Piqué au vif
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Piqué au vif
Piqûres d’aiguille Piqué au vif ! Franç oise Bouc hard asstsas Éric Tremblay a subi un événement accidentel traumatisant à l’automne 2009. Il se pique avec une aiguille contaminée par le sang d’un client séropositif. Un an et demi plus tard, il raconte comment il a vécu cet épisode. Voici un résumé de l’entrevue qu’il a accordée à l’ASSTSAS. I nfirmier de soir depuis huit ans au bloc opératoire, Éric Tremblay tient à raconter son histoire à découvert afin de s’assurer que son cas ne passe pas pour de la fiction. Sa mésaventure pourrait s’être déroulée dans n’importe quel établissement, même le vôtre ! En effet, plusieurs établissements pensent que leur protocole postexposition est adéquat. Pourtant, sont-ils vraiment prêts à prendre en charge correctement un cas plus à risque ? Une clinique spécialisée en suivi postexposition est certainement mieux outillée pour agir rapidement et efficacement dans ces situations. F. B. Quelles sont les circonstances de l’événement accidentel ? É. T. Un soir, je me porte volontaire pour un cas d’orthopédie avec un client porteur connu de l’hépatite B et du SIDA (VIH). Ce n’est pas la première fois que j’assiste à une chirurgie dans de telles circonstances. Infirmier depuis une quinzaine d’an nées, je n’ai jamais subi d’exposition accidentelle au sang. À la fin de l’intervention, en replaçant l’aiguille à suture courbe sur le porte-aiguille pour la disposer, je fais un faux mouvement du poignet et me pique profondément le pouce. J’ai mis plusieurs secondes pour réaliser que la situation était dramatique, compte tenu du client. Le chirurgien me dit de faire saigner la plaie, ce que je faisais déjà. Tout le monde panique un peu et je dois sortir de la « table » pour aller chercher de l’alcool et me désinfecter. Au lavabo, je vois noir, dans le miroir, je ne me vois plus… Sa mésaventure pourrait s’être déroulée dans n’importe quel établissement, même le vôtre ! 4 – OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 34, NO 3, 2011 F. B. Quel a été le suivi immédiat de l’accident ? É. T. Avis à la coordonnatrice de soir, délai de rappel, prélèvements, non disponibilité sur place du microbiologiste de garde…Tout ce temps perdu avant de commencer le traitement. Les microbes sont peut-être en train de m’envahir… Une heure, c’est long quand ta vie est en jeu. La coordonnatrice me dit de commencer à prendre les antirétroviraux (ARV) et de voir le microbiologiste le lendemain. Je reste au travail pour accompagner le client à la salle de réveil. Je ne suis plus concentré, je pense à ma conjointe à qui il faut apprendre ça. Le jour suivant, lorsque je rencontre les microbiologistes, je suis renversé ! Vacciné contre l’hépatite B à une époque où les anticorps n’étaient pas testés après la vaccination, j’apprends que je ne suis pas protégé. Une exception, paraît-il. Les pro babilités qu’on me donne : 20 % pour l’hépatite B, 2 % pour le VIH. Il y avait seulement 1 % de risque de ne pas avoir d’anticorps, alors pourquoi ne serais-je pas, encore, un cas exceptionnel ? F. B. Quel a été le traitement ? É. T. À cause du risque élevé d’hépatite B, j’ai reçu des immunoglobulines, mais plus de 12 heures après l’événement. Débute ensuite une trithérapie complète pour quatre à six semaines. On m’avise que le traitement sera difficile. Dès la cinquième journée, je suis très malade : diarrhées intenses, nausées. Au début, les microbiologistes de l’établissement se sont relayés pour le suivi. Ensuite, il m’a fallu dénicher moimême un médecin de famille pour un suivi plus complet. Pas facile à trouver ! F. B. Quand l’arrêt de travail a-t-il débuté ? É. T. Le lendemain de l’incident, la microbiologiste a rempli les formulaires pour la CSST et je suis retourné chez moi, seul pour gérer la situation. Quelques jours plus tard, lorsque j’ap porte les documents demandés au Service de santé, on me donne les coordonnées du programme d’aide aux employés (PAE), au cas où… Avec de la chance, j’aurai un rendez-vous dans une semaine. Mais, c’est maintenant que j’ai besoin de soutien ! Et les difficultés s’accumulent. Dans les jours qui suivent une erreur technique entraîne la suspension de ma paie, une première en 15 ans de travail ; plus tard, une convocation avec le médecin de l’employeur en suivi médico-administratif ajoute à mon désarroi. Je me sens un simple numéro d’em ployé, un matricule… F. B. Comment votre famille a-t-elle vécu la situation ? É. T. Je vis une belle relation depuis sept ans. Après une première nuit d’insomnie, j’ai informé ma conjointe de l’ac cident et de ses implications. Nous avons décidé de ne prendre aucun risque. Nous avons jugé préférable de mettre notre vie sexuelle en veilleuse pour quelque temps. Ma conjointe est très compréhensive, mais quand elle a vu toutes les pilules que je devais prendre, elle était découragée. Elle a été honnête avec moi : elle accepterait une hépatite, mais me quitterait si j’avais le SIDA. L’inquiétude serait trop grande. Elle ne méritait pas cela. Je comprenais. Lorsque mes filles ont été informées de ma situation, elles ont vivement réagi. J’ai dû les réconforter, malgré ce que je ressentais. Je décide d’appeler pour obtenir le soutien du PAE. J’ai raccroché en entendant le début d’un message enregistré. Je n’avais pas l’énergie de me battre pour avoir de l’aide. Qu’allait-il m’arriver ? Je remettais toute ma vie en question. Des moments noirs, j’en ai eus. F. B. Comment s’est passé votre retour au travail ? É. T. Après les tests sanguins négatifs à la douzième semaine, j’ai fait un retour progressif étalé sur trois mois, sans garde ni temps supplémentaire obligatoire. Physiquement, ça été très difficile. La prise d’ARV m’avait affaibli énormément : perte de poids de 40 livres, fatigue, sudation, essoufflement. Je devais m’asseoir régulièrement. Mes collègues et ma chef de service ont été compréhensifs. Qu’allait-il m’arriver ? Je remettais toute ma vie en question. Des moments noirs, j’en ai eus. Après un mois de travail, je me pique à nouveau en voulant jeter un équipement souillé : une aiguille utilisée pour de l’anesthésie locale en chirurgie ophtalmique était restée accrochée dans le bac de disposition trop plein. Ma colère a été incroyable. Ma conjointe, aussi très en colère, a beaucoup pleuré : c’est quoi ce métier de fou qui entraîne un tel stress dans nos vies ? J’ai pris tout de suite des ARV. Le lendemain, l’ophtalmo logiste prend le dossier en main et fait tester les huit clients passés en chirurgie la veille. À la réception des résultats né gatifs, j’ai recommencé à respirer… F. B. Vous portez-vous encore volontaire pour les chi rurgies de clients séropositifs connus ? É. T. Je sais que les risques sont présents avec tous les clients, mais ceux connus, il n’en est plus question. Je peux leur parler, leur toucher, mais prendre le risque d’être exposé à leur sang, jamais ! Je ne serais pas capable de repasser par là. Physiquement, je n’ai même pas récupérer ma forme d’avant. Psychologiquement, il reste du chemin à faire… Pas une semaine ne passe sans rappel des circonstances de mon accident : un contenant de disposition trop plein, une méthode de travail non sécuritaire, ça me heurte chaque fois. On n’est plus pareil après un tel événement. Les objectifs de production, les exigences de performance sur lesquels est basé le travail, on apprend à voir les choses autrement. Dans votre établissement ? Ce touchant témoignage fait réfléchir. Un tel événement aurait-il pu se dérouler de la même façon dans votre établissement ? Malgré les nombreux protocoles déjà établis, il y a sûrement matière à réflexion au niveau de l’amélioration à apporter pour prévenir une telle situation. • Réfé r e n c e s BOUCHARD, Françoise, Pierre THIBODEAU. « Exposition accidentelle aux liquides biologiques : un centre de référence », Objectif prévention, vol. 26, no 5, 2003, p. 28-29. Éric Tremblay, infirmier, raconte son expérience après s’être piqué avec une aiguille contaminée. BOUCHARD, Françoise. « Une clinique postexposition aux liquides biologiques, pour une prise en charge rapide », Objectif prévention, vol. 34, no 1, 2011, p. 20-21. OBJECTIF PRÉVENTION – VOL. 34, NO 3, 2011 – 5