voir plus - Shefferd

Transcription

voir plus - Shefferd
management
publicité
Les salaires
encaissent
(mal) la crise
M
oins 1,8 %, voilà
la baisse moyenne
des salaires dans
la publicité en
un an, selon l’enquête exclusive du cabinet Shefferd
pour Stratégies, qui passe en revue
la rémunération des salariés du secteur. D’après cette étude, à laquelle
ont répondu 32 agences, représentant quelques 3 500 salariés, la tendance est globalement à la baisse du
côté des fiches de paie dans la publicité. Au passage, nous sommes bien
loin de l’augmentation hors norme
de 33 % de Maurice Lévy, président
du directoire de Publicis Groupe en
2012 (sa rémunération uniquement
variable a été portée à 4,8 millions
d’euros, contre 3,6 millions en
2011), et validée pour la première
fois par un vote de ses actionnaires.
Pour les autres, les temps sont plutôt à la disette salariale. Comment
s’explique cette baisse ? Toutes les
fonctions sont-elles concernées par
ce tour de vis ? Dans ce contexte
morose, quels métiers progressent ?
Première explication à ce décrochage des salaires, le fort taux de
« turn-over » dans les agences. En
2012, le nombre de départs s’est
intensifié dans les grandes structures (celles de plus de 80 salariés),
puisque le taux est de 28 %, contre
23 % en 2011. En particulier dans
le marketing client (27 %, contre
22 %), le corporate (25 %, contre
21 %), la santé (28 %, contre 22 %)
et l’événementiel (28 % également,
contre 23 % en 2011). Particulièrement touché par ces mouvements, le
secteur de la publicité au sens large,
en hausse de 8 points (33 % en
Méthodologie
Cette étude a été réalisée par le cabinet Shefferd au mois de mai 2013
auprès de 32 agences, soit un effectif total de quelque 3 500 personnes.
Il s’agit des salaires bruts annuels et fixes uniquement. Les agences
ayant répondu sont très majoritairement franciliennes (87 %) et représentent les différentes spécialités : corporate, interactive, « customer
marketing », publicité, production publicitaire, communication éditoriale,
santé et communication événementielle. Il s’agit de structures de tailles
diverses – même si les petites agences sont surreprésentées – qui
affichent un effectif majoritairement féminin (52 %).
50
Stratégies n°1729 27/6/2013
Enfocus Software - Stratégies RBI Paris
© Boll
Conséquence directe du contexte économique
difficile, les rémunérations affichent une baisse
proche de 2 %, selon une étude exclusive du cabinet
Shefferd pour Stratégies. Explications par métier.
2012, contre 25 % en 2011). Dans
le même temps, du côté des petites
et moyennes agences (moins de 80
personnes), le taux de rotation du
personnel est resté élevé (passant de
30 % à 29 %). Au global, cela signifie qu’il y a eu beaucoup de départs
non remplacés dans les agences en
2012 : « Les entreprises qui nous ont
répondu ont vu leur périmètre baisser,
confirme Marc deTorquat, directeur
de Shefferd. Elles ont clairement rogné
sur leurs effectifs : si elles veulent rester
compétitives, elles sont obligées d’opérer
de petites coupes là où elles peuvent,sans
remplacer un départ, en redistribuant le
travail en interne. » L’autre façon de
réduire les coûts quand une compétence est indispensable est de
remplacer un senior par un profil
idoine, mais moins expérimenté,
donc moins onéreux.
Trois fonctions dirigeantes voient
leurs rémunérations s’alléger franchement : le directeur de la création
(–9,38 %), le directeur commercial
(–7,54 %) et le directeur du développement (–5,92 %). «Si les gros
salaires trinquent, c’est parce que,
d’un côté, le taux de transformation
du nouveau “ business ” est en baisse,
alors que de l’autre, il faut maintenir
les marges des actionnaires », décrypte
Olivier Bouas-Laurent, président
et cofondateur de la jeune agence
Mademoiselle Scarlett (7 salariés).
Selon Pierre Callegari, cofondateur
d’Herezie (près de 50 salariés), les
agences sont devenues des entreprises comme les autres : « Nous
sommes dans une période de crise économique, et dans cette phase de fortes
tensions, les industriels de la publicité
que nous sommes décident de moins
payer, de retarder des recrutements.
Les directeurs de la création, les directeurs commerciaux peuvent servir de
variable d’ajustement. »
Ces ajustements sur le salaire fixe
peuvent néanmoins parfois être compensés en variable. « En tant que chef
d’entreprise, je ne vois pas pourquoi je
L’info en continu sur www.strategies.fr
Salaires médians par fonction (en milliers d’euros brut annuels)
en hausse en baisse
Création
120
100,5
100
80
60
50,1
44,5
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Commercial
120
100
80
baisserais la part variable, j’aurais plutôt tendance à proposer de récupérer par
ce type de rémunération la perte sur le
fixe, détaille Olivier Bouas-Laurent.
Cela reviendra moins cher à l’agence au
départ et c’est un pari sur l’avenir. »
Prime aux créateurs… de valeur
Ce rééquilibrage des salaires n’est
pas simplement conjoncturel, prédit
Ludovic Delaherche, président et
cofondateur d’Human Inside, car il
correspond plutôt à un changement
structurel : « Aujourd’hui, les agences
vivent davantage de la production que
de la création et des idées. Or, dans la
production, nous faisons beaucoup
moins de marges car il est difficile de la
faire payer cher. »
Selon Frank Tapiro, le présidentfondateur d’Hémisphère droit
(23 salariés), le fait que les postes
de direction soient en forte baisse
confirme qu’il s’agit bien d’une
mutation du métier : « La publicité
est en train de se réinventer, avec une
redistribution des cartes. Certains coûts
étaient exagérés par rapport à l’économie globale de notre métier. Il y aura
un écrémage, des créatifs qui sont très
bien payés, mais qui ne sortent qu’une
bonne campagne par an, ce n’est pas
normal. En revanche, on doit pouvoir
vendre plus cher la création. » D’ailleurs, Frank Tapiro milite pour un
« Grenelle de la publicité », où tout
serait mis sur la table : la convention
collective, les règles de compétitions, etc.
Mais au-delà des baisses très marquées de quelques postes de direction, la tendance globale est plutôt
à une légère régression voire à une
stagnation des salaires dans la plupart des métiers. Parmi les (rares)
épargnés, le directeur du planning
stratégique, qui voit sa rémunération progresser de 2,11 % en un an.
Cette hausse a une explication, selon
Olivier Bouas-Laurent, de Made-
L’info en continu sur www.strategies.fr
Enfocus Software - Stratégies RBI Paris
80,9 82,7
67,5
60
45,2 40,9 40,2 39,9
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Production, logistique
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Source : Shefferd.
Stratégies n°1729 27/6/201351
management
Quels types d’agence payent le mieux ? (1)
Communication éditoriale
événementielle
50,3
49,7
54,1
52,2
46,1
45,2
Formations externes/internes
84%
Voiture de fonction/place de
parking/frais kilométriques
Primes discrétionnaires/
résultat
77%
57%
48%
Jours de congés supplémentaires
33%
Stock-options
Mobilité internationale
24%
(2)
Chef de projet
confirmé (2)
38,7
43,9
32,3
43,1
39,2
30,6
Directeur artistique
confirmé (2)
48,5
55,5
50,9
49,5
42,9
34,4
Directeur de création
165
65,1
113,9
118,7
79,9
60,1
Programme de développement
professionnel
Participation/intéressement/
13e mois
moiselle Scarlett : « Les annonceurs
disposent de moins en moins de temps
et de moyens pour faire du marketing.
Du coup, ils sous-traitent ce travail
aux agences. On le voit à l’indigence
des briefs délivrés, qui comprennent très
peu d’analyse et sont de plus en plus
souvent oraux. Nous sommes obligés
de nous emparer de ces sujets et donc de
disposer d’un planning musclé. »
Pierre Callegari, d’Herezie,
confirme ce rééquilibrage des
compétences : « La nature humaine
est relativement bien faite, les gens qui
créent de la valeur ne voient pas leur
16%
Autres
4%
Aucun
3%
(1) En milliers d’euros brut annuels. (2) Confirmé : 3 ans d’expérience et plus. Source : Shefferd.
rémunération baisser : c’est le cas des
planneurs, qui font partie des ressources
que les annonceurs sont prêts à payer,
tout comme les profils “ social media ”. »
Résultat, la rémunération des « community managers » et « social media
managers » flambe, avec une progression de 9,6 % en un an.
Bien sûr, pour les gestionnaires
de communauté, il s’agit davantage
d’une confirmation que d’une nouveauté. « On arrive plus facilement à
valoriser ces expertises auprès des
annonceurs car c’est du temps passé à
veiller à la réputation de leurs marques.
Ils sont prêts à payer pour cela »,
constate Olivier Bouas-Laurent.
18%
0
10
20
Même engouement concernant le
« creative technologist » dont la rémunération, déjà élevée (55 100 euros
de salaire médian), est encore
confortée (+ 1 %).
De grandes disparités
selon le secteur
À chaque émergence d’une fonction, le même phénomène se produit : les agences tâtonnent avant
de trouver la bonne organisation, le
niveau d’expertise (junior ou senior)
dont elles auront réellement besoin.
Avec toujours cette même interrogation : s’agit-il juste d’un phénomène de mode ou d’une tendance
entretien
« Les agences ont dû réduire la voilure »
DR
Marc de Torquat, est
directeur du cabinet
Shefferd, qui a réalisé
cette enquête sur
les salaires.
Quelles tendances
retenez-vous de cette étude
sur les salaires ?
Marc de Torquat. Le premier fait
marquant concerne la baisse
des effectifs d’un grand nombre
d’agences ayant répondu par
rapport à l’année dernière.
Dans un contexte difficile,
elles ont dû réduire la voilure.
Et puis, il y a un paradoxe :
en période de crise, pour se
démarquer, toutes les agences
misent sur leur créativité et leur
52
force commerciale. Pourtant, ces
fonctions sont moins bien valorisées que dans notre précédente
étude. Ainsi, les rémunérations
fixes des directeurs commercial,
du développement et de la
création sont en forte baisse.
Même si cela est peut-être
compensé par du variable.
La rémunération comprend-elle
peu de part variable dans
le secteur de la publicité ?
M. de T. Effectivement, dans ce
secteur, très peu de salariés ont
une part variable dans leur rémunération. Seules trois fonctions
ont perçu un variable significatif
en 2012 : le directeur de clientèle,
pour lequel cette part oscille
Stratégies n°1729 27/6/2013
Enfocus Software - Stratégies RBI Paris
de 5 à 20 % de sa rémunération
globale, le directeur du développement, dans une fourchette de
10 à 40 %, et enfin le directeur
général, à hauteur de 20 %.
Comment cela va-t-il évoluer
d’ici à 2014 ?
M. de T. Les agences ne demandent
qu’à valoriser leurs équipes et les
compétences dont elles disposent,
mais elles sont confrontées à une
très grande pression des annonceurs, qui mènent une véritable
guerre des prix pour des appels
d’offres toujours plus compétitifs.
Il n’y aura pas de retournement
de tendance, en termes de
rémunération, dans les prochains
mois.
Entretien : G.W.
Source : Shefferd.
Création
Customer Marketing
Directeur de
clientèle confirmé
Publicité
Commercial
Communication
d’entreprise
Métier
Interactive
Fonction
Outils de fidélisation des salariés
30
40
50
60
70
80
90
100
de fond ? Une fois que ces nouveaux
métiers sont réellement digérés par
les agences, celles-ci sont plus à
même de juger les compétences
exactes dont elles ont besoin. Et
cela peut s’accompagner d’un dur
retour à la réalité. « Dans les deux à
trois prochaines années, il va y avoir
une grosse chute de rémunération pour
les métiers du “ social media ”, car il y a
beaucoup d’imposteurs, prédit Ludovic Delaherche, d’Human Inside.
C’est souvent le cas pour des fonctions
non définies, et cela pourrait concerner
également les “ creative technologists ”,
les “ social media planneurs ”…»
Enfin, à métier équivalent selon
l’univers dans lequel évoluent les
agences, il y a toujours de grandes
disparités : le secteur qui paie toujours le moins bien reste l’événementiel. Là, un directeur artistique
confirmé gagnera 34 400 euros de
salaire médian, contre 50 900 euros
dans une agence de publicité plus
classique.
À l’opposé, un directeur de création en poste dans une agence interactive percevra une rémunération
médiane de 165 000 euros, contre
60 000 euros dans une agence événementielle. « Normal, il s’agit dans
ce dernier cas d’un métier de volume,
qui n’a pas autant besoin de seniors
que d’autres domaines, précise Marc
de Torquat, du cabinet Shefferd.
D’autant que toutes les agences sont
capables de faire de l’événementiel. À
l’inverse, les bons profils de créatifs digitaux sont encore peu nombreux. » Voilà
un principe qui se vérifie toujours
sur le marché du travail : ce qui est
rare est cher. Gilles Wybo
L’info en continu sur www.strategies.fr