Histoire des Arts Alexandre Nevski », scène de la Bataille sur la

Transcription

Histoire des Arts Alexandre Nevski », scène de la Bataille sur la
Histoire des Arts
L'Oeuvre : Extrait du Film « Alexandre Nevski », scène de la Bataille sur la glace
le Réalisateur :
Serguei.M EISENSTEIN (1907-1958)
Le Compositeur :
Serguei PROKOVIEV (1891-1953)
Prokoviev est considéré comme le gardien de la tradition russe, héritier des classiques (ballets: Roméo
et Juliette/ Cendrillon; texte du patrimoine littéraire: Guerre et Paix de L.Tolstoï), à l'écriture
plus incisive, avec des rythmes vifs.
Au départ, peu intéressé par la Révolution d'Octobre, il part pour les Etats-Unis, puis s'installe en
France où il côtoie Poulenc, Ravel et Stravinsky. Ayant le mal du pays, il accepte une tournée en
URSS et obtient l'autorisation de s'y réinstaller en 1935.
Certains se font rappeler à l'ordre au nom de la construction du Socialisme; lui, rentre dans le rang
(il ira jusqu'à composer une Cantate pour les 20 ans de la révolution).
Sa création a parfois une fonction pédagogique, ex: Pierre et le Loup/ Musique pour Enfants op 65.
Sa mort, le 5 mars 1953 passe même inaperçue, car survenue le même jour que son tyran Staline.
Présentation et contexte
Commandé par Staline en 1938, le choix du héros russe du 13ème siècle Alexandre Nevski n'est
pas anodin. Effectivement celui-ci a mené le peuple russe à la victoire contre les chevaliers
Teutoniques (les allemands). Le parallèle est donc évident dans un contexte historique tendu, Hitler
est déjà au pouvoir, ce film est un avertissement adressé à l'Allemagne nazie, et à travers elle, à
tous les agresseurs potentiels de l'URSS. L'image charismatique du héros organisant la résistance face
à l'ennemi et portant le peuple au triomphe, est à relier directement à l'image que Staline veut
donner de lui (et prépare moralement le peuple au combat).
Eisenstein conçoit son film à la gloire du patriotisme comme une symphonie visuelle qui repose sur une
association parfaite de l'image et de la musique épique de Prokoviev.
Pour une large diffusion propagandiste Staline se donne les moyens , un train sera affrété et
« relooké » annonçant la sorti et la projection du film dans tout le pays.
Description
La particularité de cette scène est que le montage a été fait à partir de la musique de Prokoviev.
Pendant quasiment toute la scène, seule la musique est présente.
La scène peut-être découpée en trois séquences :
● A: Introduction: Attente: Mise sous tension: Jeu de contrastes.
● B: Annonce de la bataille: Bénédiction des chevaliers Teutoniques.
● C: Charge des Chevaliers Teutoniques.
Chaque changement est annoncé par un événement musical qui contraste avec le précédant.
A : Introduction: Attente: Mise sous tension:
Jeu de contrastes.
Présentation uniquement de l'armée Russe (en noir).
Musique
° Aigu/Grave
°Tenues suraigües des violons en Trémolos
°Gammes chromatiques ascendantes et
descendantes jouées par les violons
°Chromatisme décalé des violoncelles avec
appoggiatures (rythme extrêmement serré)
°Écriture resserrée, rythmes rapides, intervalles
proches (effet de masse)
°Accords ponctuels des cuivres, entrecoupés de
silences (marque le changement de plans)
°Contraste de timbres (cordes/vents)
°Silence soudain et long
°Montée chromatique des clarinettes, sur un
tempo différent des cordes.
°Association inhabituelle de timbres (clarinette
basse; flûte traversière; trompettes)crée un
climat étrange.
Le long silence marque la fin de la séquence
Image
°Blanc/Noir
°Horizontalité, horizon, ligne compacte de l'armée
Russe (effet de masse).
°Rupture par la verticalité des lignes, présence
de vide dans l'image.
°Progression dans la tension, gros plans sur les
visages multiples du peuple (jeune, vieux, beau,
laid, androgyne), position figée, grand statisme.
Vide sur un paysage construit sur trois lignes
horizontales.
B : Annonce de la bataille: Bénédiction des chevaliers Teutoniques.
Présentation uniquement des Chevaliers Teutoniques (en blanc).
Musique
Image
°Trois sonneries de cors
°Annonce du début de l'affrontement
°Présence du Cembalum (instrument traditionnel °Bénédiction,critique ouverte de la religion(« La
des pays de l'est), symbole d'un temps révolu. religion est l'opium du peuple »)
°Utilisation d'effet de cloches (référence aux
Pâques Russes)
°Appauvrissement de l'écriture musicale.
°Nuance p
Changement rythmique radical.
Mise en route de la charge
C : Charge des Chevaliers Teutoniques, montée vers la bataille.
Alternance de plans entre les deux camps, contrastes entre le statisme des Russes (stoïcisme) et le
mouvement (l'agressivité) des Chevaliers Teutoniques.
Musique
°Ostinato rythmique sur deux notes (do/réb)
°Répétition de la phrase grave des Tubas, sous
forme de Question/Réponse.
°Accumulation de courtes phrases répétées.
°Roulement de Caisse Claire, référence à la
musique militaire (marche)
°Mélodie stridente
°Structure globale en Arche
°Crescendo générale par accumulation et
superposition. Du p au fff
°Orchestration de plus en plus fournie
°Arrivée des Chœurs (voix du peuple = Chœur
de l'Armée Rouge)
Image
°Enfin du mouvement, c'est la charge des
Chevaliers, montage dynamique, passage d'un
camps à l'autre.
°Des plans de plus en plus rapprochés.
°Présence de dissonances (intervalles proches et ° Tension de plus en plus palpable dans les rangs
resserrés)
des Russes. Caractère martial, conflit
°Caractère martial de la musique
incontournable.
°Mélodie déstructurée, disjointe dans les suraigus
(violons/trompettes) stridence.
°Présence du son des enclumes (références au
Marteau et la Faucille) accentue le caractère
martial, donne un aspect industriel, parallèle avec
l'idée de machine de guerre.
Fin de la musique, le son de la bataille l'emporte
Assaut
En résumé
Une telle interaction entre la musique et l'image, place le son au service directe du film et renforce
le discours propagandiste du message visuel.
L'absence de dialogue confère une puissance évocatrice à la musique, nulle besoin de discours pour
comprendre les tenants et les aboutissants de la scène.
La richesse de vocabulaire et d'expression dans l'écriture de Prokoviev éclaircie la compréhension du
message au travers une musique au langage tour à tour énergique (rythme et tempo divers), coloré
(association timbrique inhabituelle), viril (puissance de l'orchestration, forte présence des cuivres),
moderne (accents décalés, harmonie dissonante, jeu chromatique), rythmé (saccadés, courts et
répétés).
Une collaboration aussi réussie entre musique et image impose dès lors la musique, comme un
incontournable, dans le support cinématographique du Xxème siècle.
Élargir, Rapprocher
« Alexandre Nevski », n'a pas été le seul travail en commun entre Prokoviev et Eisenstein, on peut
citer également : « Ivan le Terrible » pour lequel ils ont subi une forte censure du Parti Communiste
L'écriture incisive aux rythmes vifs de Prokoviev est à rapprocher de celle de son contemporain et
patriote Chostakovitch, qui lui aussi a subi les marque s de la censure.
D'autres artistes ont été interdits et censurer comme l'écrivain M.Boulgakov dans son livre « Le
Maître et Marguerite » ou il met en avant son goût pour la musique de Jazz.
Limites à la collaboration Art/Etat/Pouvoir:
● Le pouvoir croit maîtriser l'acte créateur en lui imposant son dictat.
● Le créateur peut (afin de ne pas sombrer dans la misère) répondre aux exigences et cahier
des charges des dirigeants.(rf: Vissotsky)
● Cependant le créateur reste libre et peut à tout moment retrouver sa liberté d'expression et
ainsi devenir un outil de dénonciation. Mais il se met en danger.
Ce qui le protège c'est: son talent; sa capacité à se couler dans le « moule »; son réseau de
connaissances (ses appuis); sa notoriété.
Ce qui fait de l'artiste un instrument à double tranchant (peut-être utilisé, mais peut dénoncer si
trop de contraintes).