Savoir et connaissances

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Savoir et connaissances
Savoir et connaissances
Extrait de :
Jonnaert, Ph. et R. Defise, (2005)Constructivisme : un cadre de référence pour l’école.
Montréal : Beauchemin international.
Introduction
Le constructivisme s’intéresse particulièrement aux connaissances. Ces dernières sont donc
au cœur de l’ensemble des propos de cet ouvrage. Avant de préciser ce que ces connaissances
sont ou ne sont pas, il semble utile de distinguer clairement ‘connaissance’ et ‘savoir’. Conne
(1992) propose de dissocier l’une de l’autre, les connaissances relevant de la personne qui les
a construites, les savoirs étant plutôt fixés par un groupe social qui les a codifiés. Alors que
les connaissances appartiennent à la personne, les savoirs sont déterminés socialement et
décrits dans des documents et des textes acceptés. Les connaissances sont donc personnelles
alors que les savoirs sont sociaux. L’une, la connaissance, est définie par des propriétés qui
relèvent de la cognition, l’autre, le savoir, est qualifié à travers des attributs syntaxiques et
sémantiques de l’écriture lorsqu’il est écrit.
Il s’agit donc de deux concepts distincts, même si les savoirs codifiés sont décrits dans des
programmes d’études pour que des personnes d’une société donnée, construisent des
connaissances à leur propos.
Les savoirs
D’une façon classique, par ‘savoir’, nous désignons des savoirs constitués, décrits dans des
programmes d’études, des manuels scolaires, des ouvrages spécialisés ou dans d’autres
documents didactiques (Jonnaert et Vander Borght, 2003; Brun, 1994; Conne, 1992;
Rouchier, 1991). Ces savoirs sont socialement admis et valorisés. À ce titre ils sont codifiés
dans des programmes d’études pour que des personnes fassent des apprentissages à leur
propos. Ils appartiennent aux ‘communautés de savoirs’, qui les ont codifiés. Par exemple,
les savoirs mathématiques appartiennent à la communauté de mathématiciens. À partir du
moment où une société les reconnaît, ils sont valorisés par celle-ci et codifiés dans des
programmes d’études, afin que ses membres puissent se les approprier.
Les savoirs codifiés répondent à la logique de la discipline à laquelle ils appartiennent ou aux
pratiques sociales qui les ont générés. Par exemple, écrire les propriétés de l’addition fait
nécessairement référence à la logique de l’arithmétique. Mais, décrire comment un viticulteur
détermine que ses raisins sont mûrs pour les vendanges, renvoie aux pratiques sociales des
viticulteurs pour choisir le moment propice aux vendanges. C’est sur base de ces références,
logique de l’arithmétique et logique des pratiques sociales des viticulteurs, que ces savoirs
sont ensuite écrits dans des programmes d’études ou des manuels de formation. Dans l’un et
l’autre cas cependant, le savoir codifié est écrit. Il répond donc à une double logique : (1) la
logique de la discipline ou des pratiques sociales de référence; (2) la logique de l’écrit, qui est
syntaxique et sémantique.
En aucun cas, un savoir codifié ne peut être décrit à l’aide de qualificatifs qui relèvent de la
cognition. Par exemple, parler de ‘savoirs procéduraux’ est une aberration, puisqu’un savoir
codifié ne réfère pas à la cognition mais à un texte dans un programme ou à un autre type de
document écrit. Le concept de ‘savoir’ relève de la syntaxe et de la sémantique et le concept
de ‘procédural’ relève de la cognition. Un savoir codifié peut être lisible, clair,
compréhensible, bien écrit, mais rien de plus et certainement pas ‘procédural’.
Exemple de savoir codifié, écrit dans un dictionnaire des mathématiques :
« Une égalité est l’affirmation que ses deux membres sont des expressions d’un même
objet, nombre, vecteur, figure, etc.
Si on peut, en remplaçant ces expressions par des expressions équivalentes,
transformer l’égalité en identité, c’est qu’elle est vraie, sinon elle est fausse ».
Baruk (1992 : 398).
Les connaissances
Les connaissances sont construites par les personnes elles-mêmes, tout au long de leurs
expériences. Elles leur sont spécifiques et font partie de leur patrimoine cognitif. Étant donné
la diversité de leurs expériences, une personne a rarement une connaissance identique à celle
d’une autre personne, même si elles vivent des apprentissages scolaires simultanément. Les
connaissances ont un caractère personnel. Des notions apparemment aussi triviale que le
signe ‘=’ dans une opération arithmétique renvoient à des connaissances très différentes chez
les personnes qui l’utilise.
Exemple de connaissances d’élèves à propos du signe d’égalité :
Voici 7 catégories de réponses relevées auprès de 48 élèves de 4ième primaire, lorsque nous
leur posons la question : « qu’est-ce ce signe veut dire pour toi? » en leur montrant le signe
égal dans plusieurs opérations arithmétiques sur des entiers naturels, Jonnaert (2002 : 254–
255) :
Types de conception
(1) Ça veut dire « égal »
N
20
(2) On met égal quand c’est pareil
8
(3) Ça me dit d’écrire une réponse
7
(4) Ça veut dire combien ça fait dans le
calcul
(5) On me égal là pour qu’on écrit la
réponse là
(6) Quand c’est plus on met un égal plus
grand, quand c’est moins on met un égal
plus petit
5
(7) Si y a rien d’écrit après ‘=’, c’est qu’on
2
4
2
Signification
Se limitent à la signification verbale du
signe
Évoquent l’égalité numérique des
membres de l’opération
Le signe ‘=’ correspond à une injonction
demandant à l’élève d’écrire le résultat de
l’opération
Le signe est un indicateur du résultat de
l’opération
Le signe permet de localiser la place du
résultat de l’opération
Le signe égal fournit un ordre de grandeur
de la réponse en fonction du signe de
l’opération (uniquement additif ou
soustractif)
Le signe correspond à une injonction
doit faire le calcul : ça me dit ‘fais le
calcul’
demandant
l’opération
à
l’élève
de
résoudre
Cet exemple illustre un ensemble de constructions par les élèves à propos du savoir codifié
décrit dans la section précédente. Pour aucun de ces élèves, nous ne retrouvons, telles
qu’elles, les caractéristiques du savoir codifié dans la définition du dictionnaire des
mathématiques. Mais au départ de cette connaissance que chacun de ces élève a du signe ‘=’,
il peut en construire de nouvelles. En d’autres termes, une connaissance n’est pas statique,
voire figée. Elle est dynamique et agit comme un processus permettant la construction
d’autres connaissances.
Connaissance et savoir
-
Connaissance
est individuelle
relève du patrimoine cognitif de la
personne
est caractérisée par des attributs de la
cognition
Savoir
-
-
est collectif
relève du patrimoine culturel d’une
communauté de savoirs
est écrit et caractérisé par des attributs
sémantiques et syntaxiques
respecte la logique de la discipline ou
des pratiques sociales de référence
est figé dans un texte
-
est un état
-
n’est pas réflexif
-
-
est dynamique et peut s’adapter en
fonction de sa viabilité ou non en
situation
est un processus qui permet la
construction d’autres connaissances
est réflexive
Le constructivisme s’intéresse aux connaissances des personnes, moins aux savoirs même si,
en contexte scolaire, les personnes sont invitées à construire des connaissances à propos des
savoirs codifiés dans les programmes d’études.
Quelques idées à retenir à propos des connaissances
Elles sont construites à travers nos expériences et non transmises.
Elles sont uniques et non universelles, même si, collectivement, nous avons tous des
connaissances à propos d’une même réalité,.
Elles sont dynamiques et non figées.
Elles côtoient d’autres connaissances, différentes d’elles, à propos d’une même
réalité, et ne sont pas partagées par tous.
Elles sont uniques et ne constituent pas une copie conforme de cette réalité.
Elles sont elles-mêmes un processus, car elles permettent, à travers leur adaptation, la
construction de nouvelles connaissance, et non sont pas un ‘état’.
Elles sont contextuelles.
Elles sont viables tant et aussi longtemps qu’elles ne sont pas contredites par le
contexte dans lequel elles sont utilisées.
Elles sont caractérisée par des propriétés qui relèvent de la cognition.
Quelques idées à retenir à propos des savoirs
Ils sont reconnus et admis par une communauté de savoirs (les viticulteurs, les
mathématiciens).
Ils relèvent du patrimoine culturel de cette communauté.
Ils sont codifiés dans des documents écrits (code écrit) ou selon un langage (code oral)
admis par cette communauté.
Ils sont caractérisés par des propriétés sémantiques et syntaxiques (de l’écrit ou de
l’oral) et non par des propriétés de la cognition.
Les textes d’un programme d’études relèvent des savoirs codifiés. Les constructions par les
personnes, à propos des contenus de ces programmes, relèvent de leurs connaissances. Il n’y
a pas nécessairement de correspondance entre les contenus des programmes d’études et les
connaissances des personnes. En effet, chacun construit ses connaissances en fonction de ses
propres expériences. Souvent, il y a conflit entre les savoirs codifiés et les connaissances des
personnes (Jonnaert, 1988). Dans certains pays, les programmes d’études sont conçus
indépendamment des savoirs traditionnels des communautés. Par exemple dans une série de
pays africains, les programmes d’études imposent une arithmétique avec un système de
numération en base 10, alors que les populations utilisent traditionnellement d’autres bases
(Traoré, à paraître).
Les connaissances sont des constructions à travers l’expérience de la personne, à propos
d’une réalité qui lui est extérieure, mais qu’elle ne reproduit pas telle qu’elle. Les
savoirs relèvent du patrimoine culturel d’une communauté, il sont codifiés dans des
textes écrits ou dans des codes oraux.