sera effectuée dans un premier
tamment la forme d’une professionnalisation du
temps. Puis nous présenterons le cadre théo-
métier dont l’un des buts est la rationalisation
rique qui est le nôtre ce qui nous permettra en-
de l’activité professionnelle. Or, selon l’équipe
suite de décrire succinctement une recherche
québécoise dirigée par Maubant1, l’activité
menée récemment sur la construction des compétences professionnelles des professeurs des
1
IRPÉ : Institut de recherche sur les pratiques éduca-
tives. Université de Sherbrooke. Québec. Canada.
9
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
enseignante comporte, comme c’est le cas pour
Les travaux de Wittorski et Briquet-
la plupart des métiers de l’intervention humaine
Duhazé (2008, 11-12) montrent que « ... le dé-
des « zones d’ombre » (Maubant, Clenet, Roger,
veloppement professionnel des enseignants
Mercier, Casselles-Desjardins & Gravel, 2011)
relève d’une tension entre le projet de l’institu-
qu’il convient d’explorer. La rationalisation de
tion et les vécus des enseignants en formation
l’activité professionnelle des enseignants semble
et au travail ». Deux logiques seraient à l’œuvre
en effet assez problématique dans la mesure où
lorsqu’il est question de professionnalisation :
il s’agit d’une activité d’humains sur et avec des
« côté organisation la logique compétences [...]
humains. Et dans l’espace scolaire l’humanité
et côté acteur, la logique de qualification ». Ces
exprime toute sa complexité tant du point de vue
auteurs précisent que « la professionnalisation
des connaissances acquises ou à acquérir que du
est donc à la fois et dans le même temps action
point de vue des compétences cognitives ou
et dynamique identitaire (les deux paraissant in-
sociales. Comment introduire un ordre rationnel
séparables) » (ibid., 28). Il s’agit donc de penser
dans cette multiplicité de savoirs, de points de
le développement des compétences profession-
vue, de valeurs, de modalités de pensées, dans
nelles en prenant en compte toute la complexité
ce panel d’identités toutes singulières ?
de la situation scolaire et du sujet-enseignant. Et
comprendre ce qui s’y joue du point de vue du
Avant le début des recherches en Sciences
développement de l’activité d’enseignement,
de l’éducation et jusqu’à la dernière partie du
suppose d’intégrer « des apprentissages réalisés
XXe siècle, le compagnonnage était la règle
« au fil » de l’action reposant sur une transaction
concernant
sujet environnement. » (ibid., 29).
la
formation
des
instituteurs.
En effet, selon Raymond Bourdoncle (1990, 59),
elle reposait sur une éducation charismatique
De son côté, l’équipe canadienne souligne
qui incorporait un exemple de maItrise représen-
la complexité des processus de professionna-
té par un « tuteur ou un maitre d’apprentissage ».
lisation qui exigent, si l’on veut introduire de
Depuis les années 90, le terme « professionnali-
l’intelligibilité dans les démarches de forma-
sation » est présent dans de nombreux textes ins-
tion professionnalisante, d’éclaircir un certain
titutionnels. Néanmoins, la professionnalisation
nombre de termes. Il s’agit notamment : « d’iden-
du métier d’enseignant semble difficile à mettre
tifier précisément les mots de la professionna-
en œuvre en raison d’enjeux institutionnels et
lisation [au sein de ces métiers] et en premier
politiques qui ne seront pas développés dans
lieu ceux caractérisant l’agir professionnel »
cet article. Nous nous intéresserons ici essen-
(Maubant, Roger, Caselles-Desjardins, Mercier &
tiellement à la troisième acception donnée par
alii, 2010, 122-123). Il s’agit également de situer
Wittorski (2010, 8-9) au mot « professionnalisa-
du point de vue scientifique certains concepts
tion », c’est-à-dire au processus de développe-
tels que les concepts de situation, d’activité et
ment d’un professionnel.
d’apprentissage. Ces auteurs en déduisent la nécessité d’interroger les processus de professionnalisation sous différents angles : « l’angle des
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situations professionnalisantes, l’angle de l’acti-
hiérarchisée (Léontiev, op. cit.) qui mobilise
vité, [...] l’angle de l’apprentissage, [...] l’angle des
et développe dans un même mouvement des
acteurs ». Notons qu’ils militent également pour
compétences cognitives et des compétences
une approche qui prenne en compte toute la
opératoires.
complexité de la notion de professionnalisation.
De ce point de vue, la séparation entre
En accord avec ce point de vue, le cadre théorique
théorie et pratique, qui a constitué depuis l’an-
qui va être présenté ci-dessous, cherche donc à
tiquité, le mode de pensée légitime (Schwartz,
prendre en compte les complexités internes aux
2007) pour décrire la réalité, doit être réinterro-
processus de professionnalisation.
gée. Car dans ce cadre, deux registres d’apprentissage sont mis à contribution : un registre pragmatique qui permet de construire des savoirs
La didactique professionnelle, une approche heuristique et herméneutique pour
étudier et mettre en œuvre la « professionnalisation » des enseignants.
opératoires et un registre épistémique qui est
à la source de savoirs prédicatifs (Pastré, 2011).
Ces deux catégories de savoirs se développent
en s’articulant étroitement dans le cadre des
« genèses instrumentales » décrites par Rabardel
La recherche présentée dans cet article
(op. cit.). En effet, pour cet auteur « notre sujet
s’ancre dans le cadre théorique de la psycholo-
est un sujet qui agit, qui transforme le réel et qui
gie historique et culturelle et de la didactique
se transforme lui-même et qui va utiliser toutes
professionnelle. Le modèle de développement
ses ressources pour mieux fonder et ajuster son
sur lequel elle repose, renvoie aux travaux de
activité. Si on entend par activité constructive
Vygotski (1934/1997) et de Bruner (1983), et à
l’activité pour laquelle le sujet se construit comme
la théorie de l’activité de Léontiev (1984). Les
sujet capable, il faut bien voir que cette activité
notions d’« invariants opératoires » (Vergnaud,
ne consiste pas d’abord pour lui à construire
2002), de « genèse instrumentale » (Rabardel,
des connaissances, mais à se transformer lui-
2005), de « modèle opératif » et de « concepts
même dans un processus de développement »
pragmatiques » (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006),
(Rabardel, op. cit., 3).
2
de « savoir-agir » et de « matrice cognitivo-prag-
Ainsi la didactique professionnelle, in-
matique » (Piot, 2006) sont également mises à
carnée notamment dans les travaux de Pastré,
contribution.
Piot, Rabardel et Vergnaud, offre un cadre d’intelligibilité du développement professionnel qui
Pour bien comprendre le point de vue
repose sur l’articulation, soulignée par Schön
adopté, il est nécessaire d’admettre que l’activité
(1994), entre pratique et réflexivité. Elle propose
humaine
psychique
un renversement épistémologique à partir du-
JOFFRAY- CARRÉ. C. (2012). Genèse du savoir-agir
quel les savoirs prédicatifs abandonnent leur rôle
professionnel. Le cas des professeurs des écoles débu-
prescriptif et les savoirs opératoires intègrent
tants. Thèse de doctorat de l’Université de Caen Basse-
une dimension conceptuelle. Le modèle de déve-
Normandie.
loppement spiralaire élaboré par Bruner (1983)
2
constitue
une
entité
11
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
dans le cadre d’observations du développement
se développer dans la sphère du conscient et du
des enfants3 permet, par ailleurs, de décrire les
volontaire et poursuivent leur développement
processus à l’œuvre. En effet, selon cet auteur,
en germant vers le bas dans la sphère de l’expé-
le sujet-acteur « modularise » son activité grâce à
rience personnelle et du concret. Les concepts
l’information qui lui parvient en retour à la suite
spontanés commencent à se développer dans la
d’actions élémentaires initialement mal maitri-
sphère du concret et de l’empirique et évoluent
sées. Il aboutit ainsi à un meilleur niveau d’organi-
vers les propriétés supérieures des concepts : le
sation et de coordination de son activité.
caractère conscient et volontaire. » (Vygotski, op.
cit., 373). Partant de là, nous pouvons en déduire
Si nous transposons ce modèle à l’activité
que les «concepts scientifiques », qui modélisent
d’enseignement, nous pouvons en déduire que
l’activité d’enseignement sont incorporés peu à
lorsque le professeur débutant se livre à des
peu à l’activité et en favorisent la distanciation.
« actions » d’enseignement, il réussit parfois
Ils prennent forme et sens au travers de « l’acti-
à atteindre le but de son activité d’enseigne-
vité productive » mise en œuvre en situation et
ment : « produire » des apprentissages chez ses
sont progressivement « pragmatisés » (Pastré,
élèves, mais il échoue également quelquefois. Il
2011, 168) en situation d’activité profession-
construit alors, à partir de ses réussites et de ses
nelle. Inversement, les « concepts pragmatiques »
échecs de nouveaux « savoir-agir » (Piot, op. cit.,
construits dans, par et pour l’activité adoptent
134) notamment grâce à l’articulation étroite qui
peu à peu une forme prédicative qui favorise
existe entre les registres pragmatique et épisté-
leur mobilisation dans des situations proches de
mique de développement. Car la réflexion qu’il
celles où ils ont pu se développer. Ils ont pour
déploie en cours d’action mais également à dis-
fonction d’orienter l’activité du sujet-enseignant
tance de l’action, les échanges avec ses pairs en
en fonction du déroulé réel des situations et de
milieu scolaire ou à l’institut de formation, lui
mobiliser ainsi au moment opportun les « savoir-
permettent peu à peu d’identifier et d’utiliser les
agir » nécessaires. Notons également que les
« savoir-agir » et les « concepts pragmatiques »
« savoir-agir » et les « concepts pragmatiques »
(Pastré, op. cit.) reconnus au sein de la commu-
incorporent les conceptions et les dynamiques
nauté professionnelle enseignante.
identitaires personnelles et professionnelles des
enseignants débutants.
Nous avons pu constater, à partir de la
notion de « genèse instrumentale » que le déve-
Pour totalement comprendre comment
loppement se nourrit de connaissances multiples
l’activité peut dans un même mouvement s’exer-
et hétérogènes. Les travaux de Vygotski (op. cit.)
cer et se développer, il reste à préciser que selon
vont nous permettre de décrire plus précisément
Piot (2006, 269-270) les « savoir-agir » s’articu-
les processus à l’œuvre. En effet, selon cet au-
lent avec les « concepts pragmatiques » au sein
teur : « Les concepts scientifiques commencent à
de « matrices cognitivo-pragmatiques » organi-
Cet auteur a précisé (1983, 106) que ces résultats
sées en réseaux. Le caractère dynamique et im-
3
étaient transposables chez les adultes.
12
prévisible de toute situation d’enseignement-
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
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apprentissage peut ainsi être progressivement
maitrisé grâce à la construction d’un répertoire
Une démarche compréhensive et empirique pour analyser l’activité
de « matrices », dont nous donnerons un aperçu
ci-dessous. Celles-ci sont activées en fonction
Neuf professeurs des écoles débutants4
des événements imprévus et fortuits qui se pro-
ont été filmés à quatre reprises, au cours de deux
duisent au cours des situations. Ainsi, peu à peu,
années consécutives, dans des classes d’école
les professeurs novices se familiarisent à la part
primaire situées dans des contextes sociaux et
d’invariance propre à toute situation car « dans
géographiques variés et de niveaux scolaires di-
beaucoup de situations, l’activité est assujettie à
versifiés. Chacune des situations filmées a donné
des règles univoques » (Vergnaud, 2007, 19). Ils
lieu à une observation directe des actions langa-
apprennent également à prendre progressive-
gières et non langagières des sujets et de leurs
ment en compte les variables contingentes des
élèves5. Ces observations ont été transcrites
situations. La souplesse du système réside dans
dans le but de repérer les « savoir-agir » mobilisés
l’articulation d’un nombre important de « savoir-
par les enseignants novices en situation.
agir » avec un nombre plus limité de « concepts
pragmatiques ».
Puis, un encodage des « savoir-agir » a été
effectué en cherchant à prendre en compte :
Les formateurs d’enseignants disposent
1. le déroulé de la situation filmée ;
actuellement de connaissances relativement
2. les buts d’apprentissage visés chez les
importantes sur les situations d’enseignement-
élèves. Il s’agissait, par ce biais, de préser-
apprentissage, les démarches d’enseignement
ver les liens existant entre activité, action
et les démarches d’apprentissage mais les
et opération, activité et motifs de l’activité
recherches sur les « invariants opératoires »
(Léontiev, op. cit.) au cours du recueil et de
(Vergnaud, 2002) intégrés à l’activité d’enseigne-
l’analyse des données. Une liste de descrip-
ment sont encore peu nombreuses. C’est pour-
teurs de l’activité des enseignants novices a
quoi il est important de chercher à identifier les
ainsi été élaborée.
« savoir-agir » et les « concepts pragmatiques »
mobilisés par les professeurs en situation d’enseignement-apprentissage. La recherche qui sera
4
présentée de manière succincte dans le prochain
les sujets étaient en formation professionnelle initiale
paragraphe poursuivait ce but.
(PE2) à l’IUFM de Basse-Normandie, les films ont été
Lors de la première année d’enquête (2008-2009),
tournés dans les classes où ils effectuaient leur stage
en responsabilité filé. La seconde année, ils étaient
titulaires première année (T1) dans des classes du
département du Calvados.
Les professeurs des écoles communiquaient les do-
5
cuments de préparation des situations d’enseignement-apprentissage qui étaient filmées.
13
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
Deux types de « savoir-agir » ont été mis au
jour :
tout d’abord de permettre aux professeurs des
écoles débutants de confirmer ou d’infirmer le
3. des « savoir-agir » dédiés à la saisie et au
« repérage » des « savoir-agir » qui avaient été re-
traitement de l’information en situation qui
pérés lors des observations. Il s’agissait ensuite
ont été nommés indicateurs-observables en
de mettre au jour le sens de leur activité en re-
référence aux travaux de G. Vergnaud ;
pérant dans leur discours les « concepts pragma-
4. des « savoir-agir » génériques dédiés à la
tiques » mobilisés. En effet, le concept d’ « intri-
conduite de la situation et de l’activité des
gue » développé par P. Ricœur (1985, t. III, 219),
élèves. Selon le moment où ils étaient obser-
montre que le récit participe de la mise au jour
vés, ces « savoir-agir » pouvaient prendre dif-
de la sémantique de l’action et permet d’en iden-
férentes formes en fonction du déroulé de la
tifier les motifs. Des fragments sémantiques ont
situation d’enseignement-apprentissage et de
ainsi été « extraits » des discours des sujets. Leur
la subjectivité des acteurs. En effet, lorsque
mise en relation a permis de repérer, outre la
l’enseignant effectue par exemple un rappel
construction de « savoir-agir », l’émergence d’un
à l’ordre verbal ou produit un signal ritualisé,
certain nombre de « concepts organisateurs » de
il indique dans les deux cas aux élèves la né-
leur activité à un niveau plus ou moins élaboré de
cessité d’être attentifs. Et, la mobilisation de
développement.
6
l’une ou de l’autre « opération » (Léontiev, op.
cit.) peut se révéler pertinente ou non perti-
Le triple statut de professeur des écoles,
nente en fonction des nombreuses variables
de formatrice en IUFM et de chercheur qui est
(le contexte socio-éducatif, l’âge des élèves, le
le nôtre, a constitué un atout précieux du point
moment de la journée, le type de situation,
de vue méthodologique. Car notre connaissance
etc.) intégrées à la situation. La pertinence du
approfondie de l’école primaire nous offrait des
choix de l’enseignant novice témoigne donc
clés de compréhension du terrain d’enquête et
d’un niveau de maitrise du « savoir-agir ».
facilitait l’identification des « invariants opératoires » du professeur des écoles. Nos fonctions
Les transcriptions des observations ont en-
de formatrice nous permettaient un contact
suite permis de construire des guides d’entretien
facilité avec les sujets et une expérience non
utilisés au cours des « autoconfrontations » (Clot,
négligeable des interactions sociales et langa-
Faita, Fernandez &Scheller, 2001) des sujets à leur
gières avec les enseignants débutants7. Cepen-
propre activité d’enseignement. Les techniques
dant, les écueils d’une telle proximité avec l’ob-
de « l’entretien d’explicitation » de P. Vermersch
jet de recherche sont aujourd’hui bien connus.
(2003) ont été adaptées pour cette recherche de
Le chercheur doit donc rester constamment en
manière à favoriser l’articulation dans le discours
éveil vis-à-vis de sa propre subjectivité. Un cer-
des sujets entre les dimensions « procédurale »
tain nombre d’événements d’ordre personnel
et « intentionnelle » de l’activité. Il s’agissait
7
6
Deux exemples d’ « indicateurs observables » seront
apportés plus loin.
14
Nous avions également expérimenté la technique des
entretiens d’explicitations au cours de deux recherches
précédentes.
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
(reprise d’étude) et professionnel (changements
nement articulés. Ces résultats remettent donc
successifs de fonctions) ont facilité cette veille.
en cause l’hypothèse d’un parcours de forma-
Car ils nous avaient permis d’acquérir un point de
tion professionnelle linéaire et identique pour
vue plus « armé » et plus distancié, sur l’activité
tous les professeurs des écoles débutants. Ils ne
d’enseignement, indispensable à la conduite de
pourraient certainement pas non plus se satis-
cette recherche.
faire d’un modèle de développement totalement
Ceci nous a permis d’obtenir quatre « pho-
standardisé n’autorisant pas des cheminements
tographies » du niveau de développement des
le plus souvent spécifiques dans le but d’être
professeurs des écoles débutants réparties sur
aussi constructifs que possible.
les deux années d’enquête. Une analyse diachronique et une analyse comparative de ces don-
Il convient cependant de relativiser la
nées ont permis d’obtenir les résultats qui vont
singularité des parcours observés car, l’ana-
être présentés maintenant.
lyse comparative a montré, que si le processus
de développement semble sous l’influence de
paramètres propres à chaque individu, celui-ci
D’un développement singulier à la
construction d’instruments professionnels communs
révèle également des éléments au service d’une
certaine généricité. En effet, l’analyse diachronique du développement de chacun des sujets
a permis de repérer des facteurs d’influence
L’analyse diachronique du développement
communs à tous les professeurs des écoles dé-
professionnel des sujets a abouti à un constat
butants qui semblent pouvoir constituer, selon
d’hétérogénéité en début et en fin d’enquête ce
les cas, des « freins » ou des « accélérateurs » de
qui, de prime abord, semble simplement confir-
développement professionnel.
mer les résultats de travaux conduits précédem-
Il s’agit :
ment dans le champ des Sciences de l’éducation
-- des conceptions, valeurs, connaissances,
(Perrenoud, 1996 ; Tardif & Lessard, 1999). En
savoir-agir, etc. de chaque enseignant débu-
effet, qui dit hétérogénéité en début et en fin
tant qui sont parfois proches, parfois éloi-
d’enquête peut conduire à l’hypothèse de par-
gnées de la réalité de l’activité enseignante,
cours de développement similaires. Néanmoins,
-- de la capacité des débutants à entrer dans
les propos tenus par les professeurs débutants
une démarche d’analyse réaliste de sa propre
lors des différents entretiens ont révélé au
activité d’enseignement qui est plus ou moins
contraire des processus de développement sin-
développée,
guliers, propres à chacun, placés sous l’influence
-- des « dynamiques identitaires » (Bourgeois,
de contextes d’enseignement, de dynamiques
2006) à l’œuvre lors des débuts dans l’activité
identitaires, de conceptions, valeurs, connais-
enseignante qui peuvent constituer des obs-
sances du sujet, de capacités réflexives, etc. Bref
tacles ou des éléments favorables à l’implica-
des sources ou des obstacles au développement
tion en formation.
eux-mêmes complexes, hétérogènes et certai-
15
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
L’analyse comparative a permis, quant
tions non appropriées des élèves, leurs erreurs,
à elle, de repérer l’existence de matrices
etc.]10 ; [Maintenir l’attention et la concentration
cognitivo-pragmatiques » communes à plus de
des élèves au moyen de différentes procédures] ;
la moitié des sujets. Ces matrices, dynamiques
[Obtenir l’attention des élèves au moment du
et évolutives, composées d’un « concept orga-
passage des consignes] ; [Interagir dans une
nisateur » et de plusieurs « savoir-agir »8 qui se
forme énonciative adaptée aux élèves] ; [Être
développent dans des temps proches, semblent
attentif au comportement déviant d’un ou de
constituer de véritables centres organisateurs
plusieurs élèves] ; [Être attentif à l’élève en tant
de l’activité d’enseignement. En effet, dès lors
que personne : rassurer les élèves, les mettre en
que leur développement est suffisamment éla-
confiance, s’intéresser à leurs préoccupations] ;
boré, elles permettent au sujet de faire face ef-
[Communiquer avec les élèves sur leurs réus-
ficacement à la pluralité et à la complexité des
sites]. Précisons que ces « savoir-agir », articulés
situations d’enseignement-apprentissage. Les
aux « concepts pragmatiques » cités en exemple,
exemples présentés ci-dessous permettront de
pouvaient également être mobilisés lorsque
mieux comprendre quels sont ces « instruments »
d’autres « concepts pragmatiques », non présen-
professionnels développés par les enseignants.
tés dans cet article, étaient énoncés. Par contre,
dans l’exemple qui nous intéresse, d’autres
Les « concepts pragmatiques » [Chercher à
« savoir-agir » tels que [Repérer si le niveau so-
susciter chez les élèves un engagement dans les
nore global est en adéquation avec la situation
activités d’apprentissage] et [Chercher à prendre
d’enseignement-apprentissage en cours]11 et
en compte l’hétérogénéité des élèves du point de
[Prendre en compte les difficultés ponctuelles
vue de leurs compétences cognitives, de leur per-
élèves : repérage dans le temps et dans l’es-
sonnalité et/ou de leur contexte de vie person-
pace ; compréhension des consignes ; manque de
nelle] par exemple, étaient énoncés de manière
concentration ; etc.] ont été observés seulement
diffuse par l’ensemble des sujets. Mais seule-
en présence du second « concept pragmatique »
ment cinq sujets, parmi les neuf qui ont participé
cité ci-dessus.
à cette recherche, les énonçaient de manière
explicite9. Des « savoir-agir » communs à ces
Ces résultats permettent donc d’expliquer,
cinq professeurs des écoles débutants ont, par
en partie, la singularité du développement des
ailleurs, été repérés lors de l’observation de leur
professeurs des écoles débutants. Car le déve-
activité d’enseignement : [Repérer les interven-
loppement des « instruments » mis au jour au
Dix « concepts pragmatiques » et soixante-dix-neuf
cours de cette recherche parait dépendre des
8 « savoir-agir » ont été identifiés dans cette recherche.
9
rations que le sujet a mises en œuvre, des ana-
matiques » était évalué sur une échelle de 1 à 5. Au ni-
10
veau 1, ils étaient quasiment absents du discours des
il relève du prélèvement et du traitement de l’informa-
sujets, au niveau 5, ils étaient énoncés explicitement
tion en situation.
et argumentés.
11
Le niveau de conceptualisation des « concepts prag-
16
situations rencontrées, des actions et des opé Ce « savoir-agir » est un « indicateur-observable » car
Un second « indicateur-observable ».
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
lyses de pratiques, des échanges informels entre
constitue simplement l’établissement d’une liste
pairs, des dynamiques identitaires ainsi que de
d’« instruments » professionnels plus ou moins
l’intégration des savoirs prédicatifs.
utilisés par les professeurs des écoles dans leur
pratique quotidienne. Mais l’originalité de ce tra-
En fonction des niveaux d’enseignement
vail réside, nous semble-t-il, dans la mise en lien
pratiqués, des contextes socioculturels rencon-
issue de la didactique professionnelle, de ces « sa-
trés, des interactions sociales avec les élèves, les
voir-agir » avec des « concepts pragmatiques » qui
pairs, les enseignants de terrain, les formateurs,
organisent et qui orientent l’activité d’enseigne-
les responsables institutionnels, les professeurs
ment. Ces résultats, qui restent encore à confir-
débutants semblent construire plutôt tel ou tel
mer par d’autres études, permettent d’obtenir
« savoir-agir », conceptualiser tel ou tel « concept
une première représentation des « instruments »
pragmatique » plutôt que tel autre. Et c’est ce
cognitifs et opératoires construits très progressi-
processus singulier qui va les amener à dévelop-
vement par les professeurs des écoles débutants
per des structures opératives et cognitives spé-
dans le but d’orienter et d’organiser efficace-
cifiques, plus ou moins adaptées aux situations
ment leur activité d’enseignement. Ils restituent
rencontrées. Chaque situation d’enseignement-
à l’« activité productive » des enseignants débu-
apprentissage est unique et semble potentielle-
tants, une dimension « constructive » (Rabardel,
ment pouvoir permettre le développement des
2005), à la pratique son « intelligence », aux ac-
compétences professionnelles dès lors que le
tions d’enseignement leur dimension concep-
sujet-enseignant aura acquis des « savoir-agir »
tuelle. De ce point de vue, la problématique de
dans le domaine de la réflexivité et à la condition
la professionnalisation doit nécessairement être
qu’il ne soit pas empêché d’évoluer en raison de
réinterrogée. C’est ce que nous allons faire à
tensions identitaires trop importantes. Chaque
présent.
situation de formation est unique et peut également permettre aux professeurs des écoles
débutants de construire leur professionnalité
dès lors que les savoirs qui leur sont proposés
La « professionnalisation » des enseignants, une problématique en « tension »
peuvent prendre sens au regard du « modèle
opératif » qu’ils ont commencé à construire.
La tension entre deux logiques, deux projets, deux réalités soulignée par R. Wittorski et
Il n’est pas possible d’affirmer que tous les
S. Briquet-Duhazé nous amène à penser que le
« savoir-agir » d’un professeur des écoles débu-
développement professionnel des enseignants
tant ont été repérés au cours de cette recherche.
débutants renvoie également à deux formes de
Certifier la validité de chacun de ces indicateurs
complexités qui se confrontent et qui dès lors
de professionnalité serait également présomp-
sont en tension :
tueux. D’autres recherches seront nécessaires
-- la complexité et le caractère aléatoire de
pour confirmer ou infirmer et approfondir ces
la situation d’enseignement-apprentissage
résultats. D’un certain point de vue, ce repérage
qui intègre la spécificité du contexte social,
17
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
historique, politique et la subjectivité de ses
-- de conceptions, de valeurs auxquelles il
acteurs, élèves et enseignants, voire la subjec-
adhère, qui constituent pour lui des « concepts
tivité des décideurs/évaluateurs institution-
pragmatiques » rudimentaires,
nels locaux ;
-- de « savoir-agir » construits parfois dans
-- la complexité subjective de chaque profes-
d’autres lieux que l’école, dans d’autres temps
seur d’école débutant, de chaque enseignant
que celui de la formation au fil d’une histoire
novice ou expérimenté qui intègre à la fois
personnelle ou professionnelle antérieure,
des savoirs, des « savoir-agir », des valeurs, des
-- d’une identité personnelle qui va s’articuler
« concepts pragmatiques », des dynamiques
avec une identité professionnelle à construire
identitaires dans le cadre d’un développe-
peu à peu.
ment propre à chaque sujet.
Ces différents éléments qui, nous en faiAinsi, il parait essentiel que ces deux formes
sons l’hypothèse, intègrent et structurent le
de réalités complexes puissent être prises en
« modèle opératif » d’un enseignant débutant
compte au sein de la formation professionnelle
au moment de son entrée en formation nous
des enseignants à la fois dans leur confronta-
paraissent étroitement articulés et ne nous sem-
tion et dans leur articulation. Or, si la complexité
blent pas pouvoir être totalement dissociés en
interne à la situation d’enseignement-apprentis-
formation. Car c’est précisément ce qui, selon
sage semble avoir gagné ses lettres de noblesse
nous, provoque les tensions. Tensions internes
au sein des instituts de formation des maitres
en raison de connaissances acquises concernant
suite aux travaux de recherche conduits sur ce
l’activité d’enseignement mais néanmoins diffici-
sujet depuis une quarantaine d’années, cela ne
lement assimilées car à l’origine de dilemmes et
nous semble pas être le cas concernant la com-
de contradictions d’un point de vue identitaire.
plexité de l’activité du sujet-enseignant.
Tensions externes, provoquées pas l’obligation
Suite aux résultats obtenus dans cette
de se soumettre à des injonctions appartenant
recherche, il nous semble pourtant nécessaire
au « genre » professionnel (Clot & Faïta, 2000) ou
d’admettre qu’à l’aube de leur formation initiale,
à des injonctions institutionnelles dont le sens
les enseignants débutants ont déjà développé
sera progressivement construit. Ces éléments,
un « modèle opératif » rudimentaire qui leur per-
spécifiques à chaque sujet, pourraient égale-
met d’orienter et d’organiser leurs débuts d’ac-
ment expliquer que le « modèle opératif » du
teurs-enseignants. Et ce modèle, plus ou moins
débutant puisse sembler parfois très rudimen-
élaboré selon l’expérience acquise au cours
taire, très peu élaboré et donc très peu efficace
de
d’enseignement-apprentissage
en début de formation. Tandis que dans d’autres
vécues ou observées avant l’entrée en formation,
cas, il pourra paraitre déjà élaboré et suffisam-
qui devra se développer de manière à devenir de
ment efficace.
situations
plus en plus efficace, semble porteur :
-- des
savoirs
du
débutant
l’activité d’enseignement,
18
concernant
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
Des « invariants opératoires » à mettre au
jour en situation d’analyse de l’activité
nières années dans le domaine de la recherche
en éducation. Cependant, le renversement de
perspective n’est pas sans risque, ni pour l’institu-
La difficulté pour une structure de for-
tion, ni pour les formateurs eux-mêmes car « Par
mation telle que les instituts universitaires de
contraste avec la bureaucratie habituelle qui
formation des maitres aujourd’hui, les écoles
donne la première place à la science appliquée,
supérieures du professorat et de l’éducation
une institution réflexive doit trouver le temps de
demain, réside précisément dans la prise en
porter attention aux valeurs et aux buts qui sont
compte de cette hétérogénéité des étudiants
en conflit. » (Schön, 1994, 397)
qui souhaitent devenir enseignants ou des professeurs débutants. Car, pour former efficace-
Les temps d’analyse de pratique réflexive
ment, il faudrait pouvoir proposer un « menu »
développés depuis un certain nombre d’an-
personnalisé à chaque enseignant débutant qui
nées dans les instituts de formation produisent
prenne en compte son « modèle opératif » initial.
de vrais échanges entre débutants ou entre
Or, cela semble extrêmement difficile dans le
débutants et formateurs et sont, nous semble-
cadre de l’université dont l’objectif était, jusqu’à
t-il, susceptibles de faire évoluer les « concepts
une période relativement récente, de trans-
organisateurs » et les « savoir-agir » des ensei-
mettre des savoirs complexes mais formalisés
gnants novices. Car ainsi que le précise Vinatier
à un petit nombre d’étudiants sélectionnés en
(2009,157), la réflexion a posteriori et la confron-
raison de leur capacité intellectuelle à les inté-
tation des points vue permet à chacun de donner
grer. Car concernant la « professionnalisation »,
du sens à sa propre expérience et de générer des
la problématique est tout autre. Permettre à de
« …potentialités nouvelles. La personne peut
futurs professionnels d’intégrer non seulement
éprouver un sentiment d’appartenance au collec-
des savoirs prédicatifs mais également des
tif dans lequel elle se reconnait alors. Lorsque ce
« savoir-agir », non seulement des « concepts
dernier est rassurant pour chacun des membres
scientifiques » mais également des « concepts
alors il peut donner à chaque sujet l’ambition
pragmatiques » exige une approche sensible-
de s’en dégager. Ce processus facilite la mise en
ment différente du cours magistral. Il ne s’agit
mots de la singularité de l’action ».
pas ici de nier le rôle des discours formalisés et
des concepts scientifiques dans la construction
C’est ici que les résultats de cette recher-
des compétences professionnelles des ensei-
che pourraient être utiles et pourraient facili-
gnants. Mais il semble nécessaire de renverser la
ter, pour les formateurs, la construction d’outils
problématique de l’apprentissage, de partir de
d’analyses de l’activité et d’évaluation formative
ce que savent les débutants, du pouvoir d’agir
ou encore des outils d’auto-positionnement pour
qui est le leur plutôt que de chercher à déver-
les étudiants. Car, à l’instar de Grandaty (2011,5),
ser sur leur « modèle opératif » tous les « savoirs
« Notre hypothèse de travail, dans un processus
sur la pratique » (Altet, 1994) construits ces der-
de formation, est qu’il faut inventorier en amont
des organisateurs de la pratique enseignante ».
19
Les « savoir-agir » des professeurs des écoles : des «instruments» construits
par et pour l’activité d’enseignement.
Carole Carré
En effet, lorsque ces « organisateurs » sont iden-
s’individualisent autant qu’ils se professionna-
tifiés, les dispositifs de confrontation à son acti-
lisent. La formation devient plus souple, au sens
vité propre ou à l’activité d’autres débutants, au
où elle s’adapte aux besoins de chacun pour que
travers de vidéoscopie (Ria, Leblanc, 2011), sont
chacun s’adapte aux besoins de son ou de ses em-
facilités.
ployeurs
potentiels. »
(Champy-Remoussenard,
2008, p. 56). Outre les dispositifs d’analyse de praLes
conceptions
développées
ci-dessus
tique, nous pensons donc également aux temps de
concernant la prise en compte de l’hétérogénéité
formation qui reposent sur le même type d’articu-
des débutants ne doit pas nous conduire pour au-
lation tout en constituant des apports magistraux.
tant à faire table rase de dispositifs de formation
Cela suppose bien évidemment de la part des
collectifs ayant fait la preuve de leur efficacité.
formateurs qu’ils veillent à illustrer les « concepts
En effet, l’intégration du « genre » professionnel
scientifiques » abordés par des exemples concrets
nécessite également des modes de socialisation
issus de situations d’enseignement-apprentissage
collectifs conduisant tout autant à la construc-
réellement observées par eux-mêmes ou par les
tion du « style » (Clot & Faïta, op. cit.) individuel
enseignants novices. Par voie de conséquence,
de chaque enseignant qu’à l’évolution globale
cela exige également des formateurs bien formés
du collectif professionnel. Faute de quoi des ef-
et la constitution d’équipes pluri-catégorielles de
fets pervers ne sont pas exclus. Car, « Le collectif
formateurs ayant le temps de construire collégia-
s’estompant, c’est l’isolement de l’individu qui
lement des dispositifs de formation adaptés, voire
pointe son nez tout autant que son possible épa-
dans l’idéal, de former des collaborations étroites.
nouissement personnel. La formation devient accompagnement, tutorat, coaching. Les dispositifs
Conclusion
Les modalités de professionnalisation des enseignants relèvent de dispositifs pluriels qui ont évolués au cours du temps. Les analyses de pratiques et les analyses de l’activité qui se sont développées
ces dernières années dans les instituts de formation ne présentent pas toujours l’efficacité attendue en
termes de formation. En effet, la note de synthèse, élaborée par J.-F. Marcel, P. Olry, E. Rothier-Bautzer
et M. Sonntag (2002, 135-170) souligne une certaine confusion dans les termes, dans les finalités et dans
les paradigmes de références des analyses de pratiques mise en œuvre au sein des formations professionnelles. Ces auteurs précisent également que l’objet de l’analyse varie en se centrant selon les cas
sur « l’activité du sujet », « le statut des situations », « les communications », « l’action ». Nous émettons
l’hypothèse qu’en s’appuyant sur ces résultats et sur les cadrages théorique et méthodologique présentés dans cet article les formateurs d’enseignants pourront plus facilement guider les analyses de l’activité en aidant les sujets à produire un discours sur leur activité d’enseignement, à se questionner sur les
stratégies qu’ils développent et sur leurs intentions, à mettre en lien les différents types de savoir qu’ils
rencontrent et qu’il construisent.
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