Achir Mohamed et Chabane Bia

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Achir Mohamed et Chabane Bia
Les IAS/IFRS sont-elles au service de la sphère réelle ?
La juste valeur : enjeux informationnels et organisationnel ?
Achir Mohamed et Chabane Bia
Université de Tizi ouzou
[email protected]
Résumé
Le
processus
de
globalisation
financière,
visant
l’interconnexion
et
l’internationalisation des marchés financiers et des bailleurs de fonds, a provoqué une
profonde mutation des structures et des acteurs productifs de l’économie mondiale. En effet,
depuis les années 80, l’environnement financier et bancaire international n’a pas cessé
d’enregistrer des techniques et des produits très sophistiqués résultant de la vague
des
innovations financières, qui a permis une diversification très compliquée tant au niveau des
instruments financiers qu’au niveau des risques qui en découlent.
Par ailleurs, ce processus de financiarisation de l’économie devait être accompagné de
techniques et règles capables de répondre à la volatilité et à l’incertitude des actifs financiers,
surtout, les actifs sous-jacents composant les portefeuilles des entreprises.
Cependant, les systèmes comptables ont connu un processus de changement voire une
harmonisation internationale donnant naissance aux IAS/IFRS. Et ce, dans l’objectif de
mieux comptabiliser les instruments à leur juste valeur et accompagner les bailleurs de fonds
et les grandes entreprises dans leur internationalisation.
L’objectif de cette communication est de mettre en exergue les véritables enjeux
économiques et financiers qui se cachent derrière ces normes comptables, en posant cette
problématique:
Les IAS/IFRS basées sur le principe de la juste valeur sont-elles au service d’un
développement économique fondé sur la production des biens et services ?
Introduction
Le processus de globalisation financière, visant l’interconnexion et l’internationalisation des
marchés financiers et des bailleurs de fonds, a provoqué une profonde mutation des structures
et des acteurs productifs de l’économie mondiale1. En effet, depuis les années 80,
l’environnement financier et bancaire international n’a pas cessé d’enregistrer des techniques
et des produits très sophistiqués résultant de la vague des innovations financières, qui a
permis une diversification très compliquée tant au niveau des instruments financiers qu’au
niveau des risques qui en découlent.
Par ailleurs, ce processus de financiarisation de l’économie devait être accompagné de
techniques et règles capables de répondre à la volatilité et à l’incertitude des actifs financiers,
surtout, les actifs sous-jacents composant les portefeuilles des entreprises.
Cependant, les systèmes comptables ont connu, également, un processus de changement voire
une harmonisation internationale donnant naissance aux IAS/IFRS. Et ce dans l’objectif de
comptabiliser les instruments à leur juste valeur et améliorer l’information et la transparence
financière, d’une part, et, d’autre part, pour accompagner les bailleurs de fonds et les grandes
entreprises dans leur internationalisation.
Nous essayons à travers cette communication de montrer que les normes comptables
internationales IAS/IFRS sont initiées et instrumentalisées par les bailleurs de fonds
notamment les grands actionnaires comme les investisseurs institutionnels, afin de faciliter
leur internationalisation, et puis, réduire les asymétries d’information et les conflits d’intérêts
en favorisant la valeur actionnariale2. La maximisation artificielle de cette dernière est
considérée, justement, comme un facteur déstabilisant des marchés financiers. Ce qui conduit
par conséquent à un décalage entre la valeur réelle et la valeur financière de l’entreprise.
Après avoir tout d’abord rappelé la domination de la finance au niveau de l’entreprise ainsi
que les nouveaux principes et orientation de gestion d’entreprises imposées par les
actionnaires (investisseurs institutionnels) (I), nous aborderons les enjeux de la comptabilité,
et puis, nous mettrons le point sur les enjeux qui se cachent derrière les normes comptables
internationales à travers l'introduction du principe de juste valeur (III).
1
2
Dominique Plihon, Le Nouveau capitalisme, La Découverte, 2005.
Ainsi, DUMONTIER (1999) indique que « le contenu informationnel redondant est essentiel si les coût de collecte et
d’analyse de l’information pertinente pour évaluer l’entreprise sont tels qu’il est plus avantageux d’apprécier sa valeur à
partir des chiffres comptables qu’elle publie, même si ceux-ci ne sont produits que tardivement. »
I. Quelques éléments sur la financiarisation des entreprises
La globalisation financière a provoqué un embrouillement profond dans le système macro
financier des pays développés3. L’hégémonie des détenteurs de capitaux comme les
investisseurs institutionnels a conduit à un basculement des rapports de forces en faveurs de
ces deniers. En effet, cette mutation n’a pas épargné la structure décisionnelle et
organisationnelle de l’entreprise, en favorisant la prépondérance du pouvoir actionnarial au
détriment des cadres et salariés de l’entreprise. Cette transformation, visant la domination de
la finance, constitue un facteur déstabilisant voire derrière ce gouffre qui s’est crée entre le
volume de production réelle des entreprises et leur valeur financière.
a).Les investisseurs institutionnels et le pouvoir actionnarial
La montée en puissance des investisseurs institutionnels et la transformation de la stratégie de
financement de l’entreprise (le passage à une économie des fonds propres), ont influencé la
gestion de l’entreprise en introduisant des techniques financière sophistiquées pour accroitre
la valeur actionnariale4. La réalité du pouvoir décisionnel au niveau de l’entreprise se trouve
donc à coté des actionnaires (généralement des investisseurs institutionnels), en remettant en
cause le model traditionnel d’organisation de l’entreprise dans lequel les dirigeants et le
cadres concluent des accords avec les salariés de l’entreprises (stokholder) pour partager la
valeur ajoutée. Par ailleurs, ce régime fordiste a assuré une certaine stabilité de l’entreprise et
une performance dans la production réelle.
b).Les investisseurs institutionnels
Le capitalisme actionnarial est un nouveau mode de croissance mettant au centre du système
l’accumulation de richesses financières par les entreprises et son corollaire, la création de
valeur actionnariale. Il s’épanouit dans le contexte d’un régime de financement de marchés.
Pour s’assurer qu’il fonctionne à leur profit, les actionnaires s’imposent un nouveau mode de
gouvernance des sociétés.
Ce régime renforce d’autant plus le pouvoir des actionnaires que le capital se trouve de moins
en moins dispersé entre de multiples petits porteurs5. Il se concentre entre les mains des «
investisseurs institutionnels »6 qui sont principalement :
3
4
5
Le capitalisme vertueux: mondialisation et confianc., Marie Cuillerai. Payot, 2002
Dominique Plihon, Le Nouveau capitalisme, La Découverte, 2005.
Selon Laurent Batsch (Le Capitalisme fianancier, La Découverte, 2002), les ménages détenaient 91 % des actions aux Etats-
fonds de pension des systèmes de retraite par capitalisation (Etats-Unis, Royaume-Uni,
Pays-bas surtout)
fonds mutuels d’investissement, tels les O.P.C.V.M. en France.
les grandes compagnies d’assurance.
Ces investisseurs institutionnels« zinzins » représentaient, seulement, 3 % des actions cotées
aux Etats-Unis en 1950, et puis, ils ont atteint plus de 40 % en 2000. En raison, entre autres,
du fait des régimes de retraite par capitalisation, les fonds de pension anglo-saxons contrôlent
la moitié de la capitalisation boursière de certaines places financière comme la bourse de
Paris.
En effet, Aglietta.M et A. Rebérioux indiquent que les « zinzins » ne détiennent pas
uniquement près de la moitié des actifs financiers mondiaux, mais
leur capitalisation
boursière représente 1,95 fois le P.N.B. aux Etats-Unis en 2000, contre 1,27 en 1992
(respectivement 1,33 et 0,62 en France).
Il n’est donc pas surprenant que les normes du capitalisme anglo-saxon s’exportent avec
autant de facilité. Par exemple, Calpers, le plus important fonds de pension américain, se
permet de publier la liste des sociétés qui ne se plient pas suffisamment à ces règles afin
d’accroître sur elles la pression du marché7.
c).Les nouveaux principes de gouvernance d’entreprise
La gouvernance est l’ensemble des procédures de direction, de contrôle et d’incitation d’une
institution humaine, en l’occurrence l’entreprise.
L’histoire de la gouvernance d’entreprise a connu trois modèles de gouvernance. Elle a
commencé avec le capitalisme familial du XIXème siècle, où les firmes étaient restées sous le
contrôle du fondateur et de ses descendants qui joignent bien entendu des cadres très proches
et très fidèles. En suite, dans l’ère du capitalisme managérial décrit par J. K. Galbraith, les
entrepreneurs gèrent la firme conformément à leur propre ambition et finalement aux intérêts
des différentes parties-prenantes de l’entreprise : salariés, fournisseurs, clients, actionnaires. et
ce en vue de aire bénéficier tout le monde dans la répartition de la valeur ajoutée créée par
Unis en 1950, contre moins de la moitié aujourd’hui. 11 300 millions d’actionnaires contrôlent l’économie mondiale, dont 90
% vivent dans la Triade. Ils dépendent directement ou indirectement de quelques milliers de gestionnaires de fonds
collectifs.
6
C. Bébéar, P. Manière, Ils vont tuer le capitalisme, Plon, 2002.
7
Voir : Dominique Plihon, le nouveau capitalisme, éd la découverte, 2005.
l’entreprise8. Enfin, le troisième modèle de gouvernance d’entreprise est apparu avec
l’apparition du
troisième type du capitalisme, c'est-à-dire le capitalisme actionnarial. Il
s’imposait depuis la fin des années 70 et, progressivement, il a rendu le pouvoir aux
propriétaires ou les actionnaires de l’entreprise9.
d). Le contrôle des dirigeants
L’hégémonie du capitalisme actionnarial a permis aux actionnaires de juger et sanctionner les
dirigeants en fonction des dividendes et du cours de leurs titres. Et c’est pour cela, justement,
qu’ils veulent séparer les fonctions de gestion et celles du contrôle des manageurs, assurées
par leur propre représentant. Les premières sont assurées par un executive officer, ou directeur
général, et les secondes par le non executive chairman, ou président du conseil
d’administration. Dans la plupart des pays développés, cette distinction s’est généralisée
depuis le début des années quatre-vingt-dix10.
En France, il existe depuis de nombreuses années la structure duale conseil de
surveillance/directoire ; la séparation des fonctions de président et de directeur général est
possible depuis la loi sur les nouvelles régulations économiques (N.R.E.) de 2001.
e). La transparence des informations
Les exigences de transparence plaident pour une plus grande « ouverture » des comités de
travail des conseils d’administration, notamment celui qui traite en toute discrétion des
rémunérations des dirigeants ; on souhaite y intégrer des personnes extérieures à l’équipe des
manageurs de l’entreprise. Afin d’éviter les relations occultes entre les groupes, on limite le
cumul des postes d’administrateur sur la même tête (en France, la loi N.R.E., de 2001 le
plafonne à 5).
Les actionnaires attendent des données complètes et honnêtes sur la marche de l’entreprise et
que leurs droits soient parfaitement respectés ; en particulier, les porteurs minoritaires sont
attachés au principe d’une voix par action.
Toutes les mesures destinées à dissuader l’arrivée d’un nouvel actionnaire de poids sont
dénoncées ; citons par exemple la limitation du pourcentage de voix attribué à un même
8
Michel Aglietta et A. Rebérioux parlent d’approche « partenariale ». Ils désignent ainsi une entreprise appelée à «
s’autonomiser » de ses propriétaires. voir : Aglietta M. Rebérioux A, « Dérives du capitalisme financier », éd Albin Micchel
Economie, 2004
9
Dès lors, le capitalisme managérial laisse peu à peu place au capitalisme actionnarial (ou « patrimonial » selon la
qualificatif de Michel Aglietta et A. Rebérioux.
10
Idem
actionnaire, l’existence de titres à droit de vote plural ou sans droit de vote…. Dans cette
optique, les O.P.A. ou O.P.E. hostiles ne sont que de saines sanctions contre une mauvaise
gestion.
f).Les actionnaires face aux conflits d’intérêt
Bien que, les actionnaires dominent et orientent la gestion de l’entreprise, ils se heurtent au
problème de contradiction des intérêts entre eux et les dirigeants. Ce conflit d’intérêt
qu’explique la théorie de l’agence rend l’actionnaire moins informés sur des détails financiers
dissimulés par leurs agents. En effet, pour ramener les intérêt des dirigeant et cadres à ceux
des actionnaires et réduire par conséquent les asymétrie d’information, les actionnaires
orientent la gouvernance de l’entreprise selon les principes suivant :
-informations sur la structure dirigeante de l’entreprise à travers l’instauration d’une relation
étroite entre les actionnaires et la mise en place d’un système comptable adapté. Ceci a
donné lieu à l’actuel système comptable international IAS/IFRS.
-incitation des dirigeants à maximiser la valeur actionnariale en associant ces deniers dans le
portefeuille de l’entreprise par l’attribution des stocks options.
-composition du conseil d’administration : à coté des principes « une action, une voie, un
dividende »11 ; les actionnaires exigent de s’impliquer dans les procédures de nomination des
membres du conseil et du comité ainsi que la séparation entre la fonction du directeur
générale et du président.
La domination de la finance de marché a structuré l’entreprise dans une logique
actionnariale : développement des options sur titre et des instruments de mesure de la valeur
actionnariale (EVA), libéralisation du marché de contrôle, activisme institutionnel,
accentuation de l’indépendance des administrateurs. Ainsi, la gouvernance d’entreprise se
présente comme la médiation centrale entre firmes et marchés financiers. C’est pourquoi
nous nous intéressons maintenant à une nouvelle médiation : la comptabilité au niveau de
11
« Aux Etats-Unis, le mythe de l’actionnaire méritant se développe dès les années cinquante. A cette époque, le président
de la Bourse de N.Y. Keith Funston élabore le schéma du gouvernement d’entreprise. Sur le modèle de la démocratie
politique, il assimile les actionnaires aux électeurs (une action, une voix), le conseil d’administration au parlement, les
manageurs au gouvernement, la sanction du marché à celle d’une cour de justice. Il légitime ainsi la société anonyme comme
l’illustration économique de la démocratie ».J.Stiglietz
l’entreprise en tant que ressource cognitive de premier ordre sur l’activité de la firme, mais
aussi, en tant que facteur essentiel de l’information des marchés financiers.
II. Qu’est ce que la comptabilité
On retient généralement trois fonctions fondamentales de la comptabilité : l’enregistrement
des flux (réels et monétaires), la mesure de la performance (profit et patrimoine) et l’exercice
du contrôle. Certains économistes ont qualifié la comptabilité d’un langage particulier,
puisque pour eux, elle est née pour répondre à un besoin de représentation et de
communication au sein d’un groupe social donné comme les entreprises. Ainsi, la
comptabilité se distingue par sa mission spécifique qui consiste à rendre des comptes
(accomptability).
En effet, la comptabilité comme étant ensemble de constructions sociales ne joue pas un rôle
neutre dans l’activité économique. D’ailleurs, l’histoire de la comptabilité a montré que celleci évoluait étroitement avec l’évolution et les mutations économiques et sociales. Elle est en
fonction des besoins des acteurs économiques et dépond de leurs rapports de force (M.
Capron 1993).
De ce fait, nous assistons ces dernières années à un processus de normalisation internationale
de la comptabilité. Ce processus est également le résultat de la globalisation financière ayant
découlé de changement des rapports de forces entre acteurs économiques.
II.1.Le rôle de la comptabilité
En plus des opérations d’enregistrement, de stockage et de traitement de l’information ayant
pour objectif d’offrir une représentation synthétique de l’entreprise, la comptabilité doit
répondre aux besoins d’un grand nombre d’utilisateurs internes à l’entreprise (dirigeants,
salariés) ou externes à l’entreprise (actionnaires, Etat, organismes sociaux, créanciers).
De ce fait la comptabilité est à la fois un instrument d’informations financières et un outil de
gestion12.
a). la comptabilité instrument d’information financière
L’entreprise doit être une organisation transparente et efficiente parce qu’elle est appelée à
rendre compte aux partenaires avec lesquels elle est en relation d’affaire, à savoir :
12
Michel Capron, Les Normes comptables internationales, instrument du capital financier, La Découverte, 2005
- les salariés qui lui consacrent leur force de travail ;
- les clients et fournisseurs avec qui elle est en relation d’affaires ;
- les bailleurs de fond qui lui apportent les capitaux : actionnaires, créanciers….
- l’Etat à qui l’entreprise doit payer les impôts et les taxes ;
- les organismes sociaux à qui l’entreprise doit payer les diverses cotisations.
En effet, cette information financière est donnée par 3 documents de synthèse :
- le bilan : il décrit le patrimoine de l’entreprise à une date donnée
- le compte de résultat qui renseigne sur le montant des profits et des pertes.
- l’annexe qui complète le bilan et le compte de résultat.
b).la comptabilité : outil de gestion
Loin d’être uniquement un outil d’informations financières, la comptabilité est également un
outil de gestion destiné à éclairer les dirigeants de l’entreprise. Elle se présente de ce fait
comme un tableau de bord destinée aux dirigeants et composé d’une série d’instruments de
mesures de performances comme le solde intermédiaire de gestion, le tableau de financement,
ratio, etc.
c).Les normes IAS/IFRS
La notion de normes comptables désigne l’ensemble des règles à appliquer par les
organisations, principalement les entreprises, dans la préparation et la présentation des états
financiers ainsi que dans la tenue de leur comptabilité. Elles ont pris une importance
considérable dans le nouveau capitalisme ; car elles sont un instrument clé de communication
sur l’activité et les résultats des entreprises. En effet, le processus de globalisation financière
a mis en question l’existence des systèmes comptables nationaux et il a donné naissance aux
nouvelles normes comptables internationales (IAS/IFRS)13.
Les normes IAS/IFRS, comportent trois volets : le contenu des états financiers, autrement dit
ce que l’on doit comptabiliser, les règles d’évaluation et les informations à fournir pour
expliquer les comptes. Leur élaboration est guidée, en théorie, par le cadre conceptuel
comptable. Une normalisation par les principes met l’accent plus sur l’esprit de la norme que
sur la lettre, et elle oblige le préparateur des états financiers ainsi que l’auditeur à analyser le
problème comptable dans son contexte économique et juridique. Ils doivent prendre du recul
13
Michel Capron, Les Normes comptables internationales, instrument du capital financier, La Découverte, 2005
et s’assurer au terme d’une analyse approfondie de la substance de l’opération à comptabiliser
que la méthode ou le traitement envisagé est cohérent avec les principes sous-jacents. Ces
normes font ainsi appel à un niveau élevé de capacité d’analyse et d’interprétation.
Par ailleurs, cette normalisation a pour objet, aussi, d’établir des règles communes dans le
double but d’uniformiser et de rationaliser la présentation des informations comptables
susceptibles de satisfaire les besoins présumés de multiples utilisateurs surtout les
investisseurs boursiers. Elle contribue ainsi à l’harmonisation et à l’amélioration des pratiques
comptables et favorise également en matière d’information financière les actionnaires
majoritaires des entreprises.
III. Le principe de la juste valeur et l’efficience des marchés financiers
L’objectif principal de l’information comptable est d’être utile à la prise de décisions des
dirigeants de l’entreprise et des investisseurs boursiers. La conception de la comptabilité
n’est pas neutre dans la mesure où elle exerce, notamment, une influence sur la nature de
l’information à publier et les principes comptables. Ainsi un modèle comptable est également
un mode de représentation des sociétés dans le sens de présenter efficacement la réalité
économique des entreprises. Par ailleurs, l’utilité présumée des états financiers pour les
investisseurs boursiers ne semble pas confirmée par la pratique, puisque les marché financiers
sont fondamentalement instables et14 inefficients en ce qui concerne au moins trois domaines :
l’annonce de résultats comptables imprévus, le ratio valeur de marché/valeur comptable des
fonds propres, les éléments-clés des états financiers(Dominique Plihon 2005) .On peut ajouter
que la forte volatilité des marchés de capitaux rend dangereuse et peut-être peu pertinentes les
évaluations comptables fondées sur les évaluations de marché comme le prévoit la méthode
de la juste valeur (fair value)des normes IFRS, laquelle repose implicitement sur l’hypothèse
d’efficience économique des marchés. L’évaluation à la valeur de marché remet en cause le
modèle comptable conventionnel plus soucieux de la durée et de l’horizon temporel de la
gestion de l’entreprise et généralise une approche actionnariale au détriment de la logique de
l’investissement réel à long terme.
14
Selon la plupart des recherches empiriques, inspirées des travaux de Ball et Brown (1968), consacrées aux réactions des
marchés financiers à l’information comptable, il ressort que les états financiers ne jouent pas un rôle décisif dans la prise de
décision comme on le prétend le plus souvent (voir notamment Lev, 1989).
III.1.La juste valeur
La juste valeur est définie par l’I.A.S.B. comme « le montant par lequel un actif peut être
échangé ou un passif émis entre deux parties volontaires et bien informées dans le cadre d’une
transaction à intérêts contradictoires » (normes IAS 32)15. Cette norme a introduit le principe
d’enregistrement des actifs de l’entreprise avec leurs valeurs de marché. Cette technique,
justement, reflète la démarche de la comptabilité anglo-saxonne qui sert avant tout les intérêts
des investisseurs financiers en leur permettant la comparaison des performances financières
quelque soit le secteur d’activité concernée. En effet, ce principe de la faire value qui
privilégie le court terme et la diffusion d’information comptable en continu, met les
entreprises à la merci des investisseurs institutionnels, des spéculateurs et de l’instabilité des
marchés financiers.
III.2. L’instabilité des marchés financiers
Le principe de la juste valeur ne peut être juste que s’il existe une corrélation entre les
résultats comptables et les cours boursiers voire entre la valeur réelle d’un actif et sa valeur
financière. Autrement dit, l’existence d’une efficience des actifs financiers, surtout, cotés en
bourse. Mais en réalité les marchés financiers sont fondamentalement inefficients et volatiles.
D’ailleurs, les hypothèses des études empiriques supposent que la pertinence du principe
comptable pour les marchés financiers ne saurait être validé qu’en cas de corrélation entre la
valorisation comptable et la valorisation boursière, chose qui reste encore utopique dans les
marchés financiers actuels.
Il est donc à l’heure actuelle assez difficile de considérer que le principe de juste valeur
permettra de rendre l’information comptable plus pertinente pour les marchés financiers. S’il
est possible de le penser, aucune preuve empirique ne permet de valider ou d’invalider cette
relation pour l’instant. C’est pourquoi on peut considérer le référentiel IFRS comme un
système normatif construit au profit des investisseurs et un modèle de gouvernance
actionnariale.
Conclusion
En conclusion, on peut dire que la transformation et la financiarisation de l’économie
mondiale a été caractérisée par la montée en puissance des bailleurs de fonds notamment les
investisseurs institutionnels et l’instauration d’une logique actionnariale au niveau des
15
Voir : rapport du Conseil d’Analyse Economique, Deboissieu .C. 2003.
entreprises. Ainsi, les bailleurs de fonds ont exprimé un besoin de gestion complexe qui se
manifeste aujourd’hui essentiellement par une gestion de portefeuilles, arbitrée en grande
partie par les cours des actifs boursiers, surtout, les actifs sous-jacent.
Cependant, la globalisation a nécessité un accompagnement et une harmonisation comptable à
l’échelle mondiale, et ce, afin d’émanciper les détenteurs de capitaux des disparités
nationales en matière de coûts fiscaux et d’où la concurrence est permanente pour ramener les
coûts au plus bas et au détriment de salariés. Ceci s’est traduit, par ailleurs, par l’instauration
des nouvelles normes comptables internationales (IFRS) qui ne sont plus au service d’un
développement économique fondé sur la production de biens et de services, mais vise à servir
l’extrême rapidité d’une circulation des capitaux et l’amélioration de leur choix optimal
d’allocation. La volatilité des marchés financiers va pénétrer les bilans et faire de plus en plus
cohabiter des valeurs de transactions effectives, des valeurs de marchés estimées et des
valeurs anticipées résultant de calculs fondés sur des modèles mathématiques aux taux
d’actualisation aléatoires. Enfin, l’entreprise qui doit être considérée comme une institution
économique qui se définit à partir de notion telles que l’intérêt social et la création de
richesse avec des multiples objectifs économiques, sociaux et environnementaux, est
considérée par les bailleurs de fonds comme un actif financier dont l’objectif est de maximiser
la création de la valeur actionnariale.
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