par Jean-Charles LOUCHE, Faculté de Chirurgie Dentaire de Lille
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par Jean-Charles LOUCHE, Faculté de Chirurgie Dentaire de Lille
Présentation de l’analyse de la profession de chirurgien dentiste effectuée par l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé 2006 / 2007 Cette présentation est fondée sur le rapport établi en 2006 / 2007 par l’Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS), un organisme public créé conjointement par le ministère du travail, le ministère de la santé et celui du budget, afin d’avoir une connaissance particulière d’une profession de santé, sous l’angle de sa démographie, de son activité et des évolutions qu’elle sera appelée à connaître. Après des rapports sur la profession d’infirmier, de sage-femme, de manipulateur en électroradiologie, un troisième tome s’est intéressé aux professions de chirurgien dentiste et aux métiers de la périnatalité. L’ensemble de ce tome 3 est consultable sur http://www.sante-sports.gouv.fr/IMG//pdf/Rapport_ONDPS_-_2006_2007_-_tome3.pdf Une synthèse des informations délivrées dans ce rapport a été présentée par M. Jean-Charles LOUCHE, lors des Journées d’ Etudes et de Formation Administrative Continue de l’AUFEMO, organisées du 2 au 4 avril 2009 dans les locaux de la Faculté de Médecine de l’Université de Reims – Champagne Ardenne. Démographie des chirurgiens dentistes Au 31 décembre 2006, l’Ordre national des chirurgiens dentistes recensait environ 40 300 chirurgiens dentistes « actifs », c'est-à-dire exerçant une activité relevant de l’art dentaire, sur le territoire français et donnant lieu à une inscription à l’Ordre. La très forte croissance des effectifs constatée dans les années 70 (+ 50 % en 10 ans) s’est ensuite amenuisée au fil des ans : + 20 % dans les années 80, + 4 % dans les années 90, - 1,2 % entre 2000 et 2007. La population française ayant évolué plus rapidement au cours des quinze dernières années, la densité des chirurgiens dentistes a donc diminué : 67 praticiens pour 100 000 habitants en 1990, 65 actuellement. Cette densité est comparable à celle constatée dans des pays comme l’Allemagne, la Belgique, les Etats-Unis, le Japon ; elle est inférieure à celle des pays scandinaves et supérieure à la densité que l’on trouve dans les pays de l’Europe du sud et de l’est et au Royaume-Uni. Entre 1990 et 2006, le taux de croissance annuel moyen des effectifs a été le plus faible de toutes les professions de santé : - + 0,5 % pour les chirurgiens dentistes - + 1,2 % pour les médecins - + 1,6 % pour les pharmaciens - + 3 % pour les kinésithérapeutes, les infirmiers, les sages-femmes. 1 On assiste à une hausse de l’âge moyen des praticiens de l’art dentaire : 42 ans en 1990, 47 ans en 2006 (46 ans pour les pharmaciens, 49 ans pour les médecins), et à une féminisation continue de la profession (35% en 2006, 29 % en 1990) ; cependant, c’est la profession de santé réglementée la moins féminisée, avec des craintes quant à la charge physique que représenteraient certains actes odontologiques. Apparaît aussi une timide percée du salariat, en lien avec la féminisation de la profession ; cependant l’exercice est encore essentiellement libéral : en 2006, 91,5 % des praticiens ont un exercice libéral ; 8,5 % sont salariés. Parmi les libéraux, on constate une répartition égale entre l’exercice individuel et l’exercice en groupe. 2 praticiens sur 3 emploient un assistant dentaire qualifié (qui sont pour moitié à temps plein, pour l’autre moitié à temps partiel). Parmi les salariés, 53 % exercent dans des centres de santé, 13 % travaillent pour la sécurité sociale, 11 % dans des établissements hospitaliers, 5% dans des structures de soins et de prévention et 2 % sont dans l’enseignement. Les salariés sont en moyenne plus jeunes que les autres praticiens et le taux de féminisation y est de 58 %. Etre salarié relève donc plus d’un choix de carrière que d’une saturation du territoire. En effet, en matière de densité professionnelle, des inégalités territoriales fortes existent entre le nord et le sud du pays et entre les communes rurales et les grands pôles urbains : la densité est de 80 à 90 praticiens pour 100 000 habitants dans les régions de Provence – Alpes – Côte d’Azur (PACA), de Corse, de Midi-Pyrénées, alors qu’elle tombe à 40 praticiens pour 100 000 habitants en Haute et Basse Normandie, en Picardie et dans les départements d’Outre-mer. En retenant le niveau départemental, des écarts plus importants apparaissent : 136 praticiens pour 100 000 habitants à Paris intra-muros, 35 pour la Creuse, l’Orne, la Somme, la Manche…. De plus, au sein même des régions, des disparités fortes entre différentes zones existent. Les chirurgiens dentistes, à l’instar de nombreuses professions libérales, privilégient aussi les pôles urbains au détriment des communes périphériques. Cette attraction peut s’expliquer par l’héliotropisme, qui privilégie ainsi les régions méridionales, et par un choix de vie urbain (emplois pour le conjoint, services et loisirs pour la famille). A contrario, les difficultés socio-économiques rencontrées dans certaines zones urbaines et la non prise en charge par l’assurance maladie de certaines techniques modernes sont des freins puissants à l’installation. Le revenu libéral moyen pour les chirurgiens dentistes exerçant en France s’établit à 80 000 euros par an ; plus la densité est faible, plus le revenu est élevé (écart de 50 % entre le Nord – Pas de Calais et PACA, au bénéfice du Nord). 80 % des diplômés commencent à exercer l’année même de l’obtention de leur diplôme. 5% des praticiens exercent en orthodontie, soit un accroissement de deux points depuis 1990 (avec un taux de féminisation de 56 % ). Mobilité professionnelle Le solde entre les interruptions et les reprises d’activités s’établissent à 8% de l’ensemble des praticiens avant 30 ans (ce taux étant de 25 % pour les seuls salariés, avec une égalité entre les hommes et les femmes). Après 30 ans, les choix de carrière sont arrêtés puisque le solde devient 2 marginal, à 1%. Les cessations d’activité ne sont pas concentrées sur un âge précis et le nombre des départs en retraite entre 60 et 64 ans équivaut à celui des départs après 65 ans ; néanmoins, à partir de 75 ans, la quasi-totalité des praticiens a cessé toute activité, avec là aussi des disparités selon le mode d’exercice : 50 % des libéraux exercent encore à 65 ans, pour 40 % des salariés, avec une propension plus forte chez les femmes à arrêter leur activité entre 60 et 64 ans, et ce autant pour les libéraux que pour les salariés. La mobilité professionnelle des libéraux est quasiment nulle : aucun n’abandonne son exercice libéral pour un exercice salarié ; en revanche, 20 % des salariés rejoignent avant trente ans le secteur libéral (principalement des hommes). Exercice de projection sur la démographie des chirurgiens dentistes à l’horizon 2030 L’Observatoire se livre ensuite à plusieurs études prospectives sur les évolutions démographiques professionnelles que pourrait vivre la profession de chirurgien dentiste en France, que l’on peut consulter sur le site évoqué au début de cette présentation. Les « scénarios » ainsi décrits tablent sur un numerus clausus constant, des caractéristiques et des comportements identiques à ceux de la période récente et à des migrations internationales stables. Enfin, ils n’étudient en rien les besoins sanitaires, actuels et à venir. Deux enseignements délivrés par cette analyse semblent intéressants : - une relative inertie de la démographie des chirurgiens dentistes face aux variations du numerus clausus ; - dans tous les cas, l’évolution du numerus clausus n’impacte pas la densité immédiatement (6 ans de formation au préalable). Selon l’ONDPS, on va assister en France à une diminution de la densité en chirurgiens dentistes jusqu’au début de la décennie 2010, pour atteindre 62 praticiens pour 100 000 habitants. Pour maintenir la densité au niveau actuel (65), il faudrait procéder à une augmentation immédiate du numerus clausus et donc le faire passer de 1 100 étudiants à 3 000 étudiants admis à poursuivre des études odontologiques et ce jusqu’en 2010 ; puis avoir un numerus clausus à un peu moins de 2 000 entre 2010 et 2020 ; ensuite, une baisse continue devrait affecter le numerus clausus pendant 25 ans pour atteindre 1 300 en 2040, et enfin remonter à 1 700 places pour compenser les nombreux départs en retraite. Cette projection ne prend pas en compte le problème épineux des capacités de formation des facultés de chirurgie dentaire. Il est à noter que pour l’ONDPS, la féminisation n’aurait aucun impact puisque les caractéristiques de l’activité professionnelle des chirurgiens dentistes ne présentent plus une différenciation selon les sexes pour les jeunes générations. Cependant, ces projections doivent être examinées au regard de l’évolution des besoins, des pratiques et des disparités géographiques. Ainsi, 35 % des Français ont consulté un chirurgien dentiste au moins une fois dans l’année, ce qui signifie donc que 65 % ne l’ont pas fait. En 2004, 6,5 % de la population déclarait avoir renoncé à des soins de prothèse ou d’orthodontie pour des raisons financières. Par ailleurs, on constate une amélioration considérable de l’état de santé bucco-dentaire en France, notamment celui des enfants, grâce aux campagnes de prévention. Ainsi, le nombre de dents cariées, absentes ou obturées à 12 ans est passé de 4,2 en 1987 à 1,9 à la fin des années 90, avec cependant une forte persistance des inégalités sociales dans ce domaine. Les soins conservateurs et les actes de prothèses dentaires qui constituent encore 90 % du montant des honoraires diminuent cependant au profit des actes d’orthopédie dento-faciale et de radiologie. 3 De nouveaux besoins apparaissent : - attention accrue au corps et à la santé ; - plus forte demande esthétique ; - accès aux soins dentaires de populations auparavant exclues, à travers la mise en place de la couverture médicale universelle. Des questions relatives à l’organisation des soins dentaires sont aussi évoquées : - inégalités territoriales de l’offre libérale ; - carences en termes d’offre de substitution à la pratique de ville ; - peu de structures adaptées au vieillissement de la population (urgences, soins ambulatoires) ; - mise en place de délégations de tâches et de collaborations avec d’autres professions (assistants dentaires, stomatologues, spécialistes en chirurgie maxillo-faciale, hygiénistes …). Le métier de chirurgien dentiste : comment les praticiens le vivent A travers des entretiens menés auprès d’un panel de chirurgiens dentistes choisis pour leur représentativité quant aux caractéristiques qui sont les leurs, l’Observatoire des professions de santé a dégagé l’image qu’ont les praticiens de leur profession. une profession libérale … 9 praticiens sur 10 mettent en avant cet aspect de leur métier, et ce quels que soient la génération, le sexe ou le lieu d’exercice. une profession isolée …. Pour la plupart des praticiens interrogés, c’est une profession en marge de la santé publique, qui développe une approche très individuelle des soins, où les relations avec les autres professions de santé sont rares. La faiblesse des remboursements par la sécurité sociale est aussi évoquée pour marquer cet isolement : 30 % des soins bucco-dentaires sont pris en charge par l’assurance maladie, 35 % par des organismes complémentaires et 35 % restent à la charge des patients, ce qui conduit à une assimilation par le public aux médecins en secteur II. L’isolement de la profession se traduit aussi par une faible représentation au sein des instances de la santé publique et par une faible prise en compte des soins odontologiques dans les politiques de santé publique : il n’y a par exemple pas de chirurgiens dentistes au sein des directions départementales de l’action sanitaire et sociale (DDASS), pas de « dentiste du travail » ni de « dentiste scolaire ». Ce n’est qu’en 2005 qu’a été établi le premier plan de santé bucco-dentaire national. Le métier raconté par les hommes et les femmes qui l’exercent Des entretiens se dégagent trois phases principales dans la carrière du praticien : - l’apprentissage du métier, entre 3 et 10 ans après la fin des études, avec un perfectionnement des techniques, un apprentissage de la gestion, de l’organisation du cabinet, des relations avec les patients et les assistants ; - ensuite, la période d’appropriation du poste, avec une maîtrise du rythme de travail, de l’organisation du cabinet, de la comptabilité et un développement des relations confraternelles ; 4 - enfin, la fin de carrière, au cours de laquelle, le praticien se fait davantage plaisir, où il exerce davantage de libertés vis-à-vis des patients. C’est aussi durant cette dernière phase que le praticien est confronté au délicat problème de la cession de son cabinet. Pour l’Observatoire, aucun lien ne peut être établi entre la facilité de cession et le prix, le chiffre d’affaires, la « qualité » de la patientèle. L’état du matériel ne peut même pas être évoqué car il apparaît qu’un jeune praticien préfèrera acquérir du matériel neuf, conforme à ses attentes. Ainsi, la fin de carrière est-elle souvent assombrie par la crainte de voir les patients abandonnés et sans possibilités de soins bucco-dentaires. En début de carrière, le jeune praticien doit opérer des choix importants : - nature de l’exercice - implantation du cabinet - équipement du cabinet - formations diplômantes complémentaires (en général 5 à 10 ans après la première installation) - recours à un assistant dentaire - rythme de travail (4 jours par semaine pour les plus jeunes, 5 à 6 jours pour les plus âgés, avec aussi des rendez-vous plus espacés pour les nouveaux praticiens) - gestion du cabinet - niveau des rémunérations, en faisant des arbitrages entre le temps de travail, la qualité des actes et la rentabilité du cabinet. Pour les praticiens interrogés, plusieurs évolutions du métier se profilent : - nouvelles « spécialités » : implantologie, parodontie, pédodontie, soins esthétiques … - nouveaux matériaux (composites, matériaux de collage …) - nouveaux outils, plus précis, plus rapides - nouvelles méthodes : recours plus systématique à l’anesthésie, plus de soins conservateurs au détriment de l’extraction, prise en charge plus globale du patient (développement de la radio panoramique) - nouvelles relations avec les patients, qui sont plus informés, plus curieux des soins, avec en corollaire, une propension plus forte à exprimer une plainte. Le praticien prend parfois donc moins de risques et extrait ainsi au lieu de sauver une dent. La formation tout au long de la vie Bien que la formation continue soit maintenant obligatoire depuis plusieurs années, elle apparaît comme mal organisée pour la plupart des praticiens interrogés. Ces derniers redoutent en corollaire un appauvrissement de la formation initiale ; dans tous les cas, ils n’apprécient pas son caractère obligatoire, qu’en tant que profession libérale, ils perçoivent comme une atteinte à leur professionnalisme et à leur intégrité. Attraits et désagréments du métier Aucun praticien ne regrette de faire ce métier, qu’ils ont pour la plupart apprécié dès les premiers soins cliniques réels qu’ils ont pu dispenser. Sont tout particulièrement appréciés la pratique libérale, les revenus élevés et la maîtrise tant scientifique que celle du geste clinique et du temps de travail. 5 En revanche, sont évoqués comme « désagréments », la fatigue physique et nerveuse et la mauvaise connaissance du métier de chirurgien dentiste que présentent les autres métiers de santé. Etre chirurgien dentiste, c’est faire un diagnostic et opérer, il est donc le réalisateur de sa propre prescription, « l’architecte et le manœuvre ». C’est un métier où le résultat est en grande partie visible sans attendre, très stimulant intellectuellement, avec une fonction très socialisée (relation importante avec les patients). Autre point positif évoqué : l’absence d’urgences vitales et d’une obligation de gardes régulières. L’intensité de l’exercice demande cependant une extrême concentration et une très grande précision, qui doivent s’accompagner d’une gestion efficace du stress du patient. Enfin, une des difficultés professionnelles relatées est la gestion des interruptions d’activité : pas de revenus mais des frais fixes et un grand embarras pour trouver un remplaçant. 6