L`étude CORONA - Cardiologie actualités

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L`étude CORONA - Cardiologie actualités
A teaching hospital affiliated with the University of Toronto
Terrence Donnelly Heart Centre
Cardiologie
UNIVERSITY
OF TORONTO
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ST. MICHAEL’S HOSPITAL
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Leading with Innovation
Serving with Compassion
U N E P U B L I C AT I O N É D U C AT I V E F O N D É E S U R L A D I V I S I O N D E C A R D I O L O G I E
S T. M I C H A E L ’ S H O S P I T A L , U N I V E R S I T É D E T O R O N T O
Actualités scientifiques
MC
L’étude CORONA (Controlled Rosuvastatin Multinational Trial
in Heart Failure) : Le rôle des statines chez les patients atteints
d’insuffisance cardiaque et de dysfonction systolique
Présenté initialement par : Åke Hjalmarson, M.D.
Présentation à la session sur les toutes dernières études cliniques dans le cadre des sessions
scientifiques 2007 de l’American Heart Association
Orlando, Floride
Par JUAN CARLOS MONGE, M.D. et GORDON MOE, M.D.
Le rôle des statines dans la prise en charge des patients
atteints de coronaropathie et de ceux présentant un risque
d’événements cardiovasculaires est bien établi. Cependant, les
patients atteints d’insuffisance cardiaque symptomatique ont
été exclus des études antérieures contrôlées avec placebo utilisant des statines, et les bénéfices et les risques associés
aux statines dans le traitement de l’insuffisance cardiaque
demeurent donc controversés. L’étude CORONA (Controlled
Rosuvastatin Multinational Trial in Heart Failure) suédoise visait
à clarifier le rôle du traitement avec les statines chez des
patients atteints d’insuffisance cardiaque et de dysfonction systolique. Dans ce numéro de Cardiologie – Actualités scientifiques,
nous examinons les tous derniers résultats de l’étude CORONA,
ainsi que leurs implications sur l’efficacité et l’innocuité des
statines dans la vaste population des patients.
Les effets bénéfiques des statines sont bien établis dans divers
groupes de patients1-8. Les patients atteints d’insuffisance cardiaque (IC) ont été exclus des études de grande envergure
antérieures utilisant des statines. Étant donné qu’une grande proportion des patients atteints d’IC associée à une dysfonction systolique du ventricule gauche (VG) souffre de coronaropathie, les
statines pourraient avoir des effets bénéfiques chez ces patients.
De fait, des analyses ultérieures de sous-groupes d’études randomisées et contrôlées (ERC) et d’études observationnelles suggèrent que les statines pourraient avoir des effets bénéfiques dans
l’IC9,10. Cependant, les effets bénéfiques des statines démontrés
dans les ERC importantes sont largement dus à la prévention de
l’infarctus du myocarde (IM), étant donné que le taux rapporté
d’événements coronariens est faible dans cette population de
Division de cardiologie
Thomas Parker, M.D. (chef)
Gordon W. Moe, M.D. (rédacteur)
David H. Fitchett, M.D. (rédacteur adjoint)
Juan C. Monge, M.D. (rédacteur adjoint)
Beth L. Abramson, M.D.
Abdul Al-Hesayen, M.D.
Luigi Casella, M.D.
Asim Cheema, M.D.
Robert J. Chisholm, M.D.
Chi-Ming Chow, M.D.
Paul Dorian, M.D.
Michael R. Freeman, M.D.
4 au 7 novembre 2007
patients11,12. De plus, les statines pourraient être potentiellement
néfastes dans l’IC12,13. Aucune étude jusqu’à présent n’a fourni
des données définitives en faveur de l’utilisation des statines chez
les patients atteints d’IC.
L’étude CORONA
CORONA était une étude multicentrique, randomisée, contrôlée avec placebo visant à clarifier le rôle des statines dans le
traitement des patients atteints d’IC et de dysfonction systolique14.
Le principal objectif de l’étude CORONA était de déterminer si la
rosuvastatine, lorsqu’elle est ajoutée à d’autres médicaments prescrits pour les patients atteints d’IC, réduit le risque de survenue
du paramètre combiné, incluant la mort d’une cause cardiovasculaire (CV), un IM non mortel et un accident vasculaire cérébral
(AVC) non mortel.
Des renseignements détaillés sur la justification et la
méthodologie de l’étude ont été publiés antérieurement15. En bref,
les patients âgés ≥ 60 ans atteints d’IC systolique symptomatique
(classes fonctionnelles II-IV de la New York Heart Association
[NYHA]) d’étiologie ischémique et ayant une fraction d’éjection
≤ 40 % (≤ 35 % si classe II de la NYHA) étaient admissibles. Les
sujets recevant déjà une statine (ou un autre hypolipémiant) ou
dont le médecin considère qu’il est nécessaire de leur en prescrire
(ou chez qui ce médicament est contre-indiqué) ont été exclus.
Le plan de l’étude est illustré dans la figure 1. Les patients qui
répondaient aux critères d’admission à la visite 2 ont reçu un
traitement selon une méthodologie à simple insu avec un placebo
une fois par jour pendant 2 à 4 semaines. Ensuite, les patients qui
répondaient aux critères d’inclusion et d’exclusion ont été assignés
au hasard à la rosuvastatine (10 mg) ou à un placebo équivalent
selon un rapport 1 : 1. La taille de l’échantillon a été estimée afin
Shaun Goodman, M.D.
Anthony F. Graham, M.D.
Robert J. Howard, M.D.
Stuart Hutchison, M.D.
Victoria Korley, M.D.
Michael Kutryk, M.D.
Anatoly Langer, M.D.
Howard Leong-Poi, M.D.
Iqwal Mangat, M.D.
Arnold Pinter, MD
Trevor I. Robinson, M.D.
Duncan J. Stewart, M.D.
Andrew Yan, M.D.
St. Michael’s Hospital, 30 Bond St., Suite 7049, Queen Wing, Toronto, Ontario M5B 1W8 Télécopieur : (416) 864-5941
Les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent
pas nécessairement celles de la Division de Cardiologie,
St. Michael’s Hospital, Université de Toronto, du
commanditaire de la subvention à l’éducation ou
de l’éditeur, mais sont celles de l’auteur, qui se fonde sur
la documentation scientifique existante. On a demandé
à l’auteur de révéler tout conflit d’intérêt potentiel
concernant le contenu de cette publication. La publication
de Cardiologie, Actualités scientifiques est rendue possible
grâce à une subvention à l’éducation sans restrictions.
Figure 1 : CORONA – Plan de l’étude
Une étude randomisée, à double insu et contrôlée avec placebo avec la rosuvastatine chez des patients
atteints d’insuffisance cardiaque systolique symptomatique chronique
Patients (n = 5011)
Insuffisance cardiaque systolique
ischémique chronique faisant l’objet
d’un traitement optimal pour IC
(diurétique, inhibiteurs de l’ECA,
ARA, bêta-bloquants)
Fraction d’éjection ≤ 40 %
(classes III/IV de la NYHA) ou ≤ 35 %
(classe II de la NYHA)
Rosuvastatine 10 mg (n = 2514)
Paramètres :
Temps écoulé jusqu’à la
mort cardiovasculaire,
l’IM non mortel,
l’AVC non mortel
placebo (n=2497)
Mortalité totale
Âgés ≥ 60 ans
Visite :
1
Semaine : -8 à -2
2
-4 à -2
3
0
Admissibilité
Placebo
Traitement optimal de
Période
l’IC instauré
préliminaire
4
6
5-21
3 mensuellement
Finale
~3 ans
Suivi médian 2,7 ans (32,8 mois)
ECA = enzyme de conversion de l’angiotensine ; ARA = antagoniste des récepteurs de l’angiotensine ; NYHA = New York Heart Association
d’obtenir le nombre d’événements (sur la base du paramètre primaire combiné incluant la mort CV, l’IM non mortel, ou l’AVC)
nécessaires pour que l’étude ait une puissance d’au moins 90 %
(p=0,10) pour détecter une différence significative entre les groupes
de traitement. La différence a été testée au moyen d’un seuil de
signification bilatéral de 5 % (α = 0,05), en prévoyant qu’alpha
soit utilisé dans 3 analyses intérimaires avant l’analyse finale.
On a assumé que l’effet moyen de la réduction du risque de la
rosuvastatine sur le paramètre primaire était de 16.1 % dans la
population visée par l’intention de traiter (en tenant compte du
taux d’arrêts du traitement randomisé). En supposant une période
de recrutement de 16 mois et un suivi continu de 35 mois (durée
totale de l’étude de 51 mois), on a estimé que 1422 patients qui
avaient subi le paramètre primaire recrutés parmi les 4950 sujets
devaient être randomisés. Le paramètre primaire incluait la mort
de causes CV, l’IM non mortel et l’AVC non mortel. Les paramètres
secondaires incluaient la mort de toutes causes, tout événement
coronarien (défini comme la mort subite, l’IM mortel ou non
mortel, la revascularisation percutanée ou chirurgicale, la défibrillation ventriculaire par un défibrillateur implantable, la réanimation réussie d’un arrêt cardiaque ou l’hospitalisation due à
une angine instable), la mort de toutes causes CV, et le nombre
d’hospitalisations dues à des causes CV, une angine instable ou
une aggravation de l’IC.
Principaux résultats
Du 15 septembre 2003 au 21 avril 2005, un total de 5459
patients a participé à une période préliminaire de traitement avec
un placebo et 5011 patients ont été randomisés ultérieurement
dans 371 centres dans 19 pays européens, en Russie et en Afrique
du Sud. Parmi ces patients, 2514 ont été assignés au hasard à la
rosuvastatine et 2497 à un placebo. La période médiane de suivi
était de 32,8 mois. Les caractéristiques initiales sélectionnées sont
indiquées dans le tableau 1. Les deux groupes avaient des caractéristiques similaires lors de leur admission dans l’étude. Les
patients étaient âgés en moyenne de 73 ans et 41 % avaient au
moins 75 ans. Il y avait une prévalence élevée d’hypertension, de
diabète sucré et de maladie rénale chronique et les patients avaient
été traités efficacement pour une IC.
Comparativement au groupe placebo, les patients dans le groupe
recevant la rosuvastatine avaient les caractéristiques suivantes :
• Taux réduit de cholestérol des lipoprotéines de basse densité
(C- LDL) ; différence entre les groupes, 45,0 %, p < 0,001 ;
• Taux réduit de protéine C réactive hautement sensible (PCRhs) ;
différence entre les groupes, 37,1 %, p < 0,001 ;
• Taux accru de cholestérol des lipoprotéines de haute densité
(C-HDL) ; différence, 5 %, p < 0,001).
Le paramètre primaire composé est survenu chez 692 patients
dans le groupe recevant la rosuvastatine (11,4 pour 100 annéespatient de suivi) et chez 732 patients dans le groupe placebo (12,3
pour 100 années-patient de suivi), avec une probabilité dans le
groupe recevant la rosuvastatine de 0,92 (intervalle de confiance à
95 % [IC], 0,83 à 1,02 ; p = 0,12) (figure 2). Les résultats du traitement sur les composantes du paramètre primaire composé sont
indiqués dans le tableau 2. De plus, il y a eu 728 décès (11,6 pour
100 années-patient) dans le groupe recevant la rosuvastatine et
759 décès (12,2 pour 100 années-patient) dans le groupe placebo,
avec une probabilité de 0,95 dans le groupe rosuvastatine (IC à
Cardiologie
Actualités scientifiques
Tableau 1 : CORONA – Caractéristiques initiales
Placebo Rosuvastatine Valeur
(n=2497) (n=2514)
P
Année moyenne
73±7,0
73±7,1
≥75 ans – nbre (%)
1029 (41) 1035 (41)
Sexe fém. – nbre (%)
587 (24)
593 (24)
Classe de la NYHA – nbre (%)
II
918 (37)
939 (37)
III
1540 (62) 1541 (61)
IV
39 (1,6)
34 (1,4)
Fraction d’éjection
0,31±0,07 0,31±0,07
Indice de masse corporelle
27± 4,6
27± 4,5
Tension artérielle – mm Hg
Systolique
129±17
129±17
Diastolque
76±8,9
76±8,8
Fréquence cardiaque – batt./m. 72±11
72±11
Tabagisme actuel — nbre (%)
206 (8)
224 (9)
Antécédents médicaux — nbre (%)
Infarctus du myocarde
1494 (60) 1510 (60)
Angine de poitrine
1807 (72) 1831 (73)
antérieure ou actuelle
PAC ou ICP
638 (26)
660 (26)
Hypertension
1581 (63) 1594 (63)
Diabète sucré
734 (29)
743 (30)
Fibrillation auriculaire
585 (23)
609 (24)
ou flutter à l’ECG
AVC
309 (12)
315 (13)
Stimulateur cardiaque
299 (12)
262 (10)
Défibrillateur implantable
64 (2,6)
72 (2,9)
0,99
0,98
0,95
0,61
0,94
0,54
Pourcentage de patients présentant
le paramètre primaire
Variable
Âge
Figure 2 : CORONA – Paramètre primaire
Placebo
Rosuvastatine 10 mg
30
20
Probabilité = 0,92
IC à 95 %, 0,83 à 1,02
P = 0,12
10
0
0
6
bre
0,52
0,12
0,61
0,41
0,87
0,71
0,57
0,95
0,90
0,51
0,87
0,08
0,51
CABF = coronary artery by pass graft;
ICP = percutaneous coronary intervention
N à risque
Placebo
2497
Rosuvastatine 2514
2315
2345
12
18
24
Mois de suivi
2156
2207
2003
2068
1851
1932
30
36
1431
1484
811
855
événements indésirables était significativement moins élevé dans
le groupe recevant la rasuvastatine que dans le groupe placebo
(p = 0,004).
Discussion et implications cliniques
Dans l’étude CORONA, la rosuvastatine 10 mg par jour a
réduit le C-LDL de 44 % et la PCRhs de 32 %. Ces paramètres sont
corrélés directement et indépendamment au risque CV et dans
d’autres études, des baisses de cet ordre ont été associées à une
réduction significative des événements CV. Cependant, le paramètre primaire composé incluant l’IM non mortel, l’AVC non
mortel ou le décès de causes CV n’a pas baissé de façon significative (probabilité = 0,92, IC à 95 %, 0,83 à 1,02, p = 0,12) dans
cette étude, dans laquelle la statine a été ajoutée à des traitements
de fond courants utilisés pour traiter l’IC modérée ou sévère.
Tableau 2 : Composantes du paramètre primaire
95 %, 0,86 à 1,05 ; p = 0,31). Un événement coronarien est
survenu chez 554 patients dans le groupe recevant la rosuvastatine
(9,3 pour 100 années-patient) et chez 558 patients dans le groupe
placebo (10,0 pour 100 années-patient). On a donc estimé que la
probabilité dans le groupe recevant la rosuvastatine était de 0,92
(IC à 95 %, 0,82 à 1,04 ; p = 0,18). Les résultats pour le nombre
total d’hospitalisations, un paramètre secondaire, sont indiqués
dans la figure 3. Le nombre d’hospitalisations chez les patients
sous rosuvastatine était significativement moins élevé que chez
ceux sous placebo, qu’elles soient dues à toutes causes (p = 0,007),
à des causes CV (p < 0,001) ou à une aggravation de l’IC
(p = 0,01). On n’a noté aucune différence dans le nombre
d’hospitalisations pour angine instable ou pour des causes non CV.
Les données sur la tolérabilité et l’innocuité sont indiquées
dans le tableau 3. Bien que la population de l’étude CORONA ait
été une population âgée atteinte d’IC et d’insuffisance rénale, la
rosuvastatine a été bien tolérée. Le nombre de patients qui ont
arrêté le médicament à l’étude était significativement moins élevé
dans le groupe recevant la rosuvastatine que dans celui recevant le
placebo (p = 0,03), et le nombre d’arrêts du médicament dus à des
Nombre de patients présentant l’une quelconque des
composantes du paramètre primaire
Placebo Rosuvastatine Proba- IC à Valeur
[n=2497]
[n=2514]
bilité 95% p
n (rate)1
n (rate)1
Paramètre primaire 732 (12,3) 692 (11,4)
(mort CV,
IM non mortel,
AVC non mortel)
Morts CV
487
488
Mort subite
284
284
IC s’aggravant
157
161
IM
8
9
AVC
11
14
Embolie pulmonaire
7
1
Anévrisme aigu
5
0
Autre
15
19
IM non mortel
141
115
AVC non mortel
104
89
0,92 0,831,02
1
Événements pour 100 années-patient de suivi
IC = intervalle de confiance; IM = infarctus du myocarde
Cardiologie
Actualités scientifiques
0,12
Nombre d’hospitalisations
Figure 3 : Paramètres secondaires –
Nombre total d’hospitalisations14
4,000
Placebo Rosuvastatine
[n=2497]
[n=2514]
Nbre de pts Nbre de pts
Placebo (n=2,497)
Rosuvastatine 10 mg (n=2,514)
4,074
3,694
3,000
Tableau 3 : Données sur la tolérabilité et l’innocuité
2,564
Arrêt des médicaments à l’étude1 546
Événements indésirables2
302
Patients non désireux
de continuer
162
Autre raison
82
2,193
2,000
1,299
1,000
1,510 1,501
1,109
0
1
Toutes causes
p<0,007
Cause CV
p<0,001
Insuffisance
cardiaque
p=0,01
Cause non CV
L’étude CORONA a évalué une population qui n’avait pas
été étudiée antérieurement dans l’une quelconque des principales études avec les statines, étant donné que cette population comprenait des patients plus âgés et plus gravement
malades, atteints d’une maladie associée à un pronostic
particulièrement mauvais (p. ex. IC systolique ischémique
modérée ou sévère). Ce fait doit être souligné, car c’est
l’explication la plus plausible des résultats de cette étude. En
fait, c’était la population la plus malade jamais étudiée dans
une étude importante avec les statines. En général, la mortalité
observée chez les patients atteints d’IC systolique modérée ou
sévère est d’environ 10 % par année, ce qui est 3 à 5 fois plus
élevé que celle observée dans des études antérieures avec les
statines qui n’étaient pas axées sur les patients atteints d’IC,
dans laquelle l’IM, l’angine instable et la revascularisation
coronarienne sont les paramètres les plus fréquents. Par
opposition, dans l’IC, la majorité des événements devraient
aggraver l’IC et la mort cardiaque subite, comme nous l’avons
vu dans l’étude CORONA.
De plus, le risque global était également accru par le fait
que l’âge moyen des patients était de 73 ans et qu’ils avaient
au moins 60 ans, ce qui est significativement plus âgé que
dans la plupart des études antérieures avec les statines administrées en prévention secondaire et beaucoup plus âgé que
dans les études de prévention primaire.
Néanmoins, bien que la population ait été plus âgée et
plus malade, étant atteinte d’insuffisance rénale et de fatigue
musculaire, il était très encourageant de constater que la rosuvastatine a été associée à un excellent profil d’innocuité et que
le nombre d’événements indésirables chez les patients recevant ce médicament n’était pas plus élevé que chez les patients
traités avec le placebo. De plus, bien que le paramètre
primaire n’ait pas été significativement réduit, le nombre
d’événements primaires était systématiquement moins élevé
avec la rosuvastatine dans presque tous les sous-groupes à
haut risque analysés. En fait, les intervalles de confiance pour
le paramètre primaire (0,83 à 1,02) étaient compatibles avec
une réduction aussi élevée que 17 % du risque relatif de survenue des paramètres incluant l’IM non mortel, l’AVC non
mortel ou la mort CV, ce qui équivaudrait à une réduction du
risque absolu de près de 2 %. Un bénéfice absolu de cette
2
490
241
187
62
Probabilité 0,88; (IC à 95 %, 0,78 à 0,99; p=0,03)
Probabilité 0,78; (IC à 95 %, 0,66 à 0,92; p=0,004)
ampleur serait cliniquement significatif, étant donné qu’il
entraînerait un nombre nécessaire de patients à traiter de 50,
ce qui serait acceptable dans cette population.
Comparaison des études PROSPER et CORONA
La comparaison des résultats de l’étude PROSPER
(Prospective Study of Pravastatin in the Elderly at Risk) avec ceux
de l’étude CORONA8 fournit une perspective utile sur cette
dernière étude. PROSPER était une étude utilisant des statines
dans laquelle des patients similaires à plusieurs égards à ceux
de l’étude CORONA ont été recrutés. L’âge moyen dans l’étude
PROSPER était de 75 ans (comparativement à 73 ans dans
l’étude CORONA) et le suivi moyen était de 38 mois (comparativement à 32,8 mois dans l’étude CORONA). PROSPER a
recruté 5804 patients ayant des antécédents ou des facteurs de
risque de maladie vasculaire assignés au hasard à la pravastatine 40 mg ou à un placebo. Le paramètre primaire était
composé de la mort coronarienne, de l’IM non mortel et de
l’AVC mortel ou non mortel. La pravastatine a réduit le taux
de C-LDL de 34 % et a diminué significativement l’incidence
du paramètre primaire (probabilité = 0,85). Le risque de mort
coronarienne et d’IM non mortel a été également significativement réduit (probabilité 0,81). La réduction du risque absolu
était similaire à la réduction du risque absolu de 2 % observée
dans l’étude CORONA (27,5 % des patients assignés au
hasard à la rosuvastatine ont subi un événement primaire
comparativement à 29,3 % des patients assignés au hasard
au placebo).
Une comparaison de l’étude CORONA et de l’étude
PROSPER est également utile en raison des différences entre
les populations étudiées dans les deux études. Une telle comparaison est particulièrement pertinente en raison des différences dans la répartition des événements. Par exemple, le
taux d’IM non mortel dans l’étude CORONA était d’environ
un quart de celui rapporté dans l’étude PROSPER. Par conséquent, bien que chez les patients atteints d’IC systolique
ischémique modérée ou sévère, le taux des événements
indésirables soit élevé, il est possible que le risque d’événements CV ischémiques chez ces patients, qui sont les
paramètres les plus susceptibles d’être prévenus par les
statines – soient moins fréquents que chez d’autres patients
atteints de coronaropathie. En fait, l’AVC non mortel était
Cardiologie
Actualités scientifiques
également relativement peu fréquent dans la population de
l’étude CORONA.
Les résultats de l’étude CORONA
Dans l’étude CORONA, la mort de causes CV représentait
la majorité des événements primaires et la mort subite était
responsable de la majorité de ces décès. La rosuvastatine n’a
eu aucun effet sur le taux de mortalité de causes CV ou sur la
mort subite et il est probable que nombre de ces événements
aient été principalement arythmiques, comme on s’y attendrait
dans une population atteinte de dysfonction du VG sévère et
ayant une fraction d’éjection moyenne de seulement 31 %.
Dans les études antérieures avec les statines, le taux de
mort subite était probablement réduit grâce à la prévention de
la rupture de plaques d’athérome vulnérables, de l’ischémie
myocardique et de l’infarctus5,16. Dans l’IC, il est plus probable que la mort subite soit causée (comme nous l’avons
mentionné) par un événement électrique primaire lié à la
dilatation du VG. De plus, les patients dans les deux groupes
de l’étude ont été traités avec la même intensité au moyen de
médicaments connus pour réduire le risque de mort subite,
tels que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de
l’angiotensine (ECA), les bêta-bloquants et les antagonistes de
l’aldostérone. Cependant, les statines ne devraient pas avoir
un effet sur les événements principalement électriques. De
plus, un autre type de décès majeur chez les patients atteints
d’IC systolique avancée est le décès dû à la progression de l’IC.
Les statines ne devraient pas réduire cette progression et en
fait, on a émis l’hypothèse que les statines pourraient aggraver
l’IC. Ce thème et les données sur la base desquelles cette
hypothèse a été écartée par l’étude CORONA seront examinés
dans une section suivante.
Il est intéressant de noter que les auteurs d’une analyse
ultérieure de l’étude CORONA ont évalué le taux d’IM ou
d’AVC non mortels ou mortels – des événements plus clairement identifiables lorsqu’ils ont une étiologie ischémique – et
Figure 4 : CORONA – Analyse ultérieure du nombre
d’IM ou d’AVC mortel/non mortel dans
le paramètre primaire*14
Pourcentage de patients présentant
des événements
15
Placebo
12
Rosuvastatine 10 mg
9
6
Probabilité = 0,84
IC à 95 %, 0,70 à 1,00
P = 0,05
3
0
0
Nbre à risque
Placebo
2497
Rosuvastatine 2514
* Data on file
6
2315
2345
12
18
Mois suivi
2156
2207
2003
2068
24
1851
1932
30
1431
1484
36
811
855
ont constaté une réduction significative de ces événements qui
sont survenus chez 9 % des patients sous rosuvastatine et chez
10,6 % des patients assignés au hasard au placebo (réduction
du risque relatif de 16 %, p = 0,05) (figure 4). Autrement dit,
la rosuvastatine a permis de prévenir les événements qu’une
statine devrait prévenir et il était peut-être rétrospectivement
irréaliste de s’attendre à ce qu’elle prévienne également les
événements liés à des arythmies terminales ou à une altération
progressive de la fonction de pompe du cœur. Par conséquent
et bien que les autres études majeures n’aient pas été axées sur
les patients atteints d’IC, il existe suffisamment de données
favorables issues des études antérieures et de l’étude
CORONA pour justifier l’utilisation continue des statines chez
les patients atteints d’IC d’étiologie ischémique.
Il est également encourageant de noter qu’une analyse de
sous-groupe indiquait que les statines offraient des bénéfices
de préférence aux patients qui étaient plus jeunes, qui étaient
atteints d’IC moins sévère et dont l’état de santé générale était
meilleur. Cela est compatible avec l’hypothèse que l’administration de statines de façon plus précoce dans l’histoire
naturelle de l’IC ischémique pourrait entraîner des bénéfices
plus importants.
De plus, le traitement avec la rosuvastatine a entraîné une
baisse du paramètre secondaire préspécifié incluant le nombre
total d’hospitalisations pour IC, possiblement du fait qu’il a
permis de prévenir certains épisodes coronariens aigus qui
auraient pu contribuer à une exacerbation de l’IC. Une autre
possibilité est que la rosuvastatine a réduit l’ischémie myocardique en améliorant la dysfonction endothéliale et microvasculaire ou par un effet sur les myocytes cardiaques grâce à
certains des effets pléiotropiques des statines11,12,17. Quel que
soit le mécanisme, l’implication la plus importante de ce
résultat est qu’il réfute l’hypothèse antérieure selon laquelle
les statines peuvent aggraver l’IC en réduisant possiblement la
synthèse de la coenzyme Q10, un cofacteur dans la chaîne de
transport d’électrons dans les mitochondries, et la production
de sélénoprotéines. Ces protéines participent à la régulation
de la signalisation intracellulaire par oxyréduction et ont une
activité protectrice contre les radicaux libres, parmi d’autres
fonctions13,18,19. Ces constatations suggèrent également que
les effets indésirables hypothétiques des statines sur le
squelette et la fonction des muscles cardiaques n’ont pas de
conséquences cliniques chez les plupart des patients.
Étant donné que l’IC est une affection chronique, de
multiples hospitalisations peuvent être nécessaires durant son
évolution pour traiter la décompensation dont elle est responsable, ce qui se traduit par des coûts importants pour le
système de soins de santé. Par conséquent, une réduction du
nombre d’hospitalisations pour IC est considérée généralement comme un paramètre important d’une perspective de
l’économie de la santé.
D’autres observations importantes en ce qui concerne
l’innocuité de la rosuvastatine dans cette population extrêmement malade méritent d’être soulignées. On n’a pas noté une
augmentation significative du nombre de symptômes liés aux
Cardiologie
Actualités scientifiques
muscles ou un taux accru de créatine kinase chez les patients
recevant la rosuvastatine. De plus, on n’a pas noté un plus grand
nombre de cas d’élévation significative du taux d’aminotransférases hépatiques ou d’aggravation de la fonction rénale chez les
patients recevant la rosuvastatine comparativement au groupe
assigné au hasard au placebo. En fait, on a observé un moins
grand nombre d’arrêts du traitement et un moins grand nombre
de décès de causes non CV dans le groupe recevant la rosuvastatine, une observation rassurante, même si sa signification clinique
est incertaine.
L’ étude CORONA n’a pas examiné 2 autres groupes importants de patients atteints d’IC, à savoir les patients atteints d’IC
non ischémique et ceux dont la fraction d’éjection est préservée.
Les patients de ces deux groupes sont évalués dans la Gruppo Italiano per lo Studio della Sopravivenza nell’infarto Miocardico Trial
(GISSI) Heart Failure Trial, qui compare la rosuvastatine et un
placebo et des acides gras polyinsaturés n-3 et un placebo chez
6975 patients dont 4574 ont été recrutés dans le groupe de l’étude
recevant la rosuvastatine20. On prévoit que cette étude sera terminée en 2008.
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Conclusion
L’ étude CORONA a démontré que le traitement avec la rosuvastatine (10 mg par jour) n’a pas réduit le paramètre composé
incluant la mort de causes CV ou l’IM ou l’AVC non mortels chez
des patients âgés très malades atteints d’IC systolique ischémique
qui étaient traités pour la plupart avec d’autres médicaments CV.
Cependant, le traitement avec la rosuvastatine a entraîné une
réduction significative du paramètre secondaire, à savoir l’hospitalisation due à des causes CV. De plus, il y avait des indications que
la rosuvastatine offrait un bénéfice de préférence aux patients plus
jeunes souffrant d’IC moins sévère. En outre, une analyse
ultérieure axée sur les paramètres ischémiques définis incluant
l’IM ou l’AVC non mortels ou mortels a démontré une réduction
significative de 16 % du risque relatif de survenue de ces paramètres avec le traitement par la rosuvastatine.
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