Noël Bellemare (actif en 1512–1546 Paris) L

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Noël Bellemare (actif en 1512–1546 Paris) L
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tête de Villiers elle-même digne d’admiration. A l’arrière-plan, il y aurait plusieurs figures
réussies. C’est effectivement la manière dont un auteur baroque aurait pu décrire notre tableau.
Mais surtout, Sauval conclut en soulignant la proximité des traits entre la tête du mage le plus
âgé sur le tableau et celle de son équivalent sur le vitrail de la chapelle qui traite le même thème
(ce vitrail déjà cité plus haut qui est sur le marché de l’art à Londres, et qui est indiqué comme
provenant de cette église). Le vieillard maigre, à l’air suffisant avec son chapeau dont le bord
comporte deux pointes est comme une décalque trait pour trait du mage le plus âgé de
l’Adoration du musée de Bâle (voir ill. p. 2–3).
Si cette reconstruction s’avère exacte, nous avons affaire, avec le tableau bâlois, à une
commande importante d’un personnage capital non
seulement pour l’histoire de France mais aussi pour celle
de l’Europe. En outre, il comporterait le seul portrait de
Philippe de Villiers de l’Isle-Adam à avoir été réalisé de
son vivant. La comparaison avec son gisant conservé
dans la crypte de la co-cathédrale Saint-Jean de La
Valette à Malte montre, malgré la différence de type de
représentation, des similitudes dans les traits du visage,
qui frappent par leur douceur et par la barbe touffue taillée
en couronne.
Suite au retrait de l’île de Rhodes, les Hospitaliers sous
l’autorité de Villiers de l’Isle-Adam connurent sept années
d’insécurité jusqu’à ce que l’Empereur Charles Quint leur
octroie en 1530 comme fief l’île de Malte. C’est un
compatriote de Villiers, le 49ème grand maître de l’Ordre
Jean Parisot de la Valette (1494–1568) qui a réussi
l’exploit en 1565 de défaire la flotte ottomane et ainsi, de
mettre fin à la domination des Turcs en Méditerranée
orientale. Aussitôt après cette victoire, la Valette construit
au-dessus du plus grand port de l’île une nouvelle capitale
dotée de puissants remparts qui porte encore aujourd’hui
son nom. Depuis cette forteresse, les hospitaliers de
l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, rebaptisé entretemps
Ordre de Malte, ont rempli jusqu’aux guerres napoléoniennes, durant près de trois siècles, une fonction
d’avant-poste défensif de l’Europe.
Bodo Brinkmann
Noël Bellemare (actif en 1512–1546 Paris)
L’Adoration des mages avec le commanditaire Philippe de Villiers de l’Isle-Adam
(1464–1534) grand maître de l’ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, 1521
Huile sur chêne, 112,5 x 225,5 cm
Ni signé, ni daté. Près de la figure du commanditaire, l’inscription suivante :
O BONE IESV O IESV IESV DA MICHI VIRTVTVM [sic] CONTRA HOSTES TVOS ET MISERERE MEI
Legs Emma Louise Staehelin-Burckhardt, 1938, inv. 1721
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Très encrassé et couvert d’un vernis brun, ce tableau monumental a longtemps sommeillé dans
Une analyse dendrochronologique du panneau de chêne a permis de dater l’abattage de l’arbre
les réserves du Kunstmuseum Basel sans que personne n’y prête attention, jusqu’à ce que la
au plus tôt en 1513 et la confection du tableau vers 1521, donc certainement durant la période
restauratrice Amelie Jensen entreprenne en 2013 sa restauration complète. Le vernis et
où Bellemare était à Paris. Si le tableau a été peint à Paris et non à Anvers, le commanditaire
d'anciens repeints altérés ont pu être enlevés sans endommager les parties originales. Après la
agenouillé à droite du groupe principal devrait alors s’avérer plutôt français que néerlandais. Sa
suppression de la couche de vernis sont apparus non seulement des manques dans la couche
cotte d’armes ainsi que son saint patron Jean le Baptiste indiquent qu’il fait partie de l’ordre
picturale, mais aussi quelques petites lacunes dus à la technique du peintre et à des
hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem. Et plus encore : Alexander Debono (La Valette) nous a
changements climatiques antérieurs. Des
indiqué que seul le grand maître de l’Ordre porte une cotte d’armes où non seulement le devant
dommages
mais aussi les épaules sont ornés de la croix blanche.
dus
à
des
nettoyages
trop
intensifs lors de précédentes restaurations ont
Juste à l’époque de la réalisation probable de notre tableau, le 21 janvier 1521, l’assemblée de
été aussi mis à jour. En revanche, l'éclat des
l’ordre de Saint-Jean élit l'ancien prieur de la « langue » d’Auvergne (l’une des provinces de
couleurs originales a été conservé. Après le
l’ordre), Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, comme nouveau grand maître, le 44ème de l’histoire
masticage
parties
de l’ordre. En août de la même année, de Villiers se rend au quartier général de l’ordre, sur l’île
ont
été
de Rhodes qui sera assiégée l’été suivant par la flotte ottomane. Bien que le siège de Rhodes
avec
des
se termine par la défaite de l’ordre, le sultan Soliman le Magnifique, impressionné par la
et
manquantes,
la
retouche
les
soigneusement
des
lacunes
refermées
retouches par petits points, et à certains
défense héroïque des chevaliers commandés par de Villiers, leur laisse non seulement la vie
endroits des glacis perdus ont été restitués.
sauve mais leur permet aussi de quitter l’île, ce qu’ils font le jour de l’an 1523.
Après cette opération, le tableau présente
Nous pouvons donc supposer que de Villiers fait réaliser le tableau dans la première moitié de
une large gamme de couleurs vives, presque
l’année 1521 après son élection comme grand maître de l’Ordre, mais avant son départ pour
criardes, qu’on n’aurait pu soupçonner et qui
tranche
avec
les
goûts
des
Rhodes. Cela concorde parfaitement avec le texte qui sur le tableau semble émaner de sa
primitifs
bouche : « ô bon Jésus, ô Jésus, Jésus, donne-moi du courage contre tes ennemis et aie pitié
flamands. C’est alors que l’attribution, qui
de moi » – une prière à la mesure des tâches qui l’attendaient, renforcée par la triple invocation
n’avait jamais été vérifiée, à un maître
du nom du Seigneur.
anonyme anversois vers 1520, a été remise
Le lieu pour lequel le tableau a été
en question. Peter van den Brink (Aix-lao l
commandé peut vraisemblablement
le
être aussi déterminé. Leproux a
biographe de l’artiste, Guy-Michel Leproux
signalé que les Villiers de l’Isle-Adam
(Paris).
possédaient une chapelle familiale
Chapelle)
Bellemare,
Fils
d’un
a
proposé
attribution
chapelier
le
nom
de
confirmée
anversois
par
et
dans l’église du Temple qui fut, après
d’une
la dissolution de l’ordre du Temple en
Parisienne, Bellemare est mentionné comme
1307, transmise à l’ordre hospitalier
peintre à Anvers en 1512. Il est probablement
de
né dans cette ville où il a dû recevoir sa
formation. On retrouve ensuite sa trace dès
en
Une
1724
description
(Henri
Sauval,
Histoire et recherches des antiquités
1515 comme chargé de la décoration d’un
de la ville de Paris) précise que le
plafond de l’Hôtel-Dieu de Paris. Il semble
retable de cette chapelle représentait
avoir été actif à Paris jusqu’à sa mort en
une
1546, comme peintre, enlumineur, mais aussi
Adoration
des
mages
comprenant un portrait d’un seigneur
cartonnier pour des vitraux et des textiles.
de l’Isle-Adam. La composition serait,
Des documents désignent Bellemare en 1532
comme cartonnier de la rose sud de Saint-Germain l’Auxerrois à Paris.
Saint-Jean.
publiée
otre tableau présente
des parallèles évidents avec un vitrail reproduit ici, provenant de l’église du Temple à Paris et apparu sur le marché de l’art à Londres (Sam Fogg) dont le carton a également été attribué à l’artiste.
selon l’auteur, peu réussie, mais les
couleurs seraient très vives, les
visages
expressifs
et vivants, la

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