Une histoire d`amour de la Belle Henriette

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Une histoire d`amour de la Belle Henriette
Une histoire d’amour de la Belle Henriette
Comme elle est magnifique, avec ses grands yeux noirs si doux, allongée
négligemment sur sa couche ! Cela lui coûte de la quitter, il ne peut se passer d’une
dernière caresse le long de son dos et sur ses cuisses fermes. Tout son corps frémit
sous ses doigts.
Rémy se sent toujours mal lorsqu’il est loin d’elle. Il l’a attendue si longtemps,
maintenant qu’il peut enfin la contempler, l’approcher et la toucher il n’a pas envie de
rentrer chez lui. Depuis qu’elle est entrée dans sa vie, il découvre en lui une sérénité
et une assurance qu’il n’avait jamais connues. En soupirant, sur un dernier regard
échangé, il referme doucement la porte et s’éloigne avec des images plein la tête.
Sa soirée se déroule sans histoire, bien que toutes ses pensées soient tournées vers
elle. Il repense à leur dernier tête-à-tête, au soyeux de sa toison dans laquelle il aime
plonger ses mains, à la délicatesse de ses formes si voluptueuses et surtout, aux
résultats de ses derniers examens. Il est fou de joie à l’idée de ce qu’ils vont réaliser
ensemble. Sa vie va être transformée.
Le lendemain matin, il décide de passer la voir à l’improviste, il ne peut pas résister, il
veut s’assurer qu’elle est bien réelle, qu’il ne l’a pas rêvée. Devant sa bâtisse,
l’angoisse le saisit, à la vue de plusieurs voitures de police arrêtées, leurs
gyrophares lançant des éclairs orange dans le jour naissant.
Pressentant un malheur, il se précipite vers le gardien en pleine discussion avec les
policiers. Il apprend que des effractions ont eu lieu dans la nuit et que sa belle
Henriette a disparu. Un désordre indescriptible règne, les meubles sont sans dessus
dessous. Bien sûr, elle aurait pu sortir seule, mais cela semble peu probable.
Des enquêteurs relèvent les empreintes et analysent les inscriptions qui s’étalent sur
les murs.
Rémy est effondré, son cœur va exploser. Toutes ces années à tâtonner, à hésiter et
lorsqu’enfin il réussit, on lui ravit son trésor. Son chagrin est immense, un abîme de
solitude déferle sur lui, le souffle lui manque, il est incapable de répondre aux
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questions qu’on lui pose. L’inquiétude le ronge, la présence d’Henriette incarnait
l’aboutissement de sa vie, il ne pourra pas supporter son absence.
Elle est si douce, si attachante, si nécessaire. Ceux qui l’ont kidnappée ne savent
pas tout ce qu’elle symbolise pour lui. Henriette a dû suivre ses ravisseurs de son
plein gré.
Rémy espère qu’elle ne sera pas malmenée, elle ne comprendrait pas, elle qui n’a
jamais connu la méchanceté. Tout en répugnant à s’en séparer, il tend une photo
d’Henriette aux policiers et réfléchit aux signes distinctifs qui pourraient les aider à la
retrouver. A part ses grands yeux bruns, sa robe blanche, ses boucles noires, ses
hanches larges faites pour porter une descendance…
Le chagrin qu’il essaye de refouler l’envahit de nouveau, il s’affale sur le trottoir et la
longue attente commence.
De son côté, Henriette est sereine. Ses ravisseurs cagoulés l’ont fait monter dans un
véhicule qui a roulé longtemps. Elle a du mal à évaluer la durée, ce qu’elle perçoit
c’est le moment où Rémy vient la voir, où il la caresse en lui parlant tout bas dans
l’oreille, elle aime cette douceur, cette tendresse qui brisent sa solitude.
Ses journées sont rythmées par la succession des visites de Rémy. Elle est en
sécurité près de lui, les autres ne comptent pas, ils ne l’intéressent pas.
Elle n’a éprouvé aucune crainte lorsque ses ravisseurs sont entrés, elle a été
surprise, c’est tout. Elle les a suivis, pensant qu’il s’agissait d’un test, et elle est
montée dans le véhicule sans résister. Ils se sont arrêtés près d’une petite maison au
bord de la mer. Elle a apprécié l’odeur du sel dans l’air. Pour le moment, elle est
attachée dehors où le vent lui apporte des senteurs nouvelles et où le soleil lui
réchauffe le dos.
Bien qu’entravée, elle se sent bien, elle n’a pas été maltraitée mais Rémy lui
manque, elle aimerait être près de lui. Elle se demande s’il va bientôt la rejoindre.
Lorsque le soleil commence à décliner, elle perd patience et se manifeste pour attirer
l’attention. Elle ne va quand même pas passer toute la nuit dehors !
Ses appels finissent par attirer un des hommes qui lui apporte à manger. Mais elle
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n’a ni faim ni soif. Fatiguée par toutes ces aventures, elle s’allonge et regarde les
étoiles qui commencent à envahir le ciel. Le firmament est splendide, sa nature,
insouciante et aimable, lui fait apprécier ce moment malgré les circonstances.
La fraîcheur du soir coule sur ses épaules mais elle n’a pas froid, elle s’ennuie, elle
veut être avec Rémy. Alors, comme rien ne bouge près de la maison, elle tire peu à
peu sur sa corde. Elle s’agite, remue et fait tant et si bien que la corde finit par se
rompre.
Ils devaient penser qu’elle ne pourrait pas se délivrer, mais la voilà enfin détachée,
libre de courir rejoindre le seul homme qui compte dans sa vie. Son instinct ne la
trompe pas, elle sait quelle direction emprunter, alors, empoignant son destin en
main, elle s’échappe pour rejoindre Rémy.
Elle fuit sur le bord de la route, emportée par son envie de le revoir. Lui est roulé en
boule sur son lit, attendant désespérément des nouvelles, un appel de demande de
rançon, quelque chose qui puisse lui redonner l’espoir qu’elle est toujours vivante et
en bonne santé.
En chemin, la belle Henriette regarde tout ce qui l’entoure avec plaisir, chaque pas la
rapproche de Rémy, elle le sait, elle le pressent, leur séparation n’est que provisoire.
Au petit matin, elle arrive dans une ville et croise des gens qui la regardent
bizarrement. Henriette s’en moque, elle reconnait enfin les lieux, elle est revenue
dans son foyer.
Mais elle trouve porte close, alors, fatiguée, elle se couche pour attendre et se
reposer.
A 7h, Rémy est réveillé en sursaut par le téléphone, il a fini par s’assoupir au matin,
après avoir ressassé l’absence de sa belle.
Il saute sur l’appareil pour entendre la voix excitée du gardien :
-« Incroyable, elle est revenue toute seule ! Je l’ai trouvée ce matin endormie devant
la porte, elle va bien ! »
Rémy se précipite immédiatement au laboratoire pour la rejoindre. La belle Henriette
est de retour chez elle, dorlotée, chouchoutée après ces mésaventures, elle espère
la visite de Rémy.
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A sa vue, elle meugle de plaisir et s’élance vers lui.
Rémy prend son gros cou dans ses bras et enfouit sa tête dans son pelage, les
boucles noires de ses oreilles le chatouillent. Que c’est bon de la revoir !
Ses somptueux poils blancs sont un peu sales, ses cuisses musclées sont
recouvertes de terre mais c’est bien elle. Son extraordinaire trouvaille ! Celle pour
laquelle il a travaillé jour et nuit pendant des années, sacrifiant vie de famille et amis.
Il est enfin récompensé de tous ses efforts. Sa vache laitière transgénique dont le
lait, enrichi naturellement en fer et en protéines, pourra résoudre la faim dans le
monde, est là, devant lui. Le dernier examen l’a bien montré, quelques gouttes de
son lait nourriront 10 personnes.
Les voyous qui ont tout saccagé dans le laboratoire pour libérer les animaux auraient
dû voir que ce n’était pas une vache comme les autres. La preuve, elle l’a retrouvé.
Rémy lui administre rapidement le traitement commencé depuis qu’elle est toute
petite et qui la rend si remarquable.
Avec un peu de chance, il aura le prix Nobel de la paix pour avoir supprimé la faim
dans le monde ! Blotti contre sa Belle Henriette, il rêve à leur avenir qu’il espère
exaltant.
Dominique ATTALI
Prix Coups de Cœur « La Vache Transgénique »
Collège Enseignants/Chercheurs/Administratifs
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