Eclipse vient d`un mot grec

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Eclipse vient d`un mot grec
Regarder vers l’Espace
Eclipse
Le Soleil a rendez-vous avec
la Lune, la Lune est là … et le
Soleil aussi !
Le 22 septembre 2006, la Guyane a été le
témoin privilégié d'une éclipse de Soleil.
Dite annulaire, le disque de la Lune ne
couvrait pas entièrement celui du Soleil
et révélait à l'apogée un anneau de feu.
Le diamètre apparent de la Lune étant
petit, la zone de centralité de l'éclipse
couvrait une fine bande de terre, de
Guyane au Guyana. L'intérêt fut général et
la Guyane le théâtre d'un spectacle
enchanteur. De nombreux astronomes
étrangers ont fait le déplacement, en
provenance notamment d'Europe et des
Etats-Unis.Accueillis au CSG, les premiers
ont constaté d'étonnantes éruptions
solaires, les seconds, de l'Université du
Dakota, ont rediffusé leurs images en direct
sur le Web mondial. En partenariat avec le
Rectorat de Guyane, le CNES/CSG a mis
en place de multiples actions autour de
l'évènement. Invité d'honneur, Jean-Louis
Heudier,Astronome à l'Observatoire de
Nice, a éclairé de ses lumières l'ensemble
du territoire guyanais, afin d'éclipser tout
malentendu sur le phénomène.Au moment
où notre système solaire perd sa neuvième
planète, chamboulant plus ou moins nos
connaissances, l'éclipse nous donne
l'occasion de nous rapprocher un peu
plus des deux astres avec et pour lesquels
nous avons le plus d'interaction et
d'affection : la Lune & le Soleil, lors de leur
mariage céleste.
24 / LATITUDE 5 / N°74 / OCTOBRE 2006
Jadis au moment d'une éclipse de Soleil,
les hommes se cachaient. Puis ils hurlèrent
au monstre et au malheur avant de
comprendre le phénomène.
Ce 22 septembre, toute la Guyane s'offrait
à l'éclipse sans redouter le mauvais-œil,
moyennant une indispensable paire de
lunettes protectrices. La veille, dans une
salle Jupiter II aux 230 sièges garnis
de curieux, de néophytes mais aussi de
passionnés, l'astronome Jean-Louis Heudier
explique simplement le phénomène des
éclipses et toutes les avancées scientifiques
découlant de leur observation.
Simplement, car lors de son marathon
guyanais précédant l'éclipse qui l'a mené
de Maripasoula à Saint Georges, il s'est
employé à se mettre à la portée des
collèges et lycées de Guyane ainsi que
du grand public.
Par Karol Barthelemy
"E
clipse vient d'un mot grec
signifiant quelque chose qui
n'est pas à sa place" débute
Jean-Louis Heudier, illustrant à quel point
les hommes ont eu du mal à comprendre
ce phénomène. Comme il l'explique avec
pédagogie, "les éclipses mettent en scène
trois vedettes : le Soleil, qui envoie beaucoup
d'énergie et dont nous recevons une faible
partie, notre petite Terre, qui tourne autour du
Soleil à 30 km/seconde, et la toute petite
Lune, satellite naturel de la Terre, qui tourne
autour d'elle à 1 km/s". La Lune et la Terre
traînent toutes deux une ombre, ombres
qui ne peuvent se rencontrer qu'à la
pleine Lune ou à la Nouvelle Lune, ou
syzygies. Le phénomène écliptique impose
que la Lune se trouve dans le plan d'orbite
de la Terre et chaque éclipse est suivie de
sa cousine à la syzygie suivante. Compte
tenu du mouvement des planètes, chaque
année en voit fleurir au minimum quatre
(deux lunaires et deux solaires), et au
maximum sept.
Mariage Céleste
Astronomes sur le site Grand Leblond
L'éclipse de Soleil a lieu lorsque l'ombre de la Lune arrive sur
la Terre. C'est un phénomène relativement rapide car l'ombre
bouge à la même vitesse que l'astre lunaire, soit un km/seconde.
Elle est dite totale lorsque le diamètre apparent de la Lune
couvre parfaitement celui du Soleil, révélant alors la couronne
solaire. Mais "la Lune danse, saute, monte et s'éloigne du plan d'orbite
de la Terre" chantonne l'astronome. Et lorsque la Lune est trop
loin, son disque devient trop petit pour couvrir totalement celui
du Soleil ; l'éclipse devient annulaire et génère dans ce cas un
anneau de feu.
Ce vendredi matin tôt sur la plage, les Kourouciens s'égrènent en
chapelet dans une ambiance toute particulière. La mer d'huile
semble étonnamment bleue, irisée de reflets mordorés. Baignés de
cette étrange luminosité et lunettes sur le nez, petits et grands sont
attentifs à l'alignement des deux astres. Face à ce spectacle
"merveilleux, magique, épatant", chacun y va de son commentaire.
"Maman, le Soleil fait un barbecue avec la Lune ! " s'exclame un
enfant, tandis qu'une jeune femme souffle que "ça provoque tout de
même une sacrée émotion…" D'autres ont installé un télescope
pour observer l'union céleste. C'est le cas de Christian qui déclare
que "l'éclipse nous fait prendre conscience que sans le Soleil ou sa
lumière, nous ne serions plus. Ça donne froid dans le dos ! " Et
d'ailleurs, nombreux furent ceux à ressentir la fraîcheur de l'ombre
de la Lune lorsque celle-ci passât. En hauteur sur le site Carapa
spécialement ouvert par le Centre Spatial Guyanais pour l'occasion,
d'autres enfants se sont également émerveillés de cette féérie. Et
face au croissant solaire de s'exclamer "Mais il se prend pour la
Lune ce Soleil ! "
Sur les hauteurs également, les radars du Centre Spatial
Guyanais ont cédé pour un moment la place aux astronomes qui ont
installé leurs équipements professionnels sur le site de Grand
Leblond, sur la Montagne des Pères. Venant d'Allemagne,
d'Autriche, de Hollande, de Suisse, et guidés par l'allemand
Joachim Biefang de l'Université Max Plank, ce ne sont pas moins de
vingt-deux européens qui ont pointé leurs objectifs sur le Soleil.
Joachim voyage quatre mois par an à la quête des éclipses, et
prépare cette expédition depuis près d'un an. Ses premiers mots sur
notre éclipse annulaire sont enthousiastes : "une éclipse magnifique
avec un ciel magnifique ! " Grâce à un équipement spécial, les
astronomes ont découvert avec bonheur d'impressionnantes
éruptions solaires. "Les éruptions sont constantes à la surface du
Soleil, mais il est particulièrement rare qu'elles présentent une telle
amplitude" détaille Joachim.
LATITUDE 5 / N°74 / OCTOBRE 2006 /
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La grande saga des éclipses
"Il y a 2250 ans que nous avons mesuré la distance Terre-Lune grâce aux
éclipses lunaires ; les Anciens savaient déterminer les éclipses lunaires à
venir. Aristote lui-même nous confirme que nous avons compris que la
Terre était ronde lorsque nous avons pu voir que son ombre était
circulaire" raconte l'homme de science.
Tous les peuples ont toujours eu peur du phénomène des éclipses.
Au Moyen-Age par exemple, son interprétation va au plus simple :
le Soleil se fait grignoter par un dragon. Les hommes mettent alors
en œuvre des pratiques destinées à faire fuir le monstre : allumer
du feu, faire du bruit et lancer des flèches. "Et ça marche, l'éclipse finit
toujours par disparaître !" assure le conférencier.
Les curés, tant des villes que de la campagne, sont invités à
commencer plus tôt qu'à l'ordinaire l'office du quatrième dimanche
de carême, à cause de l'éclipse totale de Soleil qui, sur les dix heures
du matin, ramènera les ténèbres de la nuit. Ils sont tous priés
d'avertir le peuple que les éclipses n'ont sur nous aucune influence,
ni morale ni physique ; qu'elle ne présagent et ne produisent ni
stérilité, ni contagion, ni guerre, ni accident funeste, et que ce sont
des suites nécessaires du mouvement des corps célestes, aussi
naturelles que le lever ou le coucher du Soleil ou de la Lune.
La Gazette de France, 19 mars 1764
Du 16ème au 18ème siècle, de nombreuses éclipses centrales sont
observées sur l'Europe. Mandatés pour cartographier la France par
Louis XIV - l'autre Roi Soleil - des scientifiques français tentent
d'associer les trajectoires des éclipses à leurs cartes. De son côté,
Cassini observe les éclipses des satellites de Jupiter pour estimer
les distances et les différences de longitude. Et en 1762, la première
grande expérience scientifique de mesure consiste à implanter des
repères à Paris et à Cayenne pour mesurer la distance entre les
deux villes et en déduire celle séparant la Terre du Soleil.
L'astronome poursuit : "en 1715, à l'affût d'une éclipse en Angleterre,
le grand spécialiste de la Lune Edmond Halley effectuât des mesures très
précises qui ont permis de recalculer les éclipses de l'Antiquité,
mentionnées dans divers récits. Ceci permit par ailleurs de constater que
la Terre ralentit. On fait alors feu de tout bois et de toutes éclipses,
surveillant même celle de Vénus qui passât devant le Soleil en 1761. Les
astronomes se déplacent avec des artistes qui ont pour mission de
représenter les éclipses observées, et en 1851 Foucault apporte une
petite révolution en parvenant à photographier le phénomène".
A la fin du 19ème siècle, la spectroscopie permet de découvrir dans
la couronne du Soleil (que l'on peut voir lors d'une éclipse totale)
des raies spectrales, signatures de corps chimiques. Les scientifiques
identifient alors l'hélium, que l'on ne connaît pas encore sur Terre,
puis plus tard une autre inconnue baptisée "coronium". Mais il
s'avère qu'il s'agit de fer, qui nécessite une quantité d'énergie
colossale pour atteindre cet état. Nous comprenons alors que la
couronne du Soleil est bien plus chaude que le corps de l'astre :
deux millions de degrés contre six mille…
Parallèlement, la connaissance des trajectoires s'améliore. "En 1913,
Einstein découvre que la lumière doit être déviée par des masses. La plus
grosse étant celle du Soleil, il propose une expérience à un spécialiste de
l'astre. Menée en avril 1919 au Brésil, elle constitue la première preuve
expérimentale de la théorie de la relativité" expose Jean-Louis Heudier.
De nos jours, les satellites nous rendent de grands services pour
étudier le phénomène des éclipses. SOHO par exemple utilise un
coronographe pour simuler une éclipse totale de Soleil sur une
longue durée (photo de fonds de page). Les scientifiques peuvent
alors observer à loisir la lumière de la couronne et les particules
électriques à l'origine des éruptions solaires. Météosat 8 a pour sa
part filmé le passage de l'ombre de la Lune sur la Terre, confirmant
la véracité des premières cartes des astronomes français.
Les prochaines éclipses solaires totales auront lieu le 1er août
2008 et le 11 juillet 2010, respectivement visibles de Sibérie et de
l'île de Pâques. 4
"Le Soleil n'a de spectateur que lorsqu'il s'éclipse ; la Lune n'est
observée que lorsqu'il lui arrive le même accident. Les villes alors
poussent des clameurs et, dans leur folle superstition, les individus
font tapage à l'envie. Combien plus grandes sont pourtant les œuvres
habituelles du Soleil ! Il fait pour ainsi dire autant de pas qu'il y a de
jours et ferme le cercle de l'année par sa révolution. Tellement plus
grand que la Terre, il ne la brûle pas, mais la réchauffe en réglant sa
chaleur par des alternatives d'intensité et de relâchement. Il n'emplit
la Lune de sa lumière que lorsqu'elle lui fait face, et ne la voile d'ombre
que si elle est de côté. Et pourtant nous ne prenons pas garde à ces
phénomènes, aussi longtemps qu'ils sont conformes à l'ordre établi.
Survienne un dérangement, une apparition insolite, on regarde, on
pose des questions, on éveille l'attention d'autrui. Tellement il nous est
naturel d'admirer le nouveau plutôt que le grand."
Sénèque, 60
Les différentes phases de l'éclipse annulaire du 22 septembre 2006
26 / LATITUDE 5 / N°74 / OCTOBRE 2006
© NASA/ESA
Le CNES avait pour l'occasion renforcé son partenariat avec le
Rectorat de Guyane par la distribution de 35 000 lunettes aux écoles
et clubs d'astronomie, 45 solarscopes et 6 lunettes astronomiques
qui ont permis aux professeurs les plus avertis et/ou passionnés
d'aller au delà de la pure observation de l'éclipse avec leurs élèves.
Certains d'entre eux se retrouvaient d'ailleurs sur les sites de
Carapa à Kourou ou de Montabo à Cayenne, où l'équipe de RFO
Guyane avait placé son QG pour faire un "Direct", et où le directeur
du CNES/CSG à acqueilli les VIP. Au final, ce sont plus de six cent
invités qui ont bénéficié du dispositif d'observation du CNES/CSG,
tous sites confondus.

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