Fabio Viscogliosi - Médiathèque Valais

Transcription

Fabio Viscogliosi - Médiathèque Valais
Médiathèque Valais St-Maurice
Vendredi 17 mai
12.30-13.30
Fabio Viscogliosi
Fabio Viscogliosi naît en 1965 à Oullins de parents italiens.
« A l’âge de dix ans, j’habitais une demi-banlieue qui, peu de temps auparavant, était encore une
douce campagne et désormais se couvrait d’une constellation de pavillons et lotissements sans
caractère. La France était morne mais je découvrais peu à peu que cette morosité n’était pas pour me
déplaire. Ma famille venait d’Italie et j’ai souvent eu du mal à me sentir français (nos armoires et nos
bibliothèques ne dépassaient pas la première génération, la tradition familiale ne s’ancrait nulle part
ici). Un signe ne trompait pas : notre nom n’apparaissait encore dans aucun cimetière, et la plupart de
mes professeurs l’abrégeait ou l’écorchait à l’envi. On me répétait : « Ton nom est impossible ». Je
me serais volontiers inventé une grand-mère poitevine, des ascendances parisiennes ou bretonnes,
une branche ardéchoise, un cousin au moins qui aurait passé son bac à Rouen (enfant, il me fallut
très longtemps pour saisir la distinction entre Provence et province ; en général, j’évitais de prononcer
le mot de peur de me tromper).
Mais, sans m’en apercevoir, je m’attachais à ce décor ingrat, aux murs en pisé qui s’écroulent sur
eux-mêmes, murs crépis de beige. J’aimais les arrêts de bus isolés, les bâtiments administratifs, les
collèges en préfabriqué et les ponts désuets. J’aimais l’odeur fumée de la province un peu de traviole,
couleur gris tôle, savant mélange de crasse et de fantaisie masquée, celle qui court jusque dans les
rues de Paris.» Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit, La France
Fabio Viscogliosi suit avec succès des études scientifiques, mais décide d'entrer aux Arts Appliqués et
devient auteur de bande dessinée. Après quelques mois aux Beaux-Arts de Lyon, il abandonne ses
études.
Premiers dessins et, en 1991, paraît aux Editions l’Association, son premier récit « Au coeur du
monde », suivi de « L'Abc des rêves », « L'Oeil du chat », « Du Plomb dans l'aile » et « Morte
saison pour les poissons », « La Basse-cour », « Pacha », mis en image par Blutch.
Dessinateur-illustrateur, mais également musicien. Dans ce domaine, il a collaboré avec The Married
Monk, groupe de rock français fondé en 1993 à Cherbourg autour de Christian Quermalet, Philippe
Lebruman et Franck Dorange et auteur de quatre albums.
Ecrivain, il a publié deux très beaux récits qui parlent de souvenirs et mêlent ses pas à ceux de ses
proches. « Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit » (Stock, 2010) et « Mont Blanc » (Stock,
2011).
« Je suis pour tout ce qui aide à traverser la nuit « (2010)
Récit fait de ces petites choses du quotidien qui tissent la vie et dont les chapitres se répondent
subtilement au travers d’un mot, d’une idée, d’un thème qui résonnent. Suite de textes, 154 chapitres,
qui, par petites touches, dresse le portrait d'un homme de quarante ans, enfant du rock tout autant
que de Magritte ou Laurel et Hardy.
Esquisses de récits, ébauches de portraits, références au monde de la peinture, littérature, cinéma…
et surtout, bribes de souvenirs, l'enfance et la figure des parents.
« Mon père fabriquait tout à la maison. De l’ouvre-boîte en inox jusqu’à la table du salon, en passant
par les portes de la cave et les poignées en prime. Nous vivions dans un chantier perpétuel : tôles,
ressorts, bazar de soudure et matériel de tous les âges.
Au collège, en cours de géométrie, je m’étais immédiatement fait remarquer. Les autres alignaient de
superbes équerres et rapporteurs en plastique tout droit sortis de la papeterie. Moi je me débattais
avec mon attirail en ferraille, outils de traçage professionnels que l’on utilise habituellement dans un
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atelier de chaudronnerie. Invariablement, mes règles laissaient des marques de rouille sur le blanc du
cahier. » (Un chantier perpétuel)
« Mont Blanc » revient sur ce 24 mars 1999, jour où Fabio Viscogliosi a perdu ses parents dans
l’incendie sous le Mont-Blanc.
« Avouons-le, le mont Blanc me poursuit partout. Je ne voudrais garder aucune rancœur contre cette
montagne à laquelle ma vie est liée désormais. Je l’emmène avec moi, dans mes poches, en
bandoulière, dans mes pensées. Oui, je l’avoue, il teinte mon regard comme mes lectures. »
Fabio Viscogliosi procède par touches et par rapprochements : « J’avance sans intention ». Il revient
d’abord sur les faits, aborde ensuite les mois qui ont suivis, le temps de l’instruction et des procès.
Ainsi passe le temps, sans effacer le passé.
« Même si la date de leur mort reste gravée dans mon esprit, je dois reconnaître que, passé dix ans,
on ne compte plus vraiment. Les jours sont des moutons qui sautent et se chevauchent et, avec eux,
le temps se transforme en espace. Aujourd’hui, je peine à réaliser si cette distance me console ou me
chagrine. Je m’éloigne inévitablement de cet événement qui se mêle peu à peu à quelques milliers
d’autres, un miroitement d’informations où l’extraordinaire voisine le dérisoire. Ce fatras,
inlassablement, me tourne le sang et la tête. »
Ce sont alors des hasards qui éclairent ce que vit l’auteur Coïncidences qui lui permettent
d’ « imbriquer », de construire pierre à pierre l’histoire.
« Tout de même, dans ce genre de circonstance, la tentation est grande d’associer des éléments
apparemment disparates. On ne cesse de réassembler les pièces d’un puzzle imaginaire dont le
dessin nous échappe. Une forme d’illusion rétrospective nous saisit, dans un grand tournis frappé
d’éclats lumineux ».
Que se passait-il, le 24 mars 1999, sur les coups de onze heures, tandis que le tunnel s’enflammait ?
Où étais-je, où étions-nous, tous ? Il suffit de s’en tenir aux faits, ils viennent se caramboler, sans
autre précaution. »
L’auteur amasse des notes, sans toujours savoir comment elles s’articuleront. Il évoque aussi la
littérature et c’est tout une réflexion sur la vie qui s’ensuit.
« J’ai noté, il y a très longtemps, cette phrase de l’artiste Robert Filliou, dont le sens me rattrape
inlassablement : « Ne rien décider, ne rien choisir, ne rien vouloir, ne rien posséder, pleinement
éveillé. »
Et une manière de comprendre ce qui s’est passé le 24 mars sous le Mont –Blanc.
« Ton livre est un tombeau », me dit Claude, d’une voix toute douce, mais pleine de conviction.
A propos d’un livre, le mot tombeau m’effraie un peu, mais je sais que dans sa bouche, il s’agit d’une
forme d’éloge. Le livre en question, mon premier, est sorti dans les semaines précédentes.
Un tombeau littéraire ? Peut-être. Mais, à tout prendre, je préfère le terme de « valise », plus modeste
et, surtout, portative. Nous parlons un instant de cette idée de valise -principe cher à Marcel Duchamp
et Enrique Vila-Matas-, la possibilité qu’ont les œuvres de contenir d’autres œuvres, qui elles-mêmes
en contiennent de nouvelles, et ainsi de suite, à l’infini.
Dans cette logique d’emboîtage, la conversation dérive rapidement vers Georges Pérec.»
À la fin du récit, Viscogliosi peut enfin traverser le tunnel qu’il avait si longtemps évité. Son livre est
terminé, les questions s’éloignent.
« Je roulais et je pensais qu’il existe plusieurs manières de passer une montagne : par-dessus,
autour, ou au travers. »
« La descente s’est rapidement amorcée en longues courbes et, le volant entre les mains, je me suis
mis rire. Je riais franchement, et le visage de Borges m’est apparu, riant, lui aussi.
J’ignorais ce qui m’attendait plus bas. J’ai accéléré. J’avais rendez-vous avec la vie, je ne voulais
surtout pas la faire attendre. »
Une « fin » pour une leçon.
« Nous sommes arrivés à l’entrée du cimetière des Rois. Il pose une main sur mon épaule, ses doigts
tapotent tendrement : « Voyez-vous, jeune homme, le monde est vaste, vous le savez. Si je puis vous
donner un conseil, profitez-en, sans plus tarder. Lorsqu’on a rendez-vous avec la vie, on ne la fait pas
attendre. »
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